Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, tous les indicateurs, tous les acteurs de la profession le confirment : alors qu’elle s’éloigne de la galaxie Gutenberg pour embrasser l’univers numérique, l’ensemble de la presse du monde occidental connaît une mutation profonde à la fois technologique et économique.
Ce n’est pas une crise, c’est une révolution. Conquis peu à peu par une culture de l’immédiateté et de la gratuité, les lecteurs se détournent progressivement de la presse imprimée payante et s’informent de plus en plus sur la toile. Les jeunes générations sont aux avant-postes de cette révolution des usages dans tous les pays développés. Le basculement en cours de l’imprimé vers le numérique ne fera sans doute pas disparaître la presse papier si celle-ci sait s’adapter. Mais, les éditeurs seront contraints d’envisager pour l’avenir une mixité nouvelle entre produits print et produits digitaux.
Cette diversification de l’offre ne pourrait être qu’un défi industriel. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter, c’est qu’elle est aussi un défi économique, le modèle mixte ne garantissant pas, pour l’instant, la couverture des coûts par des recettes suffisantes.
Ainsi, le monde ancien de la presse papier connaît une crise structurelle aux effets cumulatifs : érosion et vieillissement inexorables du lectorat, déclin prolongé de la diffusion, réduction du nombre de points de vente, déstabilisation de la principale messagerie de presse, diminution sensible du chiffre d’affaires des ventes malgré la hausse des prix, fuite massive des petites annonces, chute significative des recettes publicitaires, et j’en passe.
L’écosystème de la presse écrite imprimée est engagé dans une spirale inquiétante. Au même moment, le monde nouveau de la presse digitale peine à fournir les relais de croissance dont les éditeurs auraient grand besoin pour accompagner la révolution des usages car les sites d’information en ligne ne peuvent plus être conçus par les patrons de presse comme de simples prolongements numériques de version papier. Contrairement à l’erreur de stratégie d’avoir cru à la gratuité, il faut, dans l’esprit d’Arrêt sur image, de Rue 89 ou de Médiapart que ces sites soient payants.
Ils ne peuvent plus être ni un sous-produit numérique de la presse papier, ni un média de complément à des titres existants. Quant à l’écriture papier, elle doit aussi s’émanciper de la presse en ligne. Il est évident cependant que ce nouveau modèle économique peine à s’établir. La presse se trouve aujourd’hui dans une situation d’entre-deux.
Nos contemporains, en modifiant peu à peu la façon qu’ils ont de s’informer, restructurent, par leurs usages, le secteur de l’information avec la force qu’ont les mouvements fondés sur l’évolution des comportements sociétaux. Cette fragmentation a entraîné une accumulation sans précédent des outils, supports et interfaces proposant de l’information et du contenu en provenance de la presse. À l’inverse, les modèles économiques se concurrencent plus qu’ils ne s’accumulent et l’économie des usages n’a pas encore vu se dessiner l’ensemble de son paysage.
Il s’agit de prendre toute la mesure de ces évolutions et d’adapter dès à présent l’action de l’État, comme vous le faites, madame la ministre, autour de quelques orientations qui devront faire l’objet de révisions périodiques : assurer le futur du journalisme professionnel, seul garant d’une presse d’information politique et générale de qualité, libre, indépendante et pluraliste, en ne liant plus son sort à un support donné ; permettre la nécessaire éclosion de nouveaux acteurs, sans les pénaliser d’emblée et ne pas enfermer les acteurs du moment dans des modèles industriels qui peuvent parfois sembler obsolètes ou, en tout état de cause, ne pas les enfermer dans un modèle unique.
Voilà pourquoi ce texte de loi était attendu. La discrimination que subissaient à cet égard les sites de presse en ligne constituait une anomalie, une distorsion de concurrence à laquelle il fallait mettre fin dans la mesure où elle était inéquitable et ou elle contrariait l’émergence d’un modèle économique assurant à terme la rentabilité de la presse digitale. Cette situation représentait à la fois un handicap économique pour la presse payante en ligne et un frein à la migration des abonnés papiers vers les offres numériques.
Ce texte que vous soutenez, madame la ministre, et que M. le rapporteur défend déjà depuis de nombreuses années, va permettre avec ce taux de TVA super-réduit à 2,10 % de constituer un soutien global et indifférencié au secteur de la presse et de contribuer à ne pas se laisser entraîner dans une spirale dépressive.
À l’instar des initiatives prises en 2012 en faveur du livre numérique, ce texte permettra d’accompagner la transition en évitant la rupture. Madame la ministre, vous avez osé prendre un risque, chacun de nous, parlementaire de l’opposition ou de la majorité, vous en sait gré. Vous l’aviez promis – peu y croyaient –, vous l’avez fait. De votre côté, monsieur le rapporteur, vous avez su convaincre afin que ce texte soit débattu rapidement. Vous avez compris qu’il faudrait du temps pour convaincre Bruxelles et qu’il fallait aller de l’avant. Nous avons pris de l’avance sur les différents pays européens, sur l’Europe elle-même. La France est dans son rôle, rôle, comme souvent, précurseur d’une réforme incontournable.