Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre commission d’enquête sur la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée a rendu son rapport, que nous avons voté, au moment où la situation de la compagnie était, une fois de plus, très critique. Je salue l’action de M. le ministre et du Gouvernement, qui a permis de passer le cap difficile de ce mois de janvier 2014 et ouvert des perspectives pour que la compagnie assure, sur les dix années à venir, la délégation de service public qui lui a été confiée – merci, monsieur le ministre.
Nous savons tous que le chemin sera difficile, mais les enjeux économiques, sociaux, industriels et de service public que nous avons entre les mains sont majeurs et nécessitent que tout soit mis en oeuvre pour cela – à commencer, d’ailleurs, par le financement de la construction des navires de nouvelle génération, indispensables au service de continuité territoriale et à l’environnement.
Notre commission d’enquête, même si elle porte sur des faits et des décisions remontant à huit ans, est imprégnée de la période durant laquelle elle s’est réunie, tout autant que des incidences de chaque soubresaut de ces années-là. La situation actuelle de la compagnie, les décisions à prendre pour réellement garantir sa survie, le plan industriel à financer et à mettre en oeuvre, l’imposition du pavillon de premier registre pour le cabotage, que nous réclamons depuis des années, sont les conditions non seulement de la vie même de l’entreprise, mais de la poursuite du service public de continuité territoriale dont l’État est garant.
La lecture du rapport – ne serait-ce que de son titre lui-même – explique mieux que tout le chemin tortueux qui a été pris : « La SNCM : histoire d’un gâchis » – tout est dit ! Nous avons eu à analyser une série de renoncements certainement peu rencontrés ailleurs : renoncement de l’État, qui privatise au profit d’un fonds de pension ; renoncement de Veolia ; renoncement de l’État actionnaire avec la Caisse des dépôts et consignations au sein de TRANSDEV. J’ai l’impression que les seuls à avoir vraiment cru en un avenir de la SNCM ont été les salariés et leurs syndicats, qu’il faut remercier car, sans eux, la SNCM aurait certainement cessé d’exister en décembre dernier – une éventualité qui semble pouvoir être écartée, maintenant que la société est remise sur de bons rails.
J’ai voté ce rapport au nom du groupe GDR, sous la réserve de la prise en compte de deux remarques qui apparaissent en contribution. Ces remarques ne sont pas de pure forme. La première consiste à souligner la différence de ton entre le propos liminaire de notre président, Arnaud Leroy, et les conclusions qui apparaissent bien plus tièdes. Nous souhaitons souligner, bien plus fortement que ne le fait le rapport, que cette privatisation est un grave échec, ce qui apparaît clairement aux yeux de tous. Cet échec n’est pas seulement dû à des incompétences de gestion, mais relève de la nature même d’une telle opération au sens du choix politique qu’elle révèle : la privatisation a été un gâchis car elle était une grave erreur ! Dans cette optique, comme une solution pérenne à l’avenir de la compagnie, c’est l’État qui doit être garant, en sa qualité d’actionnaire, des choix stratégiques, de la mise en oeuvre du projet industriel et du maintien de l’emploi.
Je tenais à réitérer ce propos et ces exigences qui nous semblent majeures. Une impression, voire une certitude, vient à la lecture du rapport et de nos travaux : un sentiment d’inachevé. Non que nous n’ayons pas fait le travail nécessaire d’audition et de réflexion – il a été fait, et bien fait –, mais devant l’ampleur d’une telle opération, devant le scandale de la plus-value réalisée par Butler, qui a empoché 60 millions d’euros, face au coût exorbitant pour l’État et pour les contribuables, estimé à 400 millions d’euros, il est permis de se demander si nous sommes allés aussi loin que nous devions le faire.
Car finalement, quel est le résultat de tout cela ? Une société exsangue pour laquelle personne n’a voulu faire un effort, un fonds de pensions qui s’est enrichi de façon irraisonnée avec l’aval de tous, un actionnaire, Veolia, qui n’assume pas ses responsabilités, et des gouvernements qui se sont succédé sans avoir le courage politique de la décision. Je pense, par exemple, au pavillon de premier registre, à la situation de concurrence déloyale et à l’incapacité de ne pas plier face aux injonctions européennes.
Il semble que cela change, et je m’en réjouis très sincèrement. S’il persiste un sentiment d’inachevé, c’est également parce qu’aucune mesure récursoire n’est proposée pour faire revenir de l’argent dans les caisses de la compagnie alors qu’elle a été saignée. C’est aussi parce que le spectre de la commission d’enquête ne permettait pas d’examiner de manière approfondie les conditions de la concurrence déloyale à laquelle la SNCM a été soumise. C’est, enfin, parce que cette commission ne permet pas de poser un regard sur la légalité et le bien-fondé des subventions accordées aux compagnies low cost. En effet, les subventions accordées au titre de l’aide sociale au passager transporté sont de l’ordre de 180 millions d’euros. Il conviendrait que soit examinée l’utilisation de ces fonds qui, de fait, alimentent l’aspect déloyal de la concurrence au profit d’une compagnie, Corsica Ferries, qui ne respecte pas le droit social français et a commis des infractions graves à notre environnement. Cette même compagnie s’est payé le luxe d’attaquer devant la justice européenne les subventions versées à la SNCM. Il conviendrait de regarder de plus près cet aspect-là du dossier.
Je voudrais enfin vous dire, mes chers collègues et monsieur le ministre, que ce dossier me rappelle – certes, dans une tout autre mesure – la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, à laquelle j’ai participé en qualité de secrétaire. Car, dans les faits, nous avons analysé des mécaniques semblables. Premièrement, l’État privatise. Deuxièmement, de grands secteurs industriels stratégiques, comme celui de l’acier, tombent entre les mains de financiers internationaux – ArcelorMittal, Ascométal et tant d’autres. Et troisièmement, nos usines ferment lorsque le citron a été pressé à l’extrême.
Le rapport de la commission d’enquête préconise d’ailleurs que l’État, avec la BPI, redevienne, de façon significative, actionnaire de ces groupes pour peser sur les choix stratégiques et l’investissement. La page de la concurrence libre et non faussée à la mode de Lisbonne doit se tourner.
Elle fait mal à notre industrie, elle fait mal à nos compagnies maritimes. Elle place les entreprises aux mains de financiers qui ont une vision de rentabilité à court terme, à l’instar des exemples que je viens de citer, mais aussi de Kem One, le pôle vinylique qu’Arkema a cédé à un financier qui l’a rendu exsangue en moins d’un an, et, bien sûr, de la SNCM, avec le fonds de pension Butler. Même si aucune situation n’est comparable, les mêmes choix produisent les mêmes effets.
Nos concitoyens, les populations et les salariés de Corse et du continent, particulièrement à Marseille, mais également les salariés de Saint-Nazaire regardent de près nos travaux et les décisions courageuses qui viennent d’être prises.
Au regard du gâchis que nous avons mis en évidence, il n’est pas acceptable et ne serait pas accepté que les mêmes erreurs, les gâchis se reproduisent dans les mois ou les années à venir, pour la SNCM, bien sûr, mais également pour d’autres secteurs clés de notre patrimoine industriel. S’agissant de la SNCM, nous avons bon espoir, et je vous en remercie, monsieur le ministre.