Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 7 février 2014 à 9h30
Formation professionnelle — Article 10

Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Madame la présidente, madame la présidente et monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, je prendrai quelques minutes, en espérant n’être pas trop long, pour présenter cet amendement et l’état actuel de la mise en oeuvre du contrat de génération dans les entreprises de France.

Dans les petites ou moyennes entreprises, mais surtout les très petites entreprises, un type particulier de contrat de génération permet d’associer un jeune salarié au chef d’entreprise lui-même pour permettre une transmission dans de bonnes conditions. Ce dispositif très utilisé est extrêmement bien vu par le tissu des petits entrepreneurs. Toutefois, des remarques nous ont été adressées. Elles sont partagées par les partenaires sociaux, qui ont fixé les modalités de mise en oeuvre du contrat de génération dans l’accord d’octobre 2012 signé unanimement par les organisations patronales et syndicales. Celui-ci prévoyait que le jeune salarié devait avoir moins de vingt-six ans. De nombreuses remontées – je pense que vous avez eu les mêmes – nous ont fait comprendre qu’il serait bon de relever ce seuil d’âge à trente ans. Nous avons procédé à cette modification dans le projet de loi. Elle n’a pas fait, je crois, l’objet de contestation.

Un autre type de contrat de génération peut être passé entre un jeune salarié et un salarié plus âgé. Il existe trois modalités différentes selon la taille de l’entreprise.

Dans les entreprises de plus de 300 salariés, le contrat de génération revêt, si je puis dire, un caractère collectif : il est mis en oeuvre par un accord négocié au sein de l’entreprise. J’avais laissé un délai supplémentaire par rapport à celui que prévoyait la loi pour faciliter la conclusion de ces accords, qui sont aujourd’hui très nombreux. J’ai simplement demandé à mes services de vérifier que les entreprises signataires respectaient leurs obligations. Ces contrats, qui peuvent être de nature différente, ouvrent pour les trois années qu’ils couvrent des perspectives considérables pour l’embauche des jeunes, mais aussi pour le maintien dans l’emploi des seniors.

Dans les entreprises de moins de cinquante salariés, le contrat de génération fonctionne très bien : chacun d’entre vous a pu le constater sur son territoire. Le volume des signatures correspond aux chiffres que nous pouvions attendre, en étant même un peu optimistes. Les modalités de conclusion sont faciles : le contrat lie un jeune salarié et un salarié plus âgé par la signature d’un document considéré par tous les chefs d’entreprise qui y ont eu recours comme extrêmement simple à utiliser. L’accès à l’aide de 4 000 euros est direct.

Autrement dit, le dispositif fonctionne bien en haut, pour les grandes entreprises, même s’il a fallu exercer quelques pressions, et il fonctionne bien en bas, sans qu’il y ait besoin d’incitations supplémentaires. Pour les entreprises de cinquante à 300 salariés, les choses sont plus complexes. Plus complexes d’abord pour l’entreprise elle-même car elle ne peut pas conclure directement de contrat de génération : il faut soit un accord au sein de l’entreprise – ce qui n’est pas toujours simple, notamment parce qu’il n’y a pas forcément d’interlocuteurs pour discuter et négocier –, soit un accord de branche, méthode assez courante dans notre droit du travail. J’ai constaté, comme j’ai pu le rappeler à plusieurs occasions aux partenaires sociaux, que la signature de ces accords tardait. À l’heure actuelle, ont été conclus 19 accords de branche ou inter-branches, qui couvrent 5 millions de salariés sur les quelque 17 millions à couvrir. Ils ne couvrent donc que 30 % des entreprises ou, ce qui revient à peu près au même statistiquement, 30 % des salariés. Pour le dire autrement, 70 % des entreprises de France, en l’absence d’accords de branche, sont dans l’impossibilité de conclure des contrats de génération alors qu’elles en auraient envie ou besoin. Cette situation ne paraît pas acceptable.

Cette insuffisance de l’engagement au niveau des branches n’est pas liée, je m’empresse de le dire, à la situation économique des secteurs d’activité concernés. La métallurgie, l’agro-alimentaire, le BTP ont conclu des accords de branche, et l’on ne peut pas dire que ces secteurs sont peu affectés par la situation économique. En revanche, la banque, les industries électriques et gazières, secteurs qui ne sont pas les plus frappés par les difficultés de la conjoncture, n’ont pas conclu d’accord. Ce sont donc plutôt les entreprises qui subissent des difficultés économiques qui ont conclu des contrats de génération. Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est la volonté et la capacité de certains à jouer réellement le jeu du dialogue social car il est clair que tout le monde n’est pas prêt à le faire – je vous le dis comme je l’ai dit aux partenaires sociaux.

Pour que les choses soient claires, rappelons qu’avant la loi de sécurisation de l’emploi, les entreprises de 50 à 300 salariés étaient soumises à une obligation dans le cadre du plan senior, qui comprenait une sanction de 1 % de la masse salariale en cas non-respect. M. Cherpion voit très bien ce dont il est question puisqu’il a soutenu et voté ce dispositif. Et il a eu raison. Il faut bien à un moment donné que des conséquences soient tirées du respect ou non de la loi, l’objectif étant, hier avec le plan senior comme aujourd’hui avec ce que vous propose, de ne surtout pas avoir recours à cette sanction puisque nous souhaitons avant tout inciter à la conclusion d’accords. Depuis l’adoption de la loi, cette obligation a été supprimée au profit du contrat de génération qui lie juniors et seniors dans une perspective de transfert des compétences et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui donnent toute leur consistance aux accords conclus au niveau des entreprises ou des branches.

J’ai maintes fois alerté patronat et organisations syndicats sur ce constat. Je l’ai fait à l’occasion de la grande conférence sociale de juin dernier. Je leur ai écrit le 26 septembre. Nous avons tenu une réunion avec des bilans précis, établis branche par branche, le 22 octobre. Nous considérons qu’il ne peut pas y avoir des engagements d’un côté – la suppression d’une pénalité et la création d’une aide importante pour l’embauche d’un jeune – sans qu’il y ait, de l’autre, des efforts responsables pour négocier par branche.

Aujourd’hui, il paraît inconcevable que des entreprises de 50 à 300 salariés qui voudraient embaucher des jeunes dans le cadre de contrats de génération ne puissent pas bénéficier de l’aide prévue parce qu’il n’y a pas eu de négociation de branche. Nous proposons donc par cet amendement de supprimer l’obligation d’accord de branche ou d’entreprise pour les entreprises de cette taille afin de rendre l’accès au contrat de génération plus simple et plus rapide. Mais il faut bien que des accords soient conclus. En conséquence, pour les entreprises non couvertes par un accord de branche ou un plan d’action d’ici à mars 2015, nous reviendrons au dispositif qui prévalait antérieurement – il ne s’agit pas de créer une nouvelle obligation : elles seront soumises à une pénalité calculée de la même manière, à savoir 1 % de la masse salariale.

Mon souhait le plus cher, mesdames, messieurs les députés, est évidemment qu’aucune pénalité n’ait à être appliquée. Je souhaite que toutes les branches négocient un contrat de génération. Je regrette que nous ayons besoin de procéder à ces modifications du dispositif issu de la loi de sécurisation de l’emploi. J’estime que c’est au Gouvernement et au Parlement de prendre leurs responsabilités lorsqu’ils constatent que l’accord entre partenaires sociaux ne peut être respecté sur un point. Il nous revient de renforcer l’incitation à adhérer à ce dispositif extrêmement intéressant pour les entreprises elles-mêmes, pour les jeunes et pour les seniors.

Lutter contre le chômage des jeunes tout en luttant contre le chômage des seniors, c’est la substantifique moelle du contrat de génération, et cette action apparaît d’autant plus nécessaire au regard de l’évolution du marché du travail depuis plusieurs années.

Telles sont les raisons pour lesquelles je demande à la représentation nationale d’adopter cet amendement.

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