Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 5 février 2014 à 21h30
Formation professionnelle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Tout le monde pourra apprécier ce point de vue, y compris à l’extérieur de cet hémicycle : je pense en particulier aux agents et à la totalité des syndicats de votre administration, qui rejettent cette réforme !

L’objet de cette réorganisation est in fine de renforcer la tutelle hiérarchique sur les agents de contrôle – tant par les DUC que par le groupe national de contrôle, d’appui et de veille. Cela porte une atteinte grave à l’indépendance des agents de l’inspection du travail, pourtant garantie par la convention no 81 de l’OIT, convention reconnue par le Conseil d’État et consacrée par le Conseil constitutionnel au titre des principes fondamentaux du droit du travail. Le glissement de l’indépendance des inspecteurs vers l’indépendance du système d’inspection n’est pas de nature à nous rassurer : elle porte en germe une dégradation du service rendu aux travailleurs.

Qu’en est-il du troisième axe, celui des contreparties : les nouveaux pouvoirs et les nouvelles sanctions ? À vous croire, le recul que je viens de décrire serait en effet équilibré par les nouveaux pouvoirs dévolus aux agents de l’inspection du travail, permettant à l’administration de prononcer elle-même des amendes ou de proposer une transaction pénale aux employeurs passibles d’une peine de prison de moins d’un an. Dans les deux cas, les sanctions seront fixées par un directeur soumis aux injonctions du pouvoir exécutif – qu’il s’agisse du préfet ou du ministère – ou aux influences extérieures, toutes deux contraires à nos engagements internationaux concernant l’indépendance des agents de contrôle – il s’agit là toujours de la convention no 81 de l’OIT.

Par ailleurs, ces nouvelles sanctions ne présentent pas les mêmes garanties que les procédures judiciaires, notamment en termes de droits de la défense, de respect du contradictoire et d’égalité des employeurs face à la loi. Sous couvert de simplification et d’efficacité, vous déniez donc aux employeurs le droit à un procès équitable, et introduisez une nouvelle source d’insécurité juridique pour ces derniers. Mais ces considérations de principe ont sans doute moins pesé dans la balance que les demandes récurrentes des organisations patronales en faveur d’une dépénalisation du droit du travail. Il n’est pas étonnant que pas un seul des syndicats représentés à l’inspection du travail n’ait souscrit à ce projet, qui est délétère pour les droits des travailleurs comme pour les conditions de travail des agents.

Il faut se rendre à l’évidence : le projet de « ministère fort » que vous nous présentez signifie ni plus ni moins qu’une reprise en main de l’inspection du travail et l’affaiblissement de l’indépendance de ses agents, au détriment des travailleurs. Cette reprise en main se fait au profit d’une hiérarchie perméable aux lobbys et attentive aux attentes – voire au chantage – de certains patrons, une hiérarchie plus habituée, en période de chômage de masse, à défendre des politiques publiques en faveur de l’emploi qu’à sanctionner les abus et les atteintes au droit du travail. En fin de compte, votre projet ne fera que rendre l’inspection du travail et votre ministère plus fragiles face aux pressions patronales, qui se manifestent déjà.

L’exemple de la société Tefal, dont le journal L’Humanité s’est fait récemment l’écho, est à cet égard édifiant. Tefal, filiale du groupe SEB implantée en Haute-Savoie, est un des plus gros employeurs de la région : elle compte 1 800 salariés, la plupart ouvriers à la chaîne. Dans cette entreprise, on dénombre 300 cas de troubles musculo-squelettiques. Le médecin du travail a exercé son droit d’alerte en avril dernier, en raison d’une importante dégradation de la santé des salariés, et d’une augmentation des situations de risques psychosociaux en lien avec le travail. En janvier 2013, l’inspectrice du travail en charge du site s’était penchée sur l’accord de réduction du temps de travail, l’avait jugé illégal, et avait demandé à la direction de le renégocier. Cette dernière avait refusé catégoriquement. Le directeur départemental du travail, supérieur de l’inspectrice, l’a ensuite convoquée et ordonné de revoir sa position sur le dossier Tefal, menaces à l’appui. Elle apprendra ensuite que la direction de Tefal a usé de tous ses relais pour l’écarter du dossier : MEDEF, préfet, et même la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur !

Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, qui illustre à merveille la proximité entre votre administration et le MEDEF, avec des liens de quasi-subordination dès lors qu’il s’agit d’emploi, notamment dans les grandes entreprises. Comment expliquer autrement l’attitude proactive du directeur départemental du travail ?

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