À ce que je vois, cette commission d’enquête aurait finalement dû s’intituler « Quel avenir pour la SNCM ? ». Mais j’aurais aimé que figure un autre titre au-dessus : « Quel avenir pour la continuité territoriale et la desserte de la Corse ? ». Cette commission d’enquête était nécessaire pour, peut-être, apprendre à certains qui n’en avaient pas conscience, l’état de cette entreprise. En ce qui me concerne, je suis heureux d’avoir entendu Paul Giacobbi et d’avoir pu lire sa conclusion, qui s’impose à nous aujourd’hui : « Il serait vain et injuste de chercher à incriminer, dans la sphère politique comme dans la sphère privée, tel ou tel. Le simple fait que, de manière récurrente, les mêmes erreurs aient été commises, entraînant des conséquences de plus en plus lourdes, démontre suffisamment que l’absence de lucidité ou de courage, la dilution des responsabilités, le recours à des expédients et la faible résistance à la pression des événements sont des défauts partagés par tous les intervenants sur l’ensemble de la période ». Et d’ajouter : « Le rapport juge qu’aucun élément recueilli au cours de l’enquête ne permet de fonder une action en justice ». Si telle était l’intention, elle a avorté.
Nous en arrivons à présent à l’essentiel, monsieur le ministre. Avant 2005, il y a eu d’autres années où l’Union européenne nous a indiqué comment nous pouvons exercer nos compétences dans un cadre européen qui justifie la mise en concurrence.
Eh oui, cette entreprise nationale n’avait connu que le monopole, donc la facilité. Or, l’État a été un piètre actionnaire ; ce n’est la faute ni de ce gouvernement, ni des précédents, mais de tous les gouvernements, et le même constat pourrait se faire au sujet d’une autre grande entreprise nationale, Air France, dont il a un jour bien fallu ouvrir le capital, et même largement.
Que s’est-il donc passé ? Depuis l’époque où M. Gayssot exerçait votre fonction, monsieur le ministre, il a été répondu à chaque situation problématique telle que les grèves récurrentes que l’on allait voir ce qu’on allait voir, et que l’on trouverait une solution en allant à Bruxelles pour faire plier l’Union européenne. Cessons donc cela. Ce qui, monsieur le ministre, vous distingue de Paul Giacobbi, c’est que celui-ci a fait sien le jugement de l’Union européenne par lequel elle a décidé la fin du versement de l’aide correspondant au service complémentaire. Pour satisfaire une demande qui a longtemps été pressante et qui le demeure aujourd’hui, vous nous avez dit que l’État engagerait une action contre cette décision. Voici plus de vingt ans que les uns et les autres prétendent qu’ils vont faire plier Bruxelles. Je suis allé à maintes reprises rencontrer Romano Prodi, Jacques Barrot et d’autres : à chaque fois, les décisions européennes n’ont pas tenu compte de ce que nous définissions comme notre service public.
La montagne – je veux parler de cette commission d’enquête – ayant accouché d’une souris, nous voilà de nouveau au pied du mur, monsieur le ministre. Nous voulons travailler ensemble à résoudre un problème qui n’est ni le vôtre, ni celui des gouvernements précédents, mais celui auquel tout le monde a été confronté, et à toutes les époques.
J’ai surtout entendu parler de Marseille. Je n’ai naturellement rien contre nos amis marseillais, mais la SNCM remplit une mission de service public, la desserte de la Corse, qui, depuis 1976, fait l’objet d’une dotation spécifique visant à garantir la continuité territoriale. C’est bien celle-ci qui doit être assurée, quelle que soit l’entreprise qui remplit ce service. Le financement accordé par l’État n’est donc pas destiné à l’entreprise elle-même, comme chacun sait – et Bruxelles, d’ailleurs, ne le supporterait pas, parce que ce ne serait pas compatible avec les règles européennes. La dotation de continuité territoriale est destinée à la desserte de la Corse, principalement en fret mais nous l’avons étendue de manière croissante aux passagers. Comme vos prédécesseurs, monsieur le ministre, vous n’en avez pas augmenté l’enveloppe et ne l’avez pas non plus indexée. Vos amis politiques le regrettent ; ce n’est pas mon cas. L’indexation ne résoudrait pas le problème. Comme nous l’a dit Paul Giacobbi, qui s’exprimait alors en qualité de président de l’exécutif et non comme rapporteur de la commission d’enquête, cette entreprise est mal en point.
En 2005, monsieur le ministre, vous auriez été de ceux qui ont refusé le dépôt de bilan, et vous le refusez aujourd’hui puisque vous venez de déclarer que l’État y injecterait 30 millions d’euros. Vous poursuivez donc dans la même voie. Comme tous vos prédécesseurs, vous avez d’ailleurs invoqué le pavillon et le registre pour prouver que nous défendrions bec et ongles ce qui nous appartient. Nous verrons bien ce qu’en dira l’Union européenne ! En effet, nous sommes encore soumis à des règles qui s’imposeront à nous.
Or, je ne voudrais pas que nous continuions à faire rêver en prétendant que tout est possible. Vous savez très bien que cette entreprise a un problème d’ordre génétique. Si nous partageons l’ambition de la sauver, n’oublions pas que, comme toutes les autres entreprises qui bénéficient d’une aide publique pour la Corse, son financement sert avant tout l’économie de la Corse et l’ensemble des Corses. Voilà l’essentiel ; ne nous y trompons pas. Cette commission d’enquête ne saurait cacher la réalité d’une entreprise qui est mal en point. Vous vous efforcez aujourd’hui d’apaiser un climat social agité et gérez deux mois de couverture juste avant les échéances que sont les élections municipales, mais une fois celles-ci passées, le même problème demeurera ! Je ne vous ai pas entendu prendre position sur l’idée d’une société d’économie mixte suggérée par Paul Giacobbi. Quant au capital, nul ne sait ce qu’il en adviendra. En tout état de cause, si notre collègue communiste, M. Charroux, évoquait à l’instant l’entrée dans ce capital de la Caisse des dépôts, je sais que ce que M. Emmanuelli nous en a dit en commission des finances : il n’en est pas question.
Tout cela est donc encore assez flou. Nous pouvons travailler ensemble, monsieur le ministre, mais de grâce, dites aux salariés que le sauvetage de l’entreprise a un prix. Certes, l’activité portuaire de Marseille mérite une attention particulière, mais pour ma part, je privilégierai toujours la desserte de la Corse et de son économie. Pareille situation n’a que trop duré. Cette dernière grève n’était qu’une grève de plus ; d’ailleurs, si vous aviez des solutions, pourquoi avoir attendu la grève et le conflit social pour y apporter les réponses nécessaires ?
Je dirai pour conclure que nous pouvons peut-être nous entendre une fois pour toutes en inscrivant dans la loi – dans le respect du droit de grève – le fait que la Corse peut avoir un service public garanti, et qu’elle le mérite !