J’ai bien dit « légitime », et non « légale ». Nous comprenons ainsi que tout tourne autour d’une seule question : quelles sont les justifications expliquant que certains médias se verraient appliquer des taux de TVA de 2,10 % alors que d’autres connaîtraient une TVA de 20 % ? La réponse est simple : il n’y en a aucune ! Aucune explication acceptable ne justifie une telle inégalité de traitement. Non, rien ne peut légitimer que du contenu payant en ligne soit soumis à un taux de TVA nettement supérieur à celui appliqué au contenu papier.
Depuis 2009, ce faux débat a d’ailleurs été tranché : les sites d’information en ligne font partie de la grande famille de la presse au même titre que les publications sur papier. La question en effet n’est pas celle du support mais bel et bien celle du contenu éditorial. C’est pourquoi nous considérons que cette différence de taxe n’est ni plus ni moins que de la distorsion de concurrence, que le législateur a le devoir de corriger.
Pourtant, malgré cette reconnaissance de 2009, l’harmonisation du taux de TVA n’a pas suivi ; il est donc de notre devoir de mettre fin à ce flou législatif qui crée des situations qui n’ont pas lieu d’être. C’est justement cette démarche qu’avaient choisi d’effectuer certains éditeurs de presse en ligne, comme Mediapart, Indigo ou Terra Eco. Ce choix, ils l’avaient fait au nom de l’égalité de traitement qui doit exister entre la presse écrite et la presse numérique. Cette proposition de loi va donc mettre fin à cette anomalie.
De plus, cela s’inscrit dans une ligne cohérente avec la décision prise par l’Assemblée en faveur d’une TVA réduite pour les livres numériques afin d’aligner cette taxation sur celle des livres papier. Ce texte permettra de rappeler que la neutralité technologique de l’impôt est primordiale, car nous devons être les garants de l’égalité de traitement envers la presse, quel que soit son support. S’assurer de l’existence d’une pluralité d’offres d’informations, accessibles au plus grand nombre, est en effet un enjeu pour la vie de toute démocratie. Qu’ils soient papier ou électronique, la question n’est pas là : tous les supports d’information doivent être encouragés ! La presse papier et la presse électronique doivent toutes deux répondre au même enjeu démocratique : fournir un égal accès à une information indépendante, pour tous les citoyens.
L’application d’un taux de TVA super-réduit permet justement d’agir en ce sens puisque c’est en effet le lecteur qui bénéficie directement de cette mesure. Avec un taux de TVA super-réduit ou un taux zéro, comme cela se pratique dans certains pays d’Europe, le coût devient accessible et acceptable pour tous les lecteurs. De plus, agir sur la TVA est également une alternative intéressante au versement d’aides publiques car les subventions directes à la presse font souvent l’objet de suspicion de conflits d’intérêts, posant dès lors la question de l’indépendance de la presse.
Qui plus est, nous parlons ici de médias qui, comme Mediapart ou Indigo, n’ont recours ni aux aides publiques ni à la publicité, afin justement de garantir une indépendance éditoriale totale. Ces médias ne rendent des comptes qu’à leurs lecteurs et ne sont aucunement dépendants de versements extérieurs. Leur imposer une TVA plus élevée revient donc à mettre à mal leur modèle économique alors que nous devrions, au contraire, leur envoyer un signal de soutien.
L’enjeu est en effet aussi celui de l’émergence d’une presse en ligne de qualité, que nous souhaitons voir éclore et devenir durable. Nous devrions encourager le développement d’une telle presse et, pour ce faire, adapter les dispositifs de soutien à la presse aux évolutions technologiques et aux nouveaux comportements des lecteurs. Ce mouvement ne devrait en effet pas s’inverser mais bien s’intensifier, les citoyens ayant de plus en plus recours au numérique pour accéder à l’information. L’essor des smartphones, des tablettes, des objets connectés et des réseaux sociaux, n’est pas près de faiblir.
De plus, la presse en ligne offre de nombreux avantages : je pense à l’accès instantané à l’information, à tout moment, permettant de suivre en quasi direct le moindre changement, la moindre évolution – l’on pourrait également évoquer, malheureusement, les dérives vers l’anecdotique dans la presse, mais c’est un autre débat. Je pense aussi aux outils dont cette presse électronique dispose pour valoriser ses articles et les rendre attractifs : images, vidéos, animations interactives, enregistrements audio, liens avec d’autres sources.
Alors que le numérique n’a de cesse de déployer ses potentialités, la presse écrite fait face dans le même temps à une crise en accélération constante. Fort heureusement, cela ne signifie pas que le papier va disparaître, mais il risque de devenir progressivement un support secondaire. C’est d’ailleurs en raison de ce mouvement que de nombreux journaux, comme Libération, Le Monde, Le Figaro ou Le Nouvel Observateur, pour ne citer que ces quelques exemples, proposent aujourd’hui un site en ligne en plus ou en complément du support papier.
Mais la presse en ligne ne doit pas pour autant se limiter à des offres composites, combinant papier et informations en ligne ; il faut sortir de cet ancien schéma qui tend à être dépassé. Internet offre une multitude de possibilités pour inventer la presse de demain, et l’instauration d’une TVA harmonisée, comme cela nous est proposé à travers cette proposition de loi, fait partie des outils que nous devons mettre en place afin d’accompagner l’apparition d’un modèle de presse en ligne viable et de qualité.
Enfin, je tiens à aborder un dernier point dont l’importance ne doit pas être minorée : celui de l’Union européenne. Pour pérenniser cette égalité de traitement entre presse numérique et papier, la France devra être moteur dans les discussions avec nos partenaires européens afin de permettre la création d’une nouvelle « directive TVA » intégrant cette neutralité fiscale. N’oublions pas que le Parlement européen s’est prononcé plusieurs fois en faveur de l’application d’un taux de TVA similaire entre supports physique et numérique. Alors, n’ayons pas peur de prendre les devants et d’ouvrir les négociations. Nous soutiendrons évidemment une telle initiative, au même titre que nous soutenons cette proposition de loi qui rejoint la position des écologistes en la matière.