Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 29 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, président :

Mes chers collègues, j'ai le grand plaisir de vous présenter ce matin mon rapport sur la proposition de loi que j'ai déposée avec Bruno Le Roux, Michel Françaix et les membres du groupe SRC, tendant à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne.

Cette proposition de loi fait suite à l'initiative bienvenue du Premier ministre qui a annoncé le 17 janvier dernier l'application, dès le 1er février prochain, d'un taux de TVA de 2,1 % à la presse en ligne. Cette résolution explique les délais particulièrement resserrés dans lesquels nous sommes amenés à examiner ce texte, sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.

Il s'agit d'une mesure dont nous connaissons très bien les enjeux et qui est, comme vous le savez, particulièrement attendue par l'ensemble du secteur de la presse et par un grand nombre d'entre nous, sur tous les bancs, qui militons depuis longtemps pour qu'il soit mis fin à l'anomalie que constitue l'application d'un taux de TVA de 20 % à la presse en ligne.

En effet, la réglementation européenne ne permet toujours pas, en l'état actuel, de faire bénéficier la presse en ligne du taux dit « super réduit » de TVA, qui existe depuis la création de cet impôt, et qui constitue pourtant, en France comme à l'étranger, le socle de la politique de soutien public à la presse. Je rappelle que cette politique publique a un fondement constitutionnel puisqu'elle découle de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ».

Comme l'a confirmé la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'objectif de préservation et de développement du pluralisme de la presse fait obligation à l'État de prendre les mesures y concourant.

Le droit européen entre ainsi en contradiction avec l'obligation constitutionnelle qu'ont les pouvoirs publics de soutenir un secteur qui traverse une crise extrêmement préoccupante et dont l'avenir, voire la survie, est aujourd'hui largement conditionné à sa capacité à réussir sa transition numérique.

Depuis plusieurs années, la France a donc entrepris des démarches actives auprès des institutions de l'Union européenne afin d'obtenir la possibilité explicite d'appliquer des taux de TVA réduits aux biens et aux services culturels en ligne.

Ces démarches commencent à produire certains résultats, tant auprès de la Commission et du Parlement européen que des autres États membres.

Le Parlement européen s'est prononcé par trois fois en faveur de l'application d'un taux réduit de TVA aux oeuvres numériques. La Commission a quant à elle annoncé qu'elle produirait dès le début de cette année une étude sur la question des taux de TVA examinant toutes les solutions, dont celle d'une révision de la directive encadrant ces taux.

Autre avancée majeure : l'Allemagne qui était jusqu'ici résolument opposée à la demande française de révision de la directive TVA vient de s'y rallier, dans son accord de coalition gouvernementale.

Toutefois, les intentions de la Commission demeurent encore incertaines. En outre, quand bien même la Commission adopterait une proposition de révision de la directive – ce qui n'est pas acquis –, cette proposition devra encore être adoptée par le Conseil à l'unanimité des États membres. Or plusieurs États demeurent opposés à une révision de la directive en ce sens.

Dans ce contexte, le Gouvernement a choisi de faire prévaloir la légitimité sur la légalité et de prendre sans plus attendre les responsabilités qui sont les siennes vis-à-vis du secteur de la presse.

La situation actuelle n'apparaît en effet pas compatible avec le principe de neutralité fiscale et technologique, reconnu par ailleurs par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Ce principe s'oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA.

C'est d'ailleurs en se basant sur ce principe que la loi de finances pour 2011 a étendu, à compter du 1er janvier 2012, le taux réduit de TVA appliqué aux livres imprimés aux livres numériques. Le Gouvernement actuel a confirmé la position prise par le Gouvernement et le Parlement sous la majorité précédente, en considérant que ce choix du législateur, qui garantit un traitement fiscal équivalent aux oeuvres indépendamment de leur support de diffusion, est juste et cohérent. Le 3 juillet 2012, la Commission européenne a adressé à la France une mise en demeure. En septembre, après de nombreux échanges avec la Commission, cette affaire a été portée devant la Cour de justice. La France maintient et défend sa législation devant le juge européen, en plaidant pour la neutralité fiscale et technologique.

Il est par cohérence proposé de tenir une position identique pour la presse, d'autant que l'application du taux super réduit à la presse en ligne est d'une importance économique vitale pour ce secteur qui se trouve confronté au défi de sa transition numérique, dans une situation d'extrême fragilité.

Le différentiel de taux de TVA est, comme vous le savez, un lourd handicap économique pour la presse et un obstacle à l'émergence d'un modèle économique viable pour la presse payante en ligne.

Dans une tentative de contourner partiellement la difficulté, la loi de finances rectificative pour 2009 avait prévu l'application du taux super réduit aux offres composites - offres d'abonnement à l'édition papier et numérique –, selon des modalités fixées par voie réglementaire. Cette situation n'est pas satisfaisante puisqu'elle incite les acteurs de la presse imprimée qui proposent des éditions numériques de leurs titres à le faire de façon conditionnée à l'abonnement au titre de la presse imprimée. Cette forme de « contorsion commerciale » conduit à faire des services de presse en ligne des biens de consommation totalement « accessoires » pour lesquels le client ne paie pas directement. En outre, elle freine la dynamique de transition naturelle de la presse imprimée à la presse en ligne.

Sur le plan budgétaire, la mesure proposée est peu coûteuse, voire vertueuse. Son coût est estimé à 5 millions d'euros pour la première année d'application. Cependant, les études disponibles montrent que le manque à gagner serait à l'échéance de quatre ans partiellement compensé par le développement de la filière de la presse en ligne, qui induirait à moyen terme une hausse de la TVA perçue. Il y aurait donc pour l'État une sorte de rapide retour sur investissement.

Afin de montrer combien cette mesure est consensuelle, je rappellerai qu'elle a été préconisée par tous les rapports consacrés à l'avenir de la presse : le rapport du Conseil d'État de 1998 sur Internet et les réseaux numériques, le rapport de Marc Tessier de 2007 consacré à la presse face au défi du numérique, le livre vert des États généraux de la presse de 2009, le rapport d'information que j'ai co-signé avec Patrice Verchère en juin 2011 sur la révolution numérique et les droits de l'individu, le rapport d'avril 2013 du groupe d'experts sur l'avenir des aides à la presse présidé par Roch-Olivier Maistre et auquel a participé notre collègue Michel Françaix, le rapport de la mission sur l'acte II de l'exception culturelle présidée par Pierre Lescure de mai 2013 et les avis sur les crédits en faveur de la presse faits au nom de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée par Michel Françaix puis par Rudy Salles.

Je rappellerai également l'opiniâtreté avec laquelle, depuis plusieurs années, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances qui se sont succédé, Patrice Martin-Lalande pour le groupe UMP, Michel Françaix et moi-même pour le groupe SRC avons proposé des amendements tendant à étendre le bénéfice du taux super réduit de TVA à la presse en ligne.

Je soulignerai enfin que la présente proposition de loi ne soulève aucune difficulté sur le plan technique puisqu'elle s'appuie sur la définition des services de presse en ligne qui a déjà été introduite à l'article 1er de la loi du 1er août 1986 relative au régime juridique de la presse par la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, dite Hadopi I.

Cette définition a été précisée et affinée par décret et par une jurisprudence importante de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), qui est chargée d'agréer les services de presse en ligne. Ses principaux éléments sont : une maîtrise éditoriale par la personne éditrice ; la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, renouvelé régulièrement ; le traitement journalistique des informations et leur lien avec l'actualité, et l'exclusion des outils de promotion ou des accessoires d'une activité industrielle et commerciale.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je vous invite à adopter sans modification cette proposition de loi qui me semble pouvoir recueillir le soutien le plus large.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion