Nous avons évoqué ce matin, avec le général Soriano, ce déplacement de dix parlementaires qui pourrait se dérouler en fin de semaine prochaine, et nous nous efforçons de l'organiser dans les meilleures conditions.
Le 14 janvier dernier, date de ma dernière audition, M. Djotodia venait de démissionner et l'on attendait la désignation des nouvelles autorités. Les milices ex-Séléka étaient encore nombreuses dans la capitale et, même si la peur avait déjà changé de camp, nous redoutions encore un embrasement à Bangui. Nous devions faire face au prolongement du vide institutionnel, au redéploiement du contingent tchadien de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) vers le Nord, au départ de nombreux Tchadiens de Bangui et au vif ressentiment des anti-balaka.
Si cette phase, très délicate, est en passe d'être surmontée, avec l'installation des nouveaux responsables de la transition politique, les tensions restent nombreuses, à Bangui et en province. Le rôle de nos soldats a cependant été déterminant – tout comme celui des responsables religieux – pour contenir les tensions ; ils doivent continuer à faire preuve d'un grand sang-froid dans leur mission.
Le tandem Djotodia-Tiangaye constituait une impasse politique. La Présidente de transition élue le 20 janvier dernier, Mme Samba-Panza, a nommé M. Nzapayeké au poste de Premier ministre. Le nouveau gouvernement, plus technique que le précédent, s'attellera à la remise en route de l'administration, à la préparation des élections et, dans la mesure du possible, au processus de réconciliation.
Nous soutenons les autorités de transition et l'action de la nouvelle Présidente, dans le cadre d'une mission dont les objectifs restent clairs : contenir les débordements de violence, afin de permettre la transition politique et l'acheminement de l'aide humanitaire ; aider la MISCA à se déployer, avec des actions conjointes visant à désarmer les milices de chaque camp de manière impartiale.
Les ex-Séléka refluent vers le Nord-Est, dans la zone de Bria jusqu'à Birao. Ce groupe, à l'origine du coup d'État ayant porté M. Djotodia au pouvoir, était initialement composé de mercenaires soudanais – dont la majeure partie a désormais regagné leur pays –, de Tchadiens non affiliés aux autorités gouvernementales et de Centrafricains. Certains de ses dirigeants, à l'instar de Nourredine Adam, brandissent régulièrement la menace d'une partition de la RCA : si rien ne laisse à penser que celle-ci puisse intervenir aujourd'hui, le risque demeure, et je dois dire que cela me préoccupe.
La RCA présente aujourd'hui un double visage. La situation s'est améliorée dans la capitale, qui reste néanmoins le théâtre d'exactions – anti-balaka et animistes exerçant une forte pression sur les musulmans, qui ont largement déserté leurs quartiers –, et, en province, les ex-Séléka règlent leurs comptes dans le sang à mesure qu'ils refluent vers le Nord-Est ; dans leur sillage, les anti-balaka se vengent à leur tour des populations musulmanes, s'exposant par là même à des représailles, comme cela s'est produit à Boda avant-hier.
Les forces de Sangaris et de la MISCA ont désarmé une partie des milices ex-Séléka avant leur départ de Bangui et récupéré certaines de leurs armes lourdes – mitrailleuses, canons anti-aériens bitubes et lance-roquettes –, qui sont confiées à la MISCA. Les anti-balaka, eux, ont des armes beaucoup plus sommaires – machettes, arcs munis de flèches empoisonnées ou fusils artisanaux à un seul coup. Il ne reste plus, à Bangui, qu'un cinquième des troupes initiales des ex-Séléka, soit environ 1 000 hommes, regroupés dans deux camps : RDOT, au nord, et Béal, au centre. Le camp de Kassaï, quant à lui, a été abandonné. Nous avons renforcé notre présence dans la capitale, notamment auprès des populations musulmanes et le long des lignes de séparation entre les quartiers. Nos troupes patrouillent, conjointement avec celles de la MISCA, notamment en ville avec des soldats rwandais et burundais.
La situation est plus préoccupante en province. Nos forces sont présentes à Bossangoa - avec l'équivalent d'une compagnie -, à Bossembélé, Sibut, Mbaïki et Yaloké, avec différentes unités de la MISCA qui restent ensuite sur place. Elles accompagnent les contingents de la MISCA, identifient certains axes et sécurisent la liaison entre Bangui et le Cameroun, sur laquelle une opération de protection d'un convoi de 500 camions humanitaires, venus de Douala, a été menée la semaine dernière.
Nous agissons, faut-il le rappeler, avec la plus grande impartialité, contrairement à ce que laissent entendre certaines rumeurs selon lesquelles nous favoriserions les populations chrétiennes. Nos soldats ont par exemple sauvé deux ex-Séléka du lynchage ; cela dit, ils réagissent en légitime défense lorsque des ex-Séléka les prennent à partie.
La situation humanitaire reste dramatique. Les forces de Sangaris, en contribuant à la sécurisation des quartiers de Bangui, permettent aux organisations non gouvernementales (ONG) de venir en aide à toutes les populations, quelle que soit leur confession. Sur 4,5 millions d'habitants, deux millions sont en situation de précarité alimentaire ; 800 000 personnes sont déplacées et 250 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins. L'une des priorités reste la sécurisation d'un quartier-pilote au sud de l'aéroport, afin de désengorger le camp établi le long de la piste, où se sont amassées quelque 100 000 personnes, principalement d'origine chrétienne. Nous oeuvrons en synergie avec les associations humanitaires, qui incitent les réfugiés à regagner leurs quartiers.
L'Union africaine a pu engager des renforts plus rapidement que prévu avec l'arrivée, la semaine dernière, de renforts ce qui porte la MISCA à 6 000 hommes qui sont commandés par le général Mokoko et le général Tumenta. Le rendement de la MISCA est encore limité par certaines carences au sein de l'état-major, même si une dizaine d'officiers français sont intégrés dans celui-ci, et par des insuffisances en moyens logistiques ou de communication. Sans doute faudra-t-il attendre quelques semaines pour que ces forces soient pleinement opérationnelles ; elles seront alors déployées sur l'ensemble du territoire centrafricain.
S'agissant du financement de la MISCA, la conférence des donateurs, la semaine dernière, a donné des résultats plutôt modestes, avec seulement 316 millions de dollars de promesses de dons, qui seront affectés à l'équipement des troupes. Selon toute vraisemblance, la MISCA ne pourra être pleinement opérationnelle qu'au début du printemps prochain, et jouer alors tout son rôle dans le cadre des résolutions 2121 et 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cela m'amène au rôle de l'ONU, dont le Conseil de sécurité, par la résolution 2134 adoptée le 28 janvier, a donné un nouveau mandat au Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en Centrafrique (BINUCA), dirigé par le général Gaye : il s'agit d'inviter le Gouvernement centrafricain à accélérer la transition politique et à permettre la tenue d'élections en février 2015 au plus tard – lors du sommet de Paris, les chefs d'État et de Gouvernement africains avaient fixé cette échéance à fin 2014. La mission du BINUCA a été renforcée pour contribuer au rétablissement de l'administration et soutenir la commission d'enquête internationale sur les exactions, plusieurs charniers ayant été découverts.
Les Nations unies, aux termes de cette même résolution, menacent de sanctions les individus qui attentent à la paix, à la stabilité ou à la sécurité, qui feraient obstacle au processus de transition ou qui violeraient les droits de l'homme. Le renforcement du BINUCA ne permettra cependant pas de relever l'ensemble des défis à court terme : seule une opération de maintien de la paix (OMP) permettra de rétablir l'État centrafricain lui-même. Cette idée commence à faire son chemin : Mme Samba-Panza vient d'adresser un courrier au secrétaire général des Nations unies pour la soutenir ; plusieurs pays africains, à l'origine désireux de régler le problème par eux-mêmes, commencent à s'y rallier, de même que les États-Unis – qui étaient initialement partisans d'une solution africaine – et le Royaume-Uni. De fait, l'État est tellement délabré qu'on voit mal comment le rétablir autrement que par une OMP, laquelle pourrait mobiliser jusqu'à 10 000 hommes. Le secrétaire général des Nations unies remettra, à la fin du mois de février, un rapport sur cette question, afin que le Conseil de sécurité puisse en débattre. En tout état de cause, une telle opération ne verrait pas le jour avant l'été prochain.
De son côté, l'Union européenne a débloqué, dans le cadre de la « facilité de paix pour l'Afrique », 50 millions d'euros au profit de l'équipement et de l'entretien de la MISCA. La conférence des donateurs a octroyé une enveloppe de 25 millions supplémentaires pour le soutien à la mission militaire africaine, lesquels s'ajoutent aux 225 millions et aux 20 autres millions respectivement versés au titre de l'aide au développement et de l'aide humanitaire.
Le 20 janvier dernier, le Conseil des affaires étrangères a décidé, à l'unanimité, un engagement militaire temporaire à travers le dispositif EUFOR. Dans ce cadre, 500 soldats doivent être mobilisés, avec pour objectif la sécurisation de l'aéroport de M'Poko et de plusieurs quartiers de Bangui : cela permettra un redéploiement de nos propres forces dans d'autres parties du territoire. La France sera la nation-cadre de ce dispositif, dont l'état-major sera établi en Grèce, laquelle assure actuellement la présidence de l'Union européenne. Reste à obtenir de nos partenaires la mobilisation des 500 hommes prévus : c'est ce à quoi je m'emploie en ce moment. Samedi dernier, lors du Forum sur la sécurité à Munich, j'ai pu plaider cette cause auprès de plusieurs de mes homologues européens. La procédure d'engagement des forces varie selon les pays européens, et il m'est difficile d'anticiper sur leurs futures décisions, même si quelques éléments laissent à penser que les Espagnols, les Estoniens, les Georgiens ou les Polonais pourraient donner une suite favorable. En tout état de cause, la mission des forces européennes sera décidée le 10 février, puis suivra la conférence de génération de force avant le lancement de l'opération.
Pour me résumer, la phase politique qui s'ouvre, avec une Présidente déterminée, est plus favorable que la précédente. Cependant, l'environnement sécuritaire demeure tendu, moins à Bangui qu'en province, et, compte tenu du chaos, les brigandages prospèrent - notamment sur la route qui relie Bangui à Bouar.