Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 30 janvier 2014 à 15h00
Débat sur la protection de la vie privée à l'heure de la surveillance numérique commerciale et institutionnelle.

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, de quoi s’agit-il, finalement ? De rattraper le temps perdu ! En effet, la dernière loi relative à ces questions date de 1991 ; elle portait plus précisément sur le contenu des interceptions de sécurité. Depuis lors, il s’est passé beaucoup de choses : le monde a changé, a évolué. Le wi-fi n’existait pas encore, à l’époque, non plus que les ordinateurs microscopiques. Les petits iPhone dont nous disposons aujourd’hui n’existent que depuis cinq ans ; aujourd’hui tout le monde pianote à l’envi dans un monde totalement ouvert. Ce qui était impossible il y a vingt ans, improbable il y a dix ans, est aujourd’hui devenu réalité.

Dans ce domaine, l’année 2013 a été riche en événements mondiaux. Des affaires ont révélé la manière dont les États-Unis – qui sont une grande démocratie – se comportent pour accéder à des données, les stocker et s’en servir dans un but de sécurité nationale. Certaines personnalités, auparavant secrètes, ont permis ces révélations. On s’est aperçu à cette occasion que la France et l’Europe sont peut-être bien fragiles sous ce rapport. Je tiens à souligner, à rappeler, que l’Europe ne compte pas de major de l’informatique, des télécommunications et des instruments et outils de télécommunication. Il existe de brillantes majors européennes en matière de services liés aux télécommunications, qui sont internationalement reconnues, mais pas dans le hard. Nous sommes tous dans une intersection entre le hard et le soft. Or nous oublions que les deux font sens, que les deux font économie.

A ce propos, je vous remercie, madame la ministre, tout simplement pour avoir dit que la question de la sécurité informatique, de la sécurité numérique, est un enjeu de développement économique. Il faut donc construire une législation qui nous permette de maîtriser cette question. La législation française a été en avance en matière de sécurité numérique en créant la CNIL – institution qui doit évoluer.

Il y a quelque temps, l’été dernier encore, il a été question au niveau européen de laisser aux États le soin de régler les conflits en matière de sécurité informatique, selon leur propre législation. Puisque les sièges sociaux de la majorité des entreprises américaines de ce secteur sont situés en Irlande, les litiges auraient été traités non pas en droit français mais en droit irlandais. Il était donc important que la France reprenne pied à l’Union européenne pour remettre cette question sur la table. Les enjeux sont considérables, car c’est de l’économie de notre continent entier qu’il s’agit. Vous avez réalisé un travail important, de même que la CNIL, pour remettre cette question sur la table, pour la faire figurer au premier plan.

Dans le cadre de ce débat, on voit se dessiner – sans s’affronter – des opinions diverses. C’est tout l’intérêt du débat démocratique. Nous savons bien que des services de plusieurs ministères – les ministères de l’économie, de la défense, de l’intérieur, de la recherche – sont intéressés et concernés par les questions de sécurité, de même qu’une agence placée directement auprès du Premier ministre.

Il était temps d’élaborer des textes, non pas pour déterminer qui fait quoi, mais pour savoir ce que chacun est autorisé à faire. Il s’agit également de faire en sorte que le contrôle démocratique puisse s’exercer tout en garantissant la sécurité des personnes et l’intérêt du pays. Quand je parle de la sécurité des personnes, j’entends celle des personnes physiques – c’est-à-dire les libertés individuelles – et celle des personnes morales – c’est-à-dire celle des entreprises.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous constatons que la plupart des majors mondiales de l’internet sont américaines. Je sais, par ailleurs, que les Russes déploient, en alphabet cyrillique, une sorte d’internet qui leur est propre. C’est un grand pays, une grande nation pour les mathématiques et pour les sciences. Les Chinois font de même, ainsi que les Indiens. Les grands continents du monde sont en train de construire leurs propres outils sur internet, leurs propres produits du soft et du hard. Nous, Français et Européens, qui restons attachés à une protection très forte des données de nos ressortissants, de leur sécurité personnelle, de l’intégrité de nos personnes morales, pourrions, me semble-t-il, faire de cet enjeu un atout économique, qui pourrait mobiliser beaucoup de monde : non seulement des ingénieurs et des juristes, mais aussi des scientifiques comme des sémanticiens, des traducteurs, des informaticiens, des mathématiciens… Toutes sortes de disciplines pourraient permettre à la fois de garantir la sécurité individuelle et les libertés personnelles, et de donner un avantage compétitif à notre pays. Pour cela, l’objectif de sécurité des données doit être gravé dans la loi. Nous devons y travailler, y réfléchir, nous devons avancer sur ce chemin – comme vous l’avez dit, madame la ministre, et je vous en remercie – pour examiner une loi au mois de juin prochain.

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