La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L’ordre du jour appelle les questions à M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.
Nous commençons par le groupe UDI.
La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.
Ma question porte sur la problématique récurrente du permis de conduire. Les chiffres indiquent environ 107 000 défauts de permis au cours de l’année passée et 37 000 contraventions pour défaut du permis de conduire. Ce chiffre est alarmant quand on sait qu’il concerne 40 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans et que c’est cette tranche d’âge que l’on retrouve dans les statistiques d’accidents de la route, pour 25 % des accidents.
Que faire face à une situation où l’on constate des dizaines de milliers de défauts de permis de conduire et des jeunes qui sont sur nos routes sans avoir ni les capacités ni l’autorisation de conduire ? Cela doit appeler de votre part, de la part du Gouvernement une réaction, des mesures, des dispositions.
Aujourd’hui, vous le savez, le permis est à la fois trop long – certains attendent plus d’un an pour le passer – et trop cher – il faut compter en moyenne plus de 2000 euros, mais cela peut monter jusqu’à 5 000 ou 6 000 euros. Il y a quelques semaines, je vous avais interpellé, monsieur le ministre, sur une proposition de loi de réforme du permis de conduire. Vous m’aviez répondu que cela serait trop cher et mettrait en péril la qualité du permis.
Concernant le prix, j’appelle votre attention sur le fait que les jeunes qui attendent trois à quatre mois avant de passer le permis sont soumis à trois ou quatre heures d’entretien par mois, ce qui représente entre 500 et 700 euros alors que ma solution préconisait une heure de conduite pour un permis probatoire avec un organisme certificateur.
Votre deuxième argument portait sur le risque d’une baisse de qualité, mais, pour le brevet de pilote autorisant à emmener des passagers en avion, on passe bien par un moniteur agréé par le ministère des transports : pourquoi ce qui vaut pour les pilotes d’avion avec des passagers ne vaudrait-il pas pour le permis de conduire ?
Merci, monsieur le ministre, de nous rassurer en nous éclairant sur les solutions auxquelles vous travaillez et, à défaut, de nous indiquer quelles suites vous entendez donner à notre proposition de loi.
Monsieur le député Fromantin, vous posez un problème réel, qui touche avant tout les jeunes, à un moment important de leur vie, car le passage du permis représente l’accès à l’indépendance, l’entrée dans l’âge adulte. Il s’inscrit dans un contexte marqué par une nouvelle baisse des morts sur les routes – 3 250. Il faut donc explorer toutes les pistes qui permettent de sécuriser les jeunes. En région parisienne, nous avons constaté une augmentation du nombre de décès sur les routes, très souvent liés à des phénomènes d’incivilité, mais aussi de défauts de permis parmi les jeunes.
J’avais demandé à Mme Florence Gilbert, présidente de la commission jeunes et éducation routière du Conseil national de la sécurité routière, de faire un certain nombre de propositions et elle m’a présenté des mesures d’urgence. Ainsi, en 2014, une promotion de 25 inspecteurs du permis de conduire sera recrutée ; 60 000 examens supplémentaires pourront être organisés le samedi ou en fin de journée. En outre, afin de permettre aux inspecteurs en activité de faire passer davantage d’épreuves pratiques, l’épreuve théorique pourra être surveillée par des délégués et inspecteurs à la retraite. Voilà pour les mesures d’urgence. Nous allons par ailleurs regarder ce qui permet de réduire les délais.
En revanche, je ne crois pas que la piste d’une privatisation partielle de l’organisation du permis de conduire soit la bonne. Le permis de conduire est le premier examen de France avec plus de trois millions de candidats chaque année. Cet examen doit rester sous la responsabilité de l’État.
En ce qui concerne l’aspect financier, je crois que les pistes que vous évoquez ne feraient que renchérir le coût du permis. Mais nous devons faire preuve d’imagination. J’espère que le Conseil national de la sécurité routière – et j’invite, si cela n’a pas encore été fait, Mme Gilbert à vous rencontrer – réfléchira à d’autres dispositifs permettant d’aller au-delà des mesures d’urgence dont je viens de parler, mais aussi au-delà de ce que font beaucoup de collectivités territoriales, Je reste ouvert à d’autres types de propositions.
Cette séance nous donne l’occasion de dresser un premier bilan de la situation de la sécurité dans notre pays pour l’année 2013. L’Office national qui évalue l’évolution de la délinquance vient en effet de publier un certain nombre de chiffres. Or si, au cours de la période 2002-2012, l’on a constaté une baisse de la délinquance de 17 % – qui je le concède recouvrait des choses assez inégales –, les chiffres qui viennent d’être publiés sont inquiétants. Ils sont inquiétants quand on observe que les cambriolages augmentent de 6,4 % en zone de police et de 4,7 % en zone de gendarmerie, c’est-à-dire beaucoup plus vite qu’entre 2008 et 2012, quand ils progressaient de 2 à 4 % par an. Et, dans mon département de Seine-Saint-Denis, on assiste même à une augmentation de 8% cette année.
Ces chiffres sont inquiétants lorsque les vols à main armée contre les secteurs marchands, qui avaient baissé de 26,2 % de 2009 à 2012, augmentent cette année de 2 %. Inquiétants aussi lorsque les infractions liées aux trafics de drogue qui, en réalité, ne montrent que la partie émergée du trafic augmentent de 30 % alors qu’elles croissaient plus faiblement jusqu’à présent. Inquiétants enfin pour des faits qui peuvent toucher la vie quotidienne de chacun : les vols avec arme blanche et les vols à la tire augmentent de 5,5 % et 12,4 %, selon que l’on est en zone de police ou de gendarmerie. Entre 2008 et 2012, le nombre des vols à la tire étaient passés de 68 000 à 77 000 ; avec 10 000 vols de plus pour la seule année 2013, on recense désormais 87 000 infractions de ce type.
Monsieur le ministre, il ne s’agit pas du bilan de vos prédécesseurs, mais du bilan des premiers mois de votre action qui, certes, ont pu être difficiles. Qu’entendez-vous faire pour éviter que les cambriolages, le trafic de drogue, les vols à la tire et à main armée continuent de progresser dans notre pays ?
Monsieur Jean-Christophe Lagarde, pour vous connaître depuis longtemps, vous qui êtes le maire de Drancy – et pour ma part, j’ai été maire pendant onze ans –, j’attendais de vous, même si votre ton était très modéré, un peu plus de lucidité.
Partons d’un premier constat. Aujourd’hui, l’ONDRP donne des chiffres totalement indépendants. Monsieur le député, le fait d’avoir été dans la majorité, même si vous faisiez parfois preuve d’indépendance, ne doit pas vous faire oublier qu’il était nécessaire de sortir de la pratique du chiffre unique – vous l’avez admis vous-même – qui faisait en sorte que 130 000 faits étaient occultés chaque année. Malheureusement, le niveau de la violence sur les personnes ou l’explosion des cambriolages, notamment dans les résidences principales, sont des faits que nous connaissons depuis cinq ans. Je ne cherche pas à m’exonérer de mes responsabilités, mais je veux que l’on compare l’augmentation des violences sur les personnes depuis trente ans – aujourd’hui elles sont stabilisées, mais à un niveau bien trop haut – et l’augmentation des cambriolages depuis cinq ans.
Plutôt que de poser les questions dont le caractère partisan m’inquiète, surtout de votre part, je veux vous répondre sur le fait que la priorité est donnée à la lutte contre les vols à main armée, qui ont baissé en 2013, les cambriolages qui ont augmenté depuis cinq ans et encore tout au long de l’année 2013, mais qui ont stagné en zone de police lors du dernier trimestre de l’année écoulée, et baissé en zone de gendarmerie, là où l’impact est souvent le plus fort sur des populations qui n’étaient pas habituées ces dernières années à ce type de phénomènes.
Dans les zones de sécurité prioritaire, nous avons enregistré des résultats à la baisse pour les trafics de drogue, les cambriolages, les incivilités, les violences urbaines.
Bref, la politique, c’est s’appuyer sur de nouveaux effectifs, sur des mesures qui ciblent des thèmes ou des territoires pour obtenir des résultats. C’est difficile car il y a de la violence dans notre société, et je n’ai jamais caché cette réalité, mais c’est en nous fixant des objectifs que nous pouvons atteindre et en sortant de la politique du chiffre que nous répondrons à l’attente de nos concitoyens.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour poser sa seconde question.
Monsieur le ministre, vous avez raison de dire que nous nous connaissons depuis longtemps, mais je n’attends pas de vous que vous m’expliquiez les cinq dernières années, mais les vingt mois, qui relèvent de votre responsabilité. C’est de cela que vous devez répondre devant les Français.
Vous évoquiez l’élu de la banlieue parisienne que vous avez été. Or, vous protestiez alors contre l’inégalité de traitement entre Paris et le reste de la région quant aux effectifs de police alloués aux populations.
Je veux donc vous interroger sur des sujets plus locaux. Député de la Seine-Saint-Denis, je me souviens d’avoir entendu le président Claude Bartolone expliquer qu’il manquait quatre cents policiers en Seine-Saint-Denis : c’était avant le changement ! En 2013, on a enregistré 193 départs de gardiens de la paix en Seine-Saint-Denis pour seulement 131 arrivées, soit 62 postes de moins. Le président Bartolone doit ainsi penser que 462 policiers manquent aujourd’hui !
Dans ma circonscription, le commissariat de Bobigny, est passé en cinq ans de 195 policiers à 128. Certes, vous n’êtes pas le seul responsable.
Mais le travail ne peut pas se faire de la même façon à 128 qu’à 195. Dans ma ville de Drancy, on compte cette année seize départs et deux arrivées, soit quatorze postes en moins. Dans le même temps, 178 gardiens de la paix sont partis vers Marseille, pour laquelle l’attention médiatique a été plus forte, tandis que, si mes informations sont exactes, 170 fonctionnaires de notre département partaient pour les Bouches-du-Rhône.
Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur le fait qu’il y a toujours beaucoup plus de policiers à Paris alors qu’il n’y pas plus de délinquance à Paris que chez nous. Cela devient insupportable en termes d’égalité. Cette situation interpellait certains élus de notre département il y a quelques mois, elle continue de le faire. Permettez-moi de citer un dernier chiffre. Dans le 18e arrondissement, équivalent au premier district de Seine-Saint-Denis, arrondissement, le préfet a nommé cette année 80 gardiens de la paix. Or, le premier district, c’est Drancy, Bobigny, Bondy, Les Lilas, le Pré-Saint-Gervais, Romainville, Noisy-le-Sec et Pantin, excusez du peu : 327 000 habitants, 39 gardiens de la paix ! Nous avons déjà moins de policiers qu’à Paris, vous renforcez les effectifs à Paris, et, aujourd’hui, on laisse tomber la Seine-Saint-Denis.
Vous venez de faire, monsieur Lagarde, un numéro de mauvaise foi absolue !
Ne me tutoyez pas, surtout dans cet hémicycle ! Qui plus est, ici, vous n’êtes pas maire, mais député. Or, pendant cinq ans, vous avez voté des budgets de la sécurité qui réduisaient les effectifs de 13 700 postes de policiers et de gendarmes.
Et, depuis, vous n’avez pas voté les budgets qui augmentaient le nombre de policiers, de gendarmes et qui remplaçaient tous les départs à la retraite.
Alors ne venez pas, au nom de je ne sais quelle proximité avec le terrain, m’expliquer que vous êtes aujourd’hui préoccupé par la question des effectifs ! En outre, vous connaissez mal vos dossiers.
Et c’est cela qui m’inquiète.
La Seine-Saint-Denis a perdu 4 % de ses effectifs dans la période 2007-2012 quand Paris en a perdu 11 % et les Hauts-de-Seine, 8 %. Regardons les choses telles qu’elles sont. Nous avons tout fait pour minimiser les effets de la RGPP dont nous subissons toujours l’impact aujourd’hui, notamment en Seine-Saint-Denis : 2 045 gardiens de la paix ont été recrutés en 2013 et 983 d’entre eux sont sortis des écoles de formation en fin d’année dernière ; 120 viennent de rejoindre la Seine-Saint-Denis. C’est un effort important qui témoigne de l’attention que nous portons à ce département. De plus, des renforts d’unités de forces mobiles y sont régulièrement déployés, puisque nous sommes dans la zone d’agglomération de la préfecture de police.
Je souhaite que vous soyez attentif à ces faits. En revanche, je reconnais que nous devrons continuer à faire des efforts pour la Seine-Saint-Denis, compte tenu des problèmes spécifiques qui s’y posent. Mais ces efforts seront possibles grâce à ce Gouvernement. Cela n’était pas possible sous l’autre gouvernement, sous l’autre majorité.
Cela n’était pas possible avec vous, car vous étiez membre de cette majorité. Nous avons deux solutions : soit nous travaillons ensemble et de bonne foi en regardant les sujets concrètement ; soit, comme vos amis de l’UMP, vous faites du thème de la sécurité uniquement un sujet d’affrontement. Alors, je vous reprendrai de la manière la plus ferme, comme je viens de le faire. Il faut être au clair, honnête au plan intellectuel, surtout quand on veut protéger nos compatriotes. C’est ce Gouvernement qui fait de la sécurité, non seulement la priorité dans les mots, mais dans les actes, contrairement à vous, monsieur le député.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, je vais continuer à citer des chiffres même si le sens de ma question est un peu différent. Le préfet du territoire de Belfort a présenté jeudi dernier les chiffres de l’évolution de la délinquance dans le département. Les atteintes aux biens représentent 64,22 % des crimes et délits et, dans cette catégorie, ce sont les cambriolages qui augmentent le plus fortement avec une hausse de près de 23 % – 420 en 2013 contre 342 en 2012. La progression des vols hors cambriolages a été de 38 %, avec près de 300 plaintes supplémentaires, liées pour une large part au grand festival de rock que nous organisons, qui constitue pour nous une chance mais aussi un handicap d’une certaine manière. Quant aux atteintes à l’intégrité physique des personnes, grand sujet de préoccupation pour nous tous, elles ont progressé de 27 %. Il faut souligner que les violences dont les femmes sont victimes ont crû de plus de 22 %.
Au-delà de ces chiffres, j’aimerais évoquer le rôle que pourraient jouer les maires et les élus locaux puisque vous avez émis le souhait, monsieur le ministre, que nous puissions travailler ensemble. La volonté du groupe UDI est claire : en ce domaine comme dans d’autres, nous sommes prêts à oeuvrer pour dégager les bonnes solutions. Aujourd’hui, même si les maires sont officiers de police, les faits montrent que ce n’est qu’un titre : ils ont parfois bien du mal à obtenir ne serait-ce que des informations. Il importe de les impliquer davantage aux côtés des élus locaux, particulièrement dans les communes petites et moyennes. Ils ont un rôle à jouer que ce soit en matière de prévention, de diffusion de l’information ou encore, je ne dirai pas de sanctions, mais de rappel à la loi.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles mesures vous envisagez de prendre pour associer davantage les maires et les élus locaux afin que nous arrivions tous ensemble, comme c’est notre souhait commun, à combattre les problèmes de délinquance et d’incivilité.
Monsieur Zumkeller, je vous remercie du ton de votre question. Encore une fois, personne ne nie la réalité de la délinquance, notamment ce phénomène particulièrement préoccupant que sont les cambriolages, dus pour une grande part à ces razzias qu’opèrent des réseaux structurés venus de l’Est de l’Europe et des Balkans. Ces derniers mois, nous avons obtenu des résultats. Il nous faut poursuivre dans cette voie et approfondir la coopération, à l’échelle nationale, entre la police et la gendarmerie, et dans le cadre européen.
En vertu de la loi du 5 mars 2007, le maire pilote la politique de prévention de la délinquance. Il doit avoir les moyens de le faire, grâce notamment au fonds interministériel de prévention de la délinquance. Le rôle des polices municipales est aussi essentiel. La vidéoprotection reste une priorité, c’est un outil que les maires doivent être capables de mobiliser avec l’aide de l’État. Le FIPD a ainsi permis en 2013 de financer 359 projets et d’installer 3809 nouvelles caméras. Il faut continuer en ce sens.
Les zones de sécurité prioritaires, que nous n’envisageons pas dans une perspective de rupture avec le passé car l’idée que les maires et les élus participent à la définition de la politique de sécurité grâce à une véritable coproduction est ancienne, doivent être de véritables laboratoires où le maire, avec le préfet et le procureur, est un élément de la politique de prévention et de sécurité, en tant qu’acteur impliqué dans les différents services de la ville. C’est vrai dans les zones de police comme dans les zones de gendarmerie. À ce titre, j’ai demandé ces derniers jours aux policiers et aux gendarmes et à leurs responsables d’être particulièrement attentifs aux coopérations et aux partenariats que nous pouvons nouer avec les élus locaux.
Nous en venons aux questions du groupe écologiste.
La parole est à M. Sergio Coronado.
Monsieur le ministre, les fichiers de police judiciaire et administrative figurent parmi les instruments privilégiés dont disposent les pouvoirs publics pour assumer leur mission prioritaire de sécurité, qui est une garantie d’exercice de nos libertés. Dans la mesure où ils portent sur des données personnelles sensibles, il est nécessaire, indispensable même, qu’ils fassent l’objet de garanties juridiques fortes et d’un encadrement rigoureux afin de se prémunir contre de possibles défaillances techniques ou humaines et d’éviter, même en l’absence de défaillances, qu’ils ne deviennent une menace pour nos libertés.
J’ai interrogé récemment Mme la garde des sceaux pour lui manifester mon inquiétude devant l’ampleur prise depuis sa création par le fichier national automatisé des empreintes génétiques – plus connu sous le nom de FNAEG –, qui s’est enrichi, surtout depuis 2003, de prélèvements d’ADN qui ne paraissent pas justifiés, s’agissant notamment de militants. Dans sa réponse, la garde des sceaux a dit travailler avec vous « pour prendre en considération ces éléments et modifier aussi bien le fichier des empreintes digitales que le fichier des empreintes génétiques, dans le souci de concilier à la fois la protection des libertés individuelles et l’efficacité des enquêtes ».
L’ampleur prise par les fichiers de police judiciaire et administrative et leur utilisation font débat depuis leur création, ce qui a conduit les pouvoirs publics à procéder à des ajustements et aussi à la mise en place de groupes de travail. Un groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie, piloté par Alain Bauer, que vous connaissez bien, a ainsi remis à la ministre de l’intérieur le 11 décembre 2008 un rapport intitulé Mieux contrôler la mise en oeuvre des dispositifs pour mieux protéger les libertés. Il a recensé 45 fichiers différents et émis de nombreuses recommandations, dont certaines me paraissent extrêmement importantes : la mise en place d’un rendez-vous annuel technique, l’information des personnes relaxées ou acquittées qui font l’objet par décision du procureur d’une inscription au fichier, cette notification devant ouvrir la possibilité à recours.
Monsieur le ministre, êtes-vous favorable à une réforme de ces fichiers et dans quels délais ? Êtes-vous favorable à l’information des intéressés et à la création d’une voie de recours ?
Monsieur le député, vous évoquez deux traitements automatisés, deux fichiers, très différents.
Concernant le fichier automatisé des empreintes digitales, vous avez rappelé la décision rendue le 18 avril dernier par la CEDH. La Cour souligne que le décret créant le FAED, qui date de 1987, définit de façon trop imprécise le champ des infractions concernées et les modalités de conservation des données. Le Gouvernement a donc procédé à une modification de ce texte afin de ne pouvoir recourir à ce fichier que pour les crimes et délits. D’autre part, l’objectif est de garantir un droit effectif à l’effacement des données personnelles pour les personnes ayant bénéficié d’un acquittement, d’une relaxe, d’un classement sans suite ou d’un non-lieu. Dans ces hypothèses, l’effacement sera de plein droit à la demande de l’intéressé. Ces modifications ont fait l’objet d’un projet de décret en Conseil d’État, dont le ministère de l’intérieur a saisi le ministère de la justice en juillet 2013. Ce décret devra bien entendu recueillir l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques fait lui aussi l’objet d’un projet de modification, qui a été transmis à la Chancellerie et qui devra faire l’objet d’un examen par la CNIL. Il s’agit d’abord de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 16 septembre 2010 en prévoyant des durées de conservation distinctes en fonction de la gravité de l’infraction. Cette modification doit aussi permettre l’identification de cadavres anonymes, je pense ici aux victimes de catastrophe naturelle.
Vous avez évoqué le cas des militants politiques ou syndicaux fichés au FNAEG. Je rappellerai d’abord qu’ils le sont en vertu d’une condamnation pénale, le plus souvent pour violence ou dégradation de bien. Mais, comme l’a indiqué Alain Vidalies le 16 mai 2013 lors de l’examen du projet de loi sur l’amnistie sociale, de nouvelles perspectives de travail pourraient être envisagées afin de rétablir l’équilibre entre deux objectifs légitimes : la recherche des auteurs d’infraction, d’une part ; la protection des libertés individuelles, d’autre part.
Vous le savez, je suis très attaché, comme vous tous ici, aux valeurs qui fondent notre pacte républicain. C’est pourquoi je considère que la liberté syndicale est un principe fondamental, qui doit être garanti et protégé, même si le droit de manifester n’est pas le droit de tout faire. Nous vous tiendrons évidemment informé, monsieur Coronado. Je ne doute pas que vous continuerez de poser des questions. Nous sommes en train de parvenir, je crois, à un bon équilibre.
Monsieur le ministre, vous le savez, j’ai présidé la commission d’enquête parlementaire relative au suivi et à la surveillance des mouvements radicaux armés l’année dernière, preuve que les écologistes s’intéressent à tous les sujets de société. Faisant suite entre autres à la demande des familles de victimes de Mohamed Merah, nous voulions faire la lumière sur les possibles dysfonctionnements des services de renseignements et mieux connaître les réseaux concernés. La commission d’enquête avait conclu, après de très nombreuses auditions, que les services ne disposent pas des moyens suffisants pour pallier au mieux le risque terroriste et protéger les jeunes de l’embrigadement et de l’auto-radicalisation.
Le Président François Hollande affirme quant à lui la nécessité de « protéger nos jeunes » pour qu’aucun d’entre eux « ne se laisse entraîner » dans un tel combat. Alors que les médias s’émeuvent du cas de deux adolescents toulousains de quinze ans partis à l’insu de leur famille faire la guerre en Syrie, vous avez vous-même déclaré que « c’est le plus grand danger auquel nous devons faire face dans les prochaines années ». Je salue les propos du proviseur de l’établissement où sont scolarisés ces adolescents qui a déclaré « ce sont des victimes plus que des coupables ». C’est l’ensemble de la communauté éducative, avec les services sociaux, qui doit être sollicité, notamment pour progresser dans la connaissance des usages et des risques de l’internet. Nous devons élever le niveau de conscience des policiers, des professionnels présents dans les écoles, afin qu’ils puissent détecter le plus tôt possible les signes de radicalisation. Toutes les régions sont concernées. Mon département, le Gard, a ainsi connu ces derniers mois des arrestations de membres de réseaux
Je sais, monsieur le ministre, que vous attendez les conclusions du groupe de travail mené par le procureur général Marc Robert sur les techniques d’enquêtes et le traitement des plaintes et je souhaiterais savoir où en est la prise en compte des différentes préconisations pour que nous puissions agir et protéger nos jeunes.
Monsieur le député, vous évoquez un sujet délicat. Nous sommes en train de travailler avec la DCRI à l’élaboration de propositions nouvelles que je présenterai dans quelques jours au Président de la République. Vous avez raison de souligner la mobilisation de la société face à ce phénomène très préoccupant qui n’est pas que français. Plusieurs centaines d’Européens – sans doute 2 000 à 3 000 – sont aujourd’hui impliqués dans ces filières. À ce jour, 700 Français ou personnes résidant en France sont concernés : 250 se trouvent en Syrie et 21 sont déjà morts là-bas, dans les conditions que vous connaissez.
Cela exige un travail de police et de justice, mené en coopération à l’échelle de l’Europe, coopération que nous avons élevée à un très haut niveau avec ma collègue belge Joëlle Milquet et d’autres de mes homologues. Nous devons mener une réflexion particulière sur internet, qui suscite des processus de radicalisation particulièrement rapides, comme nous l’avons vu avec les deux jeunes Toulousains. C’est un sujet de préoccupation car ces phénomènes échappent au radar traditionnel des forces de l’ordre. Je vous rappelle enfin l’importance du travail de la justice : plusieurs dizaines de dossiers sont judiciarisés par des juges qui suivent particulièrement ces questions.
Il faut aussi compter sur le mouvement social de « contre-radicalisation », pour employer un terme qui ne fait pas partie de notre vocabulaire et qui est employé dans d’autres payas. Il doit permettre aux enseignants, aux associations, aux cultes, notamment au culte musulman, aux policiers, aux gendarmes de se mobiliser. C’est une bonne chose que nous parlions publiquement ici même de ce sujet qui a occupé les médias à la suite de l’affaire des deux adolescents : il faut qu’il y ait un éveil des familles, une prise de conscience face à ces phénomènes car ils sont susceptibles d’être détectés. Je dois rappeler à cet égard que nos services agissent souvent parce qu’ils ont été alertés par les familles. Il nous faudra mettre en place, en collaboration avec les élus locaux et les maires, des dispositifs d’alerte en ce sens. Nous aurons l’occasion d’en reparler très rapidement. Je me tiens à votre disposition, monsieur Cavard.
Nous en venons aux questions du groupe RRDP.
La parole est à Mme Annick Girardin.
La pression migratoire augmente, personne ne le nie. Plutôt que d’entretenir une vaine polémique sur la supposée baisse des éloignements d’immigrés illégaux, forcément aléatoires, ou sur la hausse des régularisations, elle aussi conjoncturelle tout en étant fondée sur des considérations juridiques et non sur le fait du prince, vous avez choisi, monsieur le ministre, d’engager une réforme audacieuse du droit d’asile.
La demande d’asile est bien évidemment, comme les autres procédures d’admission sur le territoire national, corrélée à la pression migratoire. Elle a connu d’importantes fluctuations et une très forte croissance ces dernières années. En 2012, la France était le deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile, derrière l’Allemagne, laquelle a connu une hausse de 45 % des demandes d’asile en un an. La répartition géographique de cette demande tant à l’échelle européenne que nationale s’effectue en fonction de critères comme la proximité avec les frontières ou le dynamisme économique d’une région et contribue à la désorganisation du système.
Un système qui, vous l’avez dit, monsieur le ministre, est à bout de souffle. Nous avons l’obligation – et il s’agit d’une obligation non pas morale, mais juridique et politique – de le réformer en profondeur. Nos collègues Jean-Louis Touraine et Valérie Létard vous ont remis le 28 novembre dernier un rapport qui dresse un sévère état des lieux et dessine les grands enjeux de la réforme à venir.
Au-delà du calendrier national, que nous vous invitons à préciser puisque le règlement « Dublin II » est directement applicable depuis ce mois de janvier, pouvez-vous nous exposer les contours de la réforme que vous envisagez et son adéquation avec le régime d’asile européen commun qu’il faudra peut-être, lui aussi, réformer ?
Merci, madame la présidente ; je sais que vous suivez ce dossier également. Madame la députée, vous avez dressé le constat, partagé par tous, que nous devons réformer, sauf à voir le droit d’asile lui-même remis en cause. Après la longue concertation menée par les deux parlementaires Jean-Louis Touraine et Valérie Létard avec l’ensemble des acteurs du droit d’asile – deux cents personnalités ont contribué à ce travail –, nous savons sur quelles bases le texte de loi, que je souhaite présenter au Parlement au cours de ce premier semestre, devra être construit.
La réduction des délais de réponse, conformément à l’engagement du Président de la République, est une priorité. Au-delà même des réformes déjà menées, nous savons qu’il faut aller plus loin concernant l’OFPRA, afin que le délai tourne autour de neuf mois. D’autres propositions doivent être explorées, comme le pilotage de manière plus directive des hébergements des demandeurs d’asile sur le territoire, avec notamment la question de la gestion de l’hébergement d’urgence. De même, les nouvelles garanties accordées au demandeur d’asile par les directives européennes ne seront pas oubliées.
Le projet de loi relatif à l’asile devra en outre transposer les différents textes européens. Le règlement Dublin III est, comme tout règlement, directement applicable et les consignes ont été données aux préfectures en ce sens. Quant à la disposition relative au recours suspensif, il sera proposé au Parlement de procéder par voie d’habilitation.
Enfin, la garantie des droits implique dans le même temps de faire preuve de fermeté vis-à-vis des déboutés, ceux qui n’ont plus le droit de séjour en France, soit environ 80 % des demandeurs d’asile aujourd’hui. Si nous partageons tous la volonté de sauver notre système d’asile, nous devons également intégrer le fait qu’on ne peut pas accepter un détournement du droit d’asile. Cela nous oblige ainsi à une réflexion au niveau européen.
Il s’agit maintenant de travailler ensemble. Ayant reçu tous les groupes parlementaires, j’espère que, sur ce sujet, nous saurons trouver ensemble les voies d’un consensus, sur la base des valeurs fondamentales qui sont les nôtres, avec un droit d’asile conventionnel, international, au coeur des valeurs de la république.
Monsieur le ministre, je vous pose cette deuxième question au nom de mon collègue Joël Giraud, député des Hautes-Alpes et par ailleurs président de la commission permanente du Conseil national de la montagne, qui ne pouvait être présent aujourd’hui.
Je ne suis donc pas devenue soudainement une spécialiste du secours en montagne, même si l’article 174 du Traité de Lisbonne reconnaît la nécessité d’adapter les politiques publiques tant à la montagne que dans les îles, dont je suis élue…
Les instances représentatives des massifs français ont été alertées par les représentants syndicaux des groupements d’hélicoptères de la sécurité civile, qui ont porté à leur connaissance leur inquiétude quant à un possible démantèlement de la flotte d’hélicoptères de secours du ministère de l’intérieur.
Eu égard à la réflexion actuelle sur l’évolution de la flotte et les perspectives de diminution pouvant conduire dans certains cas à une rupture capacitaire, étant donné également la réflexion concernant les implantations permanentes et les détachements saisonniers des bases d’hélicoptères de la sécurité civile, le groupe RRDP tient à réaffirmer d’une part son attachement au maintien du principe de gratuité du secours en montagne ainsi qu’au maintien du service public de secours en montagne, d’autre part, son exigence quant à l’adéquation des moyens humains et de matériels aux besoins constatés.
En ce sens, monsieur le ministre, le maintien de tous les détachements en montagne des bases d’hélicoptères de la sécurité civile, été comme hiver, est une priorité dont nous souhaitons que vous puissiez réaffirmer qu’elle est partagée par vous.
Enfin, une requête : il nous semble utile et important que les projets et réflexions actuelles sur le sujet du secours en montagne soient systématiquement présentés pour avis au Conseil national de la montagne.
Madame Girardin, vous êtes devenue en quelques minutes une spécialiste de la montagne…
Vous le savez, le dispositif existant fait cohabiter des acteurs présents depuis longtemps et qui sont tous de très grands professionnels : le peloton de gendarmerie de haute montagne, les CRS des sections de montagne, ainsi que des acteurs plus récemment engagés : les groupes « montagne » de sapeurs-pompiers.
Nous devons cependant encore fournir un effort important pour mieux définir le cadre d’action des différents services et mieux coordonner leur rôle : la situation budgétaire de l’État et des collectivités territoriales nous l’impose. Nous devons donc aller plus loin que la circulaire du 6 juin 2011, qui avait déjà permis des avancées notables concernant notamment une meilleure définition des opérations de secours, la centralisation des alertes et la régulation par le CODIS. Le rapprochement des formations, le rapprochement des écoles de montagne, la mutualisation logistique sont des objectifs que nous pouvons atteindre à court terme.
Cette mutualisation doit également concerner les hélicoptères, outils indispensables au secours en montagne – je tiens à le souligner – mais également à la lutte contre la délinquance. Le ministère de l’intérieur emploie deux flottes : celle de la gendarmerie nationale et celle de la sécurité civile. Elles sont toutes deux largement implantées en montagne.
J’ai souhaité qu’une réflexion approfondisse les possibilités de mise en commun de cette flotte sans mettre en cause l’identité de chacune de ces deux forces. La maintenance des appareils, l’entraînement et la formation des pilotes, doivent être plus largement partagés. Il s’agit également, dans la mesure du possible, de mieux répartir les hélicoptères sur l’ensemble du territoire national pour en optimiser l’utilisation.
L’architecture qui sera retenue, tant pour le secours en montagne que pour les conditions d’emploi des hélicoptères, répond à une logique de bon emploi des crédits publics, sans dégradation de la couverture du territoire ni diminution de notre capacité à porter secours aux populations.
Enfin, le Conseil national de la montagne a toute faculté pour procéder à des auditions. Mes services – la direction générale de la gendarmerie nationale et la direction générale de la sécurité civile – sont bien entendu à sa disposition s’il souhaite les entendre, afin d’avancer ensemble avec les élus.
Nous en venons au groupe de la Gauche démocrate et républicaine. La parole est à M. Marc Dolez.
Monsieur le ministre, je souhaite tout d’abord vous interroger, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le 19 janvier 2012 pour le placement en rétention d’une famille avec deux enfants en bas âge, sur la rétention d’étrangers mineurs.
Alors que toute rétention d’étranger mineur aurait dû cesser, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Défenseur des droits, un collectif de soixante professeurs de droit et de nombreuses associations de défense des droits de l’homme, la situation semble quelque peu différente. Certes, vous avez publié le 6 juillet 2012 une circulaire visant à restreindre le recours à la rétention administrative des familles, mais il ne s’agit là que d’une restriction et non d’une interdiction. J’ajoute que cette circulaire ne vise que les enfants accompagnés de leurs parents et ne dit rien du problème que constitue la rétention administrative des enfants étrangers isolés.
Je souhaite donc vous poser trois questions à ce sujet.
Première question : êtes-vous en mesure de nous indiquer précisément le nombre d’enfants placés en rétention depuis la circulaire du 6 juillet 2012 ?
Deuxième question : pouvez-vous nous donner un éclairage plus spécifique sur Mayotte, qui est exclue du champ de la circulaire ? Si l’on en croit la Cimade, des enfants et leurs parents sont enfermés chaque jour dans un centre de rétention jugé inhumain et dégradant.
Troisième question : pouvez-vous nous dire si vous entendez prendre des mesures concrètes pour garantir la conformité de nos pratiques administratives et des textes réglementaires à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Monsieur le député Marc Dolez, j’ai souhaité dès ma prise de fonction, conformément aux engagements du Président de la République, limiter strictement le placement en rétention des familles accompagnées d’enfants mineurs. C’est l’objet de la circulaire du 6 juillet 2012 que vous avez évoquée. Celle-ci proscrit le placement en rétention des familles comprenant des enfants mineurs et invite les préfets à systématiquement privilégier l’assignation à résidence. Je signale par ailleurs qu’aucun mineur isolé n’a été placé en rétention.
Cette procédure est conforme à nos engagements européens, notamment à la « directive retour » et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le Conseil d’État, saisi au contentieux, a validé cette circulaire, qui prévoit néanmoins quelques cas résiduels dans lesquels une famille peut être placée en rétention – je tiens à les rappeler : lorsqu’elle a fait obstacle volontairement à une mesure d’éloignement, ou lorsqu’elle est interpellée après avoir fui son assignation à résidence.
Ce sont des cas limités : seules dix-huit familles ont été placées en rétention depuis l’adoption de la circulaire, soit plus de dix fois moins qu’avec les pratiques antérieures.
En outre, les premiers retours dont je dispose démontrent que l’assignation à résidence pourrait être une mesure aussi efficace que la rétention administrative pour permettre l’éloignement d’étrangers en situation irrégulière. Elle est bien moins traumatisante pour l’étranger concerné et moins attentatoire aux libertés.
Afin de faire de l’assignation à résidence une alternative plus systématique au placement en rétention, je proposerai prochainement dans le cadre d’un projet de loi relatif à l’immigration, que je ne confonds pas avec celui concernant le droit d’asile, un dispositif législatif qui sécurise davantage cette procédure.
Enfin, pour ce qui concerne Mayotte, qui a fait l’objet de plusieurs missions parlementaires et administratives, le centre de rétention administrative, qui a déjà bénéficié de travaux provisoires, sera totalement rénové en 2015. De plus, je suis en train de préparer une ordonnance qui va refondre le droit au séjour, question très délicate.
Ma deuxième question, monsieur le ministre, porte sur les effets de la révision générale des politiques publiques, qui se sont fait durement sentir sur les emplois des préfectures et des sous-préfectures : entre 2009 et 2012, 2 582 emplois équivalents temps plein ont été supprimés au titre du programme « Administration territoriale ». En conséquence, dans plusieurs préfectures et sous-préfectures, les effectifs sont aujourd’hui tellement insuffisants que certaines missions ne peuvent plus être remplies, le taux de non-remplacement des départs à la retraite pouvant atteindre 85 % !
Nous faisons face à un problème excessivement grave au regard du respect de nos principes constitutionnels de continuité du service public et d’égalité devant le service public.
Monsieur le ministre, ma question est simple : comment appréhendez-vous cette réalité, sachant que la définition des missions et de l’organisation des sous-préfectures ne saurait évidemment pas s’opérer au détriment des citoyens ? Par ailleurs, quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour assurer le respect des principes constitutionnels que je viens de citer ?
Monsieur le député, au travers de mes nombreux déplacements sur le terrain, partout en France, je mesure comme vous le besoin d’État, besoin qui s’exprime par l’attachement tant des élus, des acteurs économiques et sociaux que de nos compatriotes au réseau des sous-préfectures. Elles sont, dans les territoires, le lien le plus évident avec l’État. Je l’ai dit souvent et je le répète : je crois en l’avenir des sous-préfectures comme l’un des lieux où se crée, où se joue la cohésion de notre nation, de notre territoire.
Cet échelon de notre organisation administrative n’est donc aucunement remis en cause. Les sous-préfectures, au niveau infra-départemental, sont, avec les préfectures, les éléments de la colonne vertébrale de notre État. Vous avez parlé de continuité territoriale, je vous réponds clairement : dans tous les territoires, l’État restera présent. Mais il faut dire les choses clairement : la condition de la pérennité de ce réseau de sous-préfectures, c’est l’adaptation de ses missions et de son organisation.
J’ai donc demandé aux préfets des régions Alsace et Lorraine, à titre expérimental, de me faire des propositions pour faire évoluer, d’ici le 1erjanvier 2015, le réseau, particulièrement dense, hérité de l’histoire, des départements mosellan et alsaciens.
Au-delà, nous engageons également le regroupement des services de l’État à l’échelle infra-départementale. Ce regroupement, au sein de maisons de l’État, doit naturellement se faire autour des sous-préfectures. Il y a un objectif d’efficacité, bien sûr, puisque ces regroupements permettront des économies d’échelles significatives. Mais l’enjeu, c’est aussi d’affirmer, en un lieu unique, la présence de l’État dans un territoire, de rendre son action plus visible et plus lisible pour nos concitoyens.
Enfin, je ne méconnais pas les effets de la RGPP et, même si la police et la gendarmerie sont prioritaires en termes d’effectifs, ainsi que je le rappelais tout à l’heure à M. Lagarde, je reconnais qu’il y a une diminution des effectifs dans le réseau des préfectures et des sous-préfectures, même si elle s’est opérée d’une manière moins forte. Nous ne pouvons sans doute pas aller plus loin, parce que cela signifierait une remise en cause des services publics, auxquels je suis très attaché. Nous ne pourrons assurer leur pérennité, au-delà des changements que j’ai évoqués, qu’avec des agents – cela fera partie des discussions qui, sous l’autorité du Premier ministre, vont avoir lieu dans le cadre de la préparation du projet de loi de finance pour 2015. Je tiens à cette occasion à saluer l’engagement de ces agents, que je rencontre régulièrement et dont nous avons pu encore une fois mesurer la qualité lors des différentes calamités et catastrophes naturelles que notre pays vient de connaître.
Nous en venons aux questions du groupe SRC.
La parole est à M. Pascal Popelin.
Monsieur le ministre, les chiffres sont des innocents qui peuvent tout avouer sous la torture. De ce point de vue, ceux de la mesure de la délinquance ont été tourmentés avec raffinement au cours des deux précédents quinquennats puisque, nous le savons maintenant, environ 130 000 faits ont été dissimulés chaque année. Cette pratique n’a cependant pas abusé les Françaises et les Français.
Dès votre prise de fonction, vous avez considéré que ce n’est pas en rusant avec le thermomètre qu’il est possible de régler les questions de sécurité dans notre pays et vous avez souhaité la vérité des chiffres. Ceux de l’année 2013, rendus publics la semaine dernière par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, font état, de manière enfin objective, de résultats encourageants mais aussi contrastés.
Encourageants, parce que les actions que vous avez engagées commencent à porter leurs fruits. Chaque jour, de nouvelles victoires, à mon avis insuffisamment relayées, sont engrangées sur le terrain et je veux ici saluer le travail et l’efficacité des policiers et des gendarmes, dont la tâche et les conditions d’exercice de leurs missions ne sont pas aisées, tant ils ont souffert des effets de la fameuse Révision générale des politiques publiques, si chère à la précédente majorité.
Jean-Christophe Lagarde, qui nous a déjà quittés, semble l’avoir oublié…
Mais nous constatons aussi qu’en 2013, la part importante – et qui n’a cessé de croître ces dernières années – des cambriolages dans les faits de délinquance s’est confirmée. C’est le cas en particulier dans ma circonscription. J’ai bien conscience que vous n’allez pas vous-même monter la garde devant le domicile de chaque Français – mais cela ne semble pas évident pour tous… – et que vous n’avez pas non plus la possibilité d’y placer un policier et un gendarme. Toutefois, je souhaite que vous puissiez rappeler les moyens que vous avez engagés afin de contribuer au recul durable de ces délits, dans nos villes comme dans les territoires ruraux.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur Popelin, vous avez raison : il faut partir de la vérité des chiffres pour fixer des objectifs ciblés afin d’atteindre des résultats. C’est le cas dans les quatre-vingts zones de sécurité prioritaires où nous apportons des changements profonds. C’est vrai aussi, et vous connaissez parfaitement ce sujet, en Seine-Saint-Denis, en matière de lutte contre la drogue. Dans ce département, les forces de l’ordre ont mis en cause 12 000 trafiquants en 2013, soit 900 de plus que l’année précédente.
Quant aux cambriolages, je l’ai rappelé tout à l’heure, ils ne cessent d’augmenter. Ils ont progressé de 18 % de 2007 à 2012, dont 44 % pour les résidences principales. Je rappellerai les chiffres année par année. En 2011, ils ont augmenté de 17,1 %, en 2012 de 8,45 % et en 2013 de 4,75 %. Au premier semestre 2013, l’augmentation est de 9,59 %, contre 0,58 % au second semestre car nous avons lancé ce plan national que j’ai annoncé au mois de septembre dernier qui vise à lutter contre ce phénomène de manière résolue en mobilisant les policiers et les gendarmes dont je veux, moi aussi, saluer l’engagement. Ce plan vise à assurer une occupation renforcée de la voie publique. Il redéfinit une stratégie de police judiciaire ciblée sur les délinquants d’habitude et les filières structurées. J’ai d’ailleurs rencontré ce matin l’ensemble des responsables de la police judiciaire pour leur rappeler qu’il s’agit d’une priorité. Nous savons que la délinquance itinérante, notamment celle de groupes criminels organisés issus de différents pays – Albanie, Géorgie, Roumanie, Tchétchénie – est au coeur de cette nouvelle délinquance. Très mobiles, ils organisent de véritables raids.
Nous assistons à une inversion des tendances en zone de gendarmerie avec une baisse de 1,2 %, même si l’on note une hausse en zone de police mais elle est moindre puisqu’elle atteint 2,6 %. Nous devons poursuivre ce travail et je suis convaincu que nous allons aboutir à des résultats. Là aussi, c’est la démonstration que les chiffres de la délinquance ne sont pas là pour polémiquer, pour faire des comparaisons absurdes mais pour se donner des objectifs et rendre plus efficace l’action de la police et de la gendarmerie.
Monsieur le ministre, la modernisation de l’action publique est une priorité du Gouvernement. L’abrogation du conseiller territorial, la parité dans les futurs conseils départementaux ou le non-cumul des mandats démontrent le volontarisme du Gouvernement en la matière.
Toutes les études sérieuses le montrent et la dernière, du CEVIPOF, n’y déroge pas : Il y a une sorte de défiance de nos concitoyens envers leurs représentants. Nous devons donc travailler à rapprocher les citoyens de leurs institutions, de leurs élus, de leurs administrations.
Récemment nous avons voté des dispositions prenant en compte certains territoires délaissés, en équilibrant les zones géographiques de faible et de forte densité de population. Ce rééquilibrage du poids démographique des cantons en particulier permet d’atténuer les distorsions entre ces derniers et de renforcer l’égalité de nos concitoyens devant le suffrage. Oui, cette prise en compte des bassins de vie et ce redécoupage des cantons contribuent à asseoir le principe d’égalité devant le suffrage nécessaire au bon fonctionnement de notre République.
Monsieur le ministre, alors que les départements viennent de donner leur avis quant à ce rééquilibrage démographique, pouvez-vous nous exposer les grands principes qui ont présidé à cette réforme ?
Monsieur Mallé, vous avez dit l’essentiel en rappelant vous-même ces principes que sont l’instauration de la parité et la garantie de l’égalité du suffrage. Les effets en seront très concrets. Dans votre département des Yvelines, l’écart entre le canton le plus peuplé et le moins peuplé est de un à quatre aujourd’hui. Dans nombre de départements, les écarts étaient bien supérieurs puisqu’ils étaient de un à quarante-sept. Demain, la voix de chaque électeur aura partout la même valeur. Toujours dans les Yvelines, seulement cinq conseillers généraux sur trente-neuf sont des femmes ; demain, elles seront vingt et une. Au niveau national, 13,5 % de femmes seulement sont élues dans nos conseils généraux. Ce sont ces principes démographiques et de parité qui s’imposent.
Les critères qui guident ce redécoupage sont très clairs : ce sont ceux qu’a définis le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence. Le redécoupage se fonde donc d’abord sur le respect du critère démographique. Sont bien sûr pris en compte au maximum l’intercommunalité et les bassins de vie, la montagne, les îles.
À ce jour, tous les départements ont été saisis du projet de nouvelle carte et quatre-vingt-sept d’entre eux se sont prononcés. Après la consultation de l’assemblée départementale, ces projets sont transmis au fur et à mesure au Conseil d’État, qui examine leur conformité aux principes qui figurent dans la loi et dans la décision du Conseil constitutionnel. D’ores et déjà, le Conseil d’État a rendu un avis favorable à soixante-cinq décrets, avec parfois quelques légères modifications. Nous sommes au bout de ce parcours d’une loi qui change profondément. Oui, la parité, le principe démographique, l’égalité de tous devant le scrutin constituent une véritable révolution démocratique. Je suis très fier d’avoir porté, grâce au soutien de la majorité, ce texte de loi.
Monsieur le ministre, le 3 janvier dernier vous confirmiez par une circulaire notre ambition d’améliorer significativement l’accueil des étrangers dans les préfectures. Ceci témoigne en actes d’une politique enfin respectueuse en matière d’accueil des étrangers. Il y a eu notamment un travail de formation spécifique des agents, ce qui leur permettra d’assurer avec efficacité leurs missions.
Cette circulaire est un progrès et concrétise un certain nombre de propositions issues des travaux parlementaires menés sur le sujet. Je pense à l’excellent rapport de Matthias Fekl. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner des éléments d’appréciation de son application ?
En outre, parce que le seul rattrapage des erreurs passées ne saurait suffire, il est nécessaire de nous projeter dans l’avenir, afin que notre politique d’immigration soit à la hauteur de nos valeurs. Sommes-nous donc prêts, par exemple, à établir des titres pluriannuels de séjours pour l’ensemble des étudiants étrangers ? Comment envisagez-vous de poursuivre l’amélioration de la qualité de notre accueil en préfecture ?
Enfin, allez-vous mettre en actes, pour ces hommes et ces femmes, immigrés retraités, au-delà de la juste reconnaissance de leur contribution à notre histoire et notre économie, certaines des propositions de la mission parlementaire conduite sur le sujet ? Je pense notamment à des guichets spécifiques dans les préfectures ou à la possibilité, pour les personnes ayant effectué plusieurs renouvellements de carte de résident, d’obtenir un statut de résident permanent.
Madame Chapdelaine, nous avons évoqué ces questions il y a quelques semaines, lorsque je me suis rendu au service accueil des étrangers à la préfecture de Rennes. Mon objectif est clair et j’essaie de le partager avec vous : il faut que nous disposions d’un service public qui accueille dignement ses usagers étrangers et d’une administration qui apporte une réponse objective, équitable, personnalisée et dans des délais raisonnables. Il s’agit là de restaurer l’image du service public dont j’ai parlé tout à l’heure avec M. Dolez, car il y va de l’image de notre pays.
J’avais souhaité, dès mon arrivée, dresser un constat objectif, ce qui a été fait dès 2012 par l’Inspection générale de l’administration. C’est sur ce fondement et en créant une Mission nationale d’appui des préfectures, que des progrès importants ont été réalisés.
Différents outils réglementaires ont été mobilisés, visant à ne pas multiplier inutilement les déplacements en préfecture. Je citerai notamment la durée du premier récépissé « asile » portée de trois à six mois ou la généralisation à six mois du premier récépissé « titre de séjour ».
Pour répondre plus précisément à vos questions, j’indique que la carte de séjour permanent pour les immigrés de plus de soixante ans a été généralisée dès le premier renouvellement de leur carte de résident. Par ailleurs, les cartes de séjour pluriannuelles sont devenues la norme pour les étudiants en maîtrise et doctorat. Je le rappelle, mais vous le savez puisque c’est le cas à l’université de Rennes, nous délivrons les titres de séjour aux étudiants sur les campus puisque nous voulons favoriser, après l’abrogation de la funeste circulaire Guéant, l’accueil des étudiants dans notre pays.
Enfin, le projet de loi relatif à l’immigration qui sera déposé au Parlement proposera la généralisation du titre de séjour pluriannuel, sur la base du rapport de Matthias Fekl, pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière et alléger les tâches des préfectures. D’autres outils sont en cours de déploiement au plan pratique : le développement des procédures en ligne, la généralisation des prises de rendez-vous par Internet, l’information diffusée aux usagers par SMS, la simplification et l’uniformisation des listes de pièces justificatives à fournir dans le cadre des dossiers de demande de titre de séjour.
Enfin, une circulaire et une directive nationale d’organisation ont été diffusées aux préfets le 3 janvier dernier. J’attends qu’elles soient appliquées dans chaque préfecture et produisent rapidement des résultats concrets et mesurables. On peut mener une politique ferme d’application du droit dans la gestion des flux migratoires mais, en corollaire, il faut une politique d’accueil des étrangers digne et respectueuse des droits et des personnes.
Le dispositif des zones de sécurité prioritaires voulu par le Gouvernement commence à faire ses preuves. En effet, les premiers résultats des soixante-quatre zones sont encourageants en ce qui concerne les mises en cause pour trafic de stupéfiants ainsi que les vols avec violence et les violences urbaines.
Quant au nombre de cambriolages, s’il augmente depuis cinq ans, il connaît un recul de 2,5 % dans les dix-neuf ZSP qui en ont fait leur priorité.
Il faudra certainement rappeler longtemps à nos collègues de l’opposition, qui sont nombreux à être amnésiques, que la droite et l’ancienne majorité…
…ont diminué les effectifs des forces de l’ordre en détruisant 13 700 postes entre 2007 et 2012 tout en alimentant un discours sur la prétendue efficacité d’une politique de sécurité fondée sur le chiffre. Voulant faire plus avec moins, elles ont, en outre, dénaturé la réponse pénale par une inflation législative extrêmement pauvre en résultats. J’en veux pour preuve le bilan chiffré de la dernière enquête « Cadre de vie et sécurité » de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales qui a révélé une augmentation du sentiment d’insécurité chez nos concitoyens au cours de la période pendant laquelle l’ancienne majorité a gouverné. C’est la raison pour laquelle, la mission d’information relative à la lutte contre l’insécurité sur tout le territoire, que je préside et dont Philippe Goujon est le vice-président…
…contribuera à évaluer le travail entrepris pour réduire la criminalité dans les zones de sécurité prioritaires mais également dans les territoires qui n’en sont pas pourvus. Vous avez vous-même, monsieur le ministre, chargé le préfet Lambert d’une mission d’évaluation des ZSP, la mission d’information l’ayant auditionné hier. Nous considérons avec lui que les ZSP sont et doivent être des laboratoires permettant de relancer la coproduction de la sécurité entre les différents acteurs chargés de lutter contre la délinquance. Nous estimons également qu’il ne peut y avoir une politique efficace et durable de sécurité sans une politique forte de prévention de la délinquance. Là aussi, dans ce domaine, les ZSP peuvent être un laboratoire.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner votre appréciation du fonctionnement des ZSP, en particulier de leur dimension partenariale avec les élus, qui est fondamentale ? Quelles perspectives proposez-vous pour renforcer la prévention de la délinquance, pilier indispensable de la réussite du dispositif ?
Sourires.
C’est vrai aussi pour les réponses, mais M. Blazy a presque tout dit : ma réponse sera donc contenue dans les deux minutes.
Les résultats sont là et c’est l’essentiel.
Les cambriolages reculent dans les zones de sécurité prioritaires, mais aussi les violences urbaines, les vols avec violence et les trafics de stupéfiants. La méthode est la bonne et il faut donc continuer.
Vous avez parlé de « laboratoire » ; c’est effectivement la grande force de la méthode mise en oeuvre dans les ZSP, qui redonne tout son sens à l’initiative locale et au partenariat, même si c’est inégal : je pense que le préfet Lambert vous l’a dit.
Tous les savoir-faire et toutes les compétences doivent être mobilisés autour d’objectifs précis, ancrés dans la réalité des territoires. Ma circulaire du 30 juillet 2012 l’indiquait bien : les partenariats doivent s’étendre aux questions de prévention en rassemblant les forces de l’ordre, les maires, l’éducation nationale, la justice, le tissu associatif, les bailleurs sociaux, qui travaillent tous ensemble sur des objectifs précis, comme le décrochage scolaire, la lutte contre la récidive ou le suivi individualisé des jeunes exposés à la délinquance. Par exemple, dans la ZSP de gendarmerie de Saint-Gilles-Vauvert, dans le Gard, une cellule de suivi individualisé permet de détecter individuellement les mineurs donnant des signes de dérive et de pouvoir ainsi développer une politique partenariale, pro-active, à leur égard.
On voit donc bien, monsieur le député, le rôle essentiel que les élus sont appelés à jouer. Je le rappelais tout à l’heure, le maire pilote la politique de prévention de la délinquance. Lorsqu’il dispose d’une police municipale, des actions coordonnées très constructives peuvent être engagées avec les forces de l’ordre.
Je m’appuierai sur les évaluations du préfet Lambert, mais aussi sur les préconisations de votre groupe de travail, car les ZSP ne doivent pas être figées, comme le sont trop souvent les dispositifs que nous créons. Certaines ne seront pas pérennes : c’est comme cela que nous gagnerons en efficacité.
Monsieur le ministre, les enquêtes d’opinion indiquent que nos compatriotes portent une appréciation globalement favorable sur les services publics de police et de gendarmerie, dont chacun sait qu’ils assument une mission difficile, sensible et parfois dangereuse. Nous savons aussi que la relation entre la police et la population n’est cependant pas toujours exempte de difficultés ni de tensions.
Vous avez déjà fait beaucoup pour renforcer ce lien indispensable à notre pacte républicain. Je pense au nouveau code de déontologie, en vigueur depuis le 1erjanvier de cette année, qui consacre un titre aux relations entre la police, la gendarmerie et les citoyens. Je pense à l’obligation de vouvoiement, aux conditions d’usage des menottes ou de mise en oeuvre des contrôles d’identité, qui doivent concilier le respect de la dignité de la personne avec l’efficacité et la sécurité des fonctionnaires qui appliquent ces procédures, dans des conditions parfois compliquées. Je pense au matricule, de nouveau identifiable sur les uniformes ou les brassards, ou au dispositif encore expérimental des caméras-piétons. Je pense à la possibilité de saisine directe de l’Inspection générale de la police nationale que vous avez réformée, mais aussi au système de pré-plainte en ligne.
Au-delà de ces avancées très importantes, j’ai la conviction que l’amélioration des relations entre les forces de l’ordre et la population passe également par l’amélioration de la formation des personnels de sécurité, qui sont trop souvent confrontés à des situations sensibles.
Pour avoir participé, en février dernier, aux Assises de la formation de la police nationale, je sais votre attention à cet aspect. Pouvez-vous, à ce titre, nous donner des précisions quant à vos orientations en matière d’augmentation des volumes horaires de formation, de multiplication des mises en situation et de consultations citoyennes ?
Merci, monsieur Popelin. Vous connaissez très bien ces sujets et vous avez rappelé certaines des mesures engagées : la réforme de l’inspection, la publication du nouveau code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie, l’expérimentation des caméras-piétons, le port d’un numéro d’identification sur l’uniforme – qui existait déjà auparavant – ou encore la généralisation de la pré-plainte en ligne.
Il s’agit d’un ensemble cohérent qui porte en germe de véritables changements. Cependant, vous avez raison, il est indispensable d’accompagner cette réforme d’un travail en profondeur sur l’évolution des pratiques professionnelles, des incompréhensions pouvant parfois naître.
Dans cette perspective, la formation des policiers et des gendarmes a été largement revue. Outre l’augmentation des volumes horaires consacrés aux relations avec la population et à la déontologie, les mises en situation pratique, comme les simulations de contrôle d’identité, ont été multipliées. Les acquis sont scrupuleusement contrôlés au cours de la formation.
Concernant la police nationale, vous avez évoqué les Assises de la formation auxquelles vous avez assisté. Elles ont constitué un moment important car, à partir de consultations citoyennes mais aussi de contributions de personnalités qualifiées, sociologues, chercheurs, élus, ces Assises ont permis de revoir en profondeur la formation des policiers. Désormais, la déontologie et le discernement font l’objet de vingt-quatre heures dans le module de formation des gardiens de la paix. Pour les officiers qui, en tant que cadres, ont un rôle essentiel à jouer, le volume des enseignements est porté à quarante heures.
Je termine en précisant que le code de déontologie est remis solennellement aux élèves au cours d’un cérémonial qui vise à marquer profondément le fonctionnaire de police. Tout cela, nous le faisons, non pour créer des conditions de défiance à l’encontre des policiers, mais pour améliorer l’efficacité du travail de la police, car une police en confiance gagne en efficacité.
Enfin, et c’est important dans la crise de confiance que traverse notre pays, je veux dire combien je me félicite que les policiers et les gendarmes qui font un travail particulièrement difficile, parfois, au prix de leur intégrité physique, voire de leur vie, bénéficient d’un soutien aussi large dans le pays. C’est aussi un gage de réussite. C’est pourquoi nous devons leur donner des moyens en effectifs, ainsi que des moyens techniques et scientifiques : c’est ce que fait ce Gouvernement, avec votre soutien.
Nous en venons au groupe de l’Union pour un mouvement populaire. La parole est à M. Philippe Goujon.
À Paris, les atteintes aux biens progressent de 10,6 %, ce qui fait 16 000 faits supplémentaires, avec 36 % d’augmentation pour les cambriolages et 12 % pour vols avec violence.
En même temps, la présence policière sur la voie publique baisse de 10 % et les infractions révélées par l’activité des services, de 31 %, dont près de 90 % pour les infractions à la législation sur les étrangers.
Pourtant, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, un tiers des multi-mis en cause à Paris sont étrangers, dont une moitié de Roumains, et à près de 90 % des mineurs.
Si, comme vous l’avez justement déclaré, monsieur le ministre, ces populations ont vocation à s’insérer dans leur pays d’origine, comment allez-vous y parvenir ?
Alors que le gouvernement précédent a équipé la capitale d’un millier de caméras de voie publique, ce qui a permis d’interpeller 6 500 délinquants, je propose pour ma part une deuxième tranche, avec son élargissement à toute la zone de police d’agglomération.
L’État ayant financé 98 % du plan actuel, la Mairie de Paris pourrait, ainsi que la région, les départements, partager la charge et équiper aussi les grands ensembles immobiliers sensibles, ce à quoi la Ville de Paris s’est toujours refusée jusqu’à présent.
Les ZSP dont parlait notre collègue Blazy, reprises des périmètres de sécurité renforcée, obtiennent des résultats. La quasi-totalité des nouveaux effectifs y sont affectés, au risque de créer un Paris de la sécurité à deux vitesses – surtout avec les phénomènes de déport, qui ne sont pas négligeables.
Comment mieux réprimer le millier de multi-réitérants à l’origine d’une bonne partie de la délinquance, alors que les réponses pénales manquent ? Elles risquent même de s’affaiblir dangereusement si vous décorrectionnalisez les désordres de voie publique qui gâchent la vie quotidienne des Parisiens : occupation des halls d’immeuble, vente à la sauvette, mendicité agressive, trafics en tous genres…
Une nouvelle flambée de la drogue est même quasi-programmée, avec l’ouverture prochaine de salles de shoot à Paris qui, ajoutée à la révision obligée de la loi de 1970, va aboutir à une dépénalisation de fait du cannabis dans notre pays.
Est-ce bien raisonnable alors que, selon un rapport des préfets datant de quelques jours, mais révélé ce matin, « entre exaspération et découragement, policiers et gendarmes ont le sentiment d’être condamnés à remplir le tonneau des Danaïdes, et ce en raison du peu de suites pénales des interpellations effectuées » ?
Je reconnais que M. Goujon s’est montré particulièrement modéré…
Je n’en doute pas un seul instant.
À Paris, c’est une lutte en profondeur qui est menée contre les phénomènes qui affectent le plus les Parisiens. Nous devons y être très attentifs.
Le nombre de violences aux personnes est contenu pour la deuxième année consécutive, même s’il reste à un niveau très élevé. Néanmoins, la progression de 5,4 % des violences crapuleuses a justifié la mise en place de plans d’action spécifiques, notamment en faveur de la sécurité des touristes : au Louvre, au Trocadéro, près de la tour Eiffel. Ils donnent des résultats.
Quant aux cambriolages, leur rythme de progression mensuel a été divisé par quatre entre janvier et novembre, et une baisse encourageante du nombre de ces faits a même été enregistrée en décembre.
La création de trois ZSP situées dans Paris permet, enfin, de s’attaquer à une délinquance ancrée, connue de tous et insupportable pour les habitants. Aucun quartier, bien sûr, n’est oublié. Nous devons nous engager partout, comme dans n’importe quelle ville.
Je voudrais, en terminant, être précis : depuis la mise en place de la police d’agglomération à Paris, en 2009, le nombre de policiers a chuté de 1 500 dans le seul ressort de Paris.
Ce sont 15 % des effectifs des commissariats qui ont disparu. À l’opposé de cette politique, les commissariats parisiens comptent, depuis le mois de décembre, 332 jeunes nouveaux gardiens de la paix.
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que, face à des phénomènes que vous décrivez très bien, au-delà des fantasmes sur la drogue ou le cannabis, car vous connaissez la position du Gouvernement qui est très claire…
Ne mélangez pas, c’est un autre sujet.
Quand on met moins de policiers sur le terrain, la délinquance, elle, augmente. Par ailleurs, concernant les chiffres de la délinquance, nous avons assisté à Paris à un véritable nettoyage statistique qui a été confirmé par un rapport de l’Inspection générale de l’administration. Prenant l’exemple du XVIIe arrondissement – je ne parle pas du XVe, vous le voyez –, ce rapport signale 6 686 faits non pris en compte dans les statistiques de l’année 2012 ! Alors, monsieur Goujon, nous en parlons souvent : je pense que sur les questions de sécurité, il faut être sérieux. Ensemble, nous pouvons nous attaquer aux véritables phénomènes de délinquance en mobilisant l’ensemble des moyens. La vidéo-protection en fait partie. C’est en mettant des effectifs sur la voie publique que nous ferons reculer, à Paris comme ailleurs, l’insécurité et la délinquance.
Monsieur le ministre, votre Gouvernement souhaite procéder à un choc de simplification. Je voudrais donc appeler votre attention sur un point et vous donner l’occasion de procéder à une réforme qui faciliterait grandement la vie des Français expatriés et qui ne coûterait rien. Il s’agit de remédier aux tracas administratifs liés aux permis de conduire.
En effet, les démarches de renouvellement de permis de conduire français ou international sont bien trop contraignantes et ne tiennent pas compte des spécificités liées à l’expatriation.
Par exemple, pour tout renouvellement de permis de conduire à validité limitée pour raison médicale, il est exigé une visite auprès d’un médecin agréé de la préfecture de résidence. Quand on habite Shanghai ou Hong-Kong et qu’il faut aller à Nîmes ou à Rennes, vous déduirez comme moi ce qu’on en pense.
Ne serait-il pas plus raisonnable d’accepter une visite médicale auprès d’un médecin agréé par l’ambassade de France dans le pays de résidence ? Une réforme qui ne coûterait rien.
Autre difficulté pour nos compatriotes : en cas de perte ou de vol, les préfectures refusent de délivrer un nouveau permis aux Français établis dans les pays qui n’ont pas d’accord d’échange avec la France. Dans ce cas, l’obtention du permis local constitue la seule solution. Sans compter qu’ils devront repasser leur permis français s’ils reviennent ! Et, pour obtenir un permis chinois, si vous ne parlez pas le chinois, je vous souhaite du courage !
En ce qui concerne le permis international, pour en obtenir un ou le renouveler, il est nécessaire de fournir aux autorités françaises une adresse en métropole. Or, vous vous en doutez monsieur le ministre, certains Français de l’étranger ne sont plus en mesure de le faire.
Puisqu’il s’agit d’une traduction du permis de conduire national, d’un document gratuit et valable trois ans, la préfecture ne pourrait-elle pas faciliter les démarches pour la délivrance et le renouvellement de ce permis ?
Je demande donc simplement qu’il soit envisagé que le consulat puisse délivrer le permis international et les duplicatas de permis de conduire français, pour inclure enfin nos compatriotes résidant à l’étranger dans votre « choc de simplification ».
Voilà, monsieur le ministre, deux idées qui ne coûtent rien et, si vous vous rapprochiez de votre collègue des affaires étrangères, cela faciliterait la vie de nos concitoyens à l’étranger.
Nous serons d’accord sur ces questions, monsieur le député Mariani, mais soyons précis : pour les Français établis dans un pays n’appartenant ni à l’Union européenne ni à l’espace économique européen, les conditions de renouvellement d’un titre perdu ou volé diffèrent selon l’existence ou non d’un accord d’échange de permis entre ce pays et la France.
Aujourd’hui, la délivrance d’un duplicata n’est pas possible pour les titulaires du permis français qui résident à l’étranger au moment de la perte ou du vol de ce titre. En effet, la loi précise que seul le préfet du département de résidence est compétent pour le délivrer.
La délivrance d’un nouveau permis de conduire français sans présentation à l’examen dépend alors de l’existence ou non d’un accord d’échange des permis de conduire entre la France et le pays de résidence.
Si un tel accord existe, l’usager pourra demander au consulat de se rapprocher de la préfecture de son dernier domicile en France afin d’obtenir un permis local qu’il pourra échanger contre un permis français à son retour en France.
Assurément.
En revanche, en l’absence d’accord, il n’existe pas d’autre choix que de réussir les épreuves du permis de conduire local. À son retour en France, la personne ne peut conduire munie de son permis étranger que durant une période d’un an. Au-delà, elle doit repasser les épreuves du permis de conduire français.
Je conviens donc bien volontiers avec vous que cette législation est un peu byzantine et contraignante – le mot est faible – pour nos concitoyens établis à l’étranger et j’envisage de simplifier cette procédure afin de permettre que leurs droits à conduire en France soient rétablis à leur retour dans notre pays.
Bien entendu, je vous tiendrai informé du calendrier et des modalités de cette réforme qui me paraît tout à fait indispensable.
Je souhaite appeler votre attention, monsieur le ministre, sur les difficultés rencontrées par un certain nombre de commissariats dans notre territoire.
Alors que les chiffres de la délinquance pour 2013 témoignent d’une remontée de l’insécurité,…
…vous avez dû prendre des décisions au cours de l’année afin de renforcer les moyens de sécurité dans certaines grandes villes où la grande criminalité s’est accentuée.
Je ne peux, pour ma part, qu’encourager cet effort mais je souhaiterais également insister auprès de vous sur la nécessité de ne pas oublier les villes moyennes – dans lesquelles de nombreuses difficultés persistent – et où nous constatons, particulièrement aujourd’hui, une recrudescence des cambriolages à domicile.
Élu à Saint-Malo, je suis de plus en plus saisi par les habitants qui ne trouvent pas toujours une réponse adaptée à leur appel au secours suite au traumatisme subi par un cambriolage ou une agression, même si je sais à quel point les effectifs de police, au plan national ou municipal, font toujours preuve de rigueur professionnelle.
En l’état, lorsqu’une patrouille est mobilisée, la nuit, pour un événement, un accident ou pour la surveillance des radars à laquelle le commissariat a été assujetti, il n’existe pas d’autres équipes d’intervention en cas de difficulté.
Nous terminons à Saint-Malo une opération de rénovation urbaine d’un quartier difficile et nous considérons qu’il s’agit d’une véritable réussite, sur le plan tant des infrastructures ou du logement que, plus généralement, de la vie du quartier.
Cette opération doit néanmoins encore s’accompagner d’une surveillance de police dissuasive, sur le terrain, afin d’éviter l’émergence de réseaux de petite délinquance qui, lorsqu’ils se multiplient, peuvent dégénérer et réduire à néant les efforts que nous et l’État avons accomplis.
La sécurité étant l’une des premières préoccupations des Français, je souhaiterais connaître les mesures que vous comptez adopter, monsieur le ministre, afin d’assurer la sécurité à laquelle nos concitoyens ont droit. Comptez-vous, notamment, renforcer les effectifs de police sur le terrain – vous le comprendrez, en particulier, à Saint-Malo mais je sais que de nombreuses communes moyennes expriment un tel besoin ?
Monsieur le député Gilles Lurton, je rappelle à l’attention de chacun d’entre vous la situation que j’ai trouvée à mon arrivée.
Entre 2007 et 2012, la police a perdu 6 936 emplois, dont 6 494 pour les seuls gardiens et gradés. Pendant la même période, la gendarmerie en a perdu 6 790 dont 6 300 sous-officiers. M. Blazy l’a rappelé, ce sont donc 13 700 emplois qui ont été supprimés.
Le Président de la République a pris un engagement fort : renforcer les moyens humains de la police et de la gendarmerie. Non seulement les départs à la retraite sont compensés poste pour poste mais, de surcroît, 500 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes sont créés chaque année.
En 2013, 2 045 policiers ont été recrutés – c’est quatre fois plus qu’en 2011 et 2012 ! De même, 2 433 gendarmes ont intégré les écoles de formation l’année passée. Je le dis parce que lorsque l’on réalise des bilans, il faut rappeler ce qu’est la réalité, l’engagement pris par ce Gouvernement ainsi que le soutien de la majorité en faveur de la sécurité de nos concitoyens.
Vous avez fait une remarque qui me paraît très juste : non seulement les zones de sécurité prioritaires, si vous me permettez une tautologie, doivent être prioritaires mais nous devons être attentifs à la situation des zones de gendarmerie ainsi qu’aux petites circonscriptions de police, qui ont beaucoup souffert de la baisse des effectifs au cours de ces dernières années. C’est ce que nous faisons, notamment, en dialoguant avec les maires.
S’agissant de Saint-Malo, au-delà des évolutions de la ville – qu’il convient bien entendu d’intégrer dans nos réflexions – on compte dix fonctionnaires de police actifs de plus qu’à la même époque de l’année précédente.
Nous devons donc être attentifs, je le répète, à l’évolution de ces secteurs. Il me semble – je me suis rendu il y a peu de temps dans la région – que c’est le cas s’agissant de l’évolution des circonscriptions de police. Nous avons fait des efforts à Saint-Malo et je reste évidemment disponible pour vous afin de continuer à ce qu’il en soit ainsi dans votre ville si cela se révèle nécessaire.
Le point noir de la délinquance dans notre pays, ce sont encore et toujours les cambriolages. C’est ce qui rend la délinquance particulièrement insupportable pour nos citoyens, qui sont agressés chez eux, parfois violemment, ou craignent de l’être.
Un grand changement est intervenu depuis le 6 mai 2012 et il faut vous en donner acte. Il est désormais admis officiellement qu’une part très importante de la délinquance provient des réseaux organisés de l’Europe de l’est.
En région parisienne, les étrangers forment un tiers des multi-mis en cause en matière de délinquance. Parmi eux, la moitié sont des ressortissants roumains et 90% sont mineurs. On peut se féliciter que le procès en stigmatisation ait donc laissé place au réalisme.
Mais le seul intérêt de mettre un nom sur les choses et d’établir un diagnostic, c’est de trouver les remèdes qui conviennent. Maintenant, monsieur le ministre, c’est ce que l’on attend de vous.
Aller à Hénin-Beaumont ou à Marseille, c’est bien surtout pour vos camarades…
…mais je ne suis pas sûr que cela participe directement à la lutte contre les réseaux internationaux de délinquance et de trafics de métaux précieux, notamment, qui frappent notre pays.
Vous aurez beau créer 162 postes dans la gendarmerie en 2014 – alors que les moyens matériels ne suivent peut-être pas toujours – ces pauvres gendarmes s’épuiseront si nous n’endiguons pas ces phénomènes en agissant de manière concertée au plan européen.
Dans votre plan de lutte contre les cambriolages, vous annoncez une mesure visant à mobiliser les attachés de sécurité intérieure des pays concernés, ce qui semble un peu faible par rapport à l’ampleur du sujet.
Il conviendrait aussi d’engager une coopération avec les pays frontaliers – je pense, notamment, avec l’Allemagne, qui laisse passer ces réseaux – et de mobiliser l’Europe. Je vous ai invité à plusieurs reprises à mettre ce sujet à l’ordre du jour d’un conseil JAI, Justice et affaires intérieures, lequel n’a pas encore eu lieu.
Mes questions sont donc simples : allez-vous demander un conseil JAI à ce sujet ? Quelles actions entendez-vous entreprendre auprès des pays voisins concernés par ces flux de trafiquants ? Défendrez-vous au nom de la France l’élargissement des compétences du futur parquet européen à la lutte contre les réseaux de criminalité et de délinquance ?
Où avez-vous été chercher qu’une prise de conscience aurait été effective à partir du 6 mai 2012 ?
Mais au fond, vous avez cependant raison. Avec une augmentation de 17,1 % constatée en 2011 et, en partie sur les six premiers mois de 2012, de 8,45 %, je me suis dit que le gouvernement précédent n’avait pas pris conscience de ces phénomènes que nous observons quant à nous de la manière la plus lucide qui soit. Il n’est pas question de stigmatiser qui que ce soit, hors les groupes criminels.
Lors de mes nombreux déplacements, en l’occurrence en Bretagne voilà quelques semaines, la gendarmerie m’a présenté les résultats d’une enquête tout à fait exceptionnelle où un groupe géorgien, qui a été démantelé, était responsable de deux mille cambriolages !
Il y a quelques jours, tôt le matin, j’étais en Seine-et-Marne, à Melun, pour constater les résultats du démantèlement d’un réseau albanais par la police.
Nous venons également de connaître un nouveau succès dans la lutte contre ces groupes criminels spécialisés dans les cambriolages, à Annemasse, avec l’arrestation d’un important receleur albanais.
Je peux vous dresser toute une liste, je peux vous dire que nous sommes totalement impliqués et que nous obtenons des résultats depuis plusieurs mois grâce à l’action de la police et de la gendarmerie, notamment, dans le cadre du plan contre les cambriolages.
Nous devons évidemment travailler dans le cadre de l’ensemble des outils développés par l’Union européenne dans le domaine de la coopération policière et judiciaire – Europol, le système d’information Schengen, le système Prüm mais, aussi, les équipes communes d’enquêtes, le mandat d’arrêt européen ou Eurojust.
La Bulgarie et, surtout, la Roumanie détachent en France des officiers de liaison.
En la matière, nous poursuivons une politique qui avait été engagée par le gouvernement précédent et nous l’avons même amplifiée. Mais moi, monsieur Marleix, contrairement à vous, je ne fais pas de la sécurité un sujet de discorde nationale. Les mesures que le gouvernement précédent a appliquées et qui vont dans le bon sens, nous les continuons tout comme nous corrigeons ce qui doit l’être – je pense, notamment, aux suppressions de postes.
Nous pensons que l’insécurité et l’augmentation des cambriolages depuis cinq ans constituent des sujets suffisamment graves pour que nous menions une politique intelligente, efficace, en coopérant avec les polices européennes. Nous évoquons ces problèmes en permanence avec les ministères de l’intérieur des pays les plus concernés par ces phénomènes et d’où proviennent ces groupes criminels.
Croyez donc en mon engagement absolu sur ces questions dont, je le répète, contrairement à vous, je ne fais pas un sujet d’affrontement politique ! Je fais en sorte que nos réponses correspondent réellement à l’attente de nos concitoyens.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Je souhaite vous poser une deuxième question, monsieur le ministre, d’une façon toute aussi constructive que la première puisqu’elle porte sur le vote électronique.
Pour la première fois dans le cadre d’une élection nationale, les Français de l’étranger ont pu voter par voie électronique lors des élections législatives de juin 2012. Chacun peut se réjouir du grand succès de cette modalité de vote qui a été choisie par plus de la moitié des votants et a assuré toutes les garanties de sécurité souhaitées.
Au regard de cette réussite, il est de notre devoir de tout faire pour favoriser la représentation et la participation aux élections françaises et européennes de nos compatriotes établis à l’étranger.
Ainsi, en 2009, constatant qu’un trop grand nombre de Français établis hors de France était privé de toute possibilité d’exercice de leur droit de vote aux élections européennes, j’avais présenté avec mon collègue Jean-Jacques Urvoas une proposition de loi afin de remédier à cette situation.
Elle a été reprise dans le projet de loi du gouvernement de l’époque et, désormais, les Français de l’étranger installés hors d’Europe pourront participer aux élections européennes puisqu’ils seront rattachés à la circonscription d’Île-de-France.
Nous pouvons donc nous réjouir aujourd’hui que tous les Français, où qu’ils soient, puissent voter à ces élections ! Grâce à ces initiatives, les Français de l’étranger sont représentés dans la plupart des élections qui peuvent les concerner.
À l’instar des législatives, il paraît justifié de permettre aux électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires de pouvoir voter par voie électronique pour l’élection du Président de la République et de leurs représentants au Parlement européen – je ne parle bien évidemment pas de l’élection à venir.
L’utilisation de la voie électronique lors de ces élections présenterait un intérêt non négligeable : simplicité du vote, facilité d’accès au scrutin, augmentation de la participation et instantanéité de la prise en compte des résultats.
Les électeurs établis hors de France sont, en effet, parfois contraints de parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour aller voter ce qui empêche pratiquement certains d’entre eux de prendre part au scrutin.
Aussi, ma question est simple : je voudrais savoir si vous comptez permettre à nos concitoyens établis à l’étranger d’avoir recours au vote à distance par voie électronique pour les élections présidentielles et européennes – sans toutefois substituer cette dernière modalité à la procédure traditionnelle.
J’ai déposé une proposition de loi en ce sens. Je crois que ce qui s’est passé aux élections législatives – où, de surcroît, le résultat a été favorable à la majorité actuelle, contrairement à ce que certains prédisaient – montre que le système est tout à fait au point.
Je le répète : certains parmi nos concitoyens sont obligés de faire plusieurs centaines de kilomètres. Pourrions-nous donc étendre cette possibilité de vote pour les prochaines élections présidentielles et, bien entendu, pour les élections européennes qui auront lieu dans cinq ans ?
C’est un sujet un peu compliqué.
Vous ne parlez évidemment pas des prochaines élections européennes car la mise en place d’un tel dispositif aurait été difficilement possible.
Au-delà de ces aspects pratiques, l’application de cette disposition pour les élections européennes comme pour les élections présidentielles présente semble-t-il – même si je suis quant à moi très ouvert en la matière – un risque juridique qui paraît difficilement surmontable.
Jusqu’à présent, le vote électronique n’a été proposé que lorsque les électeurs se prononcent dans le cadre d’une circonscription ne comprenant que des électeurs inscrits sur les listes électorales consulaires. C’est le cas des élections législatives pour les Français de l’étranger par exemple.
Dans le cas des élections européennes, les Français établis hors de France sont rattachés, vous l’avez rappelé, à la circonscription « Île-de-France ». Pour les élections présidentielles, il n’y en a pas. Un système de vote dual soulèverait évidemment un problème au regard du principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage.
L’argument selon lequel le vote par internet soulagerait les consulats ne tient pas : la mise en place du vote par internet ne dispenserait en rien les consulats et les ambassades d’ouvrir deux bureaux de vote par lieu de vote.
Enfin, la mise en place du vote par internet ne constitue malheureusement pas une réponse à l’abstention. Ainsi, la participation des Français établis hors de France lors des élections législatives n’a été que de 20,7 % au premier tour et de 20,6 % au second tour, malgré la possibilité de voter par internet.
Mais, enfin, il faudra regarder la situation de près.
Il faudra regarder les choses de près. La possibilité de mettre en place à l’avenir un vote par internet devra être étudiée, même s’il faut rester prudent sur ces sujets. Une mission d’information de la commission des lois du Sénat est en cours, menée par les sénateurs Alain Anziani et Antoine Lefèvre. Je porterai une attention toute particulière aux conclusions de ses travaux, ainsi qu’à vos propositions. Mon cabinet et mes collaborateurs sont évidemment ouverts sur ces problématiques, en dépit de la difficulté constitutionnelle que je viens d’évoquer.
La séance de questions au ministre de l’intérieur est terminée.
Avant d’entamer le débat sur la protection de la vie privée à l’heure de la surveillance numérique, commerciale et institutionnelle, je propose une suspension de séance de quelques minutes.
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.
L’ordre du jour appelle le débat sur la protection de la vie privée à l’heure de la surveillance numérique, commerciale et institutionnelle.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, le débat qui nous rassemble aujourd’hui arrive à point nommé, car je suis consciente que la question des données et du numérique a été abordée de manière périphérique dans une série de lois récentes. Un débat global est donc absolument nécessaire aujourd’hui et je me félicite de cette initiative parlementaire prise par le groupe écologiste.
Je souhaite d’abord resituer la question de la confidentialité des données dans le contexte d’une société et d’une économie qui deviennent, dans leur ensemble, numériques : les données, qu’elles soient personnelles ou non, sont la ressource clé, le carburant de notre société, une société de la connaissance, ou de l’information, si vous me permettez ces expressions un peu datées, mais parlantes.
Le numérique a dévoré le monde, il a changé en profondeur notre accès à la culture, puis à l’information, et bientôt à l’éducation. Il a modifié en profondeur des secteurs aussi traditionnels que le commerce ou la réservation hôtelière. Demain, il va changer l’économie de l’automobile, car celui qui maîtrisera les données d’une voiture pourra créer une valeur économique et une valeur d’usage, pour l’assurance, pour l’aide à la conduite, pour le confort des occupants – Google ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Demain, il va changer la gestion de nos réseaux urbains – je parle bien sûr des « villes intelligentes » – en permettant de développer de nouveaux usages pour nos concitoyens et de nouvelles potentialités pour les collectivités territoriales. À Malte, IBM a remporté le contrat de gestion des réseaux d’eau et compte Suez Environnement parmi ses sous-traitants : c’est cela, le nouveau monde numérique qui est en train de se construire.
Sur quoi repose cette transformation numérique de l’économie et de la société ? Sur la multiplication des objets connectés, sur l’explosion des données et sur la capacité inédite à les visualiser, à les mettre en relation, à leur donner un sens. C’est la révolution des data. La capacité de notre société à maîtriser cette économie des données conditionnera des pans entiers de notre vie quotidienne, de notre économie et de notre souveraineté. Je pense qu’il faut d’abord avoir en tête cette dynamique de l’innovation numérique pour aborder les enjeux relatifs aux données personnelles. L’innovation est au coeur de cette dynamique et nous avons déjà beaucoup fait pour la soutenir. Dans le cadre de la bataille pour l’emploi, qui mobilise tout le Gouvernement, nous avons engagé un programme sans précédent de soutien aux jeunes entreprises innovantes, aux start-up du numérique.
Des assises de l’entrepreneuriat à la nouvelle donne pour l’innovation, de l’initiative French Tech aux douze plans numériques de la Nouvelle France industrielle, notre fil directeur est clair : soutenir les entrepreneurs, soutenir les jeunes entreprises, notamment les plus innovantes, celles qui ont créé plus de 170 000 emplois par an entre 1995 et 2010, selon une étude récente de l’INSEE.
Si, aujourd’hui, nous sommes faibles en Europe dans le numérique, c’est parce que nous n’avons pas compris ce qui se jouait au cours de la décennie écoulée : la transformation de toute notre société et de toute notre économie. Ce constat lucide est le prérequis pour définir une politique offensive pour le numérique, car rien n’est perdu : le numérique procède en effet par vagues d’innovation, qui redistribuent les cartes tous les quatre ou cinq ans. Nous l’avons vu, à nos dépens, avec la disparition des fabricants de téléphones mobiles européens.
Dans le numérique, la souveraineté passe donc d’abord – il est essentiel de le rappeler – par la souveraineté de notre économie numérique européenne. Nous devons être à l’offensive et tout faire pour que les Google de demain soient français et européens. C’est la bonne option, car toute tentative de construire des abris anti-numériques est vouée à l’échec. C’est vrai pour le numérique en général, et pour l’économie des data particulier, et ce n’est pas un hasard si nous avons engagé, dès juillet 2013, un plan Big data.
Santé numérique, objets connectés, cloud, services sans contact, e-éducation : les données sont au coeur de tous ces plans industriels que nous sommes en train d’élaborer avec Arnaud Montebourg. Et nos nouveaux champions, les Criteo ou les Withings, ont construit leur développement sur les données.
La confiance est un élément central pour le développement de la société et de l’économie numériques et pour cette formidable dynamique de l’innovation numérique. C’est un enjeu à la fois pour notre société – les révélations d’Edward Snowden ont eu le mérite de poser le débat – et pour notre économie car, sans confiance, l’économie numérique ne pourra pas se développer. Voilà pour moi les deux piliers indissociables de notre politique numérique : l’innovation et la confiance.
Une fois posée cette nécessité de la confiance numérique, de nombreux sujets restent à traiter. Il faut revenir à nos fondamentaux démocratiques et républicains, qui ont produit le cadre que nous connaissons aujourd’hui. Quel en est le socle ? Il y a d’abord la CNIL, qui a trente-cinq ans, et dont je tiens à saluer le travail. Ensuite, la confidentialité des communications est inscrite dans la loi et les protocoles des télécoms protègent cette confidentialité. Enfin, internet a été conçu dès le départ, et c’est ce qui a permis son essor, comme un espace ouvert, comme le principal vecteur de la liberté d’expression. À l’heure de la révolution des data, il nous faut actualiser ce cadre.
Il y a, je l’ai dit, un historique, puisque la protection des données personnelles a connu trois phases, que je souhaite rappeler brièvement.
La première, c’était la protection des citoyens contre la tentation de l’État de tout surveiller et de tout contrôler. La CNIL a été créée il y a trente-cinq ans et des débats persistent dans notre société : c’est normal, et c’est d’ailleurs un signe de vigilance et de vitalité démocratiques. La loi de programmation militaire a donné lieu à bien des débats : nombreux sont ceux qui ont questionné la méthode, comme le fond. Je suis confiante dans les garde-fous qui ont été mis, mais je reconnais qu’un débat plus large sur le numérique est nécessaire.
La deuxième phase a été celle de l’harmonisation européenne, avec la directive de 1995, transposée en France neuf ans plus tard. À l’époque, le sujet semblait encore mineur, mais cette directive a déplacé le débat sur le contrôle des entreprises privées, avec un objectif principal identique : protéger le citoyen et, in fine, limiter la collecte de données personnelles.
Nous sommes aujourd’hui dans la troisième phase, celle de la révolution des data : des centaines, des milliers de données sont collectées chaque jour sur chacun d’entre nous, parce qu’internet fait partie de notre quotidien, que nous avons des smartphones et que toutes ces machines produisent naturellement, si j’ose dire, des données. Et demain, les objets connectés envahiront notre quotidien.
La question n’est pas de savoir si cela est bien ou mal, mais de redéfinir des règles adaptées et de poser des garanties pour que le numérique soit et reste un espace d’innovation et de confiance. À l’issue du séminaire gouvernemental sur le numérique de février, le Premier ministre a annoncé un projet de loi sur le numérique. Sous l’autorité de Jean-Marc Ayrault, nous avons commencé un travail conjoint avec Christiane Taubira, Manuel Valls et Arnaud Montebourg, pour préparer un projet de loi numérique qui s’appuiera sur les deux piliers indissociables que j’ai indiqués : confiance et innovation.
La confiance, c’est d’abord la sécurité des échanges, la lutte contre la cybercriminalité. Un groupe de travail conduit par Marc Robert va faire des propositions au Gouvernement pour renforcer les moyens d’enquête, préciser les procédures et le rôle des intermédiaires techniques.
Je veux être claire sur ce dernier point : le régime de la LCEN est essentiel pour le développement de l’économie numérique. C’est un cadre de confiance pour les intermédiaires, qui a peu évolué depuis 2004, et cette stabilité est un bon signe pour l’économie.
Mais, nous l’avons vu avec Twitter cet été, ces intermédiaires jouent un rôle clé pour la lutte contre la cybercriminalité : il faut donc développer les approches partenariales et définir précisément leur rôle. Comme l’a dit Najat Vallaud-Belkacem la semaine dernière, lors du débat sur le projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, ce débat sera l’occasion de préciser le cadre d’ensemble pour toutes les obligations de signalement qui pèsent sur les intermédiaires techniques. L’objectif est de cibler les meilleurs outils pour les forces de police, car il ne faut pas être naïf sur les moyens dont dispose le crime organisé à l’heure du numérique.
Le renforcement des moyens de lutte contre la cybercriminalité s’accompagnera logiquement des garanties indispensables sur le plan des libertés. Il nous faudra ainsi revenir sur les dispositifs de blocage et de filtrage des sites internet par l’administration, mis en place par la droite, afin d’assurer un contrôle effectif de ces dispositifs par une autorité indépendante, qu’elle soit judiciaire ou administrative.
Cette loi sera aussi l’occasion de débattre de la question de la neutralité de l’internet. Le Conseil national du numérique a proposé l’année dernière d’inscrire ce principe dans la loi. De nombreux travaux parlementaires ont déjà été menés en France ou sont menés actuellement au Parlement européen. Le sujet est donc mûr et je soutiens l’inscription dans la loi du principe d’un internet ouvert. Car internet est un bien commun qui ne doit pas être accaparé par quelques intérêts privés. Mais ouverture ne veut pas dire naïveté. Je ne suis pas dupe de l’instrumentalisation de ce débat par certains géants de l’internet et leur stratégie de passagers clandestins. Je veillerai donc tout particulièrement à ce que l’ensemble des acteurs du numérique puissent participer de manière équitable au financement des infrastructures et de l’écosystème français.
Il y a un deuxième pied à cette loi, c’est l’innovation, c’est-à-dire le soutien à l’économie numérique et à nos jeunes entreprises de croissance. Et, au-delà du coeur de filière numérique, nous voulons anticiper l’évolution de l’ensemble de l’économie. C’est le sens de la mission que nous avons confiée, avec Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg, à Philippe Lemoine pour préparer l’économie traditionnelle au choc numérique.
Cette mission nous permettra – entre autres choses car là n’est pas son seul objectif – de recenser les évolutions législatives et réglementaires qui pourraient être nécessaires pour accompagner la transformation numérique des différents secteurs concernés. Pour ne citer qu’un exemple, celui de la publicité, de nouvelles places de marché se sont créées entre annonceurs et supports publicitaires, avec des modes de fonctionnement qui rendent partiellement obsolètes la loi Sapin qui encadre les relations entre les acteurs. Il nous faudra donc sans doute actualiser cette loi.
Aux confluents de ces enjeux d’innovation et de confiance se trouve la question des données personnelles. À l’heure de la révolution des data, la manière dont les données personnelles de nos concitoyens sont collectées et traitées par les acteurs du numérique est devenue centrale. La CNIL devient en quelque sorte le régulateur de cette économie des data. Le projet de loi numérique est donc l’occasion d’actualiser ce cadre de régulation.
Il faudra nous poser plusieurs questions. Comment garantir l’effectivité de la loi de 1978 ? La sanction maximale que peut prononcer la CNIL, 150 000 euros, n’est manifestement pas à la hauteur des géants de l’internet. Par ailleurs, les procédures actuelles sont-elles adaptées et accessibles aux citoyens ?
Comment accompagner les acteurs économiques ? Peut-on simplifier les démarches administratives en allégeant les obligations déclaratives, quitte à renforcer les contrôles a posteriori ? Peut-on renforcer le rôle d’accompagnement du marché grâce à des logiques de labellisation de diffusion des bonnes pratiques ?
Enfin, quel cadre définir pour l’exploitation massive des données, le big data ? L’exploitation massive doit être possible mais à condition qu’elle préserve clairement l’anonymat des personnes sous-jacentes.
Voilà de manière assez large les sujets sur lesquels pourra porter ce projet de loi numérique. N’hésitez pas à me faire part des sujets qui vous paraissent manquer à l’appel.
Au-delà du cadre national, le Gouvernement est aussi très actif au niveau européen et international. La France a pris une position forte lors du Conseil européen des 24 et 25 octobre dernier, consacré au numérique. Je ne reviens pas sur l’ensemble de ces travaux, dont le fil directeur est de faire revenir l’Europe dans la compétition mondiale pour l’économie numérique.
S’agissant de la question des données personnelles, au-delà de la nécessaire adoption du règlement européen, les débats autour du statut du safe harbor sont essentiels. La nécessité de revoir cet accord devient chaque jour plus évidente et je souhaite que ce sujet soit en haut de la pile des priorités de la nouvelle Commission après les élections européennes.
Les États-Unis sont conscients des enjeux, et la question de la circulation des données pourra faire partie de la discussion sur l’accord transatlantique de libre-échange. Nicole Bricq a d’ailleurs confié au Conseil national du numérique le soin de proposer des recommandations sur ce sujet ; il est important que nous nous en saisissions en temps voulu.
Au plan international, je tiens à souligner que la France a pris des mesures exemplaires pour la défense des libertés numériques dans le domaine du contrôle de l’exportation de matériels sensibles. Dans le monde, des régimes peu recommandables espionnent leur population. Ils utilisent internet comme un moyen de surveillance et de répression. C’est insupportable et le moins que l’on puisse faire est de ne pas coopérer de près ou de loin avec ces agissements.
C’est pourquoi nous avons fait inscrire dans la liste de l’arrangement dit « de Wassenaar » les technologies d’interception sur internet. Cela signifie très concrètement que ces technologies doivent désormais être soumises à autorisation avant d’être exportées. C’est à la fois un signal pour la communauté internationale et une disposition aux implications très concrètes pour les populations des pays concernés. Avec cette initiative, la France a pris une position forte pour défendre les droits de l’homme et protéger les cyberdissidents dans les pays non démocratiques.
J’en termine par les questions de méthode. Pour préparer l’ensemble de ces dispositions, il est nécessaire de mener une très large concertation. Cette concertation sera conduite avec le Conseil national du numérique et les institutions compétentes : la CNIL, l’ARCEP, et ainsi de suite. Il sera proposé au Parlement d’y prendre une part extrêmement active. L’objectif de cette concertation sera de définir une plateforme à trois niveaux : ce qui relève de la loi ; ce qui relève de l’agenda numérique européen et ce qui relève des traités et des instances internationales. Sur la base de cette concertation, le Gouvernement déposera à l’été un projet de loi sur le numérique, autour de ces deux piliers indissociables que sont la confiance et l’innovation.
Voici mon programme de travail et celui du Gouvernement sur ce sujet de la confidentialité des données, mais je suis persuadée que vous aurez de nombreuses autres questions sur le sujet.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j’ai rencontré mardi dernier le docteur Richard Stallman, un ardent défenseur des libertés publiques. Les principes qu’il défend répondent intégralement à nos préoccupations aujourd’hui.
Grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous réalisons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec le respect des droits de l’homme. Les poursuites judiciaires que subissent les opposants, les sources et les journalistes en sont la preuve. Nous devons réduire le niveau de surveillance, mais jusqu’où ? Où se situe exactement le seuil tolérable de surveillance que l’on doit faire en sorte de ne pas dépasser ? C’est le niveau au-delà duquel la surveillance interfère avec le fonctionnement de la démocratie : lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être condamnés.
Face à la culture du secret des gouvernements, le peuple doit compter sur les lanceurs d’alerte pour apprendre ce que l’État est en train de faire. Cependant, la surveillance intimide les lanceurs d’alerte potentiels, parce qu’elle est trop intense. Pour retrouver notre contrôle démocratique sur l’État, nous devons réduire la surveillance jusqu’à un point où les lanceurs d’alerte se sentent en sécurité.
Si ces derniers n’osent pas révéler les crimes, délits et mensonges, nous perdons le dernier lambeau de contrôle réel qui nous reste sur nos gouvernements et institutions. C’est pourquoi une surveillance qui permet à l’État de savoir qui a parlé à un journaliste va trop loin, au-delà de ce que peut supporter la démocratie.
L’utilisation de logiciels libres est la première étape dans la protection de nos vies numériques, ce qui inclut la prévention de la surveillance. Ces logiciels, par leur transparence, garantissent une bien meilleure sécurité.
Nous ne pouvons pas faire confiance aux logiciels non libres : la NSA utilise, et même crée, des failles de sécurité dans des logiciels non libres afin d’envahir nos ordinateurs. Ce n’est pas de la paranoïa, ce sont des faits avérés. Cependant, le logiciel libre ne protège pas notre vie privée dès l’instant où nous mettons les pieds sur internet.
Le journal Le Monde a révélé il y a six mois que la DGSE espionne les communications de tous les citoyens français, sans aucune loi pour encadrer cette action. J’y reviendrai.
Quand les gens reconnaissent que la surveillance généralisée atteint un niveau trop élevé, la première réponse est de limiter l’accès aux données accumulées. Cela ne corrige pas le problème, même en supposant que le gouvernement respecte la loi. Soupçonner un délit est un motif suffisant pour avoir accès aux données, donc, une fois qu’un lanceur d’alerte est accusé d’espionnage, enquêter sur ce suspect fournit une excuse pour avoir accès à l’ensemble des informations.
Le personnel chargé de la surveillance d’État a l’habitude de détourner les données à des fins personnelles. En janvier 2013, des policiers français ont révélé à des inconnus des informations concernant les antécédents judiciaires de plusieurs rappeurs, sur la foi d’un simple appel téléphonique. Pour un cas révélé au grand public, combien ont été dissimulés ?
Les données provenant de la surveillance seront toujours détournées de leur but, même si c’est interdit. Une fois les données accumulées et accessibles à l’État, il peut en abuser, donc en abusera.
J’espère vous convaincre de ce point fondamental : l’information, une fois collectée, sera utilisée à de mauvaises fins. Par un policier qui voudra surveiller son ex-femme, par un agent du fisc qui voudra se venger d’une entreprise, etc.
La surveillance totale, associée à des lois assez floues, ouvre la porte à des usages excessifs. Pour sécuriser le journalisme et la démocratie, nous devons limiter l’accumulation des données facilement accessibles à l’État.
Il faut renforcer la protection juridique explicite des lanceurs d’alerte. La loi actuelle, dont les groupes parlementaires écologistes ont été à l’origine, protège ceux qui dénoncent un risque grave pour la santé publique ou l’environnement. Il faudrait étendre cette protection à d’autres risques, tels que la surveillance de masse ou la fraude fiscale.
Toutefois, ces protections juridiques sont précaires : elles peuvent être abrogées, suspendues ou ignorées.
Pendant ce temps, les démagogues fourniront les excuses habituelles pour justifier une surveillance totale : toute attaque terroriste, y compris minime ou virtuelle, leur donnera cette opportunité. Ils argumenteront encore sur le fait que ceux qui n’ont rien à cacher n’ont rien à craindre. Si vous pensez réellement cela, je vous invite à diffuser sur internet l’intégralité de vos relevés de compte bancaire depuis dix ans, accompagnés de l’intégralité de vos relevés d’appels téléphoniques au cours de la même période.
Cela vous tente toujours ? Toujours rien à cacher ?
Si les lois limitant l’accès aux données sont supprimées, ce sera comme si elles n’avaient jamais existé. Des fichiers couvrant des décennies seront du jour au lendemain exposés aux abus de l’État et de ses agents. En revanche, si nous arrêtions de ficher tout le monde, ces fichiers n’existeraient pas et il n’y aurait pas moyen de les analyser de manière rétroactive.
J’entends aussi souvent dire que les citoyens sont les seuls responsables, puisqu’ils diffusent eux-mêmes leur vie privée. Effectivement, la première protection contre la surveillance généralisée est de ne pas donner volontairement ses données personnelles. Une bonne règle de conduite est de ne publier que ce que vous accepteriez de voir dans un journal. Par souci de votre vie privée, vous devez éviter les logiciels non libres car ils donnent la maîtrise de votre informatique à d’autres, qui par conséquent vous espionnent probablement.
Toutefois, les mesures de protection individuelle les plus rigoureuses sont encore insuffisantes pour protéger votre vie privée. Lors de nos communications avec d’autres, lors de nos déplacements à travers la ville, notre vie privée dépend des pratiques de la société.
Nous devons imposer le respect de la vie privée à chaque système.
Si nous ne voulons pas d’une société de surveillance totale, nous devons envisager la surveillance comme une sorte de pollution de la société. Il nous revient de limiter l’impact de chaque nouveau système numérique sur la surveillance, comme nous limitons l’impact des objets manufacturés sur l’environnement.
Les compteurs électriques intelligents, comme le Linky, sont paramétrés pour envoyer régulièrement à EDF des données concernant la consommation de chaque client. Cette implémentation repose sur une surveillance généralisée, mais n’est nullement nécessaire. EDF pourrait aisément calculer la consommation moyenne d’un quartier en divisant la consommation totale par le nombre d’abonnés, et l’envoyer sur les compteurs. Chaque client pourrait ainsi comparer sa consommation avec la moyenne de ses voisins au cours de la période de son choix. Mêmes avantages, sans la surveillance.
Il nous faut intégrer le respect de la vie privée à tous nos systèmes numériques, dès leur conception. Il faut diminuer la surveillance par les entreprises. Nous devons repenser entièrement les systèmes numériques pour qu’ils n’accumulent pas de données sur leurs utilisateurs. Si les entreprises ont besoin de détenir des données numériques sur nos transactions, elles ne doivent être autorisées à les garder que pour une période dépassant de peu le strict minimum nécessaire.
Le financement de nombreux sites repose sur la publicité ciblée, par le biais du pistage des actions et des choix de l’utilisateur. C’est ainsi que d’une pratique gênante, la publicité, nous basculons dans un système de surveillance qui nous nuit. Les achats sur internet se doublent toujours d’un pistage des utilisateurs. Nous devons interdire formellement ce pistage sans rapport direct avec l’activité commerciale.
Le recueil de données personnelles par les sites comporte un autre danger, celui que des pirates s’introduisent, prennent les données – y compris celles qui concernent les cartes de crédit – et les utilisent à de mauvaises fins. Voilà la définition d’un pirate, chers collègues. Ce n’est pas quelqu’un qui partage une chanson avec ses amis.
Il faut diminuer la surveillance de nos déplacements. Beaucoup de systèmes de transport en commun utilisent une puce électronique. Ces systèmes amassent des données personnelles. De plus, tous les voyages associés à une carte sont enregistrés. L’un dans l’autre, cela équivaut à un système de surveillance à grande échelle. Il faut diminuer cette collecte de données. Aujourd’hui, la RATP permet de ne pas être tracé, mais il faut payer un supplément.
Il faut diminuer la surveillance de nos télécommunications. Les fournisseurs de services internet et les compagnies de téléphone enregistrent une masse de données sur les contacts de leurs clients. Ces données sont conservées sur de longues périodes. Et il s’avère que la DGSE collecte en masse les coordonnées géographiques des téléphones mobiles.
Les communications non surveillées sont impossibles là où le système crée de tels fichiers. Leur création doit donc être illégale, ainsi que leur archivage. Il ne faut pas que les fournisseurs d’accès internet et les compagnies de téléphone puissent garder cette information très longtemps, sauf décision judiciaire leur enjoignant de surveiller une personne ou un groupe en particulier.
Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante, car elle n’empêchera pas concrètement un gouvernement de collecter toute l’information à la source – ce que fait le Gouvernement français avec les compagnies de téléphone. Il nous faudrait faire confiance à l’interdiction par la loi. Cependant, ce serait déjà mieux que la situation actuelle, où la loi applicable n’interdit pas clairement cette pratique. Nous reconnaissons qu’un minimum de surveillance est nécessaire.
Pour que l’État puisse identifier les auteurs de crimes ou délits, il doit avoir la capacité d’enquêter sur un délit déterminé, commis ou en préparation, sur ordonnance du tribunal. À l’ère d’internet, il est naturel d’étendre la possibilité d’écoute des conversations téléphoniques aux connexions internet. On peut, certes, facilement abuser de cette possibilité pour des raisons politiques, mais elle n’en est pas moins nécessaire. Fort heureusement, elle ne permettrait pas d’identifier les lanceurs d’alerte après les faits.
Les entreprises ne sont pas des personnes et ne peuvent se prévaloir des droits de l’homme. Il est légitime d’exiger d’elles qu’elles rendent public le détail des opérations susceptibles de présenter un risque chimique, biologique, nucléaire, financier, informatique ou politique pour la société, à un niveau suffisant pour assurer le bien-être public.
Qui, aujourd’hui, peut affirmer que nos pays manquent de surveillance ? Qui, aujourd’hui, peut affirmer que nous avons besoin d’une surveillance plus vaste et systématique que celle qui était mise en oeuvre en URSS ou en RDA ? La seule solution est de diminuer la surveillance de nos concitoyens, et donc de mettre fin à l’accumulation massive de données sur chacun d’entre nous.
Nous appelons donc de nos voeux une loi d’Habeas corpus numérique, qui devra intégrer deux notions cruciales : premièrement, les métadonnées doivent être reconnues comme des données personnelles ; deuxièmement, le Préambule de notre Constitution doit mentionner la protection des données personnelles parmi les droits et libertés fondamentaux.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, confrontées à la montée du discours sécuritaire et à la logique du risque zéro, les sociétés modernes ont la tentation d’user et d’abuser des moyens techniques de contrôle social, des technologies de l’information et de la communication, particulièrement intrusives dans la vie privée, qu’il s’agisse du Net, des systèmes de géolocalisation ou des systèmes de traçage. Ainsi, le développement de systèmes de plus en plus sophistiqués et généralisés rend de plus en plus difficile, voire fictive, la protection de la vie privée contre les dangers liés aux fichiers et à l’exploitation des données personnelles.
C’est donc un champ décisif de la défense des droits fondamentaux qui s’ouvre au débat, car l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour construire une traçabilité totale peut conduire, à l’échelle internationale, à une rupture avec les principes d’exercice démocratique des pouvoirs, sans que l’on puisse aujourd’hui vraiment mesurer toutes les conséquences des évolutions en cours.
Comme l’a souligné la présidente de la Commission nationale informatique et libertés, l’affaire Snowden montre que la transparence sur ces questions est indispensable à tous les niveaux, qu’il s’agisse des grandes entreprises de l’internet, qui doivent dire quelles données elles collectent et comment elles sont utilisées, ou, bien sûr, des États.
Alors que notre pays a été l’un des premiers à se doter d’une législation informatique et libertés, l’adoption de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 constitue à nos yeux un recul dangereux ; elle suscite des questions absolument essentielles et, à vrai dire, non résolues. En effet, cette loi a ouvert la porte à la généralisation de la surveillance sur internet. Son article 20 autorise ainsi l’État à collecter les données de connexion ainsi que les informations ou documents des utilisateurs en temps réel, sur simple demande administrative, sans être soumis au moindre contrôle judiciaire. Il s’agit là d’une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre démocratie et au respect des libertés individuelles.
Faute de signatures suffisantes, ce dispositif n’a malheureusement pas pu faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Or la présomption d’inconstitutionnalité nous semble bien réelle car, en l’absence d’une définition restrictive des « informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques », ce dispositif revient à permettre, sans aucun contrôle préalable, un accès à tout document et au contenu stocké par un hébergeur sur ces serveurs, y compris les correspondances, qui entrent dans le champ d’application de la loi en tant que fichiers textes ou documents sonores. C’est une atteinte au respect de la vie privée « de nature à porter atteinte à la liberté individuelle », selon la jurisprudence même du Conseil constitutionnel.
En outre, en introduisant dans le code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 246-3, la loi de programmation militaire prévoit que ces informations et documents « peuvent être recueillis sur sollicitation du réseau et transmis en temps réel », ce qui revient à accorder un accès direct et permanent aux serveurs de l’hébergeur. Cet accès en temps réel se ferait en l’absence des garanties offertes par la loi et par le régime juridique des perquisitions, et avec un champ d’action très large, allant bien au-delà de la lutte contre le terrorisme.
La simple possibilité de géolocaliser en temps réel les terminaux mobiles des individus est une atteinte grave à leur vie privée. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Comme l’a clairement indiqué le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 juillet 1996, « il appartient au législateur d’assurer la sauvegarde des droits et des libertés constitutionnellement garantis ; [… ] s’il peut déléguer la mise en oeuvre de cette sauvegarde au pouvoir réglementaire, il doit toutefois déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires ». Or, s’agissant du contrôle de ces interceptions et de cette géolocalisation, il n’est fait aucune mention de la possibilité de juger de la proportionnalité des atteintes à la vie privée par rapport aux finalités, par ailleurs très larges, dès lors que ces dernières rentrent dans le champ du contrôle.
Je veux aussi rappeler que la CNIL, qui n’avait pas été consultée sur l’article 20 de la loi de programmation militaire, déplore à juste titre l’absence d’un débat public sur la mise en place d’une société de surveillance. Un tel débat aurait permis d’éclairer les citoyens sur les enjeux en cause et de prendre en compte la nécessaire protection des libertés individuelles et de la vie privée.
Pour conclure, les députés du Front de gauche entendent contribuer au développement de cette prise de conscience et demeureront particulièrement vigilants quant à l’utilisation des données personnelles, les avancées scientifiques ne devant pas être détournées au nom de la logique dite « du mal nécessaire ». Au contraire, celles-ci doivent être mises au service de l’ensemble des citoyens, afin de rendre plus effectives encore les libertés d’expression et de communication.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour nourrir ce débat, j’ai trouvé utile de rappeler les termes actuels de la réflexion de notre assemblée sur ces sujets. J’ai été co-rapporteur d’une mission commune à la commission des lois et à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui a rendu les conclusions de ses travaux au mois de juin 2011. Nous avons été amenés à réfléchir globalement au « droit de l’individu dans la révolution numérique », mais la mission a très rapidement constaté que la question des données personnelles et de la protection de la vie privée était essentielle.
L’explosion des réseaux sociaux qui a accompagné le développement d’internet a fait entrer le web dans la vie quotidienne de chacun. La vie privée des personnes, englobant leurs réseaux d’amis, leurs idées politiques, leur orientation sexuelle ou encore leur religion, est ainsi devenue potentiellement visible instantanément par tous et partout. Or nous savons bien que ces données sont aujourd’hui la nouvelle valeur du numérique. Selon une récente étude américaine citée par Le Monde, les données personnelles des Européens représentaient en 2012 un trésor de 315 milliards de dollars.
En adoptant dès la fin des années 1970 la loi dite « informatique et libertés », pierre angulaire de la protection des citoyens face aux traitements de données à caractère personnel, la France était pionnière en la matière. Mais il est aujourd’hui nécessaire d’adapter ces règles de protection de la vie privée aux évolutions technologiques.
La mission a ainsi proposé plusieurs orientations, que je vous livre : protéger l’intimité des internautes en limitant les recherches d’amis sur les réseaux sociaux ; faire en sorte que les systèmes de géolocalisation soient désormais autorisés, et non plus simplement déclarés, auprès de la CNIL ; intégrer dans l’usage des puces RFID le respect de la vie privée en interdisant, par exemple, à des tiers non autorisés l’accès aux informations qu’elles contiennent ; demander une destruction et une anonymisation complètes des données par les fournisseurs de services après six mois ; assurer et préserver un haut niveau de protection des données en Europe.
Enfin, nous avons insisté sur l’importance d’une action diplomatique forte pour l’adoption d’une convention internationale en matière de protection de la vie privée. En effet, j’en suis convaincu, la protection de la vie privé doit devenir une exigence de fait et de droit au niveau national, mais aussi communautaire et international. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion du débat sur la réforme de la directive du 24 octobre 1995 relative à la protection des données personnelles, j’avais déposé, avec François Brottes et d’autres collègues, une proposition de résolution européenne ayant pour premier objectif de montrer que le Parlement français se doit de faire valoir un certain nombre de principes, valeurs et droits essentiels en la matière. Elle soutenait un certain nombre d’objectifs poursuivis par la réglementation communautaire, mais elle visait surtout à promouvoir l’idée d’un meilleur encadrement d’un certain nombre d’évolutions technologiques.
Nous soulignions aussi la nécessité d’encourager l’Union européenne « à développer la recherche, l’innovation et le développement dans le secteur des technologies respectueuses de la vie privée dès leur conception, dites "privacy by design" ». L’Europe doit se doter d’une véritable politique industrielle du numérique – vous en êtes convaincue, madame la ministre, nous le savons bien – et bénéficier ainsi d’un indéniable avantage comparatif dans la compétition mondiale.
Enfin, devant l’absence d’instrument juridique contraignant au-delà du droit de l’Union et de la convention no 108 du Conseil de l’Europe, nous appelions « à l’adoption par les États membres de l’Union européenne et les États tiers d’une convention internationale pour la protection des personnes à l’égard du traitement des données personnelles, comme le soutient la résolution de Madrid, adoptée par la 31e Conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée ».
Madame la ministre, mes chers collègues, nous devons nous mobiliser pour que les verrous ne sautent pas face à la puissance de quelques acteurs économiques. Nous devons nous mobiliser pour créer le cadre du meilleur équilibre possible entre droits fondamentaux et innovations technologiques. Je suis heureux que nous ayons aujourd’hui cet échange, avec la perspective de légiférer en ce sens. J’appelle à l’adoption prochaine d’une loi qui fixera naturellement des règles que seul le juge aura charge de faire respecter, sans qu’il soit nécessaire, de mon point de vue, de créer une nouvelle autorité ou de procéder à des transferts de compétences devenues obsolètes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons aujourd’hui est un sujet d’intérêt général, sur lequel un consensus devrait être possible, pour autant que nous nous tenions à distance des fantasmes – cela ne semble pas être le cas de certains de nos collègues, heureusement minoritaires.
Les évolutions technologiques et la rapidité avec laquelle elles interviennent tendent à remettre en cause notre droit et les principes d’action qui nous guident. Elles déplacent les enjeux en termes de libertés individuelles et de rôle de l’État. Ce sujet ne doit donc pas être un sujet d’opposition artificielle.
C’est pour cette raison notamment que l’opposition n’a pas alimenté la démagogie lors du vote des dispositions de la loi de programmation militaire relatives à la collecte des données personnelles. Je ne suis pas certain que, si le même texte avait été examiné sous une autre législature, l’opposition d’hier aurait eu la même attitude. J’en veux pour preuve les propos, je les ai encore en mémoire, que certains députés issus du PS, aux responsabilités parfois très élevées dans notre assemblée, ont pu tenir lors des débats sur la carte nationale d’identité électronique, laquelle avait pourtant pour seul but de sécuriser et protéger l’identité des Français face à la fraude et à l’usurpation. Certes, chers collègues de la majorité, vous vous étiez alors fait plaisir politiquement, à quelques mois de l’élection présidentielle, mais ce faisant, vous avez laissé le champ libre à la fraude et à l’usurpation d’identité, dont sont victimes des dizaines de milliers de Français chaque année.
La censure du dispositif de la carte nationale d’identité électronique par le Conseil constitutionnel, à la suite, d’ailleurs, de votre saisine, fait qu’aujourd’hui, en France, la situation est pour le moins paradoxale : l’État s’interdit de collecter et traiter certaines données à caractère personnel, notamment les empreintes digitales, fût-ce pour protéger ses citoyens de la fraude et de l’usurpation de leur identité, alors que, dans le même temps, il laisse béante la question de la collecte et du traitement des données individuelles par des sociétés commerciales non établies en France, voire par les services policiers d’autres États. Vous en conviendrez : ce n’est pas le moindre des paradoxes.
Le sujet, ai-je envie de dire à Mme Attard, ce n’est plus notre État ; ce ne sont plus la place Beauvau ou la DGSE qui doivent alimenter les fantasmes. Les enjeux sont aujourd’hui mondiaux – votre rencontre avec M. Snowden a dû vous éclairer sur ce point –, ce qui mériterait que vous mettiez à jour vos références et vos fiches.
À titre personnel, lors de la récente sortie d’un nouveau modèle de téléphone, qui recueille les empreintes digitales de son propriétaire et de l’entourage de celui-ci, j’ai eu l’occasion d’interpeller le Gouvernement sur la façon dont notre pays protège nos concitoyens face à la collecte, voire au traitement, de ces données biométriques et agit pour garantir qu’un tiers, via ces entreprises, ne les utilise pas à des fins de surveillance. J’observe que la question a suscité fort peu d’émoi en France, alors qu’aux États-Unis, pays où la firme en question est implantée, une commission du Sénat a imposé un questionnaire extrêmement précis au fabricant. En ce qui concerne la France, j’ai, pour ma part, écrit au Gouvernement, madame la ministre ; j’ai reçu deux très aimables accusés de réception du ministre de l’intérieur, dont l’un m’indiquait d’ailleurs que le dossier vous était transmis, mais je n’ai pas eu de réponse. Je trouve cela inquiétant à l’heure où vingt-cinq millions de smartphones sont en circulation dans notre pays. C’est quand même une vraie question. Ne regardons pas seulement ce qui se passe dans le huitième arrondissement de Paris ; regardons, pensons un petit peu plus loin.
Sur ce sujet, j’ai, de même, interrogé la CNIL, qui avait déployé tant d’énergie contre la carte nationale d’identité électronique, qui avait mis tant d’intelligence dans ses avis pour empêcher cette collecte de données par l’État français, une collecte, répétons-le une fois encore, à des fins de protection de l’identité de nos concitoyens. Las, elle semble tout à fait démunie face à ces nouvelles pratiques, et j’ai reçu une réponse assez déconcertante.
Certes, aujourd’hui, la CNIL a commencé à engager des actions, notamment à l’égard de Google, mais cela semble encore bien laborieux. Cela révèle, surtout, à quel point notre cadre juridique est incomplet. Google conteste que la loi « informatique et libertés » qui protège nos citoyens face au traitement des données à caractère personnel lui soit applicable. L’entreprise soutient que les services auxquels ont recours ses utilisateurs français sont exclusivement fournis par la société Google Incorporation établie aux États-Unis, et non par Google France. Il est évident qu’il nous manque aujourd’hui un cadre juridique précis, dont l’applicabilité ne puisse être remise en cause selon la localisation de l’entreprise.
Une réforme de la directive relative aux données personnelles est actuellement en préparation à Bruxelles, mais, compte tenu de la durée des processus communautaires, il me semble, madame la ministre, qu’elle ne sera pas une réalité avant au moins deux ans. Il est inacceptable de laisser les Français sans protection pendant tout ce temps. Aussi ne peut-on qu’inviter le Gouvernement à compléter rapidement notre cadre législatif. Je renvoie notamment à la proposition de loi que j’ai déposée il y a quelques jours sur la protection des données biométriques. Son objet est de soumettre les entreprises commerciales qui recourent à la biométrie au consentement explicite, libre, informé et spécifique de la personne et à une autorisation préalable de la CNIL. Son objet est aussi d’établir le caractère d’ordre public international de ces dispositions, afin d’offrir aux citoyens français une protection de leurs données biométriques au-delà du cadre contractuel de leurs relations commerciales avec des entreprises situées à l’étranger.
Il est temps, je crois que nous réalisions que le principal risque n’est plus celui d’un État français Big Brother, même si certains se plaisent à entretenir ce fantasme ; c’est plutôt, aujourd’hui, celui d’un État français candide face aux nouveaux enjeux de notre monde numérique.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la protection de la vie privée est reconnue comme l’une des valeurs fondamentales de nos sociétés, garantie par la Déclaration universelle des droits de l’homme, inscrite à l’article 9 de notre code civil, elle n’en est pas moins confrontée à l’apparition de ces nouvelles mémoires numériques, conséquence de nombreuses évolutions technologiques. Encore vouées à l’oubli il y a quelques années, les informations que nous mettons en ligne deviennent instantanément universelles dans l’espace et le temps. Elles peuvent resurgir à tout moment, au moyen des moteurs de recherche.
Au-delà d’une nouvelle tendance sociologique, encouragée par les réseaux sociaux, à l’exposition volontaire de soi et d’autrui, les nouvelles technologies rendent également possibles la collecte de données et le suivi des déplacements des individus. L’extension accélérée du nombre des fichiers nominatifs institutionnels ou commerciaux, le développement des techniques de traçage sont porteurs de risques nouveaux au regard du droit à la vie privée.
Mes chers collègues, ce débat sur la protection de la vie privée est donc d’une réelle actualité. Il a encore récemment resurgi lors de l’adoption dans la loi de programmation militaire de l’article controversé qui renforce l’accès des services de renseignements intérieurs, de police et de gendarmerie aux données téléphoniques et informatiques, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Et, ce débat, nous l’aurons encore prochainement à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la géolocalisation, dont tout l’enjeu est d’établir un juste équilibre entre le respect de la vie privée et les nécessités de l’enquête.
À l’heure de la surveillance numérique, commerciale et institutionnelle, la question de la protection de la vie privée nous concerne tous personnellement. Elle se pose à chacun de nous. Dans ce contexte nouveau, notre cadre juridique sur la protection des données personnelles est-il adapté ? Répond-il de façon satisfaisante à ces problématiques émergentes ?
La France a su réagir depuis longtemps. Elle est l’un des premiers pays au monde à s’être doté d’une loi dans ce domaine, la loi « informatique et libertés » de 1978. Si cette loi a été modifiée en 2004, si la loi sur la sécurité quotidienne de 2001, modifiée par la loi de 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, a pris en compte plus spécifiquement le problème de la sécurité, il n’en demeure pas moins que notre législation a besoin d’être actualisée en tenant compte des nouvelles problématiques qui entourent la protection des données personnelles.
La proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique présentée par Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier au Sénat en 2010, comportait des préconisations qui nous semblent intéressantes à cet égard. Elle avait pour objet de rendre l’individu acteur de sa propre protection en le sensibilisant aux dangers de l’exposition de soi et d’autrui sur internet, en lui permettant de garder la maîtrise de ses données personnelles. Les utilisateurs des technologies numériques doivent pouvoir exercer plus facilement les droits que leur reconnaît la loi « informatique et libertés », notamment celui d’être informés de la durée de conservation des données les concernant.
Au sein des entreprises et des administrations qui gèrent des traitements de données à caractère personnel, nous devons diffuser une véritable culture informatique et libertés. La proposition de loi prévoyait, dans ce but, que fût créé un correspondant informatique et libertés. Elle prévoyait de donner une plus grande effectivité au droit à l’oubli numérique. Il semble indispensable de permettre à l’usager de demander l’effacement ou la rectification de ses données à caractère personnel à tout responsable d’un traitement de données.
Ce texte en est resté au stade de la première lecture au Sénat. Le Premier ministre a annoncé qu’une loi renforçant la protection des données personnelles sur internet serait soumise au Parlement lors du premier semestre 2014. Cette loi, que nous attendons, pourrait renforcer le droit des personnes, notamment vis-à-vis des fichiers de police, et augmenterait les pouvoirs de la CNIL. J’ose espérer que nous aurons bientôt l’occasion de discuter dans cet hémicycle des différentes modalités de ce projet de loi. La France doit mettre sa pendule à l’heure numérique, exploiter le potentiel d’emplois et de croissance que recèle l’e-économie, tout en assurant la protection de la vie privée des individus.
En revanche, la protection des données personnelles ne saurait se concevoir au seul niveau national. Une approche commune avec nos partenaires européens est évidemment fondamentale, en particulier dans le cadre de la révision de la directive de 1995. Cette approche commune est notamment nécessaire dans l’intérêt de nos entreprises. Nous devons veiller à concilier deux exigences, souvent contradictoires : la protection de la vie des entreprises et la croissance promise par l’exploitation des données personnelles. Certaines entreprises européennes, respectueuses de la protection de la vie privée ne doivent pas être désavantagées par rapport à d’autres entreprises qui ne seraient soumises qu’à des règles du jeu a minima. En l’état actuel, la directive du 24 octobre 1995 n’a que partiellement atteint son objectif d’une harmonisation des législations nationales, les États membres disposant d’une importante marge de manoeuvre. Sa révision doit être l’occasion d’un alignement par le haut des législations nationales régissant la protection des données personnelles.
Des initiatives sont en cours, qui émanent principalement de la Commission européenne. Au mois d’octobre 2013, cette dernière a proposé une réforme de la directive, qui a été adoptée par la commission des libertés publiques du Parlement européen.
Parmi les mesures phares de ce projet, on trouve notamment le consentement au traitement de données personnelles, le droit à l’oubli, l’information sur les attaques informatiques. Le règlement prévoit également l’obligation pour les entreprises de demander l’autorisation à la CNIL de transférer des données personnelles traitées au sein de l’Union européenne en dehors du territoire européen et la création d’un guichet unique. D’importantes amendes seraient infligées aux entreprises qui violeraient ces règles.
Difficilement acceptée par les États membres, cette réforme en est aujourd’hui au point mort. Coincée entre la volonté de mieux protéger les données des citoyens et la pression des géants américains du web, l’Union européenne peine à progresser sur ce terrain. Nous devons pourtant avancer sur la question car une telle réforme nous offre l’occasion unique de définir un niveau de protection élevé en Europe. Les changements de notre société nous imposent d’exercer une vigilance accrue face à l’ampleur de la collecte des données personnelles et à l’usage qui peut en être fait. La conception européenne de la vie privée, fondée sur le point de vue du citoyen et non sur celui du consommateur, doit être préservée.
Adapter le cadre juridique, d’une part, à l’évolution des pratiques, en particulier l’utilisation croissante d’internet et la multiplication des traitements informatiques, et, d’autre part, aux nouvelles attentes de notre société en matière de respect de la vie privée, tels sont les défis de demain.
Madame la ministre, c’est vrai, en certaines occasions, le malentendu a sans doute primé dans le dialogue avec les écologistes, mais, cette fois-ci, je me félicite de votre plaidoyer, que vous avez très clairement et très fermement exprimé à la tribune, en faveur de la défense des données personnelles, de la vie privée. Il s’agit là de conditions essentielles à l’exercice de notre liberté, de la liberté d’expression et du droit d’association. Ce plaidoyer en faveur de la protection des données personnelles et de la vie privée me semblait tout à fait à propos, à l’heure où, nous le savons bien, et vous l’avez dit, madame la ministre, les tentations sont fortes d’assouplir la protection de ce droit fondamental, à la fois pour accroître la surveillance des citoyens, comme l’a indiqué tout à l’heure ma collègue Isabelle Attard, et pour tirer profit des informations qui les concernent, en les collectant, en les traitant, en les stockant ou en en faisant commerce. Ces pratiques, dangereuses pour nos libertés en ligne et hors ligne, sont particulièrement répandues sur internet.
Nous avons été plusieurs à le dire, je crois que ce point fait consensus : le droit protégeant notre vie privée doit aujourd’hui être adapté à l’ère numérique, et renforcé pour répondre à de nouveaux enjeux. Au niveau national et au niveau européen, les tentatives d’assouplissement sont réelles et, même si je me félicite de la position française, les craintes sont vives que la révision du règlement européen sur la protection des données à caractère personnel engagée par la Commission européenne en 2012 ne débouche sur un assouplissement de ces règles contraire aux intérêts des citoyens. Il est essentiel que les législateurs, plutôt que de se soumettre à des intérêts privés, obligent les entreprises à davantage de transparence et de responsabilité pour la protection de nos données et interdisent les abus.
Tout en me félicitant de votre intervention, je me suis interrogé, madame la ministre : pourquoi ne pas vous exprimer davantage ? Je ne souhaite pas, pour ma part, tenir un discours in abstracto sur internet et les libertés fondamentales, je reviendrai simplement sur trois textes dont nous avons débattu dans cet hémicycle. Lors de leur examen, votre voix nous a manqué ; vos lumières auraient pu éclairer à la fois vos collègues du Gouvernement et, certainement, une partie de la majorité.
Voyez donc dans ces remarques un simple encouragement à être plus visible, à prendre la parole de manière plus dynamique et réactive.
Je vais à présent parler de ces projets de loi que nous avons examinés récemment, en commençant par celui qui concernait la prostitution. Paradoxalement, l’article 1er de ce projet de loi rétablissait le filtrage administratif d’internet que l’Assemblée nationale venait de supprimer par le projet de loi relatif à la consommation. La majorité actuelle avait pourtant beaucoup contesté ce dispositif lorsqu’elle était dans l’opposition, à juste titre, au moment de l’examen de textes comme la loi Hadopi ou la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI. Il a fallu néanmoins la mobilisation citoyenne sur les réseaux et la saisine du Conseil national du numérique par notre collègue Laure de La Raudière pour que le Gouvernement accepte de corriger cet article 1er !
Vous savez bien que dans notre législation le filtrage administratif ne concerne que des cas très précis, dont la lutte contre la pédopornographie. Je souhaite, sur ce point, obtenir des réponses précises : vous avez déclaré en juillet dernier que le décret prévu à l’article 4 de la LOPPSI ne sera jamais publié par le Gouvernement. Vous avez ainsi déclaré votre attachement au recours au juge pour tous les types de filtrage. C’est plutôt une bonne nouvelle, qui a été saluée par celles et ceux qui sont attachés aux libertés numériques. Je m’en félicite moi-même, mais je crois que vous avez oublié d’en informer la majorité parlementaire aussi bien que les membres du Gouvernement ! Je vous invite donc à donner une plus grande publicité à vos propos et à vos prises de position, notamment auprès de Najat Vallaud-Belkacem. Nous avons eu avec elle un débat sans queue ni tête sur ces questions, or je crois que les débats auraient été plus clairs si votre position ferme de refus du filtrage administratif avait été mieux connue. Les amendements auraient aussi été examinés plus rapidement en commission !
Deuxièmement, l’article 20 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 – ancien article 13 du projet de loi – autorise notamment la collecte en temps réel d’informations et de documents auprès des hébergeurs et des fournisseurs de service, dans le cadre d’une procédure administrative sans contrôle judiciaire, au simple motif de rechercher des renseignements touchant à « la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ». Je crois, madame la ministre, que les propos que vous avez tenus tout à l’heure à tribune sont assez contradictoires avec ce dispositif prévu par la loi de programmation militaire !
Pour conclure, je tiens à faire référence au projet de loi sur la géolocalisation, qui entérine cette dérive : la géolocalisation pourra concerner tout objet appartenant au suspect, c’est-à-dire tout objet connecté. La commission des lois a rejeté un amendement visant à préciser par une liste fixée par décret en Conseil d’État le périmètre des objets visés par la géolocalisation. Non seulement le texte actuel est trop général – tout objet pourra être géolocalisé – mais en plus il n’y aura pas d’avis de la CNIL, ni de décret pour définir les objets concernés, ni même d’arrêté. C’est quand même très surprenant ! De plus, selon le projet de loi, la décision de géolocalisation « n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours. » Les libertés fondamentales et les données personnelles ne sont pas protégées par le dispositif prévu par ce projet de loi dans sa rédaction actuelle.
Sur ces questions, je voudrais que vous soyez très précise. Nous ne pouvons pas nous contenter de belles déclarations : nous devons intervenir sur le travail législatif lui-même, car le Parlement adopte à l’heure actuelle des dispositifs tout à fait dangereux pour nos libertés.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, de quoi s’agit-il, finalement ? De rattraper le temps perdu ! En effet, la dernière loi relative à ces questions date de 1991 ; elle portait plus précisément sur le contenu des interceptions de sécurité. Depuis lors, il s’est passé beaucoup de choses : le monde a changé, a évolué. Le wi-fi n’existait pas encore, à l’époque, non plus que les ordinateurs microscopiques. Les petits iPhone dont nous disposons aujourd’hui n’existent que depuis cinq ans ; aujourd’hui tout le monde pianote à l’envi dans un monde totalement ouvert. Ce qui était impossible il y a vingt ans, improbable il y a dix ans, est aujourd’hui devenu réalité.
Dans ce domaine, l’année 2013 a été riche en événements mondiaux. Des affaires ont révélé la manière dont les États-Unis – qui sont une grande démocratie – se comportent pour accéder à des données, les stocker et s’en servir dans un but de sécurité nationale. Certaines personnalités, auparavant secrètes, ont permis ces révélations. On s’est aperçu à cette occasion que la France et l’Europe sont peut-être bien fragiles sous ce rapport. Je tiens à souligner, à rappeler, que l’Europe ne compte pas de major de l’informatique, des télécommunications et des instruments et outils de télécommunication. Il existe de brillantes majors européennes en matière de services liés aux télécommunications, qui sont internationalement reconnues, mais pas dans le hard. Nous sommes tous dans une intersection entre le hard et le soft. Or nous oublions que les deux font sens, que les deux font économie.
A ce propos, je vous remercie, madame la ministre, tout simplement pour avoir dit que la question de la sécurité informatique, de la sécurité numérique, est un enjeu de développement économique. Il faut donc construire une législation qui nous permette de maîtriser cette question. La législation française a été en avance en matière de sécurité numérique en créant la CNIL – institution qui doit évoluer.
Il y a quelque temps, l’été dernier encore, il a été question au niveau européen de laisser aux États le soin de régler les conflits en matière de sécurité informatique, selon leur propre législation. Puisque les sièges sociaux de la majorité des entreprises américaines de ce secteur sont situés en Irlande, les litiges auraient été traités non pas en droit français mais en droit irlandais. Il était donc important que la France reprenne pied à l’Union européenne pour remettre cette question sur la table. Les enjeux sont considérables, car c’est de l’économie de notre continent entier qu’il s’agit. Vous avez réalisé un travail important, de même que la CNIL, pour remettre cette question sur la table, pour la faire figurer au premier plan.
Dans le cadre de ce débat, on voit se dessiner – sans s’affronter – des opinions diverses. C’est tout l’intérêt du débat démocratique. Nous savons bien que des services de plusieurs ministères – les ministères de l’économie, de la défense, de l’intérieur, de la recherche – sont intéressés et concernés par les questions de sécurité, de même qu’une agence placée directement auprès du Premier ministre.
Il était temps d’élaborer des textes, non pas pour déterminer qui fait quoi, mais pour savoir ce que chacun est autorisé à faire. Il s’agit également de faire en sorte que le contrôle démocratique puisse s’exercer tout en garantissant la sécurité des personnes et l’intérêt du pays. Quand je parle de la sécurité des personnes, j’entends celle des personnes physiques – c’est-à-dire les libertés individuelles – et celle des personnes morales – c’est-à-dire celle des entreprises.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous constatons que la plupart des majors mondiales de l’internet sont américaines. Je sais, par ailleurs, que les Russes déploient, en alphabet cyrillique, une sorte d’internet qui leur est propre. C’est un grand pays, une grande nation pour les mathématiques et pour les sciences. Les Chinois font de même, ainsi que les Indiens. Les grands continents du monde sont en train de construire leurs propres outils sur internet, leurs propres produits du soft et du hard. Nous, Français et Européens, qui restons attachés à une protection très forte des données de nos ressortissants, de leur sécurité personnelle, de l’intégrité de nos personnes morales, pourrions, me semble-t-il, faire de cet enjeu un atout économique, qui pourrait mobiliser beaucoup de monde : non seulement des ingénieurs et des juristes, mais aussi des scientifiques comme des sémanticiens, des traducteurs, des informaticiens, des mathématiciens… Toutes sortes de disciplines pourraient permettre à la fois de garantir la sécurité individuelle et les libertés personnelles, et de donner un avantage compétitif à notre pays. Pour cela, l’objectif de sécurité des données doit être gravé dans la loi. Nous devons y travailler, y réfléchir, nous devons avancer sur ce chemin – comme vous l’avez dit, madame la ministre, et je vous en remercie – pour examiner une loi au mois de juin prochain.
Cette nécessité est à la fois morale et politique. Cette impérieuse nécessité est aussi économique, car si l’internet a été créé en Europe, il est exploité aux États-Unis. Nous avons perdu notre économie du hard, et il est temps de retrouver à travers le soft une économie du hard brillante. Nous en sommes capables, et nous avons le temps de le faire. Ce chemin n’est pas difficile : il s’agit d’aller de l’avant, de ne pas se bercer d’illusions.
Il ne faut pas croire que notre continent est différent des autres, et rester ainsi à la traîne.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, Google est en train de devenir, en France, le gestionnaire universel de notre vie en ligne. En effet, les initiatives de cette compagnie concernent tous les champs du numérique. Il est un point commun à toutes les interrogations qui s’expriment : comme vous l’avez dit, madame la ministre, elles sont nées d’une fantastique révolution numérique. Les changements sont irréversibles, et procurent de multiples bienfaits au plus grand nombre.
Dans cet esprit, nous devons trouver des solutions innovantes pour protéger la vie privée et les données personnelles – notions qui ne se confondent pas – à l’heure de l’informatique à distance, du big data, de l’open data, des réseaux sociaux, de l’internet mobile, de la géolocalisation et de l’internet des objets. Il est évident que le curseur entre vie privée et vie publique se déplace. Il peut même varier à tout moment selon les individus. Mon propos portera principalement sur la surveillance numérique commerciale des internautes.
Les données personnelles sont des informations qui permettent d’identifier directement ou indirectement une personne physique. Elles sont protégées par divers instruments juridiques concernant le droit à la vie privée : la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 ; au niveau communautaire, une directive de 1995 ; la convention du Conseil de l’Europe no 108 pour la protection des données personnelles.
Depuis 1978 et 1995, la donne a radicalement changé : nous en sommes tous bien conscients. L’usage des outils numériques s’est globalisé, ce qui rend les cadres nationaux largement inopérants. De même, la limite entre vie publique et vie privée s’est brouillée, car nombre d’internautes exposent volontairement leur vie sur les réseaux sociaux. Une grande partie des services numériques distribués sous une apparence de gratuité repose en réalité sur une nouvelle économie des données personnelles.
Les données sont aussi stratégiques que le pétrole ou le nucléaire. Tout le monde s’accorde à considérer que le cadre juridique des données personnelles en vigueur est désormais obsolète. La distinction entre les données personnelles et celles qui ne le sont pas est ténue : un très grand nombre de données apparemment anonymes peuvent devenir personnelles après traitement. En effet, on peut identifier facilement des personnes anonymisées à partir des données de géolocalisation. Celles-ci permettent de connaître les endroits où vit la personne considérée : son domicile, lieu de stationnement de sa voiture, son lieu de travail, là où elle déjeune, l’école où elle va chercher ses enfants, etc.
Grâce aux nouvelles capacités d’analyse algorithmique et aux applications de data mining et de profilage, les dispositifs informatiques font parler les données, même les plus muettes ou les plus anonymes. Comme le rappelait la CNIL, la personnalisation qui en résulte s’effectue paradoxalement sans jamais demander l’avis de l’individu ! En outre, avec l’informatique en nuage, les internautes perdent la maîtrise de la localisation de leurs données et donc de la sécurité et de la confidentialité de ces données. Les internautes courent ainsi un risque supplémentaire de voir leurs données utilisées contrairement à leur volonté.
Il me semble que la nouvelle donne numérique invite à un rééquilibrage au moins sur trois plans : d’abord, à un rééquilibrage du cadre juridique national ; ensuite, à rééquilibrage du cadre juridique européen ; enfin, à un rééquilibrage entre les internautes et les opérateurs pour restaurer la confiance dans l’internet.
J’aborderai d’abord le rééquilibrage du cadre juridique national. En matière de protection de la vie privée dans l’ère du numérique, les conceptions de la France et des États-Unis – dont les entreprises et le gouvernement fédéral dominent outrageusement l’internet – sont opposées. Je rappelle que 3 millions d’entreprises et 66 millions de citoyens sont concernés par notre souveraineté numérique !
Parce que les données personnelles dépassent aujourd’hui la vie privée, et à condition de ne pas figer les règles, ni de brider l’innovation, la protection des données personnelles pourrait faire l’objet d’une « constitutionnalisation », à l’instar de ce qui existe déjà chez treize de nos voisins européens, afin de bénéficier d’un régime juridique plus protecteur que celui de la simple vie privée. La France serait ainsi mieux armée pour négocier avec les acteurs extra-européens.
Le projet de loi en cours de rédaction auquel vous avez fait tout à l’heure allusion, madame la ministre, pourrait être l’occasion de renforcer les pouvoirs de sanction de la CNIL – je crois que vous l’avez évoqué –, sans attendre un règlement européen qui pourrait prendre encore du temps. Un toilettage législatif de la loi de 1978 peut non seulement être entamé dès maintenant sans préjudice du règlement européen à venir, mais encore nous permettre de mieux peser sur les grandes orientations européennes en matière de protection de la vie privée numérique.
La CNIL pourrait être investie d’un pouvoir de contrôle en ligne, qui lui manque, ainsi que d’un pouvoir de contrôle des « fichiers de souveraineté », avec un personnel dédié. Ce renforcement du pouvoir de la CNIL me semble particulièrement nécessaire pour restaurer la confiance de l’opinion publique, légitimement troublée par un certain nombre de révélations sur la violation des échanges numériques. Bien évidemment, il faudra aussi veiller à continuer d’adapter les moyens de la CNIL à l’évolution de ses missions.
Deuxième rééquilibrage qui me semble urgent : celui du cadre juridique européen. Quel est le bon niveau de souveraineté numérique face à l’exploitation et au stockage de nos données personnelles par des entreprises majoritairement, pour ne pas dire exclusivement, américaines ?
Ce n’est pas sans raison que la protection des données à caractère personnel est l’un des principaux points d’achoppement des négociations de l’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis. La production et le partage de la valeur née des informations personnelles de plus de cinq cents millions d’Européens sont un enjeu véritablement stratégique car il touche à la fois à notre souveraineté et à l’existence de l’Europe dans un des secteurs numériques les plus prometteurs.
Le rééquilibrage minimum à obtenir est le respect des valeurs européennes par des entreprises qui veulent continuer d’accéder au marché mondial le plus développé.
L’Europe doit s’exprimer d’une voix forte pour protéger les données à caractère personnel, au moment où les révélations de l’affaire Snowden et le retard dans l’adoption du projet de règlement européen font douter de la capacité internationale à réguler l’internet.
Il faut mener une offensive numérique européenne positive autour des valeurs de l’Europe et de la compétitivité de notre économie. La proposition de règlement « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données » a été déposée par le Parlement européen et le Conseil le 25 janvier 2012, en même temps qu’une autre proposition de directive.
Nous savons bien que la proposition de règlement a fait l’objet d’un intense lobbying de la part des grands opérateurs de la Silicon Valley, au point qu’on a cru paralyser le processus législatif. Le 21 octobre dernier, un nouveau texte, se voulant de compromis, a été proposé par le Parlement européen, ou en tout cas par une de ses commissions.
Il faut prendre acte des avancées de ce projet de règlement, notamment dans le domaine du droit à l’oubli et des « règles d’entreprise contraignantes » destinées à faciliter les transferts de données hors de l’Union européenne dans un même groupe.
La démarche de compromis des instances européennes n’a cependant pas encore permis de clarifier un certain nombre de questions essentielles pour la protection des données à caractère personnel.
Si, sous certains aspects, le projet de règlement penche heureusement en faveur d’une conception personnaliste de la donnée, en liant la définition des données et de la personne, ce projet reste à préciser pour ne pas laisser à l’écart un certain nombre de données. Le groupe des autorités indépendantes de contrôle, dans lequel la CNIL joue un rôle moteur, propose que soit retenue comme donnée à caractère personnel toute donnée permettant de singulariser la personne parmi les autres.
Il faut définir une forme nouvelle d’expression du « consentement explicite », qui n’est pas obligatoire actuellement, sans pour autant négliger le risque de banalisation qui se produirait en cas de recueil systématique du consentement. Faut-il, à l’inverse, réserver l’exigence de consentement aux traitements les plus dangereux pour l’internaute, au risque de banaliser les autres traitements qui ne sont jamais innocents ? Et il faut, naturellement, garder en tête que le refus des traitements par un internaute ne doit pas non plus lui occasionner un refus d’accéder aux services, sans quoi cette liberté de choix serait très virtuelle !
Le statut juridique de la donnée reste irrésolu, dans l’état actuel du droit : est-ce un bien objet d’appropriation et de valorisation ou est-ce un droit personnel et fondamental de chaque individu qui doit être protégé au même titre que le droit au respect de la vie privée ? Le problème du traitement des données sensibles n’est pas non plus résolu dans le nouveau projet. C’est pourtant fondamental pour concilier la protection des données et la santé publique, y compris au niveau de la recherche.
La question de la compétence des autorités et des tribunaux conditionne l’efficacité de la régulation et des sanctions. L’exemple positif du droit de la concurrence en Europe montre que l’on peut espérer dépasser la fragmentation européenne en constituant un réseau d’autorités avec, par exemple, un pouvoir de co-décision entre l’autorité de contrôle du pays de l’internaute et celle du pays du principal établissement de l’entreprise fautive ou réputée telle.
Les États doivent donc aujourd’hui se positionner : madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer la position de la France par rapport à ce projet de règlement ? Dans quel sens notre pays voudrait-il le voir évoluer ? Pour le transfert des données hors d’Europe, il faut obtenir l’application des règles européennes aux acteurs non européens. L’objectif final est de soumettre à la loi européenne les entreprises américaines ou agissant en Europe.
Troisième rééquilibrage qui me semble souhaitable d’obtenir : sensibiliser les internautes pour responsabiliser les entreprises. L’expérience nous l’a montré : les grands opérateurs de l’internet évoluent très vite, quand ils sentent qu’ils perdent la confiance des internautes – c’est même l’un des rares moments où ils évoluent.
Un des moyens les plus sûrs d’obtenir les évolutions souhaitables en matière de protection des données est donc de convaincre les internautes d’exiger un nouveau « contrat de confiance », plus respectueux des données personnelles. Pour cela, nous devons mieux promouvoir une nouvelle « responsabilité numérique des entreprises ». Une façon d’y intéresser les entreprises est de les convaincre qu’il s’agit là d’un atout en termes de compétitivité.
Pour sensibiliser les internautes, il nous faut travailler encore plus étroitement avec les associations de consommateurs. Que Choisir a mis en demeure Twitter, Google et Facebook de modifier les conditions générales d’utilisation qui introduisent un quadruple déséquilibre insupportable au détriment des consommateurs.
Nous savons que ces conditions sont illisibles. Pour Facebook, elles représentent dix-huit pages, qui ne sont d’ailleurs pas toutes en français, et comportent plus d’une centaine de liens hypertexte, dont on imagine que la lecture doit faciliter l’adhésion ou le refus de l’internaute.
Ces conditions générales d’utilisation autorisent une utilisation large et massive des données par les tiers, entreprises ou autres. Elles introduisent aussi une sorte d’auto-exonération complète de responsabilité, par exemple en cas de disparition des données – comme on l’a vu. La dernière difficulté soulevée par ces conditions générales, auxquelles l’on adhère sans pouvoir faire autrement, est que, bien évidemment, elles réservent exclusivement aux tribunaux américains la compétence en cas de litige.
La confiance des consommateurs serait une arme importante pour faire évoluer l’écosystème numérique de manière plus conforme à nos valeurs européennes. Une campagne pour engager les consommateurs à choisir les opérateurs qui stockent en Europe serait, par exemple, un atout précieux à ce stade de la négociation internationale.
Nous pourrions peut-être également organiser, comme on l’a vu pour d’autres grandes causes, un grand débat public sur le modèle de ceux qui ont donné des résultats intéressants pour des sujets de même importance. Le problème de la protection de la vie privée et des données personnelles le mérite.
Enfin, dernier point que je souhaitais évoquer : l’éducation au numérique. À l’initiative de la CNIL, et avec le soutien d’un certain nombre d’entre nous et d’autres organismes, il a été lancé l’idée que l’éducation au numérique pourrait être la Grande Cause nationale en 2014. Nous savons que beaucoup d’autres objectifs le méritent, mais je pense très franchement que celui-ci pourrait être intéressant, pour mobiliser tous les esprits et les médias sur cette éducation et montrer que nous avons besoin de créer une nouvelle sociabilité née du numérique. Celle-ci n’est pas spontanée et une éducation est nécessaire afin de faire face, de manière responsable, à toutes les opportunités du numérique, sans tomber dans ses quelques pièges.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à ce jour, la somme des informations disponibles est telle que si on les enregistrait sur des CD, ceux-ci formeraient cinq piles capables de relier la Terre à la Lune. Cette somme d’informations ne fera que croître de manière exponentielle dans les années qui viennent, alors qu’aujourd’hui le contenant est aussi important que le contenu, c’est-à-dire que tout l’environnement du message importe : qui appelle-t-on et pendant combien de temps ? A quelle heure ? Quels sites visite-t-on ? Quels mots-clés tapons-nous dans les moteurs de recherche ? Nous assistons ainsi la mise en donnée d’une multitude de facettes de notre vie.
Le croisement d’informations multiples permet d’identifier des corrélations entre différents événements. Par exemple, Google peut maintenant identifier en temps réel les foyers de grippe existants grâce à la récurrence des recherches de certains mots-clefs.
De même, la ville de New York a utilisé les données numériques pour faire diminuer le nombre d’incendies. En croisant des indicateurs concernant neuf cent mille bâtiments de la ville et les incendies ayant eu lieu au cours des cinq années précédentes, la ville a pu déterminer un type de bâtiments plus susceptible que d’autres de connaître un incendie. Ainsi, en privilégiant ce type de bâtiments 70 % des visites donnent lieu à un ordre d’évacuation, contre 13 % avant la mise en place de cette procédure. Nous le savons, la mise en données peut donc être mise au service de tous de manière bénéfique.
Il n’en reste pas moins que ce big data suscite des questions relatives au respect de la vie privée et plus encore au respect de la démocratie. Souhaiter tout connaître, tout prévoir, afin de mieux contrôler, c’est prendre le risque de réduire notre espace de liberté, espace de liberté sans lequel la démocratie ne peut exister. Cette nécessité, Raymond Forni l’avait rappelée au moment du débat sur le traitement automatique des cartes d’identité : « Dans une démocratie, je considère qu’il est nécessaire que subsiste un espace de possibilité de fraude. […] J’ai toujours été partisan de préserver de minimum d’espace sans lequel il n’y a pas de véritable démocratie ».
Pour assurer cet espace de liberté, nous devons porter toute notre attention sur l’utilisation de ces données par l’État et les grandes entreprises. Au regard du temps qui m’est imparti, je concentrerai mon intervention uniquement sur les entreprises. Actuellement, il y a peu de risque qu’une grande entreprise diffuse des données considérées comme intimes. Cette publication de données privées serait non seulement sévèrement punie par la loi mais aussi fortement réprouvée par les utilisateurs.
En revanche, le danger vient de la compilation par ces entreprises de données visant à vendre le profil de ces utilisateurs, notamment en vue de faire de la publicité ciblée. Chacun a pu remarquer que, lorsqu’il envoie des courriels concernant la préparation de ses vacances ou l’achat d’une voiture, apparaissent alors des publicités sur des hôtels ou des voitures bon marché. Ainsi, l’on comprend mieux l’adage qui veut que « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».
Contrôler l’utilisation de ces données est complexe, non seulement quand ces entreprises ou ces sites dépendent de législations étrangères, mais également en raison de la grande évolutivité qui marque ce secteur et après lequel court souvent la législation. Nous devons effectivement adapter notre législation aux réalités changeantes. Si internet est d’abord apparu comme un formidable outil de diffusion d’information, de liberté d’expression et d’échange, chacun a compris qu’il peut être utilisé comme un outil de surveillance.
Afin de limiter ce risque, nous devons aujourd’hui nous devons nous appuyer sur des moyens de contrôle existants, tels que la CNIL, qui est trop peu utilisée dans le champ du numérique, et dont l’action devra être renforcée.
Ainsi, voici quelques jours, la CNIL a condamné Google qui, en 2012, a appliqué à l’ensemble de ses services une même politique de vie privée, lui permettant de croiser l’ensemble des données récoltées. Il semble que le géant d’internet n’ait guère apprécié l’obligation qui lui a été faite par la CNIL d’informer, durant quarante-huit heures, ses utilisateurs qu’il avait violé leurs droits en matière de protection des données personnelles. En revanche, les pénalités financières ont été ridiculement faibles puisqu’elles se sont élevées à 150 000 euros, ce qui correspond au chiffre d’affaires réalisé en deux minutes par Google grâce à son moteur de recherche.
Il nous semble, en conséquence, essentiel, madame la ministre, de rendre réellement dissuasives les législations existantes en prévoyant notamment des pénalités qui aient un sens au regard de la taille de l’entreprise et de son chiffre d’affaires. Pour conclure, je souhaiterais insister sur l’enjeu d’une législation qui saura concilier, comme tous semblent bien entendu le souhaiter, l’utilisation et la diffusion des données numériques avec la préservation des libertés et garantir la liberté des internautes tout en empêchant le développement d’outils de surveillance mondialisés.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question des données, de leur protection, de leur collecte et de leur utilisation concerne l’ensemble de la société dans toutes ses composantes : individus, administrations, collectivités territoriales, entreprises. Le développement du numérique repose désormais, pour une grande partie, sur la valeur que constituent les données produites par chaque citoyen ou chaque organisation. Cela suscite de la méfiance, mais représente aussi une opportunité et une réalité à maîtriser pour favoriser création, innovation et progrès dans nos économies et nos sociétés.
L’enjeu, aujourd’hui, est de garantir la protection des données personnelles, et donc la vie privée, la liberté de communication, le développement de l’économie numérique, levier de croissance, d’emploi et de progrès social. Nous disposons, en France, d’atouts et de talents remarquables en la matière. Par notre réflexion, nous devons – et c’est, me semble-t-il essentiel – apprendre à chacun à devenir maître de ses données personnelles en lui donnant la pleine conscience de leurs valeurs et des enjeux futurs ainsi qu’en lui offrant la possibilité d’en assurer une diffusion contrôlée, consentie et réversible. Nous devons également inciter chacun à ne plus être simple consommateur, mais à devenir un acteur à part entière du numérique.
Celui-ci bouleverse, en effet, notre vie quotidienne, modifie notre façon de communiquer et transforme tous les secteurs d’activité. L’exemple de la santé est, à cet égard, très significatif. Alors que les données de santé touchent au plus intime de chacun d’entre nous et nécessitent, à ce titre, une attention et une protection particulières, on constate que le partage et l’utilisation de données brutes anonymisées pourraient constituer un formidable levier pour une meilleure prévention et une meilleure coordination des soins. La notion de consentement des utilisateurs-contributeurs est essentielle et centrale. Le partage ne peut être que volontaire et n’aura de sens que s’il s’inscrit dans une démarche collective. Chacun doit pouvoir à tout moment récupérer ses données s’il le souhaite.
Les débats législatifs récents ou en cours – je pense à la loi de programmation militaire ou au projet de loi relatif à la géolocalisation – ont effectivement cristallisé, comme vous l’avez précisé, madame la ministre, des inquiétudes sur le périmètre de la collecte des données, la définition même d’une donnée, l’utilisation des données quelle qu’en soit leur nature et, plus globalement, la crainte d’une surveillance généralisée de la population, bien évidemment accentuée par l’affaire PRISM.
Au-delà de l’interprétation purement juridique, étape bien évidemment essentielle, il me semble opportun et indispensable de s’interroger sur l’impact et l’interprétation que peuvent faire citoyens et acteurs économiques de ces débats. Je souhaiterais m’arrêter quelques instants sur deux secteurs auxquels nous devons être particulièrement attentifs : celui de l’hébergement des données et celui de leur traitement massif. Dotés de formidables perspectives de développement, le cloud et le Big Data sont des secteurs en pleine croissance.
Face à ses concurrents, principalement nord-américains, l’offre française, et plus largement européenne, a pour atout majeur d’assurer le respect de nos valeurs fondamentales incluant le principe de protection des données sensibles et personnelles et de la vie privée. Nous devons, dès lors, nous attacher à rassurer sur la sécurité des informations, leur localisation et la confidentialité des données stockées et hébergées. Les débats récents ont pu mettre à mal cette certitude et cette confiance pourtant nécessaire. Nous avons, en France et en Europe, des avantages différentiels à faire valoir.
Cela impliquera de faire preuve de la plus grande attention et de la plus grande vigilance quant à l’usage qui sera fait des données collectées. Il s’agit d’une opportunité à saisir, un tournant à ne pas manquer, mais il est nécessaire d’imposer parallèlement un certain nombre de règles applicables à tous les acteurs. Comme nous l’avons déjà souligné, il est nécessaire de mener une réflexion a minima à l’échelle européenne sur ces questions, considérant les grands acteurs mondiaux et plus particulièrement nord-américains.
Au-delà de la nécessaire sensibilisation des individus, des administrations, des collectivités territoriales et des entreprises à la protection et à la maîtrise de leurs données, il me paraît essentiel et urgent d’harmoniser l’approche des questions numériques sur le plan législatif selon des principes simples qui éviteront les crispations que nous avons connues ces derniers temps. Je me réjouis, madame la ministre, que vous ayez précisé que serait prévu dans la prochaine loi sur le numérique un socle, ce qui nous permettra d’avoir une approche plus globale de ces questions essentielles.
La confiance reste, en effet, la base et la condition sine qua non du développement numérique. Or, elle se gagne difficilement et se perd facilement dans un monde en perpétuelle transformation. Internet et le numérique constituent donc un enjeu majeur pour la société et pour chaque citoyen, enjeu auquel nous devons faire face.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
« J’instituerai un habeas corpus numérique qui garantira les droits et les libertés de chacun face à l’entrée dans nos vies des nouvelles technologies. » Ainsi s’exprimait François Hollande dans son discours sur la justice le 6 février 2012. La question du compromis à trouver entre la liberté, d’une part, et la sécurité, de l’autre, est vieille comme le monde, mais le dualisme de ces notions trouve à s’exprimer de manière particulièrement aiguë depuis l’avènement des technologies d’information et de communication dont le potentiel d’intrusion dans la vie privée à des fins de protection de l’État, de la société et des justiciables ou de recherche de bénéfices commerciaux est particulièrement fort.
L’affaire Snowden a eu le mérite d’inscrire la question dans le débat public à l’heure où les menaces sur la sécurité, en particulier les menaces terroristes, se font plus diffuses et plus difficiles a cerner, où les manifestations de haine sur les réseaux sociaux prennent une ampleur inégalée et menacent elles-mêmes les libertés au nom de la liberté d’expression et où les acteurs du numérique, ceux que l’on dénomme les « géants du Net », jouent un rôle décisif dans l’édiction des normes applicables.
On constate que les principes qui ont jusqu’à présent guidé le fonctionnement des réseaux d’information sont bousculés et que le législateur peine à apporter une réponse globale et toujours cohérente, comme l’ont démontré les épisodes successifs et récents relatifs à la loi de programmation militaire, à la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore au projet de loi relatif à la géolocalisation. Dans ce contexte, c’est une bonne nouvelle que celle de l’inscription de la neutralité de l’internet dans la loi, de l’affirmation du principe d’un internet ouvert, du financement des infrastructures et des écosystèmes.
Mais la difficulté à appréhender ces sujets est d’autant plus grande que le temps du politique et de la démocratie n’est pas celui du numérique, de l’innovation et des investissements rapides des capital-risqueurs, que souvent les milieux politiques et numériques se connaissent mal, que, dans ce domaine plus encore que dans d’autres, les sources normatives, locales, nationales, européennes, soft law s’empilent et parfois se contredisent et que le sujet concerne plusieurs ministères. Vous le savez, madame la ministre, il est difficile de faire exister et vivre ce sujet avec une approche aussi complexe.
Le 28 février 2013, le Gouvernement a présenté sa feuille de route numérique autour de trois axes forts : une action résolue pour la jeunesse, une économie plus compétitive grâce au numérique et des valeurs préservées et renforcées. Le projet de loi que vous avez annoncé doit répondre en particulier à ce troisième enjeu. Je me réjouis de l’ambition que vous souhaitez lui donner en impliquant toutes les parties prenantes dans le cadre d’un large processus de consultation.
Cette démarche devra, il me semble, contraster avec celle de la Commission européenne qui, pour rédiger son projet de règlement relatif aux données personnelles, n’a pas suffisamment inclus les États et les acteurs industriels européens. La nécessité d’un arbitrage clair entre les besoins de sécurité et les besoins de liberté se fait particulièrement ressentir en matière de lutte contre la cybercriminalité, de détention et d’usage des fichiers publics et privés, de sécurité des réseaux, d’ouverture des données publiques et de protection des données personnelles.
Le recours massif à la géolocalisation impose de redéfinir le cadre général de cette technique, y compris lorsque son origine est privée – peut-être plus encore lorsque son origine est privée – et qu’elle s’accompagne de traçabilité ou de techniques de profiling sans le consentement de l’intéressé. Au coeur de ces questions se trouve forcément – du moins je l’espère – celle des moyens matériels et humains mis à disposition des autorités publiques – la CNIL ou l’ANSSI – et des forces de l’ordre pour effectuer leur travail de contrôle de la conformité des comportements aux obligations légales et de recherche des auteurs de délits et de crimes.
A l’heure du big data et de la commercialisation des données, l’arbitrage entre sécurité et liberté implique aussi de définir les frontières entre données publiques et données privées. L’ouverture des données publiques permettra une refonte et une dynamisation de l’action de l’État et une plus grande transparence de l’action publique, ce qui renforcera la confiance des citoyens. Il conviendra, là aussi, de redéfinir, lors de la transposition de la directive européenne dans notre droit, le cadre juridique applicable en ce domaine.
Concernant les données personnelles, on connaît désormais le besoin de protection revendiqué par les citoyens. Or, si la liberté nous est chère, le premier mot de notre devise républicaine semble actuellement quelque peu malmené, notamment par certaines pratiques commerciales. Ce règlement européen, qui n’a pas fait l’objet d’un accord, a été amélioré grâce au travail du Parlement européen, mais se pose la question de la date de sa mise en oeuvre en France. Considérant les délais d’application, faut-il envisager une loi française sur les données personnelles incluant le consentement exprès, le droit à l’oubli, la portabilité des données, les transferts internationaux, un niveau de sanctions plus élevé pour l’utilisation des données sans consentement, la suppression de la déclaration auprès de la CNIL pour les meilleures coordinations entre les autorités de régulation, voire la création d’une action collective dans le numérique ?
La France se dote-t-elle d’une stratégie d’influence suffisante pour convaincre ses partenaires européens qu’un niveau élevé de protection pour les usagers et les entreprises peut être facteur d’attractivité et de compétitivité et que toute réglementation, en ce domaine, n’est pas forcément nuisible ? C’est vrai pour Bruxelles, ça l’est aussi pour les négociations sur le partenariat transatlantique. J’espère que la France saura faire entendre sa voix protectrice et attractive en ce domaine.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le groupe écologiste d’avoir proposé ce débat utile. Il nous permettra, je l’espère, de montrer que ces questions transcendent les courants politiques et que notre souci collectif de garantir la vie privée des citoyens l’emporte sur nos différends. Cette question dont nous débattons ce soir est devenue la toile de fond de notre société, de plus en plus tournée vers la transparence dans toutes ses dimensions.
On y trouve des dimensions heureuses et souhaitables, comme la transparence des structures sur leurs activités : les entreprises, les associations, les administrations, les élus. Ce qui est de l’ordre de la vie publique doit être porté à connaissance, correctement documenté et en format réutilisable quand cela s’y prête.
On y trouve aussi des dimensions moins heureuses, qui attirent notre attention. Les parois qui protègent la vie privée sont aujourd’hui soumises à de fortes tensions.
La conception même de la vie privée évolue à l’ère d’internet. Elle diffère selon les pays, mais aussi selon les âges et les pratiques numériques, renforçant les incompréhensions et les difficultés à adapter au plus juste notre arsenal législatif. En 2010, une réflexion du PDG de Facebook m’avait frappée : « En tant qu’adultes, disait-il, nous pensons que notre maison est un espace privé. Pour les jeunes, ce n’est pas le cas. Pour eux, le monde en ligne est davantage privé, parce qu’ils ont davantage de contrôle sur ce qui s’y passe. ».
Notre vie privée est aussi confrontée aux mémoires numériques. Le développement du numérique s’accompagne de la collecte et de la conservation massive de données de toute sorte par les entreprises créatrices de services, les hébergeurs, les opérateurs : données techniques de connexion, de géolocalisation, contenus partagés, données personnelles, données produites automatiquement par nos outils ou déposées par l’utilisateur, qui, à des degrés divers, disent des choses de notre vie privée.
Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur cette évolution. Elle existe et nous devons en tenir compte. Les outils et services numériques restent une chance au service du quotidien des Français et de l’innovation. Leur amélioration repose souvent sur la collecte de nouvelles données et sur une meilleure connaissance des habitudes de leurs utilisateurs. Un exemple parmi d’autres : l’application du GPS social Waze, dont j’ai rencontré les équipes en Israël, est un formidable succès. Sa réussite repose clairement sur sa fiabilité, liée à la collecte de données géolocalisées des utilisateurs.
En même temps, la vie privée est un bien précieux. Nous devons maîtriser à qui, quand et sous quelles modalités nous souhaitons en dévoiler une part. Le droit au respect de la vie privée est un droit fondamental, il est d’ailleurs un principe à valeur constitutionnelle.
Notre action doit porter sur trois axes.
L’éducation aux outils d’abord, pour sensibiliser chacun à la maîtrise de ses traces numériques. Les interventions en milieu scolaire et extrascolaire doivent être développées – Patrice Martin-Lalande a évoqué ce sujet, en suggérant qu’il soit reconnu grande cause nationale – pour permettre une utilisation éclairée des réseaux sociaux, et j’en profite pour saluer le travail d’associations comme e-enfance. De nouvelles initiatives du Gouvernement dans cette direction iraient sans aucun doute dans le bon sens.
La responsabilisation des acteurs numériques ensuite. J’avais en mon temps initié la marche du droit à l’oubli numérique à travers une charte du droit à l’oubli.
Elle visait à mettre en place un bureau des réclamations virtuel, avec la possibilité pour l’internaute de visualiser l’ensemble des informations détenues par le responsable de traitement ou de supprimer plus facilement son compte. J’avais regretté à l’époque que Google et Facebook ne soient pas prêts à la signer, mais je reste convaincue que nous devons sans cesse tenter de mettre autour de la table tous les acteurs, même les plus réticents, pour les inciter à agir. Je serai à cet égard intéressée de savoir quelles actions compte mener le Gouvernement pour poursuivre cette dynamique, y compris au niveau européen.
Enfin, la limitation des permissions d’entrave institutionnelle à la vie privée, sur laquelle je souhaite m’arrêter un instant.
Les enjeux de sécurité intérieure et extérieure à l’heure du numérique sont particulièrement importants. La France ne peut disposer d’un arsenal juridique et technique faible face à l’extraordinaire agilité des nouvelles menaces auxquelles nous sommes confrontés. Nous devons investir dans la sécurité numérique pour faire face aux cyberattaques de nos institutions ou de nos réseaux par des organisations parfois étatiques. Nous savons aussi que les réseaux terroristes utilisent internet pour se développer, propager leurs messages et maximiser l’impact de leurs actions.
Prévenir l’embrigadement, utiliser les traces numériques pour lutter contre ces réseaux sont des enjeux décisifs. Sur ce point, je ne fais preuve, comme vous, j’en suis sûre, d’aucun angélisme. Lors de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, j’avais sensibilisé le ministre de l’intérieur à l’importance de réagir au fait que des jeunes consultaient des sites terroristes de façon habituelle. J’ai moi-même rencontré des parents désemparés face à un enfant s’auto-radicalisant en consultant des sites internet. Les jeunes Français partis combattre en Syrie en sont l’illustration dramatique aujourd’hui.
J’appelle cependant à la prudence. La profusion de données collectées et conservées par les opérateurs et d’autres organisations est telle que la tentation est très forte de venir en quelque sorte y faire son marché pour réaliser toutes sortes d’enquêtes sans l’autorisation d’un juge ou pour en tirer un bénéfice diplomatique ou commercial. Le scandale PRISM aux États-Unis a montré comment une opération de lutte contre le terrorisme pouvait se transformer en un programme de surveillance et d’écoute généralisée d’une population et de partenaires extérieurs.
C’est ce qui explique le vif émoi suscité par l’article 20 de la loi de programmation militaire. Outre les associations traditionnellement engagées dans ce combat, l’ASIC, le MEDEF, la CNIL ont vivement réagi, ainsi que le Conseil national du numérique, créé en 2011, qui conseille le Gouvernement sur les sujets numériques.
Cet article dispose en effet qu’en 2015, l’État pourra collecter des données sur les réseaux de communication sans contrôle du juge et sans autorisation préalable de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Ce qui inquiète, c’est le flou de la rédaction, d’autant que de très larges finalités sont prévues, au-delà de la lutte contre le terrorisme.
Le texte prévoit un recueil des données « sur sollicitation du réseau » et une transmission « en temps réel » sans autre précision, ce qui fait craindre un accès direct de l’administration aux opérateurs. Les données peuvent être « des informations ou documents traités ou conservés », la CNIL redoutant que soient ainsi visés des contenus au-delà des données de connexion. Pouvez-vous nous donner ce soir votre avis sur cette disposition, madame la ministre, et nous dire pourquoi le Gouvernement refuse de préciser ces éléments dans la loi, au-delà des discours rassurants ? Comment inciter les entreprises privées à respecter davantage la vie privée si l’État lui-même envoie un signal inverse ? Nous le savons, les gouvernements passent et la loi reste.
Quand celle-ci est trop permissive, une garantie orale qu’elle sera appliquée dans le respect de la protection de la vie privée des Français ne peut suffire. Pourquoi ne pas avoir saisi la CNIL sur ce dispositif qui concerne les données à caractère personnel ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas saisi par précaution le Conseil constitutionnel pour s’assurer de la conformité de ces dispositions à notre Constitution ? J’ai moi-même signé avec d’autres collègues une demande de saisine, qui n’a pu aboutir, car il en va aussi de la sécurité juridique de ces textes.
Je rappelle que nous étudierons le 11 février le projet de loi sur la géolocalisation, qui fait suite à un arrêt de la Cour de cassation ayant fragilisé les procédures en cours. Que se passera-t-il demain si, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel abroge cette disposition ? Le risque pour les enquêtes touchant à la sécurité nationale serait de même nature, alors qu’une saisine a priori Conseil aurait permis de désamorcer en amont la question.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que, sur des sujets aussi sensibles, qui peuvent fait l’objet de nombreux fantasmes, la consultation de nos garde-fous institutionnels devrait être systématisée ? Surtout, comment comptez-vous rendre cohérentes les bonnes intentions du projet de loi numérique que vous annoncez et que nous partageons avec les dispositions inquiétantes de la loi de programmation militaire ?
Je remercie le groupe écologiste d’avoir proposé ce débat essentiel et je vous sais gré, madame la ministre, de l’avoir mis à profit pour évoquer les premiers thèmes du prochain projet de loi que le Gouvernement souhaite présenter dans quelques mois. Il est essentiel, en effet, que les règles de droit qui s’appliquent dans le monde numérique regagnent en cohérence et ne soient pas élaborées au fil de l’eau. Ainsi, le groupe socialiste prendra prochainement des initiatives pour préparer et mieux éclairer les choix que doit faire notre Assemblée.
Les réseaux numériques et les usages du numérique ont l’immense vertu d’augmenter les capacités humaines individuelles et collectives – vous l’avez rappelé, madame la ministre, Corinne Erhel évoquant quant à elle les potentiels d’innovation et de croissance de l’économie numérique –, mais les technologies numériques ont aussi pour conséquence de permettre, par exemple, de mener des investigations en profondeur sur les informations qui circulent en paquets sur les réseaux.
L’existence de ces technologies d’inspection est très documentée depuis plusieurs années ; je n’en ferai pas ici la description. Les méthodes massives des agences de renseignement américaines, divulguées notamment par Edward Snowden et Glenn Greenwald, ont inquiété à juste titre le monde entier. La France doit en tirer toutes les leçons, au plan international comme au plan intérieur, pour sa souveraineté comme pour la protection des libertés. J’espère qu’un jour, pas trop lointain, nous pourrons entendre Edward Snowden sur le sol français et, pourquoi pas, à l’Assemblée nationale.
Au sein de cette assemblée, nous avons dénoncé, il y a peu, la vente de matériels de surveillance par les sociétés françaises Amesys et Qosmos à des régimes dictatoriaux, notamment à la Libye – c’est établi – avec la complicité de la majorité de l’époque. Nous ne vous avons pas entendue à ce moment-là, madame Kosciusko-Morizet. D’autres entreprises semblent s’être arrêtées aux portes de la Syrie. Sachant l’ampleur du drame et de la barbarie qui se sont abattus sur le peuple syrien, imaginez un instant que l’on découvre demain que des entreprises françaises ont fourni des technologies de surveillance massive au régime de Bachar El-Assad.
Ma question est triple, madame la ministre.
Comment mieux connaître et endiguer les utilisations des techniques de DPI par les opérateurs de télécommunications, les intermédiaires des réseaux numériques ou les grands fournisseurs de services et moteurs de recherche ? Comment mieux encadrer les activités de renseignement des services régaliens, en ne se limitant pas à la simple transposition du régime des interceptions téléphoniques ? En effet, la puissance nouvelle et presque illimitée des techniques d’investigation donne à tous les services de renseignement des capacités inédites. Plus que jamais, l’encadrement de ces activités est nécessaire pour éviter la dérive, tôt ou tard, vers une société de surveillance. À ce titre, dans le fond et dans la forme, l’article 20 de la loi de programmation militaire ne rend pas service à tous ceux qui, en France, souhaitent un débat ouvert, des règles claires et des contrôles sévères dans ce domaine, et nous devrons y revenir.
Enfin, je vous remercie d’informer la représentation nationale sur les progrès réalisés ou en cours pour réglementer strictement et contrôler l’exportation de technologies de surveillance. L’autorisation préalable apparaît comme un minimum. Le caractère dual de ces technologies ne saurait servir de prétexte à leur dissémination. Dans ces domaines comme dans bien d’autres, ne l’oublions jamais, politique sans principes ne serait que ruine de l’âme.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, puisque je suis le dernier orateur de ce débat, et sans prétendre le conclure devant des spécialistes avisés de ces questions – ce que je ne suis pas –, je veux revenir sur certains principes en me limitant à un aspect particulier d’un sujet si vaste.
Notre responsabilité de parlementaires nous commande de prendre en toute occasion la juste mesure des mutations qui traversent notre société, des aspirations évolutives de nos concitoyens et des usages nouveaux qui changent notre quotidien. Notre devoir de législateur est d’intégrer ces évolutions dans le droit en temps voulu et de bâtir des cadres légaux pertinents, adaptés aux réalités de notre temps.
Dans l’exercice de ces missions, il est une exigence avec laquelle nous ne devons jamais transiger et qui doit, de mon point de vue, primer sur toutes les autres, c’est le respect des principes qui ont forgé notre pacte républicain et ont contribué à inscrire notre pays dans une longue tradition de protection des droits et des libertés individuels.
Dans toutes les lois que nous votons, nous devons donc d’abord et avant tout réaffirmer, revendiquer ce qu’est la singularité de la France en matière de protection de la sphère intime. Nous sommes les dépositaires d’une certaine conception du droit à la vie privée, qui se veut protectrice de chacun, qui désapprouve les tentatives d’intrusion et de contrôle et qui juge sévèrement la tentation du voyeurisme.
Ce modèle diffère à bien des égards – et c’est heureux – de la doctrine qui domine en la matière dans le monde anglo-saxon. Je ne pense pas que nous soyons décidés à en changer. Encore faut-il que nous fassions preuve de la plus grande vigilance.
L’adaptation de nos lois aux potentialités du développement des technologies du numérique, mais aussi aux risques soulevés par l’usage immodéré et parfois peu précautionneux que nous en faisons, constitue aujourd’hui un véritable défi, sans doute l’un des plus importants qu’il nous sera donné de traiter durant la décennie, à l’heure de la surexposition numérique.
Ce principe intangible étant réaffirmé, il ne me fait pas perdre de vue la définition de la liberté telle qu’elle a été écrite par les fondateurs de la République à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui affirme, chacun le sait, que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Il est donc de notre responsabilité de faire vivre cette célèbre définition au XXIe siècle, à l’heure des technologies numériques. La loi doit protéger contre toutes les pratiques intrusives que permettent ces outils, mais elle doit aussi protéger contre ceux qui en font usage au service d’entreprises délictueuses ou criminelles, que leurs motifs soient crapuleux ou mus par la volonté de porter atteinte aux intérêts économiques ou à la sûreté de l’État.
Force est de constater qu’en matière de lutte contre la délinquance et le terrorisme, l’exploitation de certaines données numériques par les services chargés d’assurer notre protection est un outil indispensable, dont il serait irresponsable de se priver, mais qui doit être encadré strictement.
Dans ce domaine, notre arsenal légal est à la traîne, notre droit accuse un retard face aux méthodes évolutives et de plus en plus sophistiquées des malfaiteurs, qui n’hésitent pas à se saisir des nouvelles technologies pour nuire aux intérêts de la nation et des Français. Je ne partage pas l’affirmation, que j’ai entendue mardi dernier en commission, selon laquelle, dans un État de droit, la loi devrait toujours avoir un temps de retard sur ceux qui ont l’ambition de la détourner.
Adapter notre droit aux évolutions de son temps, telle est, de mon point de vue, l’ambition de l’ancien article 13, devenu l’article 20 de la loi de programmation militaire débattue en décembre dernier. Tel est aussi l’objectif du projet de loi relatif à la géolocalisation qui nous examinerons en séance le 11 février prochain.
Certains – nous l’avons entendu au cours de ce débat, et ils sont sur tous les bancs de cet hémicycle – persistent à considérer ces objectifs comme une atteinte aux libertés individuelles. Pour ma part, j’ai la conviction que l’élaboration d’un cadre légal ne peut – par définition – être attentatoire aux principes de notre État de droit et de notre démocratie. Les juges constitutionnels et les juridictions supranationales y veillent. C’est l’absence ou l’insuffisance de règles qui ouvre la porte à tous les abus.
Mes chers collègues, j’entends et je respecte les doutes, les critiques de tous ceux qui n’ont sincèrement l’intention que de défendre les libertés publiques. Pour avancer, j’ai la conviction que nous devons sortir de l’affrontement binaire et réducteur considérant qu’il y a d’un côté les ultimes défenseurs de nos valeurs républicaines et de l’autre des fossoyeurs des libertés publiques, prêts à faire table rase des grands et beaux principes de notre État de droit.
Parce que j’y suis précisément très attaché, je crois aux vertus de la mesure, de la modération et du juste équilibre, qui permettent de garantir la liberté de chacun, mais d’aussi d’entraver tous ceux qui s’y attaquent.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Mesdames et messieurs les députés, je commencerai par saluer les orateurs qui se sont exprimés ce soir à la tribune ; leurs interventions ont montré que le débat était très riche et parfois complexe.
J’essaierai de répondre le plus précisément possible en regroupant les grandes thématiques que vous avez souhaité traiter autour des deux niveaux d’action du Gouvernement. J’aborderai dans un premier temps le niveau national, ce qui concernera les questions relatives à un certain nombre de lois – la loi de programmation militaire, la loi sur la géolocalisation, la loi à venir sur le numérique ainsi que la concertation qui la précédera –, ainsi que des questions autour de l’habeas corpus numérique ou encore du renforcement des pouvoirs de la CNIL. J’aborderai dans un second temps le niveau européen et international, avec les questions liées au règlement sur les données personnelles, au transfert de données vers les pays non adéquats, et aux initiatives internationales qu’il nous est permis d’envisager en matière de données personnelles.
En préambule à la partie concernant le niveau national, je m’adresserai plus particulièrement à M. Coronado, qui trouve que le Gouvernement n’est pas suffisamment réactif ou ne sait pas se faire entendre, ou bien qu’il le fait « sans queue ni tête », ce que ma collègue Najat Vallaud-Belkacem appréciera sans doute
Sourires
Je répondrai sur le fond, notamment sur l’article 4 de la LOPPSI et le décret d’application afférent. Je lui confirme que le Gouvernement – c’est quelque chose que la majorité a toujours défendu, y compris quand elle était dans l’opposition – n’autorisera pas le blocage de sites sans autorisation du juge. Nous y restons attachés.
Sur la loi de programmation militaire, qui a suscité des interventions de quasiment tous les orateurs ce soir, et en particulier de Mme Attard, M. Dolez, M. Coronado, Mme Ehrel, je reviendrai sur les éléments que vient de rappeler Pascal Popelin. L’objectif de ces articles de la loi de programmation militaire était bien d’adapter le cadre aux nouvelles techniques à la disposition de certaines organisations criminelles et terroristes, et de faire en sorte que le contrôle parlementaire et démocratique du renseignement soit renforcé. C’est en particulier le cas de l’article 13 devenu article 20, prévoyant un renforcement très net de la délégation parlementaire au renseignement, la révision des mécanismes de contrôle a priori, directement traités, désormais, au niveau du Premier ministre, par une autorité indépendante, ainsi que la création d’une inspection du renseignement.
L’objet de ce contrôle est de permettre de moderniser, je l’ai dit tout à l’heure, les outils à la disposition des forces de police administrative, et notamment des services de renseignement. La grande utilité de cette loi de programmation militaire a été d’unifier deux régimes distincts : celui des interceptions de sécurité, datant de 1991, et celui des données de connexion. C’est plus protecteur car cela implique un cadre bien défini, comme l’a souligné Pascal Popelin, pour les données de connexion, avec un contrôle renforcé, le contrôle de la CNCIS et celui du Parlement. Mais j’entends aussi les questions que cela soulève, car il y a une extension des services compétents et des finalités, parfois au-delà de l’antiterrorisme.
Néanmoins, il faut le souligner, un travail très approfondi et spécifique sur le sujet particulier des données de connexion a eu lieu, en lien notamment avec les deux présidents des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée, M. Sueur et M. Urvoas, à la suite d’une mission d’information de l’Assemblée sur le Livre blanc qui a duré neuf mois, concernant la loi de programmation militaire. Il reste du chemin à parcours, un décret devant encore préciser un certain nombre d’éléments. Je suis également convaincue qu’il faut que les possibilités ouvertes soient bien détaillées, comme c’est le cas aujourd’hui pour les interceptions de sécurité, contrôlées par la loi de 1991.
Sur la question de la géolocalisation dans le domaine judiciaire, le Gouvernement, cela a été rappelé, a réagi aux arrêts de la Cour de cassation du 22 octobre dernier invalidant deux enquêtes pénales conduites par le procureur sur la base de ces techniques d’enquête. La garde des sceaux a présenté à la représentation nationale un nouveau dispositif, garant, sous le contrôle du procureur ou du juge, de la protection des libertés mais aussi de l’efficacité de l’enquête. Il faut toujours trouver un équilibre entre l’efficacité des moyens mis à la disposition des forces de police et des enquêteurs, et la protection légitime des libertés individuelles, dans le cadre strict des exigences de la CEDH et de la Cour de cassation. Nous aurons dans quelques jours un arsenal juridique complet et solide qui confortera l’action des services de renseignement et de la police judiciaire.
S’agissant du périmètre du projet de loi numérique soumis au Parlement très prochainement, je dirai un mot sur l’habeas corpus, à savoir les principes de protection établis dans la loi de 1978, qui pourraient être actualisés. La loi de 1978 prévoit déjà plusieurs principes pour limiter la constitution de fichiers : le principe de finalité, le principe de proportionnalité, et le principe de la durée de conservation. Je crois que ce sont des principes qu’il faut conserver mais renforcer et adapter à l’ère numérique.
C’est le cas aussi, vous l’avez souligné, madame Attard, de la prise en compte de la vie privée dès la conception, ce que les Anglo-Saxons appellent le privacy by design, que vous avez appelé de vos voeux en mentionnant le logiciel libre. Je crois que c’est bien l’objet de la loi que de renforcer la protection des personnes. C’est en tout cas ainsi que je souhaite définir la philosophie de la mise en place cet habeas corpus numérique, en réfléchissant à de nouveaux droits pour les personnes et en renforçant les pouvoirs de la CNIL. J’y reviendrai.
La question du droit à l’oubli et à l’effacement des données personnelles fera également partie de cette réflexion. Ce sont en effet des sujets importants, appelant des solutions techniques qui ne sont pas forcément évidentes car on sait à quel point il est difficile de faire disparaître des données personnelles sur les réseaux.
En ce qui concerne l’équilibre à trouver entre la protection des données personnelles et le principe d’innovation, je souscris pleinement à l’analyse de M. Alauzet et de Mme Ehrel qui ont rappelé que les données, personnelles ou non, sont un élément essentiel de l’innovation. Il faut donc renforcer nos outils de protection en visant toujours à développer l’innovation, tout en consolidant la confiance. C’est pourquoi j’ai insisté, dans ma présentation, sur le nécessaire équilibre à trouver, et les deux piliers sur lesquels s’appuiera cette loi numérique : la confiance et la protection des données personnelles. C’est l’objectif que je souhaite voir assigner à la concertation sur cette loi dans les prochains mois.
En ce qui concerne les pouvoirs de la CNIL, je crois que leur renforcement sera un élément central de cette future loi numérique sur la protection de la vie privée, car il est évident, plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, que les moyens, en particulier les moyens de sanction, de cette autorité sont aujourd’hui insuffisants, compte tenu des enjeux liés à la protection des données personnelles. Faire de la CNIL une autorité pour développer la confiance et l’innovation appelle un certain nombre de mesures.
Ce sont encore des pistes. Il faudra probablement un volet de simplification pour les entreprises qui comprendrait la suppression de l’obligation de déclaration – ce que l’on appelle la déclaration normale –, un volet renforcé d’accompagnement des entreprises, par l’extension de la capacité de labellisation de la CNIL et l’encouragement des démarches partenariales, des chartes par exemple, ou encore l’inscription du principe d’innovation dans les missions de la CNIL, de même qu’un volet destiné à accroître l’effectivité de son action. Je pense en particulier au renforcement des sanctions, en augmentant le niveau des sanctions financières – je rappelle que ce niveau est aujourd’hui fixé à 150 000 euros maximum –, pour inciter plus clairement à la mise en conformité, et en révisant le cas échéant le critère d’application territoriale de la loi. Plusieurs d’entre vous ont souligné la difficulté de faire aujourd’hui appliquer un certain nombre de règles ou de lois à des entreprises dont le siège est situé hors de France ou d’Europe.
En ce qui concerne à présent les enjeux européens et internationaux liés à la protection des données personnelles, l’action de la France au cours des derniers mois a été ferme. Sur le plan européen, nous nous sommes saisis très en amont des négociations du règlement européen sur la protection des données et nous veillerons bien entendu à ce qu’il soit équilibré, entre la protection des citoyens et les contraintes pour les entreprises. Il me paraît également très important de veiller aux modalités de transfert des données hors d’Europe, afin que soient protégées les données des citoyens européens, qu’elles soient stockées en France, en Europe ou à l’étranger.
Sur la question plus précise du transfert de données, dès le début de l’année 2013, dans le cadre des négociations du projet de règlement européen relatif à la protection des données personnelles, et encore lors du Conseil européen d’octobre, le Président de la République a réaffirmé le besoin d’adopter un règlement qui garantisse les droits des citoyens européens, tout en réaffirmant la nécessité de sécuriser les transferts de données en dehors de l’Union européenne, en particulier vers les pays non adéquats, qui ne respectent pas des standards de protection de la vie privée et des données personnelles conformes à ceux de l’Union européenne.
La Commission, depuis lors, a fait deux communications, le 27 novembre 2013, portant, d’une part, sur le fonctionnement de la Sphère de sécurité du point de vue des citoyens de l’Union européenne et des entreprises établies sur son territoire, et, d’autre part, sur le rétablissement de la confiance dans les flux de données entre l’Union européenne et les États-unis. Le gouvernement français a soutenu les recommandations émises par la Commission, même si j’estime que celles-ci sont à ce stade très insuffisantes pour corriger les dysfonctionnements liés au traité Safe Harbor.
Nous avons par ailleurs défendu, lors de ce même Conseil européen d’octobre, sans que cela vise directement la question des données personnelles, un certain nombre de priorités que nous considérons devoir figurer à l’agenda européen, dont celui de la prochaine Commission européenne, pour construire nos propres services numériques en Europe. Il s’agit de développer des axes forts en matière de politique industrielle, notamment ce qui concerne le cloud et les big data, ou encore le financement de l’innovation.
Ces sujets peuvent paraître périphériques à celui des données personnelles, mais l’affaire PRISM a bien montré que la trop forte dépendance de l’industrie européenne, et française en particulier, vis-à-vis de services et de produits proposés par des entreprises multinationales, dont le siège se situe en général aux États-Unis, menace notre souveraineté. La question qui se pose aujourd’hui est celle-ci : comment pouvons-nous reconstituer un tissu industriel et une offre de services européenne et française afin de concurrencer les offres quasiment monopolistiques des géants de l’internet ?
Sur le plan international, la France a également parrainé une initiative germano-brésilienne de résolution sur l’espionnage. Nous pensons également qu’il est utile de réaffirmer le rôle de l’Union européenne dans les instances de gouvernance de l’internet. Des échéances sont à venir, notamment dans le cadre de l’ICANN. Il nous semble important que la France et, au-delà, l’Europe puissent s’investir davantage dans la définition des standards et de la gouvernance multilatérale de l’internet. Là encore, nous proposons d’avoir un rôle bien plus actif que celui que nous avons eu jusqu’alors, afin que la voix européenne porte davantage.
Je veux également mentionner deux autres initiatives. J’ai personnellement soutenu celle de la CNIL qui visait à faire de l’éducation numérique la grande cause nationale pour 2014.
Il existe en effet, autour de l’utilisation de l’outil numérique, un enjeu de pédagogie pour les plus jeunes, qui sont sans doute les plus avertis mais aussi les plus fragiles face aux menaces – sans vouloir faire d’internet un repoussoir ou un lieu de non-droit. Une autre initiative que nous avons prise pour aider les citoyens à se réapproprier la maîtrise de leurs données personnelles est portée par la Fondation internet nouvelle génération et a pour but de permettre aux individus de retrouver l’usage des données les concernant. Cela vise à recréer une confiance entre les individus et les administrations ou les entreprises qui collectent et utilisent leurs données. Cette expérimentation, qui a commencé en novembre 2013 pour se terminer au mois d’avril, est menée avec trois cents volontaires qui ont accès à leurs données personnelles restituées par les organisations partenaires du projet, via une plate-forme personnelle de données sécurisées. Une communauté de développeurs et de designers est mobilisée pour concevoir des applications et des services innovants autour de ces données, ce qui ouvre un nouveau champ d’usage pour les individus. Plusieurs partenaires sont engagés dans ce projet, faisant preuve d’une démarche d’ouverture qui nous paraît très saine.
Pour conclure, au-delà des réponses techniques, je souhaite souligner que je partage pleinement le regard positif et optimiste porté notamment par les députées Erhel et Lemaire sur les opportunités ouvertes par le numérique. Le projet de loi numérique sera d’une grande ambition, notamment pour son volet confiance. La protection des données peut être, pour l’Europe, un atout qui lui permettra de s’affirmer comme un acteur de la compétition numérique mondiale. C’est avec une industrie numérique européenne puissante que l’on pourra faire prévaloir notre conception de la vie privée et imposer nos standards à l’échelle internationale. L’enjeu est absolument majeur et j’espère que les parlementaires s’associeront très étroitement à cette réflexion.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Proposition de résolution européenne sur les progrès de l’union bancaire et de l’intégration économique au sein de l’Union économique et monétaire.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron