Intervention de Christian Eckert

Réunion du 5 février 2014 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Eckert, rapporteur général, rapporteur :

Cette proposition de loi vise à apporter une réponse la plus complète possible au problème des avoirs financiers en déshérence. Son principal objectif est la protection des droits des épargnants.

Elle vise donc à compléter les efforts engagés par le législateur, en particulier dans le cadre de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires. Au cours de la discussion de cette dernière, des amendements au sujet des avoirs bancaires en déshérence et du dépôt à la Caisse des dépôts et consignations des sommes non réclamées au titre de ces avoirs et des contrats d'assurance-vie avaient en effet été retirés au profit de cette proposition de loi, avec l'accord – ou du moins un engagement de bienveillance – du ministre de l'Économie.

Ce texte est le résultat d'un travail de longue haleine.

Le constat est imposant. Pour ce qui est des comptes bancaires inactifs, des montants significatifs sont en jeu. Suite au rapport de la Cour des comptes, 1,8 million de comptes inactifs ont été recensés – c'est un minimum – pour un encours de 1,6 milliard d'euros. Les encours sur les comptes dont les titulaires sont décédés pourraient être de l'ordre de 1,2 milliard d'euros. Enfin, on recense 674 014 comptes bancaires dont le titulaire est centenaire, alors que le nombre des centenaires ne s'élève qu'à 20 106 selon l'INSEE.

En l'état du droit, aucune obligation n'est imposée aux banques en ce qui concerne les comptes bancaires inactifs hormis le principe général de la déchéance trentenaire. Il est donc nécessaire d'assurer la protection des épargnants, sachant que les banques tendent à ponctionner ces ressources par des « frais de gestion », dans des proportions importantes et parfois abusives, surtout pour des comptes inactifs.

Selon la Cour des comptes, toutes les banques n'ont pas mis en place les procédures permettant d'assurer le respect du principe de la déchéance trentenaire. Par exemple, une banque ne conserve pas les mouvements passés sur un compte au-delà de dix ans : elle est donc incapable de respecter la loi.

Par ailleurs, aucun service administratif n'assure réellement de contrôle sur les banques. Selon la Cour, la direction générale des finances publiques – DGFiP – n'assure qu'un contrôle très partiel. Quant à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR –, elle estime qu'il ne lui revient pas d'assurer le respect de la déchéance trentenaire, dès lors que la disposition est prévue dans le code général de la propriété des personnes publiques, et non dans le code monétaire et financier. Après l'audition devant la commission des Finances, préalablement à sa nomination, de son nouveau vice-président, M. Jean-Marie Levaux, l'ACPR a certes indiqué publiquement que cette question faisait désormais partie de ses priorités. Mais il faut reconnaître qu'elle part de loin.

Il est donc impératif de légiférer pour garantir les droits des épargnants.

Les points soulevés au titre des comptes bancaires inactifs valent aussi pour les contrats d'assurance-vie non réclamés.

Les assureurs sont défaillants dans la mise en oeuvre des obligations législatives et réglementaires qui leur ont été progressivement imposées depuis 2003 – notamment par la loi du 17 décembre 2007 permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés – pour régler le cas des contrats non réclamés. Les raisons de cette application partielle ou insuffisante de la loi tiennent à la fois aux difficultés qu'ils rencontrent pour réunir les informations permettant le versement des sommes dues et à une certaine réticence face à l'accroissement de leurs obligations.

En conséquence, l'encours des contrats d'assurance-vie et de capitalisation non réclamés est encore relativement important malgré les dispositifs législatifs adoptés. Il représenterait 0,2 % de l'encours total selon le rapport de la Cour, soit au minimum 2,76 milliards d'euros.

Nous avons souhaité légiférer dans les meilleures conditions possibles sur cette question délicate, et le texte final est le fruit d'un travail de longue haleine, mené parallèlement à la session budgétaire.

La commission des finances a demandé en décembre 2012 à la Cour des comptes, sur le fondement du 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances – LOLF –, une enquête approfondie sur cette question des avoirs en déshérence.

La Cour a rendu son rapport en juillet 2013. Dans la foulée, son Premier président nous l'a présenté en commission, en présence des représentants des banques et des assurances, qui ont ainsi pu oralement faire part de leurs observations. Sur cette base, une concertation a associé l'ensemble des parties prenantes : l'administration fiscale, avec la direction de la législation fiscale – DLF – et la DGFiP, les partenaires financiers que sont la Caisse des dépôts et consignations – CDC – et la direction générale du Trésor, les administrations juridiques, dont la Chancellerie, et leurs auxiliaires, les notaires, les autorités de contrôle et de régulation, à savoir l'ACPR, l'AMF – Autorité des marchés financiers – et la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés –, les entreprises d'assurance et établissements de crédit et les généalogistes. Nous avons également reçu des contributions des représentants des consommateurs et d'associations d'épargnants.

Sur la base des résultats de cette concertation, la proposition de loi a été rédigée en lien étroit avec la direction générale du Trésor, puis déposée en novembre dernier.

Enfin, j'ai demandé au président de l'Assemblée nationale d'appliquer les dispositions constitutionnelles qui nous permettent de bénéficier de l'expertise du Conseil d'État sur les problèmes juridiques que ce texte pourrait poser. L'avis du Conseil d'État, dont les éléments essentiels seront présentés dans le rapport, a permis de valider l'économie générale et la rédaction du dispositif.

Les consultations se sont ensuite poursuivies avec les principales parties prenantes. Je vous proposerai plusieurs amendements en tirant les conséquences ; ils devraient permettre d'aboutir à un texte consensuel. J'insiste sur le fait que j'ai tenu le plus grand compte des suggestions du Conseil d'État, et me félicite de son apport à la proposition de loi. Peut-être faudrait-il s'appuyer plus souvent sur lui pour les initiatives parlementaires complexes ou juridiquement délicates.

Les grandes lignes du dispositif sont connues.

Pour les comptes bancaires inactifs, la proposition de loi prévoit un régime spécifique, avec plusieurs apports importants. Le premier est l'obligation pour le teneur de compte de recenser chaque année les comptes inactifs, définis selon des critères précisés par l'article 1er. J'insiste sur le fait que la définition des comptes bancaires inactifs est une avancée juridique importante, qui a été saluée par le Conseil d'État comme par la profession.

Deuxième apport : l'obligation de transférer à la Caisse des dépôts et consignations les fonds non réclamés à l'issue d'un délai de dix ans d'inactivité pour les comptes « abandonnés » par leur titulaire et de deux ans après le décès pour les comptes de personnes décédées.

Enfin, diverses obligations sont imposées aux teneurs de compte et à la Caisse des dépôts et consignations afin de protéger les droits des épargnants, en particulier l'information des clients et le plafonnement des frais bancaires pour les teneurs de compte, ainsi que la garantie du capital transféré pour la Caisse.

L'obligation de transfert des fonds à la Caisse conduit à ce que celle-ci soit seule en charge de l'application du principe de la déchéance trentenaire aux avoirs bancaires en déshérence. La CDC appliquant ce principe avec rigueur, une telle évolution contribue à la préservation des intérêts financiers de l'État.

Ces nouvelles règles étant introduites dans le code monétaire et financier, l'ACPR sera en charge d'en assurer le respect conformément à sa mission générale et, le cas échéant, de prononcer des sanctions.

En ce qui concerne les contrats d'assurance-vie, un certain nombre de dispositions viennent compléter la loi de 2007. Nous y reviendrons en détail lors de l'examen des articles.

Nous avons cherché à réaliser un équilibre entre les obligations mises à la charge des établissements financiers, le travail de la Caisse des dépôts et consignations et le respect du droit des épargnants, afin de bien « doser » les contraintes qui vont peser sur les établissements financiers et la Caisse. Quelques points mineurs restent à régler ; ils devraient être évoqués au cours du débat.

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