Madame la présidente, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, madame la présidente et monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, l’objet principal de ce projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale est de transposer l’Accord national interprofessionnel, l’ANI, signé le 13 décembre dernier par l’ensemble des organisations syndicales et patronales, à l’exception de la CGT et de la CGPME, sur la formation professionnelle. Mais ce texte ne s’arrête pas là : il crée un bloc de compétence sur la formation professionnelle, confié à la responsabilité exclusive des régions, pour traiter de la démocratie sociale et pour réformer en profondeur l’inspection du travail – un cavalier législatif sur lequel je reviendrai.
La question de la formation professionnelle est essentielle dans une société qui bouge, et qui bouge de plus en plus vite. C’est évidemment un facteur essentiel de l’épanouissement humain. Mais la formation professionnelle est aussi un moyen de lutte contre le chômage, une source de performance pour les entreprises et de renforcement de l’utilité sociale.
Or l’accès à la formation professionnelle dans notre pays est très insuffisant et de surcroît inégalitaire : inégalitaire entre les salariés des petites et moyennes entreprises et très petites entreprises et ceux des grands groupes ; inégalitaire entre les personnes peu qualifiées et celles qui sont très qualifiées – aujourd’hui, ce sont les cadres qui bénéficient le plus des formations ; inégalitaire également entre les territoires, ainsi qu’entre des salariés ayant un emploi et les chômeurs.
Le projet de loi parvient-il à résoudre ces difficultés ? Il comporte indéniablement des points positifs, notamment avec le changement d’approche qui passe d’une obligation de dépenser à une obligation de former – et de former efficacement –, ainsi qu’avec la création d’un compte individuel de formation et la portabilité de ce droit, ou encore avec l’augmentation de 120 à 150 heures du plafond de ce droit à la formation, même si ces chiffres restent encore beaucoup trop bas.
Cependant, deux écueils risquent de rendre ces progrès inopérants. Le premier est la baisse massive de l’obligation de financement de la formation professionnelle par les employeurs, de l’ordre de 2,5 milliards d’euros, soit près d’un tiers.
Une fois de plus, le Gouvernement justifie cette diminution par la nécessaire baisse du coût du travail, une théorie fausse comme le prouvent tous les indicateurs, y compris la courbe du chômage qui ne cesse de grimper malgré la baisse de ce que l’on appelle « les charges » des entreprises et les sommes colossales d’argent public qui leur sont offertes.
Ainsi, par-delà tous les artifices et les dénégations, les chiffres sont têtus : on passe, pour les entreprises de plus de dix salariés, d’un taux de 1,6 % de la masse salariale à 1 %. Et encore, le texte donne-t-il aux entreprises la possibilité d’y déroger partiellement ! En effet, par le biais d’un financement dédié au compte personnel de formation, pouvant aller jusqu’à 0,2 % de la masse salariale, les grandes entreprises pourraient ne verser au régime général de la formation professionnelle que 0,8 % de leur masse salariale. Vous conviendrez sans doute que, face aux gigantesques besoins de formation reconnus par tous, cette disposition a de quoi inquiéter légitimement.
Le second point d’achoppement est la quasi-absence d’opposabilité pour le salarié, en dehors de celle qui vise à acquérir le socle de compétence. Vous présentez, monsieur le ministre, ce point comme une avancée remarquable, permettez-moi de ne pas partager l’ampleur de votre enthousiasme. Car s’il est évident qu’il s’agit là d’un droit fondamental pour tout être humain, il est regrettable que la lutte contre l’illettrisme soit portée par le seul salarié, qui devra « dépenser » au détriment de formations spécifiques qualifiantes les heures durement gagnées sur son compte personnel de formation, le CPF, alors que la lutte contre ce fléau, qui, je le rappelle, touche 8 % des salariés en France, relève d’abord de la responsabilité de l’État, auquel doivent se joindre les régions et les employeurs.
D’autres points nous préoccupent, à commencer par la question essentielle de la discrimination que comporte ce texte envers les salariés à temps partiel, public qui devrait être prioritaire en termes de formation professionnelle – 80 % des temps partiels, je le rappelle, sont subis et 80 % sont occupés par des femmes. Or, loin de réduire ces inégalités, le projet de loi ajoute de l’injustice à l’injustice en introduisant une proratisation des heures inscrites au CPF selon la durée du travail. En commission, nous avons été plusieurs à déplorer cette situation, à commencer par Mme Neuville, membre de la délégation aux droits des femmes. Nous espérons vivement des avancées significatives sur ce point.
Par ailleurs, les dispositions relatives à l’acquisition des heures portées au compte personnel de formation posent plusieurs problèmes. D’abord, si leur rythme a connu des améliorations en commission, il reste lent et incompréhensible : il faut attendre huit ans pour bénéficier de 150 heures de formation ! Comment justifier cette différence entre les six premières années et les suivantes ? Pourquoi ne pas adopter notre proposition, à la fois plus rapide et plus simple, qui consiste à prévoir 25 heures par an ?
Enfin, concernant le transfert de compétences et l’achèvement de la décentralisation en matière de formation professionnelle, outre le fait qu’ils déresponsabilisent complètement l’État et posent la question des moyens, comme l’a d’ailleurs reconnu notre rapporteur en commission, il est pour le moins surprenant qu’ils soient traités ici. En effet, compte tenu de l’importance de ces sujets et du fait que vous nous avez annoncé une loi sur la décentralisation pour le printemps prochain, force est de constater que vous anticipez sur le débat qui doit avoir lieu.