Je salue le travail réalisé par la rapporteure, d'autant qu'elle l'a accompli dans des conditions particulièrement difficiles. On peut même juger les parlementaires malmenés, puisqu'il ne s'est passé que deux jours entre le moment où nous avons disposé du texte définitif et la clôture du délai de dépôt des amendements. Cela nous a contraints à travailler plusieurs semaines sur ce qui n'était encore qu'un avant-projet de loi, profondément remanié depuis en Conseil d'État : les dispositions sur les conseils de prud'hommes en ont été retirées, tandis que demeure celle relative à la durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures, qui ne figurait pourtant pas dans l'accord national interprofessionnel (ANI).
Le Gouvernement se félicite de sa méthode, fondée sur une concertation avec les partenaires sociaux. Mais s'en remettre à la démocratie sociale ne signifie pas mépriser la démocratie parlementaire. C'est pourtant ce à quoi nous assistons.
C'est d'autant plus vrai que, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, ce projet de loi, comme je l'ai dit, ne se contente pas de retranscrire l'ANI du 14 décembre dernier. C'est aussi un véhicule législatif pour des dispositions sur la représentativité patronale ou sur l'inspection du travail, sujets qui n'étaient pas abordés par l'accord. On peut donc se demander si ce texte respecte l'esprit qui avait prévalu lors de la négociation de l'ANI. Enfin, nous déplorons que le Gouvernement ait décide recourir à la procédure accélérée pour l'examen du projet de loi.
À cela s'ajoutent plusieurs problèmes de fond.
Le premier concerne le compte personnel de formation. Ce compte, dont les droits sont transférables, qui peut être crédité jusqu'à un plafond de 150 heures et faire l'objet d'abondements de la part de l'État ou des régions, est présenté par le Gouvernement comme une véritable révolution. Or il n'en est rien : 150 heures, cela ne représente que 30 heures de plus que dans le cadre du droit individuel à la formation. Or une formation qualifiante nécessite plutôt un crédit de 400, voire 800 heures. Nous en sommes loin.
L'idée d'un compte personnel dont les crédits seraient mobilisables selon les souhaits des salariés est d'ailleurs contredite par la nécessité de bénéficier d'abondements supplémentaires pour accéder aux formations qualifiantes. Tout reste à prouver quant à la facilité de les obtenir. En attendant, en l'absence d'un plafond plus élevé, la liberté du titulaire du compte reste très limitée.
De plus, les listes devant fixer les formations éligibles posent question. Non seulement elles sont multiples – listes des branches, des régions, de l'État, listes destinées aux salariés ou aux demandeurs d'emploi –, ce qui va à l'encontre d'une réelle codécision des acteurs, mais elles représentent une contrainte pour le salarié ou pour le demandeur d'emploi, d'autant qu'elles s'ajoutent aux listes et inventaires existants. Il y a donc un écart entre ce qui est proposé et le prétendu mouvement de simplification administrative.
Le deuxième problème concerne l'apprentissage. Alors que le Président de la République maintient son objectif de porter à 500 000 le nombre d'apprentis en 2017, son gouvernement prend dans ce domaine, depuis plusieurs mois, des décisions contradictoires et floues qui déstabilisent les entreprises. Pour mémoire, le projet de loi de finances a divisé par deux le bénéfice du crédit d'impôt apprentissage et supprimé l'indemnité compensatrice forfaitaire, qu'il a remplacée par un dispositif de compensation s'appliquant au détriment des régions. En outre, le projet de réforme de la taxe d'apprentissage qui figurait dans la loi de finances rectificative de fin d'année a été censuré par le Conseil constitutionnel et son rétablissement n'est pas prévu par ce projet de loi.
Ce texte marque donc le désengagement de l'État, qui transfère la gestion des CFA aux régions sans pour autant en assurer le financement. Une fois de plus, le transfert d'une compétence aux collectivités se fera sans aucune compensation.
Je relève aussi, toujours en ce qui concerne l'apprentissage, une incertitude quant à la capacité qu'auront les entreprises de décider librement des établissements qu'elles souhaitent faire bénéficier des fonds aujourd'hui non affectés.
Enfin, l'articulation entre formation initiale et formation tout au long de la vie n'est pas suffisamment pensée dans ce projet, qui accorde également peu de place à l'enseignement supérieur alors que celui-ci a aussi un rôle à jouer en matière de formation professionnelle.
En définitive, ces dispositions sont très en retrait sur l'ambition affichée dans l'exposé des motifs. Force est de constater encore une fois le décalage entre les discours du Gouvernement et ses actes !