Tous ces problèmes, nous les connaissons bien : ils résultent tous du fait qu’une langue ne peut vivre qui si elle est parlée. Il faut donc mettre en place des outils que l’on appelle des politiques linguistiques. Ces politiques reposent sur l’enseignement, sur la signalétique et sur les médias. La plupart des 39 articles signés par la France concernent ces trois domaines.
La Charte fournira donc l’assise institutionnelle qui permettra de mettre en place des outils de politique linguistique pour les langues de France et, ce faisant, elle permettra à la France de se hisser au standard européen, car la ratification de la Charte est obligatoire pour tout pays qui veut entrer dans l’Union européenne. Avec cette Charte, la France reconnaît ses langues, mais aussi une nouvelle catégorie de droits de l’homme : celle des droits culturels. Il était en effet étrange que la France en reste à une notion de droits de l’homme essentiellement politiques et sociaux, gagnés et parfois conquis de haute lutte au XIXe et au XXe siècle.
La Charte est-elle le loup dans la bergerie, comme l’affirment certains ? Il faut d’abord préciser qu’elle n’oblige pas les citoyens à pratiquer une langue régionale : elle donne des possibilités que l’administration honorera, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Malgré ce que l’on veut nous faire croire, les articles choisis par la France ne permettront pas la co-officialité de ces langues dans les territoires où elles sont pratiquées. À ceux qui s’alarment devant la diversité culturelle et pensent que la République repose sur une langue unique, je ferai remarquer que la Suisse reconnaît quatre langues officielles et n’en est pas moins un État démocratique. Par ailleurs, l’utilisation du serbo-croate n’a pas suffi à empêcher que la Yougoslavie se divise.
Revenons-en au contrat social de Rousseau, pour qui la république ne repose pas sur une langue ou une culture, mais sur la démocratie, sur les droits de l’homme et sur le désir de vivre ensemble. Bien loin d’une vision selon laquelle l’État façonne les citoyens en fonction d’un modèle dominant, je crois au contraire en un État permettant le « vivre ensemble », la diversité et l’épanouissement de ses citoyens.
J’ai vécu dans une France où les langues régionales étaient niées et méprisées, ce que les citoyens vivaient mal, et j’aspire, comme l’ensemble de mon groupe, à des relations apaisées sur ce point. En tant que locuteur de langue régionale, je suis un citoyen comme les autres et j’ai le droit, comme les autres, au respect de ma personnalité culturelle. En breton, en gallo, en basque, en corse ou en occitan, la devise de la République s’exprime tout aussi bien, et les valeurs d’universalité se trouvent magnifiées par l’expression de cette devise dans les langues régionales. Les mots sont différents, mais le goût de la liberté, de l’égalité et de la fraternité est toujours le même. C’est pour cet idéal que des milliers de Corses, de Bretons et de Français d’autres régions sont morts dans les tranchées, alors que nombre d’entre eux ne maîtrisaient même pas la langue française.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, la Charte n’est pas un danger pour notre pays. Bien au contraire, elle permettra des relations apaisées entre l’État et ses citoyens. Elle ne donnera que plus de poids à la France quand notre pays voudra défendre le français dans les relations internationales et défendre les minorités linguistiques françaises, assez nombreuses de par le monde. Je sais qu’il est, dans cet hémicycle, des députés de tout bord qui ont beaucoup oeuvré, depuis longtemps, pour les langues régionales. Je leur rends hommage aujourd’hui et c’est avec eux que je vous demande de voter massivement pour cette proposition de loi. C’est ce que fera mon groupe avec enthousiasme.