Cet article 20, qui réforme en profondeur l’inspection du travail, arrive comme un cheveu sur la soupe dans ce texte sur la formation professionnelle. De ce point de vue, je m’associe aux propos de mon collègue Christophe Cavard.
Non seulement ce titre introduit un cavalier législatif, qui nous prive, sur un sujet de cette importance, d’un travail d’élaboration et d’une discussion sérieuse, mais il contient en outre des dispositions dangereuses concernant la protection des salariés.
Trois points de cette réforme nous posent problème. Le premier concerne la dépénalisation d’une grande partie du code du travail par l’introduction des amendes administratives et des transactions pénales.
Si ces dispositions n’étaient que des pénalités intermédiaires visant à introduire des sanctions progressives en fonction de la gravité des infractions commises, ce serait un progrès. Mais le problème est que ces amendes et transactions pourront dorénavant se substituer à certaines sanctions pénales en vigueur, y compris pour des infractions lourdes, telles que le refus d’arrêt de travaux en cas de situation de danger pour les salariés, prévu à l’article L. 4731-1 du code du travail. C’est ce qui conduit les inspecteurs du travail eux-mêmes – et je partage cette appréciation – à parler de « dépénalisation », au moins dans les faits, sinon dans les textes.
À cet argument, vous répondez que les poursuites pénales sont aujourd’hui peu fréquentes et tendent à diminuer. Les auteurs d’infraction ne seraient finalement pas du tout sanctionnés. Votre proposition marquerait donc un progrès. Avouez qu’il s’agit là d’un raisonnement pour le moins spécieux !
En effet, ceux qui sont habilités à poursuivre, en l’occurrence les procureurs, représentent les intérêts de l’État. À ce titre, ils sont censés appliquer la politique décidée par le Gouvernement. Aussi, monsieur le ministre, votre rôle devrait-il être de donner des instructions aux parquets pour que, face à ces situations, ils soient rigoureux et engagent des poursuites, et non pas d’alléger les sanctions prévues par le code du travail en cas de mise en danger des travailleurs par des manquements graves de la part des employeurs. Cela sous-entend bien sûr que des moyens soient accordés non seulement aux parquets, mais aussi aux juges pour faire leur travail.
Le deuxième point concerne les pouvoirs des directeurs des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRECCTE. Vous dites vouloir, par cette réforme, accroître les pouvoirs de l’inspection du travail, mais force est de constater que ce sont surtout les pouvoirs de ces directeurs que vous renforcez. Ainsi pourront-ils décider de recourir ou non aux amendes administratives, de proposer ou non une transaction pénale.
Or, les directeurs des DIRECCTE, nommés par le ministre, sont chargés de relayer la politique du Gouvernement en matière d’emploi et sont, à ce titre, plus sensibles à la sauvegarde des emplois qu’à la protection des travailleurs ; c’est tout à fait normal, car ce n’est pas le même travail. On peut cependant se demander devant quel dilemme se trouvera un directeur de DIRECCTE subissant la pression d’un chef d’entreprise ou d’un ministre, lorsqu’il aura à choisir entre la sécurité des salariés et la fermeture d’une entreprise.
Le troisième point concerne les menaces pesant sur l’indépendance des agents de l’inspection du travail. Je ne reviendrai pas sur l’importance de cette préoccupation, qui est partagée et que vous avez vous-mêmes confirmée, monsieur le ministre. Il n’en demeure pas moins que certaines dispositions pourraient permettre de dessaisir des agents trop sourcilleux. Il est ainsi indiqué à l’alinéa 63 que les inspecteurs du travail peuvent être affectés de manière temporaire dans une section d’inspection. Ce projet de loi ne résout pas non plus le problème des chevauchements de compétences signalés par le Conseil national de l’inspection du travail, qui laissent également planer le risque de dessaisissement.
Pour toutes ces raisons, nous refusons de cautionner la présence, dans ce texte sur la formation professionnelle, d’un article qui réforme en profondeur l’inspection du travail et qui se situe dans la droite ligne de la loi du 14 juin 2013, mettant à l’écart le pouvoir judiciaire et entérinant l’idée que le droit est moins une protection pour les plus faibles qu’un objet de négociation. C’est pourquoi nous demandons sa suppression.