Monsieur le ministre, le volet formation professionnelle de ce texte aurait pu marquer notre législature, il rejoindra malheureusement le cimetière des lois inachevées. Ce n’est pas réellement de votre responsabilité puisque c’est le fruit d’un accord des partenaires sociaux.
Je le regrette car le sujet est essentiel, tout le monde l’a souligné : accompagner la création de métiers, se former tout au long de la vie, faire émerger de nouvelles spécialisations, offrir aux salariés plus de sécurité dans un environnement économique en mutation constante, donner plus de confiance aux Français dans l’avenir grâce, notamment, à un système de formation qui marche plutôt que d’empiler des règles et des carcans et de construire dans le code du travail des murailles censées les protéger alors que, finalement, elles finissent toujours par s’effondrer.
Souvent par manque de courage, et sur tous les bancs, on ne dit pas assez que l’économie et la croissance, c’est un cycle permanent de destruction et de création d’emplois – ce n’est pas moi qui le dis, c’est Schumpeter –, et non cette idée fausse d’une pérennité infinie des emplois et des postes ; d’où l’importance des politiques d’anticipation et de formation.
Ce qu’il faut, c’est protéger la personne en lui permettant d’évoluer plutôt que tenter de protéger des emplois qui, de toute façon, finiront par disparaître. Pour cela, la formation est bien entendu un bouclier majeur.
Ce texte était également l’occasion de donner corps aux recommandations des nombreux rapports, aussi unanimes les uns que les autres, dénonçant le gaspillage ou le manque d’efficacité des 32 milliards des fonds de la formation professionnelle et son organisation aussi opaque qu’inefficace.
Quand ce texte sera voté, très peu de choses auront réellement changé. Les objectifs du projet que vous nous présentez aujourd’hui – sécuriser les parcours professionnels, déployer le compte personnel de formation, améliorer l’accès à la formation de ceux qui en ont le plus besoin, faire de la formation professionnelle un investissement de compétitivité dans l’entreprise – sont aussi ambitieux que les propositions issues des partenaires sociaux sont en vérité et malheureusement inabouties.
Nous sommes face à une réforme embryonnaire qui tente de simplifier l’énorme tuyauterie de la formation sans remettre en cause son architecture principale, source pourtant de nombreux dysfonctionnements dont souffre notre système. Permettez-moi de les considérer les uns après les autres.
La formation des individus d’abord.
Le CPF succède au DIF. Il y a bien la portabilité mais je ne vois que très peu d’autonomie supplémentaire et très peu de droits nouveaux pour les salariés et les demandeurs d’emploi. On change de sigle pour donner l’apparence du changement pour que rien ne change. C’est très classique dans l’administration et le système français. Le volume d’heures de formation reste en effet trop faible : 150 heures sur neuf ans, c’est à peine trente heures supplémentaires par rapport au DIF, et c’est l’équivalent d’un mois de formation. Libellé en euros, c’est encore plus frappant, cela représente une enveloppe de 240 euros par an et par individu, en prenant pour référence le tarif de l’heure de formation du DIF fixé par décret. C’est un chiffre à la fois très éclairant et édifiant au regard des immenses moyens nécessaires pour développer l’employabilité des salariés les plus précaires et des chômeurs, face aux défis de la concurrence et des mutations technologiques.
Je ne vois pas non plus dans ce dispositif, et c’est le plus grand reproche que je ferai, ce qui va permettre de corriger les très fortes inégalités d’accès à la formation entre qualifiés et moins qualifiés. Le CPF est en effet un dispositif uniforme qui ne tient pas compte du salaire, alors qu’il aurait fallu augmenter les ressources au profit des individus les moins employables, prendre en compte la distance de la personne par rapport à l’emploi et ses besoins de nouvelles compétences.
Deuxième enjeu, réduire l’opacité du système. Là aussi, c’est un échec. Les partenaires sociaux maintiennent le rôle prépondérant et ambigu des OPCA, à la fois collecteur et redistributeur des fonds aux salariés, et vous renforcez en même temps le manque de lisibilité du système d’agrément des certifications. Si les OPCA ont peu d’utilité pour les salariés les moins qualifiés, ils en ont beaucoup pour les appareils syndicaux et, d’ailleurs, le patronat, si prompt à dénoncer l’absence de courage des politiques, appelant toujours à des réformes systémiques, condamnant les connivences de tous ordres, nous donne un bien bel exemple qu’il nous appartiendra de ne pas oublier dans nos conversations.