La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport de la commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée (no 1629), organisé à la demande du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Paul Giacobbi, rapporteur de la commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée.
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée, mes chers collègues, voilà, pour un sujet d’actualité, un auditoire relativement intime, si j’ose dire,
Sourires
mais naturellement, la qualité supplée à la quantité.
Je m’exprimerai ici en tant que rapporteur, sous le contrôle du président et des collègues membres de la commission d’enquête. J’exposerai en quelques mots ce que le rapport nous a appris, et que nous ne savions peut-être pas ou qui n’avait pas été étayé par des faits ou des témoignages. Ainsi, le rapport nous a appris deux ou trois éléments précis.
Le premier enseignement, c’est la responsabilité de l’actionnaire. J’insiste sur ce point, et les témoignages viennent d’ailleurs appuyer mes propos : en droit français, lorsqu’un actionnaire gère une société quasi directement, qu’il commet des fautes lourdes de gestion et qu’il participe à un soutien abusif, il est responsable sur son propre patrimoine pour ce qui touche à la gestion de cette société.
Je reviens un instant sur la gestion directe. Dans un témoignage sous la foi du serment, M. Stéphane Richard, à l’époque directeur général et mandataire social de la société Connex, s’est exprimé ainsi : « C’est l’équipe sur place épaulée de plusieurs personnes de l’état-major de Veolia qui a dirigé la société. » Il avait expliqué auparavant que l’équipe sur place était constituée du directeur régional de la Connex, nommé président de la SNCM, auquel on avait adjoint « une autre personne venant également de Veolia et qui était son directeur général ». La gestion directe est donc établie par un témoignage sous la foi du serment.
Par ailleurs, l’actionnaire est responsable d’un soutien abusif : je n’ai pas besoin de citer dans le détail les sommes qui ont permis à la société de survivre à travers les années, et qui étaient fournies par la trésorerie de la maison-mère.
La faute lourde de gestion, j’y insiste, est évidente. Le rapport en témoigne, comptes à l’appui : en 2006, après sa privatisation, la société est in bonis, elle n’a plus de dettes ni de pertes, elle a été recapitalisée, un plan social a été financé et exécuté, et elle bénéficie d’une délégation de service public, comme elle l’a souhaité. Elle a donc tout ce qu’il faut pour fonctionner. Le seul problème, et le rapport en témoigne, c’est qu’un an après le plan social, on retrouve le même effectif que précédemment. Le résultat est évident : les pertes reviennent, à hauteur de 15 millions d’euros par an. Comment a-t-on réglé ce problème de pertes, à l’époque ? On ne l’a pas réglé en revenant à l’équilibre, mais en se débarrassant d’un certain nombre d’actifs. Excusez du peu : on vend le siège pour 15 millions d’euros, la participation dans la Compagnie méridionale de navigation pour 45 millions d’euros, une autre participation dans Sud Cargos… Tout cela a permis de tenir : existe-t-il une meilleure définition de la faute de gestion que cette manière de procéder dans une société ?
Le rapport nous a appris une deuxième chose, soulignée à plusieurs reprises et étayée, là aussi, par des témoignages : l’exploitation du service public dans les conditions de la DSP est rentable. Prenons l’exemple de la Compagnie méridionale de navigation, la CMN, qui dispose des mêmes types de navires, du même pavillon – vous le savez bien, monsieur le ministre –, et a les mêmes partenaires sociaux : voilà une société qui, sous l’emprise des mêmes obligations de service public et avec les mêmes subventions, ni plus ni moins, gagne sa vie – elle ne gagne pas des mille et des cents, mais elle gagne sa vie, et réalise en moyenne une marge de 3 %.
Au-delà de ces enseignements directs, le rapport nous apprend ce qu’il ne faut pas faire : restructurer à grands frais – pour l’État, des dizaines de millions d’euros, dans le cas d’espèce – puis réembaucher aussitôt après. Il ne faut pas non plus financer des services qui ne répondent pas à un besoin de service public et ne peuvent pas trouver un équilibre économique – c’est un peu le cas des cars-ferries.
Autre chose qu’il ne faut pas faire : penser que l’on peut échapper à la loi. Qu’elle soit française ou européenne, la loi finit toujours par s’imposer.
Enfin, il ne faut pas considérer que l’exploitation de la société consiste à rêver. Bien entendu, il n’est pas interdit d’être visionnaire – c’est même conseillé –, mais cette vision doit s’accompagner du réalisme – vous le savez parfaitement, monsieur le ministre. Il faut équilibrer les comptes pour préserver le service public et l’emploi.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission d’enquête, mes chers collègues, voilà ce que je retire du rapport à titre personnel. J’interviendrai par la suite en qualité de représentant du groupe RRDP : il s’agit en effet d’un groupe peu nombreux, qui, par conséquent, ne peut pas compter beaucoup de membres hautement spécialisés.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.
La parole est à M. Arnaud Leroy, président de la commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je tiens à donner quelques informations complémentaires à l’exposé introductif de mon collègue Paul Giacobbi. J’ai eu plaisir à travailler avec lui et à présider la commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la SNCM, mise en place à la demande du groupe RRDP, auquel appartient M. Paul Giacobbi.
En premier lieu, je tiens à noter la pleine coopération des parties prenantes à ce dossier. Nous avons beaucoup auditionné. Par contre, je veux souligner le peu d’empressement des services de l’État à nous transmettre certains documents – je pense notamment aux conclusions des travaux de M. Gressier, que nous avons eu du mal à obtenir, à l’inverse de documents purement confidentiels, commerciaux, stratégiques, de Veolia ou de Butler. Je tiens à souligner ce point essentiel : si le Parlement veut exercer correctement son travail de contrôle de l’exécutif, la pleine et entière coopération des services de l’État est nécessaire. À mon avis, monsieur le ministre, le problème ne se situe pas au niveau des cabinets, mais vous devez savoir que nous avons obtenu le rapport Gressier, qui constitue un document stratégique et crucial pour la bonne compréhension de cette thématique, trois semaines avant la fin de nos travaux. Je tenais à le préciser.
Cette enquête est surprenante, ne serait-ce que par le déroulé des événements. On commence avec une privatisation à 100 %, et on finit avec un actionnaire à 38 %, certes majoritaire, mais aux côtés de l’État, toujours partie prenante à hauteur de 25 %, et des salariés, représentant entre 7 et 9 % du capital de la société selon les informations du moment, tout cela avec la même procédure, sans que personne n’y trouve à redire, ce qui m’a d’ailleurs surpris. Lors de son audition, l’ancien Premier ministre, M. Dominique de Villepin, a déclaré qu’il lui était impossible de sortir de la procédure d’appel d’offres lancée avant sa nomination et de la reprendre à zéro. J’ai quelques doutes sur ce point. Je ne comprends pas comment nous pouvons partir d’une décision de privatiser la SNCM à 100 %, qui a dissuadé certaines parties de présenter leur candidature à l’appel d’offres, pour finir avec un pacte d’actionnaires où l’État offre une garantie, une béquille plutôt confortable, en détenant 25 % des parts…
Parce que les collectivités territoriales et les élus le lui ont demandé !
Monsieur Tian, vous aurez l’occasion de vous exprimer par la suite. Je parle de la procédure, et non des demandes des collectivités locales.
Cette enquête est également surprenante s’agissant des montants en jeu et du prix payé par Butler. Il faut que les citoyens le sachent : Butler a acquis 38 % d’une compagnie pour 13 millions d’euros. Je pense que beaucoup d’épargnants seraient intéressés par un tel placement !
Murmures sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Non, monsieur Tian, ce n’est pas brouillon. Cela vous dérange : c’est différent ! Vous aurez l’occasion de corriger tout cela, si vous le voulez.
Autre motif de surprise : cette privatisation a reçu le feu vert de la Commission européenne, qui nous réclame aujourd’hui quasiment un demi-milliard d’euros pour une opération qu’elle a elle-même validée. J’en appelle ici à l’union. Je pense, monsieur Tian, que nous pouvons nous rejoindre sur ce sujet : l’instabilité et l’insécurité juridiques nées d’une décision européenne plongent aujourd’hui le Gouvernement dans une difficulté pour reconstruire, donner suite et conserver des emplois dans votre ville, dans le bassin méditerranéen et en Corse. Là aussi, nous devons pouvoir creuser un peu plus le sillon, et nous assurer de ne pas retrouver à l’avenir une instabilité juridique qui porte préjudice à de nombreux acteurs.
Cette enquête est également surprenante, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, car elle fait apparaître beaucoup de similitudes entre la situation d’alors et celle que nous rencontrons aujourd’hui. Entre 2005 et 2014, peu de choses ont changé, sauf le pacte d’actionnaires.
Je tiens aussi à préciser que notre mandat portait sur une période restreinte – il est important de le rappeler, au regard de l’actualité du dossier –, couvrant les années 2005 à 2008, puisqu’il s’agissait de comprendre le cheminement et l’intégralité du processus de privatisation. Il n’empêche que ce processus, ne serait-ce que par l’élément européen que je viens d’évoquer, se répercute de manière importante et grave sur la situation actuelle de la SNCM.
Je retiendrai quelques éléments supplémentaires avant de conclure mon intervention en tant que président de la commission d’enquête. Dans ce dossier, l’incapacité de l’État actionnaire d’assurer la gestion, le management et d’opérer des choix stratégiques est tout à fait hallucinante – et je pèse mes mots. En outre, le manque d’outils de contrôle à la disposition du Parlement pour accompagner une privatisation de cet ordre renvoie, à mon avis, à un enjeu crucial :…
…celui du contrôle de l’exécutif que doit assurer le Parlement, dans le cadre du renouveau et du renforcement de l’Assemblée nationale que chacun – j’en suis sûr – appelle ici de ses voeux.
Pour conclure, mes chers collègues, cette opération est un gâchis, pour l’État et pour les deniers publics. Mais elle est surtout une bonne affaire pour Butler et pour Veolia. Cette dernière a essayé de jouer les victimes dans ce dossier, mais la lecture de notre rapport plutôt étayé confirme que la privatisation de la SNCM a constitué une bonne action pour Veolia, au regard notamment des cessions d’actifs qui ont eu lieu au long des années écoulées.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, voilà ma contribution en tant que président de la commission d’enquête. Je me tiens également à votre disposition, au nom du groupe socialiste, pour faire vivre le droit de suite si nous décidons de l’exercer dans les prochains mois. Vous pouvez compter sur notre entière et pleine coopération pour trouver un avenir à cette compagnie essentielle pour l’avenir du pavillon français.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission d’enquête, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce rapport qui est particulièrement bien documenté et qui permet de comprendre un certain nombre de zones d’ombre dans ce dossier, même s’il en subsiste. Il permet aussi d’appréhender dans le détail les conditions d’une privatisation que vous avez, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, illustrée, ainsi que le rôle des uns et des autres.
Ministre des transports, de la mer et de la pêche depuis mai 2012, je ne suis pas précisément le mieux placé, vous en conviendrez, pour réagir sur les conditions d’une privatisation qui date de 2005. En revanche, je suis celui qui, au quotidien, gère les conséquences de cette privatisation.
Le Parlement est dans son rôle de contrôle de l’action gouvernementale, vous l’avez rappelé, monsieur Leroy. J’entends également vos remarques concernant le peu d’empressement qu’ont montré certains services de l’État à transmettre à la commission d’enquête les informations qu’elle leur demandait. J’en tiendrai compte, et je me permettrai d’en faire état.
J’ai pris connaissance des positions prises par les groupes parlementaires lors de l’examen du rapport en commission. J’ai également pris connaissance des contributions en annexe. J’entendrai ce soir les propos de chacun d’entre vous et j’en prendrai acte. Je puis vous dire que j’y attacherai une attention particulière.
Pour ma part, sur la base de ce rapport, je souhaite me concentrer et échanger avec vous sur l’avenir et sur les dispositifs à mettre en place pour sauver la SNCM et trouver une solution permettant d’assurer sa pérennité. C’est l’orientation retenue sans aucune ambiguïté par la Gouvernement.
Que devons-nous retenir de ce rapport ? Beaucoup de choses, mais j’essaierai d’être rapide. C’est un rapport qui est clair, bien fait, sans concessions – à juste titre –, et qui doit nous aider à mieux définir la stratégie qui doit être suivie pour la SNCM et à éviter les errements et les erreurs du passé.
Je ne reviendrai pas sur toutes les questions touchant au rôle de l’État actionnaire, à la valorisation négative de l’entreprise, au pacte d’actionnaires, à l’action du fonds d’investissement Butler Capital Partners. Pour autant, certains éléments ont appelé mon attention.
D’abord, la commission a mis en évidence le caractère inopérant de la procédure d’appel d’offres. Je tiens toutefois à signaler que la commission d’enquête n’a relevé aucune irrégularité dans la procédure et qu’elle s’est plutôt penchée sur la logique qui a prévalu dans l’appel d’offres, ou plutôt l’absence de logique.
Je retiens à ce titre que, fondé sur un prix négatif qui devait être le moins élevé possible, cet appel d’offres a débouché sur une offre purement financière, alors qu’il aurait été préférable – c’était même indispensable –, de privilégier dès le départ une solution industrielle avec l’intervention d’un actionnaire spécialisé dans le transport maritime, un actionnaire qui aurait pu redresser définitivement cette entreprise en mettant à son service son savoir-faire, ses moyens financiers, sa connaissance du milieu maritime, sa stratégie de développement, ses synergies. In fine, devant l’opposition des salariés et des élus, Connex a été amenée à entrer au capital, mais ce n’était pas la logique initiale.
Si l’actionnariat de la SNCM doit évoluer, ce que j’entends, il faudra, pour assurer un avenir pérenne à l’entreprise, veiller à ne pas reproduire une situation qui rend l’exercice particulièrement périlleux.
Ensuite, je pense que le Gouvernement de l’époque n’a pas suffisamment associé les collectivités territoriales de Marseille et de Corse. Toute solution sur l’avenir de la SNCM passe obligatoirement par une association proche de la collectivité territoriale corse et des grandes collectivités de Marseille, dont la région PACA, la ville et la communauté urbaine de Marseille, ainsi que le conseil général. Toutes les collectivités auraient dû être associées à la stratégie qu’il convenait de déterminer pour cette société qui n’est pas une société comme les autres, ne serait-ce que de par son objet. C’est bien pour cela que j’ai souhaité, il y a quelques jours, réunir les collectivités, et je le ferai autant que ce sera nécessaire.
Le rapport insiste sur la gestion « discutable », pour ne pas dire inefficace, de toute cette période post-privatisation. Au-delà du fait que la SNCM n’est jamais parvenue à dégager un seul résultat net positif au cours de toutes ces années – le président Giacobbi l’a souligné –, il semble que l’actionnaire principal n’ait pas véritablement défini de stratégie de redressement pour la société, ce que l’on peut notamment mesurer par le fait que les plans de redressement n’ont pas été mis en oeuvre et que seules les cessions d’actifs, c’est-à-dire une forme d’artifice, ont permis d’équilibrer les comptes de la compagnie, au lieu de financer l’engagement de renouvellement progressif de la flotte. Je rappelle que, dans le cadre de la délégation de service public, il y avait une obligation en ce sens, qui n’a pas été suivie d’effet. Je le souligne, car nous en sommes aujourd’hui les victimes.
Enfin, le rapport dénonce le rôle trop effacé de l’État actionnaire, qui est qualifié d’actionnaire dormant. Il convient tout d’abord de rappeler que l’État ne détient que 25 % de la SNCM et que l’actionnaire principal, Veolia, a toujours été très majoritaire, à 66%.
Pour autant, monsieur le rapporteur, vous avez raison, le gouvernement de l’époque aurait dû faire preuve de plus de réactivité, d’initiative. Il aurait dû alerter, anticiper les difficultés, bref, jouer son rôle d’actionnaire, qui est d’oeuvrer dans l’intérêt de la société dont il est l’un des acteurs.
C’est pour cela que, depuis mai 2012, nous avons travaillé de manière totalement différente, en cherchant à collaborer en confiance avec les actionnaires pour trouver une solution acceptable pour tous.
Nous sommes même allés au-delà, en ayant de nombreuses rencontres avec les représentants des salariés – mais il est vrai que les salariés sont également des actionnaires – pour pouvoir comprendre les problématiques de ceux qui vivent cette société au quotidien.
Nous avons souhaité définir une stratégie permettant à la SNCM de se redresser dans la continuité. Quel avenir, aujourd’hui, pour la SNCM ? Sur ce point, j’ai beaucoup lu, et beaucoup entendu les uns et les autres – et vous me permettrez de considérer que ceux qui se sont exprimés l’ont fait avec plus ou moins de bonne foi, surtout compte tenu de l’historique que je viens de rappeler.
Depuis mon arrivée à la tête du ministère des transports, de la mer et de la pêche, j’ai travaillé sans relâche sur ce dossier afin de trouver la meilleure solution, dans un contexte d’une très grande complexité.
En termes de méthode, contrairement à ce qui a été fait en 2005, je souhaite trouver une solution pérenne qui, par charité républicaine pour mes successeurs, permette de ne pas y revenir dans dix ans. Il convient de respecter l’intérêt de l’État, des fonds publics et de la bonne gestion.
Je suis convaincu que l’on devrait pouvoir trouver un chemin permettant le redressement de l’entreprise, même s’il est étroit, sinueux, difficile. Des solutions de facilité ont été proposées, mais ce n’est pas notre choix, je l’ai indiqué dès le début de mon propos. Le Gouvernement se bat pour la SNCM. Il se bat parce que l’objet social même de la SNCM est d’assurer la continuité territoriale, et parce que, par ailleurs, la responsabilité qui est la nôtre est d’assurer un avenir à cette compagnie sous pavillon français qui est un véritable poumon économique pour Marseille.
Et pour la Corse, oui. Mais j’essayais d’équilibrer les choses en citant tous les intéressés !
Il ne faut pas cacher ou sous-estimer les difficultés. Elles sont nombreuses. La principale est liée aux contentieux européens : le premier concerne les conditions de la privatisation de 2005, avec un risque de remboursement de la SNCM à l’État de l’ordre de 220 millions d’euros ; le second, qui vient de s’achever – Arnaud Leroy en a parlé –, est relatif à la DSP, pour laquelle le service complémentaire, correspondant aux pics de fréquentation de l’été, est considéré comme illicite et pourrait conduire au remboursement de 220 millions d’euros à la collectivité territoriale de Corse.
Comme je m’y étais engagé devant tous, et particulièrement devant les salariés, le Gouvernement a mis en oeuvretous les recours possibles pour défendre les intérêts de la SNCM, en référé et au fond. Nous nous battons sans retenue et sans ambiguïté.
Pour autant, le temps judiciaire européen n’est pas celui de l’entreprise. C’est un temps long qui handicape réellement le redressement de l’entreprise. Nous ne pouvons pas attendre l’issue des recours, en première instance, en appel et en cassation, pour avancer. Nous ne pouvons pas attendre plusieurs mois, voire plusieurs années, pour mettre en oeuvre un plan de redressement de l’entreprise afin d’assurer dans des conditions correctes l’exécution de la nouvelle DSP – la convention qui a été signée a commencé de s’appliquer au 1er janvier de cette année et prendra fin en 2023.
Au passage, qui peut comprendre que la SNCM soit finalement condamnée à rembourser, en tout, 440 millions d’euros, huit ans après les faits ? Quelle entreprise au monde pourrait-elle supporter de tels risques, une telle instabilité financière ? Cette situation est tout bonnement incompréhensible. Il faut que nous puissions appeler à la responsabilité, car la vie économique de l’entreprise ne peut rester en suspens, sous la menace d’une épée de Damoclès.
Nous n’attendons donc pas l’issue des contentieux pour agir. C’est pour cette raison que le Gouvernement apportera son soutien en 2014 pour faciliter la mise en oeuvre d’un plan de redressement.
Outre les actions juridiques pour défendre les intérêts de la SNCM et de l’État, le Gouvernement a décidé – cela a été annoncé par le Premier ministre à la fin de l’année dernière – de financer la trésorerie de la SNCM pour 2014, avec un apport complémentaire de 30 millions d’euros. C’est tout simplement le rôle de l’État actionnaire, qui fait ainsi ce qu’a fait l’actionnaire principal Transdev, ces derniers mois, avec un apport de 117 millions de trésorerie.
Nous avons également demandé à la Caisse des dépôts et à la Banque publique d’investissement de proposer une solution de financement des navires sous deux mois – nous sommes dans ce délai – permettant ensuite de passer la commande de deux navires, au plus tard le 30 juin 2014. Le renouvellement de la flotte de la SNCM est une condition essentielle au rééquilibrage des comptes de la société. Il convient désormais de trouver le montage juridique et financier de nature à permettre ce renouvellement. Aujourd’hui même, le président de la Banque publique d’investissement m’a confirmé que les choses avançaient – favorablement, crois-je pouvoir préciser. Nous devons cependant réfléchir afin de déterminer quel montage financier permettra d’associer le plus grand nombre d’acteurs. Un grand nombre de collectivités se sont déclarées disposées à s’engager : nul doute que nous aurons l’occasion de les associer à ce qui est à la fois un grand défi et une responsabilité importante.
Parallèlement, j’ai réuni, la semaine dernière, les principales collectivités territoriales concernées afin que nous puissions activer les principaux leviers permettant de sortir l’entreprise de l’ornière. Un certain nombre de pistes ont été évoquées, qui nécessitent d’être approfondies, notamment en ce qui concerne le financement des navires et les possibilités de reprise des personnels de la SNCM – je rappelle que le pacte social est concomitamment engagé et je salue l’esprit de responsabilité qui a amené l’ensemble des représentants des salariés à accepter un plan qu’il faut, certes, adapter aux conditions nouvelles, mais qui va permettre de définir des directions qui constitueront autant de pistes de travail.
Sur la question de l’actionnariat, il me semble très difficile d’envisager des évolutions à court terme, ne serait-ce qu’en raison des incertitudes engendrées par les contentieux européens. Les bonnes volontés ne manquent pas : ainsi, on a entendu plusieurs industriels maritimes faire part de leur volonté de s’impliquer. Toutefois, ces déclarations sont systématiquement assorties d’une condition : « sous réserve que les contentieux européens soient purgés ». Or, s’il ne manquera pas de candidats pour intégrer l’actionnariat, les contentieux sont bien réels ! Il est bien difficile de pouvoir envisager, dans ces conditions, l’évolution de l’actionnariat – même si, je le dis de façon tout à fait officielle, l’actionnariat doit permettre de donner une impulsion nouvelle à la société, dans une configuration qu’il conviendra de déterminer. C’est pourquoi, si nous devons nous concentrer sur ce qui est immédiatement utile à la société, nous ne devons pas perdre de vue cette question sensible de l’actionnariat.
Enfin, j’insiste sur la priorité des priorités : le redressement de l’entreprise. Il faut absolument que le directoire de la SNCM mette tout en oeuvre pour instaurer un plan de modernisation et d’économies de l’entreprise.
C’est la seule chose qui soit demandée au directoire, mais elle est essentielle : plutôt que de commenter les positions des uns et des autres, il doit se placer au coeur même du management de la société et mettre toute son énergie à redresser l’entreprise. Les salariés et les organisations syndicales l’ont bien compris en signant le pacte social, qui prévoit des conditions d’armement améliorées ainsi qu’un plan de départs volontaires. Sans exposer intégralement l’environnement juridique du dispositif, ce qui a déjà été fait, je rappellerai que ce gouvernement a proposé certaines évolutions concernant non seulement la SNCM, mais l’ensemble du secteur maritime, en vue de garantir les conditions sociales et de défendre l’existence même du pavillon français – je pense notamment au principe du pavillon de l’État d’accueil. Il est normal, en effet, que les différents opérateurs amenés à pratiquer leur activité dans les eaux territoriales françaises soient soumis aux mêmes conditions sociales et d’armement.
Le dossier de la SNCM est l’un des plus denses et des plus volumineux – et des plus brûlants, comme le montre sa place dans l’actualité – que mon ministère ait à traiter. Je souhaite mobiliser toutes mes forces et ma volonté en vue de la résolution de ce dossier, car j’ai toujours eu la conviction que la SNCM avait une perspective d’avenir, pourvu que nous réussissions à la remettre sur la voie de la responsabilité et de la compétitivité, dans le cadre d’une stratégie de nature à lui permettre de revenir – ou de parvenir enfin – à une situation d’équilibre, voire de réalisation de bénéfices.
Il faut que l’année 2014 soit une année de retournement pour les finances de l’entreprise et que la saison de la nouvelle DSP soit une saison exemplaire. Par la qualité du service fourni, par la mobilisation massive des acteurs concernés, au premier rang desquels les salariés – qui en ont déjà fait la preuve au sortir du douloureux conflit survenu en début d’année, montrant à quel point ils ont envie de voir leur société s’en sortir –, la crédibilité de la société doit s’améliorer. Tous ceux qui se sont impliqués dans le redressement de la SNCM méritent qu’on leur dise la vérité et que l’on partage avec eux les choix stratégiques effectués dans un seul objectif, celui de l’efficacité économique.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur de la commission, mesdames et messieurs les députés, telle est la position que le Gouvernement souhaite exprimer sur la SNCM. S’il n’est pas habituel de venir commenter un rapport d’enquête devant la représentation nationale, comme je le fais aujourd’hui, je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de le faire – même si c’est devant un hémicycle clairsemé…
Sourires.
Certes, je n’en doute pas ! Cela me donne l’occasion, disais-je, de vous exposer avec toute la précision nécessaire – ce qui n’est pas possible dans le cadre des questions au Gouvernement, où le temps d’expression trop limité ne le permet pas – l’action menée par ce gouvernement dès les premiers jours où il a pris ses fonctions et les perspectives qu’il a fixées, mû par la volonté de voir se dégager un avenir pour la SNCM.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Nous allons maintenant entendre les porte-parole des groupes.
La parole est à M. Gaby Charroux, pour le groupe GDR.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre commission d’enquête sur la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée a rendu son rapport, que nous avons voté, au moment où la situation de la compagnie était, une fois de plus, très critique. Je salue l’action de M. le ministre et du Gouvernement, qui a permis de passer le cap difficile de ce mois de janvier 2014 et ouvert des perspectives pour que la compagnie assure, sur les dix années à venir, la délégation de service public qui lui a été confiée – merci, monsieur le ministre.
Nous savons tous que le chemin sera difficile, mais les enjeux économiques, sociaux, industriels et de service public que nous avons entre les mains sont majeurs et nécessitent que tout soit mis en oeuvre pour cela – à commencer, d’ailleurs, par le financement de la construction des navires de nouvelle génération, indispensables au service de continuité territoriale et à l’environnement.
Notre commission d’enquête, même si elle porte sur des faits et des décisions remontant à huit ans, est imprégnée de la période durant laquelle elle s’est réunie, tout autant que des incidences de chaque soubresaut de ces années-là. La situation actuelle de la compagnie, les décisions à prendre pour réellement garantir sa survie, le plan industriel à financer et à mettre en oeuvre, l’imposition du pavillon de premier registre pour le cabotage, que nous réclamons depuis des années, sont les conditions non seulement de la vie même de l’entreprise, mais de la poursuite du service public de continuité territoriale dont l’État est garant.
La lecture du rapport – ne serait-ce que de son titre lui-même – explique mieux que tout le chemin tortueux qui a été pris : « La SNCM : histoire d’un gâchis » – tout est dit ! Nous avons eu à analyser une série de renoncements certainement peu rencontrés ailleurs : renoncement de l’État, qui privatise au profit d’un fonds de pension ; renoncement de Veolia ; renoncement de l’État actionnaire avec la Caisse des dépôts et consignations au sein de TRANSDEV. J’ai l’impression que les seuls à avoir vraiment cru en un avenir de la SNCM ont été les salariés et leurs syndicats, qu’il faut remercier car, sans eux, la SNCM aurait certainement cessé d’exister en décembre dernier – une éventualité qui semble pouvoir être écartée, maintenant que la société est remise sur de bons rails.
J’ai voté ce rapport au nom du groupe GDR, sous la réserve de la prise en compte de deux remarques qui apparaissent en contribution. Ces remarques ne sont pas de pure forme. La première consiste à souligner la différence de ton entre le propos liminaire de notre président, Arnaud Leroy, et les conclusions qui apparaissent bien plus tièdes. Nous souhaitons souligner, bien plus fortement que ne le fait le rapport, que cette privatisation est un grave échec, ce qui apparaît clairement aux yeux de tous. Cet échec n’est pas seulement dû à des incompétences de gestion, mais relève de la nature même d’une telle opération au sens du choix politique qu’elle révèle : la privatisation a été un gâchis car elle était une grave erreur ! Dans cette optique, comme une solution pérenne à l’avenir de la compagnie, c’est l’État qui doit être garant, en sa qualité d’actionnaire, des choix stratégiques, de la mise en oeuvre du projet industriel et du maintien de l’emploi.
Je tenais à réitérer ce propos et ces exigences qui nous semblent majeures. Une impression, voire une certitude, vient à la lecture du rapport et de nos travaux : un sentiment d’inachevé. Non que nous n’ayons pas fait le travail nécessaire d’audition et de réflexion – il a été fait, et bien fait –, mais devant l’ampleur d’une telle opération, devant le scandale de la plus-value réalisée par Butler, qui a empoché 60 millions d’euros, face au coût exorbitant pour l’État et pour les contribuables, estimé à 400 millions d’euros, il est permis de se demander si nous sommes allés aussi loin que nous devions le faire.
Car finalement, quel est le résultat de tout cela ? Une société exsangue pour laquelle personne n’a voulu faire un effort, un fonds de pensions qui s’est enrichi de façon irraisonnée avec l’aval de tous, un actionnaire, Veolia, qui n’assume pas ses responsabilités, et des gouvernements qui se sont succédé sans avoir le courage politique de la décision. Je pense, par exemple, au pavillon de premier registre, à la situation de concurrence déloyale et à l’incapacité de ne pas plier face aux injonctions européennes.
Il semble que cela change, et je m’en réjouis très sincèrement. S’il persiste un sentiment d’inachevé, c’est également parce qu’aucune mesure récursoire n’est proposée pour faire revenir de l’argent dans les caisses de la compagnie alors qu’elle a été saignée. C’est aussi parce que le spectre de la commission d’enquête ne permettait pas d’examiner de manière approfondie les conditions de la concurrence déloyale à laquelle la SNCM a été soumise. C’est, enfin, parce que cette commission ne permet pas de poser un regard sur la légalité et le bien-fondé des subventions accordées aux compagnies low cost. En effet, les subventions accordées au titre de l’aide sociale au passager transporté sont de l’ordre de 180 millions d’euros. Il conviendrait que soit examinée l’utilisation de ces fonds qui, de fait, alimentent l’aspect déloyal de la concurrence au profit d’une compagnie, Corsica Ferries, qui ne respecte pas le droit social français et a commis des infractions graves à notre environnement. Cette même compagnie s’est payé le luxe d’attaquer devant la justice européenne les subventions versées à la SNCM. Il conviendrait de regarder de plus près cet aspect-là du dossier.
Je voudrais enfin vous dire, mes chers collègues et monsieur le ministre, que ce dossier me rappelle – certes, dans une tout autre mesure – la commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie, à laquelle j’ai participé en qualité de secrétaire. Car, dans les faits, nous avons analysé des mécaniques semblables. Premièrement, l’État privatise. Deuxièmement, de grands secteurs industriels stratégiques, comme celui de l’acier, tombent entre les mains de financiers internationaux – ArcelorMittal, Ascométal et tant d’autres. Et troisièmement, nos usines ferment lorsque le citron a été pressé à l’extrême.
Le rapport de la commission d’enquête préconise d’ailleurs que l’État, avec la BPI, redevienne, de façon significative, actionnaire de ces groupes pour peser sur les choix stratégiques et l’investissement. La page de la concurrence libre et non faussée à la mode de Lisbonne doit se tourner.
Elle fait mal à notre industrie, elle fait mal à nos compagnies maritimes. Elle place les entreprises aux mains de financiers qui ont une vision de rentabilité à court terme, à l’instar des exemples que je viens de citer, mais aussi de Kem One, le pôle vinylique qu’Arkema a cédé à un financier qui l’a rendu exsangue en moins d’un an, et, bien sûr, de la SNCM, avec le fonds de pension Butler. Même si aucune situation n’est comparable, les mêmes choix produisent les mêmes effets.
Nos concitoyens, les populations et les salariés de Corse et du continent, particulièrement à Marseille, mais également les salariés de Saint-Nazaire regardent de près nos travaux et les décisions courageuses qui viennent d’être prises.
Au regard du gâchis que nous avons mis en évidence, il n’est pas acceptable et ne serait pas accepté que les mêmes erreurs, les gâchis se reproduisent dans les mois ou les années à venir, pour la SNCM, bien sûr, mais également pour d’autres secteurs clés de notre patrimoine industriel. S’agissant de la SNCM, nous avons bon espoir, et je vous en remercie, monsieur le ministre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j’interviens à présent en qualité de simple député et non de rapporteur : je m’exprimerai un peu plus librement.
Je veux rappeler d’emblée que ce rapport a été rendu possible par la qualité du travail de nos collègues – certains d’entre eux ayant été très assidus – et leur volonté d’aborder les travaux de la commission en faisant preuve d’un esprit non pas polémique mais au contraire constructif, quelles qu’aient été les conclusions finales. Il a également été rendu possible par le travail des administrateurs, comme toujours de grande qualité, mais particulièrement remarquable dans le cas présent.
Personnellement, et au nom de mon groupe, j’ai abordé cette question sans esprit polémique, alors que cela m’eût été facile ; en 2008, alors un peu plus jeune,
Sourires
n’ayant pas autant de recul, tel était d’ailleurs mon état d’esprit. J’avais alors souligné de manière extrêmement claire que Butler Capital Partners ferait nécessairement une plus-value de 50 millions d’euros : elle s’est élevée à 60 millions. Je l’avais déclaré publiquement. Aussi m’eût-il été facile, je le répète, m’appuyant sur ce que j’avais dit quelques années auparavant, d’être particulièrement polémique.
Nous ne l’avons pas été, pour plusieurs raisons, et d’abord parce qu’il est très facile de dire a posteriori – les travaux de la commission l’ont bien démontré – qu’il fallait faire ceci ou cela. Un des enseignements de la commission, à travers les témoignages recueillis, qui étaient concordants, a été de comprendre à quel point la pression sur les uns et les autres était considérable, tant sur le gouvernement et les autorités de l’État, il faut le dire, que sur les fonctionnaires de l’État et les élus de Marseille. C’est une affaire qui tient au coeur des uns et des autres, pas seulement pour des raisons partisanes ou électorales, mais parce que cela fait partie de la vie locale. La pression était également considérable, il faut le dire, sur les élus de la collectivité territoriale de Corse, en particulier ceux qui exerçaient alors un rôle dirigeant, soit à l’Assemblée de Corse, soit à l’office des transports, soit au sein de l’exécutif.
Avec le recul, en écoutant les récits concordants des uns et des autres, je me suis demandé si, ayant été à leur place, j’aurais fait mieux ou différemment ; n’ayant pas trouvé de réponse positive à cette question, j’aborde le débat avec beaucoup d’humilité.
Mon humilité est renforcée par le fait que, par la suite, même si les conditions de l’époque avaient conduit à la conclusion d’une délégation de service public – à laquelle on peut toujours trouver des défauts –, un certain nombre de mesures ont été prises par l’office des transports ou par l’exécutif de la collectivité territoriale de Corse, en particulier pour renégocier en cours de route la délégation de service public et pour plafonner ce mécanisme d’aide sociale auquel, d’ailleurs, nous avons mis fin depuis le 1er janvier. Ce mécanisme a tout de même conduit au versement de 14 millions d’euros par an à Corsica Ferries, qui se dit naturellement très opposée à toute contribution publique mais qui n’a pas craché sur celle-là. Cela représente certes beaucoup d’argent mais si, à l’époque, l’office des transports et l’exécutif n’avaient pas plafonné cette aide sociale, elle eût été bien plus considérable. Je crois donc qu’il faut aborder cette question avec beaucoup d’équilibre et d’équité.
Par ailleurs, des propos stupides ont été tenus, non pas ici, mais par certaines parties prenantes du dossier. Ainsi, la compagnie Veolia a dit – je l’ai lu et entendu – que la collectivité territoriale de Corse voulait « s’emparer » de la SNCM. Non seulement nous serions bien idiots de vouloir le faire dans ces conditions, mais surtout c’est faux. La meilleure preuve en est que Veolia a proposé à la collectivité territoriale de Corse, oralement et par écrit, la cession pour un euro des actions qu’elle détenait dans la SNCM. L’Assemblée de Corse, unanime – je n’ai pas entendu de voix discordantes, je parle sous le contrôle des témoins ici présents –, sur ma proposition, a considéré qu’un euro, c’était terriblement cher. J’ai eu l’occasion de dire et d’écrire au président de cette compagnie que le versement de la somme d’un euro était naturellement envisageable, mais à la simple condition que soit établie une garantie de passif, rédigée dans les formes – et j’ai eu par le passé quelque expérience de ce genre de document – et portant sur un montant de 400 millions d’euros. Je dois même vous avouer que ce montant était insuffisant : il aurait fallu prévoir un peu plus pour tenir compte de la difficulté de l’affaire.
La collectivité territoriale n’a donc aucunement l’intention de « s’emparer » de cette société, de vouloir se créer son outil, son joujou, sa chose, pour le plaisir d’en disposer, car, très franchement, ce n’est pas un plaisir.
Ce qui soucie les élus de la collectivité territoriale de Corse et, plus généralement, ceux qu’ils représentent, est de préserver le service public et cet outil économique. Pourquoi le service public ? Je rappelle tout de même une donnée de base : la Corse est une île. C’est ce qu’a dit ici même l’un de nos illustres prédécesseurs, Emmanuel Arène, éditorialiste au Figaro et député d’Ajaccio. Ses collègues faisant remarquer qu’ils le savaient déjà, il a ajouté que c’était une île entourée d’eau de toutes parts.
Sourires.
C’était l’un des meilleurs journalistes de son temps et, d’ailleurs, un auteur remarquable, qui a coécrit, avec Flers et Caillavet, Le Roi, pièce politique très amusante.
La Corse étant une île entourée d’eau de toutes parts, ses transports sont essentiels, moins pour les passagers que pour les marchandises, j’y insiste. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, il est plusieurs moyens de se déplacer, en tant que passager, de la Corse au continent : il y a l’avion et il y a un trafic maritime qui est loin d’être négligeable, hors service public. Il faut d’ailleurs avouer que le trafic exploité librement est, numériquement, plus important – ou aussi important – que le service public.
En revanche, pour les marchandises, l’initiative privée ne peut transporter, à l’instar du service public, dans un sens comme dans l’autre, à longueur d’année – certes avec une régularité insuffisante, car il y a parfois, j’y reviendrai, des troubles sociaux et des interruptions de service – les marchandises indispensables à l’économie et même à la survie de notre île. Par conséquent, ce service public est essentiel.
L’Union européenne est peu suspecte de vouloir à tout prix promouvoir une idéologie favorable au service public. On peut l’accuser de tout, mais on ne peut lui reprocher – vous en conviendrez, monsieur le ministre – de faire preuve d’excès dans le domaine de l’étatisation et du service public. Or la Commission européenne, s’exprimant par la voix du commissaire Almunia, ô combien peu sensible à ces sujets, a, dans une décision controversée et contestable, néanmoins reconnu…
…u’un service public de base – celui des cargos mixtes, qui transportent tout à la fois, au long de l’année, passagers et marchandises – était nécessaire et même indispensable à la Corse, et qu’il ne saurait par conséquent être question de mettre en cause sa légalité juridique et sa légitimité économique. Nous en avons un besoin absolu, et c’est ce qui nous guide.
Plus généralement, au-delà du service public, il y a la question de l’emploi, pas uniquement celui des salariés de la SNCM, mais aussi tout ce qui va avec et autour : je pense à tous les services, tant en Corse que sur le continent, qui concourent à l’activité portuaire, aux services annexes, au ravitaillement et à bien des domaines qui en font une activité économique absolument essentielle. Il y a même, d’ailleurs – j’y reviendrai – des enjeux technologiques.
Il est quatre ou cinq faits sur lesquels je souhaite revenir. D’abord, le service des cargos mixtes effectué par cette société tout au long de l’année – service de base, par opposition à celui des car-ferries – est non seulement indispensable mais aussi rentable, j’insiste sur ce point. La CMN assure ce service de manière rentable toute l’année dans les conditions du service public ; certes, le taux de rentabilité n’est pas très élevé, mais il existe. Cette activité a lieu sous pavillon français : n’allons donc pas prétendre que, pour être rentable, il faudrait éviter ce pavillon et ses éventuelles contraintes.
Surtout, nous voyons bien qu’il faut restructurer la SNCM pour ajuster ses effectifs, son activité, à la réalité du besoin et du service solvable. De fait, un plan de restructuration a été approuvé par les partenaires sociaux, ce qui est assez rare pour être souligné. Je le dis très franchement, je l’avais d’ailleurs affirmé publiquement au cours de l’été : ce plan a certes été approuvé grâce au travail de la direction et des partenaires sociaux, mais par l’entremise d’une personne ici présente : Frédéric Cuvillier. Cela aussi, c’est assez rare pour être noté : sans vous, monsieur le ministre, je crois que ce plan n’aurait pas été adopté.
Vous l’avez dit très clairement : si ce plan a été accepté, encore faut-il le mettre en oeuvre et ne pas, comme je l’entends parfois, le subordonner à un achat de navires. Actuellement, le service public de la SNCM dispose de quatre navires mixtes, qu’il faut renouveler. En attendant, rien n’interdit d’avoir sur ces navires, qui sont les jumeaux de ceux de la CMN, le même effectif opérationnel que celui de cette société, soit d’un niveau environ 40 % inférieur, étant précisé que la CMN respecte les obligations de service public et de pavillon et, que je sache, connaît les mêmes partenaires sociaux, avec sans doute les mêmes exigences. Par conséquent, l’on ne peut continuer à avoir deux navires identiques, dont l’un dispose d’un armement de 70 personnes et l’autre d’un armement de 39 personnes. Cela ne peut fonctionner économiquement de la même manière. La commission d’enquête l’a dit, à l’instar d’un certain nombre de collègues et de votre serviteur. Cela ne fait pas plaisir mais il faut le dire. La nature du plan de restructuration qui a été discuté réside bien dans cela.
Pourquoi ne faut-il pas subordonner la mise en oeuvre du plan de restructuration au renouvellement des navires ? D’abord, disons-le très clairement : il faut renouveler les navires. Pourquoi ? Le ministre l’a dit à l’instant : d’abord, parce que la précédente délégation de service public le prévoyait. Sous l’empire de cette délégation, un navire a été renouvelé, pas à la SNCM, d’ailleurs, mais à la CMN, qui a fait construire le Piana, qui est d’ailleurs un très beau navire. La SNCM, je le répète, n’a renouvelé aucun navire. Ses navires souffrent donc d’obsolescence, et il faut les renouveler, il faut qu’ils soient mieux adaptés, et il faut surtout qu’ils répondent aux normes européennes de pollution.
En effet, l’Europe ne fait pas que, passez-moi l’expression, brandir le bâton au sujet des règles de concurrence ; elle nous impose aussi des règles de lutte contre la pollution maritime. Elle impose en particulier d’avoir des navires alimentés au gaz naturel. Les journaux se sont fait l’écho récemment de la pré-commande d’un de ces ferrys à une autre compagnie maritime en France, mais celle-ci n’est pas encore réalisée. Mais il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas de poste d’avitaillement pour le gaz : pour assurer un service qui équivaut à une heure ou deux de traversée, on sera obligé de disposer d’un bateau dont la capacité de stockage de gaz naturel permettra de naviguer pendant une semaine sans avitailler. Même s’il faudra à terme se résoudre à construire de tels bateaux, il serait naturellement absurde de subordonner l’exécution du plan social à cet objectif, qui ne pourra être réalisé qu’à moyen terme, c’est-à-dire dans deux, trois, voire quatre ans, et qui soulève toute une série d’interrogations. Il faut exécuter le plan social tout de suite.
Le renouvellement de la flotte constitue l’objectif principal. Vous avez donc réuni les collectivités, monsieur le ministre, afin de leur poser un certain nombre de questions, et vous avez bien fait. Certaines collectivités ont laissé entendre qu’elles prendraient une participation à la SNCM. Attentif à ce que disent les collègues, je vois pour ma part trois raisons pour lesquelles la collectivité territoriale ne prendra pas de participation, dont deux sont communes aux autres collectivités, c’est-à-dire objectives.
La première raison est d’ordre juridique : nous n’avons pas le droit de le faire. À ce jour, la loi française ne permet pas à une collectivité territoriale de prendre une participation dans une société privée, hors le statut de société publique locale ou de société d’économie mixte. De la même manière, ce ne serait pas conforme au droit européen, car considéré comme une aide d’État qu’il faudrait notifier comme telle.
La deuxième raison est que nous n’avons pas les moyens de le faire : toute intervention dans le capital aujourd’hui serait naturellement considérée du point de vue du droit commercial comme un soutien abusif. C’est à mon sens un risque que nous ne pouvons pas prendre.
La troisième raison, qui ne vaut que pour la collectivité que je représente par ailleurs, c’est que nous n’en avons pas envie, parce que c’est la dernière chose à faire.
Pour autant, il faut financer le renouvellement de la flotte. Or, disons-le clairement, dans l’état actuel des choses, aucune banque, publique ou privée, ne sera prête à s’engager directement dans un tel investissement, puisqu’il existe un risque qu’un tel financement soit considéré comme un soutien abusif. En effet, si vous apportez à une société qui est aux portes du tribunal de commerce un concours de l’ordre de plusieurs dizaines ou centaines de millions d’euros, même pour un investissement, vous vous trouvez dans une situation évidente de soutien abusif. En outre, une banque responsable évalue les risques avant de s’engager ; dans le cas présent, le risque est tel qu’on ne peut pas prêter directement.
En revanche, ce qui n’est pas interdit, c’est de constituer une société qui réaliserait l’investissement. Les collectivités territoriales pourraient alors intervenir en recourant à une société d’économie mixte chargée d’acheter des navires, et en les louant à la société concessionnaire. Cela permettrait de renouveler la flotte. Cela n’est pas interdit et ne comporte aucun risque financier de participation et d’exploitation ou de soutien abusif.
Que la société ait le statut de SEM me paraît important, car il faut associer au renouvellement de la flotte le secteur privé, professionnel de surcroît. Si la commande de navire est déjà une affaire compliquée pour des non-professionnels, elle l’est encore plus lorsque les navires à commander sont d’un type nouveau, dont il n’existe que fort peu d’exemples actuellement en Europe. Le ferry au gaz naturel, ce n’est du réel que pour très peu d’éléments et du virtuel pour l’essentiel. Réaliser une telle commande requiert des qualifications que nous n’avons pas et incite à faire preuve d’une extrême prudence, une prudence que les autres collectivités locales semblent partager face à ce sujet.
Par conséquent, il faut envisager le renouvellement de la flotte, le construire, le bâtir, le rendre possible, ce qui n’est pas simple. M. le ministre en a pris l’initiative, et la collectivité territoriale de Corse s’était exprimée sur le sujet il y a déjà quelque temps. Avant cela, il faut cependant que la société ait été restructurée. Il est en effet inutile de renouveler la flotte d’une société qui va mourir, et c’est ce qui guette la SNCM si on ne la restructure pas. La Société nationale Corse Méditerranée consomme actuellement en trésorerie environ 10 millions d’euros par mois. Ce sont des mois d’hiver, me direz-vous, mais si cette somme sera un peu moins élevée en été, elle restera tout de même importante. On ne peut évidemment continuer ainsi.
Il reste le problème des condamnations européennes. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais depuis le début de l’opération, avant même que les condamnations ne tombent ou qu’on envisage qu’elles puissent tomber, j’avais indiqué à l’Assemblée de Corse – Camille de Rocca Serra le sait et, je crois, partageait ce sentiment – que le service complémentaire, le service des car-ferries, était condamné parce qu’il ne correspondait pas à un véritable besoin de service public. Ce service est là pour apporter du monde en Corse l’été là où il y en a déjà trop. Avec des moyens de remplissage sur l’année qui sont de 35 %, il est très difficile de plaider la continuité du service public, sachant que l’offre privée n’est pas du tout déficitaire. Vous connaissez la jurisprudence administrative française : une collectivité publique a le droit d’intervenir au titre du service public dans une activité privée dès lors que le service privé est défaillant. Le maire d’une commune où il n’y a pas de boulangerie et où il n’y a aucune chance qu’une boulangerie ouvre peut créer une boulangerie municipale. Le maire d’une commune où il y a quarante boulangeries ne le peut pas, car ce serait absurde. Il en va de même pour les car-ferries : l’initiative privée fournit un service de desserte de la Corse par car-ferries, donc un service public complémentaire n’est pas nécessaire.
La condamnation européenne était donc inéluctable, même si, comme l’ont indiqué le président Arnaud Leroy et le ministre, il est tout de même très difficile de prévoir l’avenir en matière de droit européen ou même de droit français des concessions. Permettez-moi de résumer l’état des lieux des contentieux sur le dossier : le tribunal de Bastia a dit oui, la Cour administrative d’appel a dit non, le Conseil d’État a dit oui, la Commission européenne a dit oui, le Tribunal de l’Union européenne a dit non, et finalement la Commission européenne a dit non. Et nous sommes en appel. Ce n’est quand même pas à nous de jeter la pierre à ceux qui se seraient éventuellement trompés : il y a à peu près autant de pertinence à prévoir les décisions de justice qu’à deviner si une pièce de monnaie qu’on a jetée en l’air tombera sur pile ou face.
À ce jour, il y a deux appels en cours. Rappelons tout d’abord que les affaires sont désormais juridictionnelles : ce n’est plus la Commission qui est compétente, c’est le Tribunal. Un premier contentieux concerne la collectivité territoriale de Corse mais également l’État et porte sur le service complémentaire : injonction est faite à la collectivité territoriale de Corse, qui n’y a d’ailleurs pas déféré, de demander le remboursement du service complémentaire. Cette injonction a été adressée par la Commission européenne, qui agit en tant que juridiction de première instance en matière de concurrence. Le Tribunal de l’Union européenne ne s’est pas prononcé au fond : il a simplement rejeté une demande de sursis à exécution de l’État en évoquant l’absence de motif suffisant. Cela ne préjuge pas du fond. Mais la probabilité que la légalité du service complémentaire soit inscrite dans la décision au fond serait du même ordre que celle pour votre serviteur d’accéder au rang de cardinal, ce qui, bien que j’ai une cravate rouge et parfois une écharpe rouge, ne me paraît pas immédiatement possible. Le ministre est d’accord avec moi, mon accession au rang de cardinal est tout de même peu probable, et je pense que la plupart de ceux qui me connaissent sont du même avis.
Sourires.
Par ailleurs, s’agissant du deuxième contentieux, la décision du Tribunal de l’Union européenne sur les conditions de privatisation, qui, d’une certaine manière, condamnait la position de la Commission européenne, qui les avait acceptées,…
Mon cher collègue, avant de revêtir la pourpre cardinalice, je vous suggère de conclure.
Je conclus, dans le calme de la pourpre, monsieur le président. Le parquet s’est prononcé le 14 janvier, la décision est rendue sous deux mois. Il est encore possible de faire durer le plaisir, mais enfin, on voit bien ce qui se dessine. Il faudra cependant trouver un moyen juridique pour contourner les décisions qui, on le voit bien, seront inéluctablement négatives. Les éléments que j’ai développés sont des pistes.
Enfin, et je conclurai par ces mots, monsieur le président, il faut éviter à tout prix le scénario de l’effondrement de l’emploi, de l’effacement du service public et, bien entendu, de l’appropriation privée indue d’un service public qui, à certaines conditions, peut devenir extraordinairement rentable.
C’est une des raisons pour lesquelles la collectivité territoriale de Corse fera valoir ses droits, à tous égards, y compris de créance, pour éviter que, à nouveau, il y ait, comme par le passé, une appropriation privée des derniers publics.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mon propos sera extrêmement bref. C’est un témoignage de gratitude envers le Gouvernement que je veux apporter ici en ma double qualité de député et, puisque nous avons encore le malheur de supporter le cumul des mandats pendant quelque temps, de président de région. Mais je ne pensais pas parler après la révélation que vient de nous faire Paul Giacobbi de sa création in pectore par le pape François comme cardinal, et je voulais être le premier à le saluer en sa qualité d’Éminence. Il est vrai que le rouge vous va bien, cher Paul.
Monsieur le président de la commission d’enquête, je voulais simplement vous témoigner la gratitude de la région pour l’action que vous avez menée. Vous avez fait preuve d’une qualité d’écoute dont j’ai pu bénéficier moi-même. Je salue la volonté qui a été celle du Gouvernement devant une situation extrêmement difficile et très douloureuse pour la région ; pour Marseille, bien sûr, pour les travailleurs, mais aussi pour la présence de la France et du pavillon français en Méditerranée, et relativement aux perspectives que nous pouvons avoir au Maghreb. Je voudrais également remercier le rapporteur et les membres de cette commission d’enquête. Je n’ai pas pu être aussi présent que je le souhaitais, mais il m’a semblé que les travaux ont été réalisés dans un climat serein et qu’ils étaient de qualité, ce qui fait honneur à la démocratie et à l’institution des commissions d’enquêtes parlementaires.
Le rapport de cette commission d’enquête met malheureusement en évidence, est-il nécessaire de le souligner à nouveau, les défaillances de l’État dans ce dossier ; cette situation a duré dix ans, car aujourd’hui l’attitude du Gouvernement a changé.
Le coût pour l’État, d’abord en tant qu’actionnaire principal, ensuite comme actionnaire minoritaire, a été considérable. Ainsi que le souligne le rapport dans ses conclusions, « les pertes patrimoniales et financières totales de l’État sur la SNCM peuvent être estimées au moins à 400 millions d’euros, voire 450 ! » C’est évidemment inadmissible et cela continue donc à engager aujourd’hui la responsabilité de l’État avec les difficultés que l’on sait, à Marseille comme en Corse.
Cela est d’autant plus choquant que les acteurs privés engagés dans ce dossier de privatisation n’ont pas été eux-mêmes pénalisés. Bien au contraire : Butler Capital Partners, le fonds d’investissement appelé à la rescousse par le Premier ministre de l’époque, a réalisé une plus-value de 60 millions d’euros en cédant, deux ans seulement après la privatisation les parts en provenance de l’État à Veolia. Cette dernière société n’a quant à elle jamais joué son véritable rôle d’actionnaire : elle a fait preuve d’une absence de vision stratégique et d’immobilisme. Tout cela, chacun ici le sait. Mais la population à Marseille s’en rend bien compte et le sait aussi.
Nous sommes donc aujourd’hui dans une situation qui est toujours très grave et cela est d’autant plus choquant que les conséquences de ces erreurs, je devrais dire de ces fautes, mettent aujourd’hui en péril l’existence d’une des dernières grandes compagnies maritimes françaises, l’emploi direct de plus de 2 000 salariés dont on imagine le poids économique mais surtout social, une certaine idée du service public, l’activité de dizaines d’entreprises sous-traitantes de la région, sur le port de Marseille comme dans les ports de Corse, ainsi que l’équilibre financier de l’Office des Transports de la Corse.
Cette dilution des responsabilités a été bien soulignée dans le rapport. Elle met également en péril, nous le savons, le service public de continuité territoriale, qui est essentiel aux transports non seulement de passagers mais aussi de fret, comme l’a dit tout à l’heure M. Giacobbi, et qui unit le continent à la Corse. Il s’agit bien là du lien à la Corse, pour mille raisons que vous connaissez bien. C’est pourtant cette mission que la SNCM et son personnel, navigant comme sédentaire, ont remplie pendant plus de trente ans.
C’est cette même notion de service public qu’ils se sont employés à défendre face à la concurrence déloyale de compagnies battant pavillon étranger, elles-mêmes, il faut le souligner, alimentées pour partie par des fonds publics. On peut, à ce propos, remercier le Gouvernement s’il s’apprête bien à publier un décret régulant enfin les conditions sociales de cette concurrence.
C’est cette même notion de service public que nous devons aujourd’hui défendre, bien sûr, en trouvant des solutions qui permettent d’assurer la pérennité de la SNCM. La SNCM doit continuer à jouer son rôle à Marseille comme en Corse et en Méditerranée, en étant si possible plus offensive sur la relation avec le Maghreb et la place de la France en Méditerranée.
Nous attendons donc avec impatience, mais aussi bien sûr avec vigilance, vous l’imaginez, les conclusions de l’expertise qui vient d’être confiée par le Gouvernement à la Caisse des dépôts et consignations et à la Banque publique d’investissement. Il leur faut définir les hypothèses financières nécessaires au renouvellement de la flotte de cette compagnie pendant que, parallèlement, le pacte social conclu avec les organisations syndicales est mis en oeuvre.
Monsieur le ministre, je sais que les collectivités locales sont invitées à cette réflexion. Celle que je représente ici, outre le fait d’être député, s’engagera dans cette réflexion, puisque c’est de sa responsabilité. Nous avons encore besoin d’être rassurés sur la position de la Commission européenne, qui ne laisse pas de nous inquiéter.
Je vous remercie à nouveau pour ce que vous avez accompli, monsieur le ministre, et pour votre action à venir.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat de ce soir devait porter initialement, me semble-t-il, sur le rapport de la commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la Société nationale maritime Corse Méditerranée.
Nous n’avons consacré que quelques minutes à ce sujet important. Comme l’ont indiqué le président et le rapporteur de la commission, avec une rigueur intellectuelle que nous leur reconnaissons, il n’y a pas grand-chose à reprocher au gouvernement de l’époque. Certains pensent que de mauvaises décisions ont été prises – d’autres pensent que non –, mais comme l’a dit M. le ministre, aucune irrégularité n’a été commise.
M. Paul Giacobbi a quant à lui rappelé la pression considérable qui régnait en 2005, notamment à Marseille et en Corse. L’ensemble des personnes auditionnées partagent cette analyse. Les élus locaux étaient soumis à une pression très importante, tout comme les services de l’État. Le préfet de région nous a raconté l’inquiétude qui était la sienne, le ministre des transports, les membres de son cabinet, le Premier ministre de l’époque ont évoqué la situation quasi insurrectionnelle qui régnait à Marseille : le port était bloqué et l’ensemble des syndicats en proie à une poussée de grande violence.
Cela a conduit beaucoup à penser que la privatisation totale ou partielle de cette société nationale était peut-être la bonne solution. Vous l’avez reconnu tout à l’heure, monsieur Giacobbi : qu’auriez-vous fait si vous aviez été en charge de ce dossier à l’époque ? Peut-être auriez-vous penché également en faveur d’une solution de privatisation ou de semi-privatisation.
La pression, le climat terrible et l’urgence de trouver une issue ont conduit deux gouvernements successifs, en 2005, à penser que la solution était la privatisation partielle ou totale, optant finalement pour la privatisation partielle.
Aujourd’hui, c’est tout simplement la question de la survie de la société qui se pose. C’est pourquoi la constitution de cette commission d’enquête nous a gênés, à l’UMP. Nous pensions que la majorité, en remontant à 2005, chercherait, et trouverait aisément, un bouc émissaire, un péché originel qui explique cette situation assez catastrophique. Nous le craignions, et nous ne nous sommes pas beaucoup trompés. Mais, au cours de son travail, la commission s’est trouvée empêchée de pousser davantage cette logique consistant à prouver que la situation de quasi-liquidation dans laquelle se trouve la SNCM – mais vous nous avez rassurés sur ce point, monsieur le ministre, ce ne sera pas le cas – était tout simplement due au choix de la privatisation. La réflexion tournait en rond et la commission a finalement conclu, ainsi que l’ont reconnu MM. Leroy et Giacobbi, que la situation de 2013 était bien distincte de celle de 2005.
Bien sûr, les uns et les autres reconnaissent que la privatisation n’a probablement pas été la bonne solution. Veolia n’a pas été un bon gestionnaire, un grand gestionnaire, un vrai gestionnaire. Nous mêmes qui sommes libéraux ne pouvons que regretter l’attitude désinvolte, peu professionnelle et peu courageuse de Veolia, qui même n’a pas été capable, par exemple, de mettre en place un plan de suppressions d’emplois. Fruit d’un accord avec les syndicats, ce plan, qui concernait 400 emplois, aurait permis de déboucher sur une situation plus acceptable. Aucune des mesures nécessaires pour sauver la société n’a été prise par cet actionnaire privé. Nous le regrettons et nous dénonçons l’attitude de Veolia.
L’État a-t-il joué son rôle pour autant ? Sûrement pas. Avait-il seulement un grand rôle à jouer, compte tenu du montant peu significatif de ses participations ? Sans doute n’a-t-il pas joué son rôle comme il le fallait.
Cela fait deux ans que nous appelons le Gouvernement à la vigilance. J’ai moi-même posé une question d’actualité, car nous ne savions pas il y a quelques semaines si nous passerions le cap des fêtes de Noël. Vous avez tenu une réunion, monsieur le ministre, et apporté 30 millions d’euros de trésorerie pour assurer les quelques jours qui viennent, ou plus exactement, serait-on tenté de dire, pour tenir jusqu’aux élections municipales… Je ne veux pas polémiquer, mais 30 millions, ce n’est pas grand-chose par rapport aux fonds qui seront nécessaires. Je dois néanmoins reconnaître que vous avez réuni récemment au ministère l’ensemble des collectivités locales pour chercher des solutions.
Cela ne se fait pas de le dire, mais je trouve, avec Camille de Rocca Serra, gênant que Paul Giacobbi s’exprime à cette tribune à double titre : en tant que rapporteur de la commission d’enquête et en tant que président du conseil exécutif de Corse. Cette collectivité passe des contrats avec Corsica Ferries, à qui il est accordé 14 millions d’euros par an.
Peut-être. Mais en tout cas, Corsica Ferries reçoit 14 millions d’aides au titre de l’aide sociale…
J’ai supprimé cette aide. Vous ne pouvez me reprocher d’avoir versé une aide que je n’ai pas décidée, et que j’ai ensuite supprimée !
Vous avez peut-être supprimé cette aide, versée depuis des années par votre collectivité ou quelque autre émanation de la puissance publique. Mais je me permets de souligner le mélange des genres : il n’y a pas très longtemps, le 27 septembre 2012, vous indiquiez que vous alliez entamer un bras de fer avec l’actionnaire Veolia Environnement, avec l’intention de réclamer plusieurs dizaines de millions d’euros à la SNCM.
C’est ce que l’on appelle appliquer des décisions de justice ! Je suis tenu à l’application de la loi, comme vous d’ailleurs.
Monsieur Giacobbi, en tant que président de l’exécutif corse, vous réclamiez à la SNCM une somme assez importante, correspondant à la part de la contribution versée au titre du service complémentaire.
Vous êtes engagé dans d’autres actions en justice contre la SNCM, qui vous réclame des sommes assez importantes que la collectivité ne lui a pas versées…
Cela ne contribue pas, vous l’avouerez, à la bonne santé financière de la SNCM, évoquée tout au long de ce débat.
Nous ne devons pas ces sommes. Voulez-vous que je détourne les fonds publics pour vous faire plaisir ?
J’ignore si vous gérez bien les fonds publics. Mais ce que je dis, c’est que l’on ne sait plus si c’est M. Giacobbi, président de la collectivité locale de Corse, ou M. Giacobbi, député et rapporteur de la commission d’enquête qui s’exprime.
C’est assez gênant. Et c’est d’autant plus gênant, monsieur le président, que vous avez indiqué tout à l’heure – à la grande stupéfaction des députés de l’opposition – que la réunion qui s’est tenue avec le maire de Marseille, le président du conseil régional et le président du conseil général ne vous impliquait pas vous, en tant que président de l’exécutif. Vous avez passé dix minutes à nous expliquer que cet accord n’était pas bon et que la position du Gouvernement n’était pas la vôtre.
Je ne comprends pas.
Monsieur le ministre, vous nous répondrez dans quelques minutes. Il me semble que M. Giacobbi, avec des arguments juridiques extrêmement précis, a indiqué que la réunion qui s’est tenue récemment au ministère n’était pas très opérationnelle.
Il n’y en avait pas avant !
C’est vrai. Il vous appartiendra dans quelques minutes de nous rassurer à ce sujet.
La position de Jean-Claude Gaudin et de la mairie de Marseille est sans ambiguïté. Nous serons aux côtés des salariés de la SNCM, comme la région, si j’en crois le président Vauzelle, pour sauver la compagnie. Les collectivités – région, département et ville – se sont mises d’accord et approuvent votre plan, monsieur le ministre. Nous sommes à vos côtés. La priorité, c’est bien évidemment de préserver ces 2 500 emplois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité et le sérieux des travaux menés par la commission d’enquête. J’ignore si le député rapporteur de la commission d’enquête était toujours en phase avec lui-même, mais ses propos étaient teintés de rigueur, souvent de sagesse et d’humilité.
Le rapport qui nous a été remis apporte un éclairage bienvenu sur une affaire complexe. Le groupe UDI avait d’ailleurs jugé nécessaire, lorsque nos collègues du groupe RRDP ont proposé la création de cette commission d’enquête, que toute la lumière puisse être faite sur les conditions de privatisation de la SNCM.
Les difficultés de la SNCM prennent leurs sources dans un contexte et des modalités particulières, qu’il convient de retracer brièvement. À sa création, la SNCM était une entreprise publique, détenue à hauteur de 75 % de son capital par la Compagnie générale maritime et à 25 % par la SNCF. Déjà, elle était en proie à de très nombreuses difficultés.
En 2005, l’État a engagé la privatisation de la SNCM sur la base d’une procédure de vente de gré à gré. J’ai bien entendu le ministre, qui a affirmé tout à l’heure qu’aucune irrégularité n’avait été constatée à l’époque. C’est un élément important, que la commission d’enquête devait mettre en lumière.
Depuis la vente en 2006, par ailleurs validée par la Commission européenne, l’État est propriétaire de la SNCM à hauteur de 25 %. Notre collègue Gaby Charroux n’est plus là, mais il m’accordera que ce n’est pas parce que l’État est actionnaire, majoritaire ou minoritaire, que les navires sont toujours bien pilotés. De nombreuses entreprises dans lesquelles l’État a des participations en sont l’illustration.
Cela fait donc huit ans que la privatisation a eu lieu et que la situation financière de la SNCM est très difficile. En 2012, le déficit était de 12 millions d’euros.
Cette situation est devenue dramatique suite à deux décisions récentes de l’Union européenne, que chacun a eu l’occasion de commenter. Le 11 septembre 2012, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de 2008 qui approuvait le financement et a condamné la SNCM à rembourser 450 millions d’euros considérés comme indûment perçus.
La situation est devenue particulièrement difficile, et 1’année 2014 a mal commencé, avec dix jours de grève qui ont paralysé l’activité de la compagnie. Dans ces conditions, comment envisager un futur économiquement et socialement viable pour cette société ? Vous l’avez vous-même dit, monsieur le ministre, à l’époque où Veolia a racheté cette entreprise, il n’y avait pas de projet industriel : c’était un rachat financier.
Personne ici ne veut revivre l’épisode de 2011, qui est dans toutes les têtes. Une grève de quarante-sept jours, la plus longue de l’histoire de la SNCM, qui a coûté 13 millions d’euros.
C’est pourquoi il est urgent de trouver une issue à cette crise. À ce titre, un plan de 45 millions d’euros a été validé mercredi dernier par le conseil de surveillance de la société, prévoyant notamment le départ de 500 salariés, l’allongement du temps de travail et un renouvellement de la flotte. Monsieur le ministre, pourrez-vous nous apporter quelques éléments d’éclairage, notamment sur le renouvellement de la flotte, sujet sur lequel Paul Giacobbi s’est exprimé avec beaucoup de sagesse ?
Nous espérons que ces accords permettront, enfin, un sauvetage pérenne de la société. Il serait souhaitable que les collectivités territoriales puissent être dans le tour de table. Au-delà des rendez-vous de mars prochain, qui sont légitimes, c’est une vision stratégique, économique, qu’il faut évidemment mettre en place.
Comme le dit avec précision le rapporteur, ces situations auraient pu être évitées si un enchaînement d’erreurs d’appréciation et de procédures parfois inappropriées n’avait irrémédiablement entaché aussi bien les recapitalisations successives que l’opération de privatisation.
Nous sommes donc aujourd’hui au même point qu’en 2001. L’entreprise n’a mis en oeuvre aucune des mesures qui s’imposaient en termes de réorganisation et de bonne gouvernance. C’est bel et bien la gestion contestable de la société qui est visée, et non la privatisation en elle-même – cela dit pour tordre le cou à quelques idées reçues.
S’ajoutent à cela les règles européennes strictes, interdisant toute nouvelle recapitalisation. À l’avenir, il faudra naturellement nous conformer à la législation européenne – les passages en force ne servent à rien – tout en faisant en sorte que l’intervention de chaque acteur soit davantage pertinente.
Au-delà de cet aspect purement économique, vous l’aurez compris, c’est une tragédie sociale, ne l’oublions pas, qui se joue depuis tant d’années. La SNCM représente 2 600 employés et en décembre dernier, pas moins de 1 700 départs avaient été évoqués. Aujourd’hui, avec ce plan, 500 postes seraient visés. Au regard du fort taux de chômage que nous connaissons en France, ce chiffre appelle une réflexion particulière.
La SNCM représente également, cela a été rappelé, un service public indispensable. La Corse est, par définition, une île avec laquelle il faut communiquer, où il faut transporter des marchandises et des passagers. Nous devons tenir compte de la nécessité d’assurer la continuité territoriale avec la métropole.
Il convient également de tirer les leçons du passé. Un sujet nous préoccupe tout particulièrement, celui de la transparence. On en parle souvent mais il faut l’appliquer. L’UDI souhaite qu’à l’avenir, la représentation nationale soit consultée beaucoup plus largement et correctement informée des opérations de privatisation d’envergure – comme ce fut le cas, d’ailleurs, pour la SNCM. Il ne s’agit pas de pointer du doigt des coupables mais de ne pas renouveler les erreurs commises dans cette affaire. C’est bien ce que nous tentons de faire ici.
Mes chers collègues, le constat est clair. La SNCM est toujours en grande difficulté et la mobilisation doit être plus forte pour la sauver, mais pas à n’importe quel prix. Des emplois sont menacés, il faut assurer la continuité territoriale entre la métropole et la Corse. Nous partageons tous, sur ces bancs, une responsabilité : sauver cette entreprise, en améliorer la gouvernance et l’efficacité économique, renouveler le dialogue avec les partenaires sociaux. Une autre compagnie parvient à équilibrer ses comptes, peut-être devrions-nous l’observer de plus près. Peut-être aussi devrions-nous associer de nouveaux actionnaires.
Ce défi qui est devant nous, nous devons le relever, pour la SNCM, pour la Corse et pour la métropole.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tout premier lieu, je voudrais revenir sur quelques propos de mon collègue Dominique Tian. Si l’État, face à une vive protestation d’un petit millier de salariés d’une société, fut-elle à Marseille, ne peut gérer ce que vous appelez une « insurrection », je m’inquiète des moments où nous aurons affaire à une véritable insurrection. Alors, oui, on peut dire que l’État n’a pas été à la hauteur à ce moment-là, dans la mesure où les gouvernants de l’époque se sont affolés face à un millier de personnes qui s’inquiétaient, à juste titre, de l’avenir de leur société, mais qui ne mettaient pas le feu, comme cela a pu se produire dans certaines banlieues. L’État doit tout de même rester serein face à des situations de tension. Il ne l’a pas été en l’espèce et certaines questions devraient être posées, mais ce n’est pas le sens de mon intervention.
En premier lieu, en ce mois de janvier 2014 où la compagnie SNCM peut espérer poursuivre son activité grâce à un fort engagement du Gouvernement et des collectivités, je voudrais sincèrement remercier toutes les parties prenantes, la ville de Marseille mais aussi les autres collectivités, responsables dans leurs obligations.
Je tiens aussi à saluer l’ensemble des salariés et la direction actuelle de la SNCM qui ont su se remettre en question, remettre à plat le modèle de l’entreprise et dessiner un projet crédible pour son avenir,…
…avec des relations sociales apaisées, la volonté de moderniser la flotte, la vision de la place de la SNCM, de la place centrale des collectivités. Apparemment, mon collègue Dominique Tian a oublié d’étudier le projet.
Pourtant, l’avenir est encore assombri de nuages lourds, avec des centaines de millions d’euros que l’Union européenne estime devoir être remboursés. Comme si cette compagnie aussi exsangue avait les moyens de verser le premier million !
Nous comptons sur le Gouvernement pour renverser la charge portée par l’Union européenne et l’amener à comprendre la nullité de cette demande de remboursement de ces fonds publics assumés et respectueux des exigences de continuité territoriale.
Quant à la gestion actuelle, et je souhaite répondre à votre question, monsieur Tian, le Gouvernement a choisi de s’engager sur le plan proposé par la direction et les salariés.
Mais pour préparer au mieux cet avenir, il faut revenir sur des questions en suspens et, en premier lieu, la faillite de l’État actionnaire. Ainsi, en dix ans, ce ne sont pas moins de six hauts fonctionnaires qui ont représenté l’État à la tête de l’entreprise, qui plus est des hauts fonctionnaires qui n’avaient pas toutes les compétences ad hoc ! Quelle entreprise pourrait avancer malgré une telle absence de cohérence ? Comment l’État peut-il à l’avenir se prémunir contre une telle défaillance ?
Malheureusement, si ce n’était que cela…. Ce fut aussi le choix d’un investisseur très éloigné du monde des armateurs, Butler Capital. Comment le Gouvernement peut-il aujourd’hui se prémunir contre de tels choix d’investisseurs inadaptés ? Cette question est d’autant plus cruciale que l’État – et vous-même, monsieur le ministre – doit gérer d’autres dossiers où tout n’est pas clair dans les relations contractuelles entre État et acteur privé, suite aux engagements du précédent gouvernement – vous voyez de quel dossier je veux parler.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il faudra bien ainsi s’interroger sur les 60 millions d’euros encaissés par Butler Capital en espérant que d’autres entreprises, qui ont été choisies par le précédent gouvernement, ne trempent pas dans le même système de gavage par les fonds publics.
Comment se prémunir ? Comme le dit l’adage, « seuls les ânes butent deux fois sur la même pierre ».
Il serait inenvisageable que l’État retombe dans les travers qu’ont connu les précédents gouvernements.
Je souhaiterais également aborder le rôle des autres armateurs qui ont, semble-t-il, attisé les braises en espérant en tirer quelques marrons. Qu’en est-il exactement ? Comment prévenir ces dérives ?
Je reviendrai enfin sur la volte-face de l’Union européenne qui ouvre le cabotage à la concurrence et en même temps modifie son appréciation des aides publiques : un double effet quasi mortel pour l’entreprise SNCM.
Il est nécessaire, monsieur le ministre, de changer notre approche à l’égard de l’Union européenne dans ce type de dossier. Qu’en pensez-vous ?
En conclusion, je souhaiterais rappeler combien nous vous remercions d’avoir pris en compte la capacité de la SNCM à poursuivre son activité et d’apporter un engagement volontariste et responsable. Mais nous n’en sommes qu’au début. Nous devons continuer ensemble car le chemin sera rude pour remettre la SNCM à flot et lui rendre la belle image qui était la sienne et que portent dans leur coeur les métropolitains comme les habitants de la Corse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, à mon tour de saluer le travail du président et du rapporteur de cette commission qui ont su mener les débats avec diligence, malgré leur complexité. Ils nous ont permis de découvrir les méandres de cette privatisation. Au-delà du rapport que nous devons étudier aujourd’hui, notre débat s’inscrit pleinement dans l’actualité de la SNCM.
En effet le 15 janvier dernier, l’avocat général de la cour de l’Union européenne a proposé que soient rejetés les pourvois déposés par la SNCM et l’État contre l’arrêt du Tribunal de l’Union, qui a condamné en 2012 la SNCM à rembourser 221 millions d’euros d’aides publiques. Monsieur Tian, j’en profite pour vous signaler que le président Paul Giacobbi ne fait que son devoir en plaçant ces sommes en recouvrement dès lors qu’une décision de justice a été rendue. Il ne peut agir autrement. Sinon, il mettrait en cause sa propre responsabilité. J’ai trouvé osé de votre part de le critiquer ainsi, alors qu’il ne fait que son devoir.
Surtout, mercredi dernier, le conseil de surveillance de la SNCM a lancé la mise en oeuvre du plan de redressement auquel vous vous étiez engagé, monsieur le ministre. Il comprend l’acquisition de deux navires, mais aussi un plan de départ volontaire.
Cela nous permet, et j’en suis ravi, monsieur le ministre, de vous interroger autant sur les derniers développements que sur le rapport de la commission d’enquête en lui-même.
Monsieur le ministre, la privatisation de la SNCM a été un échec, un échec économique et un échec social qui a mis en difficulté l’économie locale à Marseille comme en Corse, et dont les répercussions sur le service rendu à nos concitoyens ont mis en danger la continuité territoriale.
Je ne reviendrai pas trop en détail sur les choix catastrophiques du passé et dont ce rapport permet de mesurer l’ampleur : plus de 450 millions d’euros de pertes patrimoniales et financières pour l’État durant la décennie écoulée mais néanmoins 60 millions d’euros de plus-value pour Butler Capital Partners. Si notre commission n’a pas trouvé lors de ses travaux de fondements à une action en justice, l’accumulation des mauvais choix et des procédures inadaptées nous pousse à nous interroger sur la gestion de ce dossier.
Ce rapport sert en quelque sorte de manuel récapitulant les choses à ne surtout pas faire, à l’attention de ceux qui auraient à gérer une privatisation de ce type. Espérons qu’il aura au moins cette utilité-là.
Après des années de procédures et de tergiversation, nous en sommes au même point qu’en 2001. Que de temps, d’énergie et de deniers publics gâchés.
Bien entendu, nos travaux ont également fait apparaître le poids des décisions européennes contradictoires dans ce dossier. Ainsi les motivations de la volte-face de la Commission européenne en novembre 2012 revenant sur la décision du Tribunal de l’Union européenne nous laissent toujours perplexes.
Mais c’est surtout, au-delà des errements passés, à l’avenir de la SNCM que nous nous intéressons, monsieur le ministre.
Vous avez reçu à de nombreuses reprises les élus, ceux de Corse en particulier, dont notre collègue Giacobbi, afin d’évoquer l’évolution de l’actionnariat de la SNCM. Je vous remercie et je vous félicite pour votre implication et votre dévouement, qui sont connus. Le dossier est difficile pour l’économie nationale mais également pour les économies locales, à Marseille et en Corse. La création d’une société d’économie mixte apparaît à ce titre comme une solution possible.
Pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement quant à cette évolution nécessaire et à la solution juridique proposée ? Dans cette optique, avez-vous connaissance des intentions de Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et de Veolia, actionnaire à 66 % de la SNCM ?
S’agissant de la dette, s’il est confirmé que près de 440 millions d’euros de subventions doivent être remboursés, étant donné la situation financière de la société, comment le Gouvernement compte-t-il accompagner la régularisation de cette situation extrêmement difficile ?
Monsieur le ministre, le service rendu par la Société nationale Corse Méditerranée est un service essentiel à nos concitoyens et à l’économie de la région. Vous le savez et vous vous êtes pleinement engagé en conséquence dans ce dossier.
Nos interrogations sur l’avenir de cette société se fondent à la fois sur l’incertitude qui entoure le sort judiciaire réservé à Bruxelles et sur celle qui touche à l’actionnariat. Elles concernent aussi pour les salariés de cette entreprise qui, depuis de trop nombreuses années, sont ballottés de décisions judiciaires en plans divers et variés. Nous vous remercions pour les éclaircissements que vous porterez à l’attention de la représentation nationale ce soir.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
À ce que je vois, cette commission d’enquête aurait finalement dû s’intituler « Quel avenir pour la SNCM ? ». Mais j’aurais aimé que figure un autre titre au-dessus : « Quel avenir pour la continuité territoriale et la desserte de la Corse ? ». Cette commission d’enquête était nécessaire pour, peut-être, apprendre à certains qui n’en avaient pas conscience, l’état de cette entreprise. En ce qui me concerne, je suis heureux d’avoir entendu Paul Giacobbi et d’avoir pu lire sa conclusion, qui s’impose à nous aujourd’hui : « Il serait vain et injuste de chercher à incriminer, dans la sphère politique comme dans la sphère privée, tel ou tel. Le simple fait que, de manière récurrente, les mêmes erreurs aient été commises, entraînant des conséquences de plus en plus lourdes, démontre suffisamment que l’absence de lucidité ou de courage, la dilution des responsabilités, le recours à des expédients et la faible résistance à la pression des événements sont des défauts partagés par tous les intervenants sur l’ensemble de la période ». Et d’ajouter : « Le rapport juge qu’aucun élément recueilli au cours de l’enquête ne permet de fonder une action en justice ». Si telle était l’intention, elle a avorté.
Nous en arrivons à présent à l’essentiel, monsieur le ministre. Avant 2005, il y a eu d’autres années où l’Union européenne nous a indiqué comment nous pouvons exercer nos compétences dans un cadre européen qui justifie la mise en concurrence.
Eh oui, cette entreprise nationale n’avait connu que le monopole, donc la facilité. Or, l’État a été un piètre actionnaire ; ce n’est la faute ni de ce gouvernement, ni des précédents, mais de tous les gouvernements, et le même constat pourrait se faire au sujet d’une autre grande entreprise nationale, Air France, dont il a un jour bien fallu ouvrir le capital, et même largement.
Que s’est-il donc passé ? Depuis l’époque où M. Gayssot exerçait votre fonction, monsieur le ministre, il a été répondu à chaque situation problématique telle que les grèves récurrentes que l’on allait voir ce qu’on allait voir, et que l’on trouverait une solution en allant à Bruxelles pour faire plier l’Union européenne. Cessons donc cela. Ce qui, monsieur le ministre, vous distingue de Paul Giacobbi, c’est que celui-ci a fait sien le jugement de l’Union européenne par lequel elle a décidé la fin du versement de l’aide correspondant au service complémentaire. Pour satisfaire une demande qui a longtemps été pressante et qui le demeure aujourd’hui, vous nous avez dit que l’État engagerait une action contre cette décision. Voici plus de vingt ans que les uns et les autres prétendent qu’ils vont faire plier Bruxelles. Je suis allé à maintes reprises rencontrer Romano Prodi, Jacques Barrot et d’autres : à chaque fois, les décisions européennes n’ont pas tenu compte de ce que nous définissions comme notre service public.
La montagne – je veux parler de cette commission d’enquête – ayant accouché d’une souris, nous voilà de nouveau au pied du mur, monsieur le ministre. Nous voulons travailler ensemble à résoudre un problème qui n’est ni le vôtre, ni celui des gouvernements précédents, mais celui auquel tout le monde a été confronté, et à toutes les époques.
J’ai surtout entendu parler de Marseille. Je n’ai naturellement rien contre nos amis marseillais, mais la SNCM remplit une mission de service public, la desserte de la Corse, qui, depuis 1976, fait l’objet d’une dotation spécifique visant à garantir la continuité territoriale. C’est bien celle-ci qui doit être assurée, quelle que soit l’entreprise qui remplit ce service. Le financement accordé par l’État n’est donc pas destiné à l’entreprise elle-même, comme chacun sait – et Bruxelles, d’ailleurs, ne le supporterait pas, parce que ce ne serait pas compatible avec les règles européennes. La dotation de continuité territoriale est destinée à la desserte de la Corse, principalement en fret mais nous l’avons étendue de manière croissante aux passagers. Comme vos prédécesseurs, monsieur le ministre, vous n’en avez pas augmenté l’enveloppe et ne l’avez pas non plus indexée. Vos amis politiques le regrettent ; ce n’est pas mon cas. L’indexation ne résoudrait pas le problème. Comme nous l’a dit Paul Giacobbi, qui s’exprimait alors en qualité de président de l’exécutif et non comme rapporteur de la commission d’enquête, cette entreprise est mal en point.
En 2005, monsieur le ministre, vous auriez été de ceux qui ont refusé le dépôt de bilan, et vous le refusez aujourd’hui puisque vous venez de déclarer que l’État y injecterait 30 millions d’euros. Vous poursuivez donc dans la même voie. Comme tous vos prédécesseurs, vous avez d’ailleurs invoqué le pavillon et le registre pour prouver que nous défendrions bec et ongles ce qui nous appartient. Nous verrons bien ce qu’en dira l’Union européenne ! En effet, nous sommes encore soumis à des règles qui s’imposeront à nous.
Or, je ne voudrais pas que nous continuions à faire rêver en prétendant que tout est possible. Vous savez très bien que cette entreprise a un problème d’ordre génétique. Si nous partageons l’ambition de la sauver, n’oublions pas que, comme toutes les autres entreprises qui bénéficient d’une aide publique pour la Corse, son financement sert avant tout l’économie de la Corse et l’ensemble des Corses. Voilà l’essentiel ; ne nous y trompons pas. Cette commission d’enquête ne saurait cacher la réalité d’une entreprise qui est mal en point. Vous vous efforcez aujourd’hui d’apaiser un climat social agité et gérez deux mois de couverture juste avant les échéances que sont les élections municipales, mais une fois celles-ci passées, le même problème demeurera ! Je ne vous ai pas entendu prendre position sur l’idée d’une société d’économie mixte suggérée par Paul Giacobbi. Quant au capital, nul ne sait ce qu’il en adviendra. En tout état de cause, si notre collègue communiste, M. Charroux, évoquait à l’instant l’entrée dans ce capital de la Caisse des dépôts, je sais que ce que M. Emmanuelli nous en a dit en commission des finances : il n’en est pas question.
Tout cela est donc encore assez flou. Nous pouvons travailler ensemble, monsieur le ministre, mais de grâce, dites aux salariés que le sauvetage de l’entreprise a un prix. Certes, l’activité portuaire de Marseille mérite une attention particulière, mais pour ma part, je privilégierai toujours la desserte de la Corse et de son économie. Pareille situation n’a que trop duré. Cette dernière grève n’était qu’une grève de plus ; d’ailleurs, si vous aviez des solutions, pourquoi avoir attendu la grève et le conflit social pour y apporter les réponses nécessaires ?
Je dirai pour conclure que nous pouvons peut-être nous entendre une fois pour toutes en inscrivant dans la loi – dans le respect du droit de grève – le fait que la Corse peut avoir un service public garanti, et qu’elle le mérite !
Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de répondre aux orateurs, même si leurs interventions portaient sur un rapport, celui de la commission d’enquête, dont je ne suis par définition pas l’auteur. Ils ont néanmoins posé plusieurs questions au Gouvernement ; il est donc normal que j’apporte quelques précisions.
Je remercie chacun des orateurs, qu’il soit intervenu à un ou à plusieurs titres, d’avoir pris la mesure d’une situation fort ancienne et d’explorer les pistes les plus souhaitables. Je me réjouis de constater une forme de confiance ou, tout du moins, de volonté politique, toutes sensibilités confondues et quel que soit le parcours des uns et des autres, pour que nous partagions le diagnostic…
…et pour envisager quelles voies aboutiront au sauvetage de cette société, qui est l’une des fiertés du pavillon maritime français, comme j’ai eu l’occasion de le dire. Elle pourrait être en situation d’équilibre économique – c’est parfois le cas –, pourvu que notre ambition et notre mobilisation soient partagées.
Pour ce faire, il faut pouvoir mener de front plusieurs chantiers. Le premier est le lancement du pacte social, qui doit être actualisé – j’insiste sur ce point, puisque vous m’invitez à dire la vérité. Cette invitation tombe d’ailleurs à pic, puisque je ne suis ici que pour cela : mettre mes actes en conformité avec la réalité et ne jamais perdre de vue que lorsque l’on fait appel à la responsabilité de tous et que l’on demande aux partenaires sociaux de s’engager, nous avons un devoir de confiance, et donc de vérité, celle-ci étant la condition de celle-là. De ce point de vue, reconnaissez que je n’ai jamais minimisé – et encore moins balayé d’un revers de main – la réalité des contentieux européens ; oui, les procédures existent, et nous en reparlerons.
Revenons-en pour l’heure au pacte social. Il a été négocié, actualisé et voté, car il faut pouvoir s’adapter à la réalité – d’autant plus que plusieurs événements se sont produits depuis. Je remarque toutefois que, depuis mai 2012, les obstacles que l’on disait infranchissables ont été franchis malgré tout, les uns après les autres, même si, comme en un puits sans fond, d’autres apparaissent sans cesse, toujours plus hauts au fil du chemin. Nous avons stabilisé la DSP, mais il faudra revenir sur les questions liées à la nouvelle DSP. Nous avons fait en sorte que la trésorerie soit assumée. Nous avons permis – le défi était immense et le résultat fut salué – que les conditions tenant aux perspectives industrielles recueillent dans leurs grandes lignes l’accord des différents acteurs, et que des plans responsables de départs volontaires soient acceptés et validés par les représentants du personnel et par les actionnaires, afin que la société retrouve le plus rapidement possible sa compétitivité.
Bien entendu, il fallait aussi agir sur l’environnement économique. En ce domaine comme dans tous les autres qui relèvent des différents ministères, le Gouvernement s’engage à éviter toute forme de concurrence déloyale et de dumping. Dans le domaine du transport maritime, nous avons fait adopter un certain nombre de dispositions qui relèvent du droit social international, notamment pour ce qui concerne l’État d’accueil. C’est bien normal : pour que la concurrence soit saine, les mêmes règles doivent s’appliquer à tous. Les partisans de la concurrence et du libéralisme ne souhaitent-ils pas précisément des règles qui soient les mêmes pour tous ? Je les prends au mot : nous avons pris un décret qui impose à chaque compagnie les mêmes conditions. Dès lors, l’environnement sera neutre, ce qui est normal. En outre, toute contribution au service public peut faire l’objet de financements publics : c’est là un fait légitime, même s’il faudra sans doute l’expliquer davantage.
J’en viens aux contentieux européens. L’un d’entre eux au moins peut sembler une cause perdue, mais il ne faut jamais préjuger des décisions que prennent les juridictions. Ce contentieux n’en constitue pas moins un appel à la responsabilité et à la compréhension. J’entends çà et là dire que l’on pourra toujours s’arranger de l’Europe. Non. La décision qui sera prise aura l’autorité de la chose jugée. Mais pour autant, il existe des recours.
En tout état de cause, j’en appelle à la responsabilité pour la suite de la vie de la SNCM, car la situation actuelle n’est pas un modèle du genre. Pour y remédier, le Gouvernement doit faire ce que d’autres n’ont pas fait en leur temps : rencontrer la Commission européenne, expliquer la situation concernant notamment la nouvelle DSP, et s’assurer que nous n’ayons pas à revenir dans les prochaines années sur ce qui a été patiemment construit.
La nouvelle DSP a renforcé la stabilité du dispositif. Encore faut-il que nous puissions, concomitamment au pacte social, conduire un projet industriel. Le directoire doit s’y engager, comme je l’ai dit et répété. Quelles sont les pistes envisageables ? À ce stade, elles ne sont pas encore stabilisées ; les éléments que je vous apporte aujourd’hui devront donc être précisés au fil de la concertation.
Tout d’abord, certaines recettes, si elles sont parfois surestimées, ne sont pas non plus à sous-estimer. L’accident du Napoléon-Bonaparte doit conduire les assurances à verser des garanties pour des montants non négligeables, qui redonneront quelques perspectives à la société. Ensuite, outre la stabilisation de la trésorerie grâce à l’aide de l’État, je remercie sincèrement le Premier ministre qui, en fin d’année dernière, a permis de donner davantage de visibilité à la société afin qu’elle dispose du temps nécessaire pour envisager les questions dont nous débattons ce soir.
Nous avons fait de l’invitation autour de la table de la Caisse des dépôts et de la Banque publique d’investissement une priorité, de même que nous interrogeons les collectivités. En l’occurrence, je ne dispose pas de toutes leurs réponses concernant le rôle qu’elles joueront et la forme que prendra leur action.
Il ne s’agit pas de capital, vous en conviendrez, et d’ailleurs un certain nombre d’objections ont été très justement soulevées par le président Giacobbi. Mais encore faut-il savoir s’il est possible de faire financer le moindre bateau par la SNCM telle qu’elle est aujourd’hui ! Là est la question préalable ! Quelle est la garantie apportée aux banques ? C’est la première question qu’elles poseront. On comprend très vite que les difficultés s’accumulent et que l’incertitude portant sur les contentieux conduirait certainement à une impasse. Poser comme postulat, ou comme condition obligatoire, la propriété directe de la SNCM commanditaire risquerait très vite de conduire à l’échec ou l’impasse. Mais expertisons ! Si tel n’est pas le cas, que faire ? Créer une structure ad hoc en aménageant des liens avec la structure porteuse de la commande.
Je rappelle l’importance du contexte et de l’enjeu, pour la filière des chantiers navals, du renouvellement de l’ensemble de la flotte. Arnaud Leroy le sait bien. Les normes européennes et même internationales relatives aux rejets de soufre, comme le plan Marpol, imposent de s’adapter selon les zones maritimes et selon des contraintes plus ou moins fortes. Elles le sont moins en Méditerranée mais elles existent. Il en résulte la nécessité d’engager une stratégie de modernisation et de relance portuaire. Il faut prendre cela en compte et envisager non seulement le renouvellement de la flotte de la SNCM mais aussi celui de l’ensemble de la flotte française, en particulier MyFerryLink et Brittany Ferries, qui a d’ailleurs annoncé la commande aux chantiers STX d’un navire GNL, avancée technologique qu’il faut soutenir. Arnaud Montebourg et moi-même donnons corps, par les programmes d’investissement d’avenir, à la nécessité de structurer une vraie opportunité en termes d’emploi portuaire et de chantier naval afin de répondre à des commandes qui ne se limiteront pas à la seule SNCM.
Même si la structuration de filière manque, nous avons à coeur de la faire aboutir. En tout état de cause, il faudra examiner les conditions d’une structure assurant la solidité de la commande et affichant des garanties. Jean-Pierre Jouyet vient de m’indiquer, il y a quelques heures, l’avancée des travaux de la Caisse des dépôts et consignations et de la BPI et son plein engagement. Je puis au moins en faire part à la représentation nationale.
D’autres sujets ont été évoqués, je pense avoir déjà répondu à un certain nombre des questions soulevées, en particulier la volonté de stabilisation à long terme. Je ne suis pas, moi, tenu par les élections municipales, en tout cas pas les élections marseillaises.
Je m’inscris dans la durée, car nous ne construisons pas des solutions industrielles et financières dans la perspective de s’arrêter au bout de quelques semaines, après avoir franchi un cap électoral. Penser que j’aborde les sujets de la sorte, c’est me faire offense, car il n’en est rien. Je le dis précisément : je m’engage à long terme. Nous avons d’ailleurs rassemblé une trésorerie suffisante et une vision suffisamment large pour construire. Il serait souhaitable que chaque stade d’avancée du dossier soit validé par les acteurs, la BPI et la CDC qui vous le présenteront,…
…mais aussi, car je m’y suis engagé et j’aime à tenir mes engagements, les collectivités, les partenaires sociaux et les représentants du personnel. Comme vous le voyez, mesdames et messieurs les parlementaires, notre démarche doit parallèlement assurer la stabilité de la trésorerie, le lancement du pacte social et des pistes de renouvellement, la commande des navires, bien évidemment, mais aussi la réorganisation interne, en profondeur, de la société afin de dégager des marges d’économies et de compétitivité.
M. Pupponi m’a interrogé sur la privatisation, mais d’autres aussi et j’ai cru comprendre que tout le monde la regrette.
Si, monsieur Tian, je crois que cela a été dit très précisément, tout comme j’ai dit qu’il n’y avait pas eu d’irrégularité pour autant. Vous avez posé, monsieur Tian, la question du lien entre la situation actuelle et la privatisation décidée en 2005. Il y a bien un lien, me semble-t-il, entre l’absence de stratégie et l’engagement d’une procédure de privatisation sans pilotage. On ne peut s’affranchir du lien intime entre le choix de la privatisation et celui désignant qui serait aux manettes pour donner un cap à la compagnie.
On ne peut donc conclure le débat en disant que personne ne porte aucune responsabilité. Au contraire, il existe des responsabilités et peut-être doivent-elles être encore précisées. Toutefois, même si nous devons tirer les conséquences des errements du passé, cela ne suffit pas à construire l’avenir, ce qui suppose la confiance, la ténacité et la volonté de progresser. Ce qui est certain, c’est l’existence d’une période de privatisations. Je suis pour ma part en pleine discussion avec un certain nombre d’entreprises. Un choix idéologique a été fait, celui de confier la gestion du domaine public à des entreprises, en particulier le domaine public autoroutier. D’ailleurs, des précisions ont été demandées et des enquêtes sont menées sur la gestion du domaine public.
On m’accordera qu’une certaine époque et un certain esprit du temps ont conduit à une gestion de l’intérêt public et du patrimoine de l’État qui n’était pas d’une rigueur absolue, c’est le moins que l’on puisse dire ! On m’accordera la liberté de le déplorer, de le souligner et de le condamner. Je puis vous assurer, mesdames et messieurs les parlementaires, que je serai particulièrement attaché à la qualité de l’écoute. Quelle n’a pas été ma stupeur, lorsque j’ai reçu les syndicats pour la première fois, de les voir tout surpris de rencontrer le ministre en personne !
Ils me l’ont d’ailleurs fait remarquer. Ils se sont même invités chez moi et je les ai reçus avec beaucoup de plaisir, inaugurant un rythme de rencontres soutenu.
Si le ministre – ou ses collaborateurs, mais le plus souvent, le ministre lui-même – ne prend pas le temps d’être à l’écoute et de mener l’indispensable dialogue social, d’autant plus indispensable qu’il existe des incertitudes et des inquiétudes, il ne faut pas s’étonner que surgissent au mieux des incompréhensions et au pire des condamnations de la façon d’agir.
Merci pour vos contributions, mesdames et messieurs les députés. J’en prends acte, comme je vous l’ai indiqué, et j’en ferai le meilleur usage.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
Prochaine séance, demain, à neuf heures trente :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quarante.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron