Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 30 janvier 2014 à 15h00
Débat sur la protection de la vie privée à l'heure de la surveillance numérique commerciale et institutionnelle.

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, confrontées à la montée du discours sécuritaire et à la logique du risque zéro, les sociétés modernes ont la tentation d’user et d’abuser des moyens techniques de contrôle social, des technologies de l’information et de la communication, particulièrement intrusives dans la vie privée, qu’il s’agisse du Net, des systèmes de géolocalisation ou des systèmes de traçage. Ainsi, le développement de systèmes de plus en plus sophistiqués et généralisés rend de plus en plus difficile, voire fictive, la protection de la vie privée contre les dangers liés aux fichiers et à l’exploitation des données personnelles.

C’est donc un champ décisif de la défense des droits fondamentaux qui s’ouvre au débat, car l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour construire une traçabilité totale peut conduire, à l’échelle internationale, à une rupture avec les principes d’exercice démocratique des pouvoirs, sans que l’on puisse aujourd’hui vraiment mesurer toutes les conséquences des évolutions en cours.

Comme l’a souligné la présidente de la Commission nationale informatique et libertés, l’affaire Snowden montre que la transparence sur ces questions est indispensable à tous les niveaux, qu’il s’agisse des grandes entreprises de l’internet, qui doivent dire quelles données elles collectent et comment elles sont utilisées, ou, bien sûr, des États.

Alors que notre pays a été l’un des premiers à se doter d’une législation informatique et libertés, l’adoption de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 constitue à nos yeux un recul dangereux ; elle suscite des questions absolument essentielles et, à vrai dire, non résolues. En effet, cette loi a ouvert la porte à la généralisation de la surveillance sur internet. Son article 20 autorise ainsi l’État à collecter les données de connexion ainsi que les informations ou documents des utilisateurs en temps réel, sur simple demande administrative, sans être soumis au moindre contrôle judiciaire. Il s’agit là d’une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre démocratie et au respect des libertés individuelles.

Faute de signatures suffisantes, ce dispositif n’a malheureusement pas pu faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or la présomption d’inconstitutionnalité nous semble bien réelle car, en l’absence d’une définition restrictive des « informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques », ce dispositif revient à permettre, sans aucun contrôle préalable, un accès à tout document et au contenu stocké par un hébergeur sur ces serveurs, y compris les correspondances, qui entrent dans le champ d’application de la loi en tant que fichiers textes ou documents sonores. C’est une atteinte au respect de la vie privée « de nature à porter atteinte à la liberté individuelle », selon la jurisprudence même du Conseil constitutionnel.

En outre, en introduisant dans le code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 246-3, la loi de programmation militaire prévoit que ces informations et documents « peuvent être recueillis sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel », ce qui revient à accorder un accès direct et permanent aux serveurs de l’hébergeur. Cet accès en temps réel se ferait en l’absence des garanties offertes par la loi et par le régime juridique des perquisitions, et avec un champ d’action très large, allant bien au-delà de la lutte contre le terrorisme.

La simple possibilité de géolocaliser en temps réel les terminaux mobiles des individus est une atteinte grave à leur vie privée. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Comme l’a clairement indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1996, « il appartient au législateur d’assurer la sauvegarde des droits et des libertés constitutionnellement garantis ; [… ] s’il peut déléguer la mise en oeuvre de cette sauvegarde au pouvoir réglementaire, il doit toutefois déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires ». Or, s’agissant du contrôle de ces interceptions et de cette géolocalisation, il n’est fait aucune mention de la possibilité de juger de la proportionnalité des atteintes à la vie privée par rapport aux finalités, par ailleurs très larges, dès lors que ces dernières rentrent dans le champ du contrôle.

Je veux aussi rappeler que la CNIL, qui n’avait pas été consultée sur l’article 20 de la loi de programmation militaire, déplore à juste titre l’absence d’un débat public sur la mise en place d’une société de surveillance. Un tel débat aurait permis d’éclairer les citoyens sur les enjeux en cause et de prendre en compte la nécessaire protection des libertés individuelles et de la vie privée.

Pour conclure, les députés du Front de gauche entendent contribuer au développement de cette prise de conscience et demeureront particulièrement vigilants quant à l’utilisation des données personnelles, les avancées scientifiques ne devant pas être détournées au nom de la logique dite « du mal nécessaire ». Au contraire, celles-ci doivent être mises au service de l’ensemble des citoyens, afin de rendre plus effectives encore les libertés d’expression et de communication.

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