La séance est ouverte à dix-sept heures.
Monsieur le ministre, soyez le bienvenu.
La Conférence des présidents a décidé, ce matin, que le vote prévu au terme des quatre mois de l'opération Sangaris, pour autoriser la prolongation de celle-ci, aurait lieu le 26 février prochain. Le cabinet du ministre nous donnera des précisions sur les conditions d'un déplacement, avant cette date, de commissaires de la défense et des affaires étrangères en République centrafricaine (RCA). J'invite les groupes à faire connaître la liste de ceux qu'ils souhaitent voir participer à ce déplacement. Je rappelle aussi qu'une mission d'information sur le suivi de l'opération Sangaris a été installée ; MM. Yves Fromion et Christophe Léonard en sont les rapporteurs.
Nous avons évoqué ce matin, avec le général Soriano, ce déplacement de dix parlementaires qui pourrait se dérouler en fin de semaine prochaine, et nous nous efforçons de l'organiser dans les meilleures conditions.
Le 14 janvier dernier, date de ma dernière audition, M. Djotodia venait de démissionner et l'on attendait la désignation des nouvelles autorités. Les milices ex-Séléka étaient encore nombreuses dans la capitale et, même si la peur avait déjà changé de camp, nous redoutions encore un embrasement à Bangui. Nous devions faire face au prolongement du vide institutionnel, au redéploiement du contingent tchadien de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA) vers le Nord, au départ de nombreux Tchadiens de Bangui et au vif ressentiment des anti-balaka.
Si cette phase, très délicate, est en passe d'être surmontée, avec l'installation des nouveaux responsables de la transition politique, les tensions restent nombreuses, à Bangui et en province. Le rôle de nos soldats a cependant été déterminant – tout comme celui des responsables religieux – pour contenir les tensions ; ils doivent continuer à faire preuve d'un grand sang-froid dans leur mission.
Le tandem Djotodia-Tiangaye constituait une impasse politique. La Présidente de transition élue le 20 janvier dernier, Mme Samba-Panza, a nommé M. Nzapayeké au poste de Premier ministre. Le nouveau gouvernement, plus technique que le précédent, s'attellera à la remise en route de l'administration, à la préparation des élections et, dans la mesure du possible, au processus de réconciliation.
Nous soutenons les autorités de transition et l'action de la nouvelle Présidente, dans le cadre d'une mission dont les objectifs restent clairs : contenir les débordements de violence, afin de permettre la transition politique et l'acheminement de l'aide humanitaire ; aider la MISCA à se déployer, avec des actions conjointes visant à désarmer les milices de chaque camp de manière impartiale.
Les ex-Séléka refluent vers le Nord-Est, dans la zone de Bria jusqu'à Birao. Ce groupe, à l'origine du coup d'État ayant porté M. Djotodia au pouvoir, était initialement composé de mercenaires soudanais – dont la majeure partie a désormais regagné leur pays –, de Tchadiens non affiliés aux autorités gouvernementales et de Centrafricains. Certains de ses dirigeants, à l'instar de Nourredine Adam, brandissent régulièrement la menace d'une partition de la RCA : si rien ne laisse à penser que celle-ci puisse intervenir aujourd'hui, le risque demeure, et je dois dire que cela me préoccupe.
La RCA présente aujourd'hui un double visage. La situation s'est améliorée dans la capitale, qui reste néanmoins le théâtre d'exactions – anti-balaka et animistes exerçant une forte pression sur les musulmans, qui ont largement déserté leurs quartiers –, et, en province, les ex-Séléka règlent leurs comptes dans le sang à mesure qu'ils refluent vers le Nord-Est ; dans leur sillage, les anti-balaka se vengent à leur tour des populations musulmanes, s'exposant par là même à des représailles, comme cela s'est produit à Boda avant-hier.
Les forces de Sangaris et de la MISCA ont désarmé une partie des milices ex-Séléka avant leur départ de Bangui et récupéré certaines de leurs armes lourdes – mitrailleuses, canons anti-aériens bitubes et lance-roquettes –, qui sont confiées à la MISCA. Les anti-balaka, eux, ont des armes beaucoup plus sommaires – machettes, arcs munis de flèches empoisonnées ou fusils artisanaux à un seul coup. Il ne reste plus, à Bangui, qu'un cinquième des troupes initiales des ex-Séléka, soit environ 1 000 hommes, regroupés dans deux camps : RDOT, au nord, et Béal, au centre. Le camp de Kassaï, quant à lui, a été abandonné. Nous avons renforcé notre présence dans la capitale, notamment auprès des populations musulmanes et le long des lignes de séparation entre les quartiers. Nos troupes patrouillent, conjointement avec celles de la MISCA, notamment en ville avec des soldats rwandais et burundais.
La situation est plus préoccupante en province. Nos forces sont présentes à Bossangoa - avec l'équivalent d'une compagnie -, à Bossembélé, Sibut, Mbaïki et Yaloké, avec différentes unités de la MISCA qui restent ensuite sur place. Elles accompagnent les contingents de la MISCA, identifient certains axes et sécurisent la liaison entre Bangui et le Cameroun, sur laquelle une opération de protection d'un convoi de 500 camions humanitaires, venus de Douala, a été menée la semaine dernière.
Nous agissons, faut-il le rappeler, avec la plus grande impartialité, contrairement à ce que laissent entendre certaines rumeurs selon lesquelles nous favoriserions les populations chrétiennes. Nos soldats ont par exemple sauvé deux ex-Séléka du lynchage ; cela dit, ils réagissent en légitime défense lorsque des ex-Séléka les prennent à partie.
La situation humanitaire reste dramatique. Les forces de Sangaris, en contribuant à la sécurisation des quartiers de Bangui, permettent aux organisations non gouvernementales (ONG) de venir en aide à toutes les populations, quelle que soit leur confession. Sur 4,5 millions d'habitants, deux millions sont en situation de précarité alimentaire ; 800 000 personnes sont déplacées et 250 000 ont trouvé refuge dans les pays voisins. L'une des priorités reste la sécurisation d'un quartier-pilote au sud de l'aéroport, afin de désengorger le camp établi le long de la piste, où se sont amassées quelque 100 000 personnes, principalement d'origine chrétienne. Nous oeuvrons en synergie avec les associations humanitaires, qui incitent les réfugiés à regagner leurs quartiers.
L'Union africaine a pu engager des renforts plus rapidement que prévu avec l'arrivée, la semaine dernière, de renforts ce qui porte la MISCA à 6 000 hommes qui sont commandés par le général Mokoko et le général Tumenta. Le rendement de la MISCA est encore limité par certaines carences au sein de l'état-major, même si une dizaine d'officiers français sont intégrés dans celui-ci, et par des insuffisances en moyens logistiques ou de communication. Sans doute faudra-t-il attendre quelques semaines pour que ces forces soient pleinement opérationnelles ; elles seront alors déployées sur l'ensemble du territoire centrafricain.
S'agissant du financement de la MISCA, la conférence des donateurs, la semaine dernière, a donné des résultats plutôt modestes, avec seulement 316 millions de dollars de promesses de dons, qui seront affectés à l'équipement des troupes. Selon toute vraisemblance, la MISCA ne pourra être pleinement opérationnelle qu'au début du printemps prochain, et jouer alors tout son rôle dans le cadre des résolutions 2121 et 2127 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cela m'amène au rôle de l'ONU, dont le Conseil de sécurité, par la résolution 2134 adoptée le 28 janvier, a donné un nouveau mandat au Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en Centrafrique (BINUCA), dirigé par le général Gaye : il s'agit d'inviter le Gouvernement centrafricain à accélérer la transition politique et à permettre la tenue d'élections en février 2015 au plus tard – lors du sommet de Paris, les chefs d'État et de Gouvernement africains avaient fixé cette échéance à fin 2014. La mission du BINUCA a été renforcée pour contribuer au rétablissement de l'administration et soutenir la commission d'enquête internationale sur les exactions, plusieurs charniers ayant été découverts.
Les Nations unies, aux termes de cette même résolution, menacent de sanctions les individus qui attentent à la paix, à la stabilité ou à la sécurité, qui feraient obstacle au processus de transition ou qui violeraient les droits de l'homme. Le renforcement du BINUCA ne permettra cependant pas de relever l'ensemble des défis à court terme : seule une opération de maintien de la paix (OMP) permettra de rétablir l'État centrafricain lui-même. Cette idée commence à faire son chemin : Mme Samba-Panza vient d'adresser un courrier au secrétaire général des Nations unies pour la soutenir ; plusieurs pays africains, à l'origine désireux de régler le problème par eux-mêmes, commencent à s'y rallier, de même que les États-Unis – qui étaient initialement partisans d'une solution africaine – et le Royaume-Uni. De fait, l'État est tellement délabré qu'on voit mal comment le rétablir autrement que par une OMP, laquelle pourrait mobiliser jusqu'à 10 000 hommes. Le secrétaire général des Nations unies remettra, à la fin du mois de février, un rapport sur cette question, afin que le Conseil de sécurité puisse en débattre. En tout état de cause, une telle opération ne verrait pas le jour avant l'été prochain.
De son côté, l'Union européenne a débloqué, dans le cadre de la « facilité de paix pour l'Afrique », 50 millions d'euros au profit de l'équipement et de l'entretien de la MISCA. La conférence des donateurs a octroyé une enveloppe de 25 millions supplémentaires pour le soutien à la mission militaire africaine, lesquels s'ajoutent aux 225 millions et aux 20 autres millions respectivement versés au titre de l'aide au développement et de l'aide humanitaire.
Le 20 janvier dernier, le Conseil des affaires étrangères a décidé, à l'unanimité, un engagement militaire temporaire à travers le dispositif EUFOR. Dans ce cadre, 500 soldats doivent être mobilisés, avec pour objectif la sécurisation de l'aéroport de M'Poko et de plusieurs quartiers de Bangui : cela permettra un redéploiement de nos propres forces dans d'autres parties du territoire. La France sera la nation-cadre de ce dispositif, dont l'état-major sera établi en Grèce, laquelle assure actuellement la présidence de l'Union européenne. Reste à obtenir de nos partenaires la mobilisation des 500 hommes prévus : c'est ce à quoi je m'emploie en ce moment. Samedi dernier, lors du Forum sur la sécurité à Munich, j'ai pu plaider cette cause auprès de plusieurs de mes homologues européens. La procédure d'engagement des forces varie selon les pays européens, et il m'est difficile d'anticiper sur leurs futures décisions, même si quelques éléments laissent à penser que les Espagnols, les Estoniens, les Georgiens ou les Polonais pourraient donner une suite favorable. En tout état de cause, la mission des forces européennes sera décidée le 10 février, puis suivra la conférence de génération de force avant le lancement de l'opération.
Pour me résumer, la phase politique qui s'ouvre, avec une Présidente déterminée, est plus favorable que la précédente. Cependant, l'environnement sécuritaire demeure tendu, moins à Bangui qu'en province, et, compte tenu du chaos, les brigandages prospèrent - notamment sur la route qui relie Bangui à Bouar.
La situation de crise au Sud-Soudan, au Congo et au Cameroun, où est présent Boko Haram, peut-elle avoir des conséquences sur l'intervention française en RCA ?
À l'occasion du Conseil des affaires étrangères du 20 janvier, le ministre suédois des affaires étrangères a déclaré, à propos des battlegroups : « Si nous ne les utilisons pas maintenant, cela montre qu'ils ne sont pas utiles et ne pourront jamais être utilisés. Sinon, certains pays vont hésiter à faire les investissements importants [que cela nécessite] et diminuer leur engagement. » Pourquoi une telle frilosité et, partant, pourquoi cette intervention ?
Le 28 janvier, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 2134, qui entérine l'envoi en RCA de 500 soldats européens. Ceux-ci auront pour mission d'assurer la protection de l'aéroport de Bangui M'Poko, ce qui permettra aux forces françaises et africaines de désarmer les milices.
Je souhaitais vous interroger sur les participations respectives de nos partenaires européens, mais j'ai cru comprendre que vous ne pouviez nous répondre à ce stade. L'Estonie et la Finlande semblent disposées à consentir un effort, à hauteur, respectivement, de 55 et 20 soldats : ce n'est pas très généreux… Quant à l'Allemagne, son aide se bornerait à un soutien logistique.
Combien de temps cette mission durera-t-elle, sachant qu'elle devrait être relayée, dit-on, par l'envoi de 10 000 Casques bleus cet été ? Croyez-vous à une amélioration significative de la situation d'ici à cette échéance ? Deux mois après le début de notre intervention, on assiste encore à des violences extrêmes et à des déplacements de populations – vous en avez rappelé les chiffres.
Sans notre intervention, les morts se seraient comptés par milliers, monsieur Candelier. La cristallisation des haines, conjuguée à l'absence d'État et au brigandage, aurait rendu la situation proprement incontrôlable.
Les ex-Séléka, qui ont perdu leur autorité politique depuis la démission de M. Djotodia, se sentent désormais menacés et commencent à quitter les camps dans lesquels nous les avions cantonnés, ce qui a pour effet d'accroître le sentiment d'insécurité des populations musulmanes. Les anti-balaka, eux, règlent leurs comptes avec ceux qu'ils considèrent comme ayant été des complices des ex-Séléka. Quoi qu'il en soit, si la situation est à peu près stabilisée à Bangui, malgré des exactions le long des lignes de séparation des quartiers, ce n'est pas le cas dans le reste du pays – à l'exception de Bossangoa.
Les ex-Séléka, partis de Bangui, avaient pris possession de Sibut, où nos troupes sont intervenues avec celles de la MISCA ; ces dernières sont restées seules sur place, et les ex-Séléka ont quitté la ville. Bref, la situation s'est améliorée, notamment à Bangui, mais elle est encore loin d'être durablement pacifiée : pour ce faire, une OMP sera nécessaire. Les besoins ont été estimés à 10 000 Casques bleus, parmi lesquels on comptera bien entendu des soldats de la MISCA redéployés – à l'instar de ce que fut le remplacement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Un tel processus prend du temps, et ne pourra donc sans doute pas voir le jour avant l'été prochain : en attendant, nous devons poursuivre notre mission dans le sens que j'indiquais, en espérant le concours de l'Union européenne.
Au-delà de l'aspect strictement humanitaire, monsieur Pueyo, le risque principal serait de laisser s'installer le vide sécuritaire : c'est alors, en effet, que des groupes de Boko Haram ou même des chebab pourraient en profiter, et transformer la zone en un « hub » ouvert à tous les terroristes, ce qui aurait des répercussions pour le Soudan du Sud, le Congo ou même le Tchad. Contrairement à ce que j'ai pu lire, M. Déby n'a aucun intérêt à ce que la Centrafrique devienne un État de non-droit, y compris pour l'intégrité de son propre territoire. On se souvient des circonstances un peu romanesques de la démission de M. Djotodia. La CEEAC, la Communauté économique des États d'Afrique centrale, se trouvant réunie à Ndjamena, le Président de la République du Congo, M. Sassou-Nguesso, avait mis un avion à la disposition du Conseil national de transition (CNT), afin de lui permettre de délibérer, sous la protection des forces de sécurité tchadiennes et en présence des chefs d'État voisins ; tout le monde avait poussé le Président Djotodia vers la sortie. Celui-ci, après avoir annoncé sa démission – à Ndjamena, pour ne point s'exposer à des représailles à Bangui – gagna ensuite le Bénin ; après quoi les 135 membres du CNT furent reconduits à Bangui pour élire un nouveau chef d'État.
À ma connaissance, il n'y a pas de répercussion, aujourd'hui, au Soudan du Sud.
Quant aux battlegroups, ils font l'objet d'un commandement tournant qui était notamment assuré, au mois de décembre, par la Grande-Bretagne ; leur engagement est subordonné à l'aval unanime des États membres de l'Union. C'est désormais chose faite avec l'EUFOR, chaque pays devant encore décider du niveau de sa contribution. Il eût été logique que les battlegroups soient mobilisés ; mais, pour l'heure, rien n'a été décidé en ce sens. Ce point a été abordé lors du Conseil des ministres de la défense de fin décembre, et la France a l'intention de le remettre en débat. Les battlegroups n'ont jamais servi : sont-ils voués à n'être qu'une entité de papier ?
Les quelque 850 000 personnes déplacées font-elles l'objet d'un suivi ? Sachant par ailleurs que les ex-Séléka font mouvement vers le Nord-Est, n'y a-t-il pas un risque de voir se constituer des groupes terroristes armés, comme on l'avait craint il y a quelques années ? Le Tchad représente-t-il une zone « tampon » entre le sud libyen, où de tels groupes sont présents, et la RCA ?
Quelle est la doctrine d'emploi des forces européennes ? Sont-elles soumises à des critères d'engagement différents de ceux des forces Sangaris ?
La tenue des élections, avez-vous précisé, est prévue en février 2015. Or les ex-Séléka, d'après plusieurs médias africains, détruisent des registres d'état-civil : dans ces conditions, est-on en mesure de constituer des listes électorales ?
Enfin, quel crédit accorder à d'autres informations publiées par certains sites africains, selon lesquelles des groupes djihadistes sont également présents au Nord ?
En l'état actuel des choses, on ne trouve aucun groupe terroriste djihadiste en RCA. Les ex-Séléka et les anti-balaka forment des milices – à dominante musulmane pour les premiers et catholique pour les seconds –, dont la préoccupation est moins l'idéologie que le brigandage et le désir de s'emparer du pouvoir. Cela dit, si on laisse le chaos s'installer, alors oui, toutes les dérives seront possibles. Les ex-Séléka, je le rappelle, ne représentent qu'environ 3 000 à 5 000 hommes ; les anti-balaka, eux, peuvent être des hommes qui décident de passer à la violence du jour au lendemain : les estimations sont donc plus difficiles et la tâche de nos forces d'autant plus complexe. Celles-ci effectuent en particulier un remarquable travail de renseignement.
Nos troupes suivent les groupes ex-Séléka, mais pas les populations civiles déplacées, bien entendu : celles-ci vont trouver refuge dans des camps où elles se sentent protégées. Nos troupes ont ainsi sécurisé un quartier au sud de Bangui, non loin de l'aéroport, afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire et le retour de réfugiés. Nous poursuivrons bien entendu cette mission, avec le soutien, désormais plus efficace, du nouveau gouvernement – les liens du précédent avec les ex-Séléka rendaient la tâche plus difficile.
Il n'y a pas de contact entre les groupes installés dans le Sud libyen et la RCA, monsieur Audibert Troin. La présence de populations d'origine tchadienne dans la région de Birao est une question spécifiquement centrafricaine, alors que les trafics au nord du Tchad, eux, s'inscrivent dans une problématique sahélienne. M. Déby, avec qui je me suis plusieurs fois entretenu de ce sujet, est très soucieux de l'intégrité territoriale du Tchad et de la Centrafrique ; il est tout particulièrement vigilant sur la situation dans le sud de son pays.
Les règles d'engagement de l'EUFOR ne seront pas automatiquement les mêmes que pour les forces Sangaris, monsieur Nauche. Le principe de cette opération européenne sera avalisé le 10 février ; après quoi viendra un plan d'opérations qui fixera les règles d'engagement pour les pays volontaires. La procédure, en somme, est similaire à celle qui s'était appliquée pour la mission de formation de l'Union européenne au Mali, dite « EUTM Mali ». D'ailleurs, une mission du même type sera à mon sens nécessaire en Centrafrique, afin de reconstruire une armée en déshérence ; dans cette optique, mon homologue centrafricain invite les anciens soldats des forces armées centrafricaines (FACA) à réintégrer celles-ci, sous peine d'être assimilés à des déserteurs.
Partagez-vous l'analyse de l'ambassadeur de France aux Nations unies, selon qui la France a peut-être sous-estimé la haine entre les communautés musulmane et chrétienne ? Cette haine n'explique-t-elle pas la difficulté de l'opération Sangaris ? Ne rendrait-elle pas difficile une OMP ?
Pourriez-vous repréciser les objectifs militaires et politiques de l'opération Sangaris ? Les forces Sangaris se dissoudront-elles dans l'EUFOR ? Quels sont aujourd'hui leurs effectifs ?
Par ailleurs, la tenue d'élections suppose une stabilité politique, elle-même subordonnée à une réconciliation. Comment atteindre cet objectif avant février 2015, au vu des cristallisations de haine entre communautés ?
Enfin, les déplacements de populations musulmanes ne sont-elles pas de nature à déstabiliser les pays limitrophes ?
Je partage l'avis de notre ambassadeur aux Nations unies, madame Gosselin-Fleury : la longue accumulation des haines entretient la spirale de la vengeance, qui peut prospérer en l'absence d'ordre établi. Lorsque des ex-Séléka abandonnent un territoire, des anti-balaka viennent régler leurs comptes en brûlant des maisons.
Je rappelle que les musulmans ne représentent que 20 % de la population centrafricaine, celle-ci se composant, pour le reste, d'animistes et de chrétiens, dont les protestants forment un peu plus de la moitié. Autrefois, ces différentes confessions vivaient en harmonie ; leurs responsables sont d'ailleurs des artisans de la paix, et auront un rôle majeur dans le processus de réconciliation.
L'EUFOR et les forces Sangaris – qui ont pour mission d'assurer la montée en puissance de la MISCA – resteront indépendantes, monsieur Léonard : c'est d'ailleurs logique car, même si l'EUFOR sera commandée par un général français, ces deux forces ne dépendent pas des mêmes autorités politiques.
Les objectifs de l'opération Sangaris n'ont pas changé : sécuriser le territoire par l'interposition, le cantonnement et le désarmement impartial – les ex-Séléka ont ainsi dû remettre leurs armes lourdes avant de quitter le camp de Kassaï – ; permettre l'acheminement de l'aide humanitaire et le déploiement de la MISCA ; préparer, enfin, la transition politique. La MISCA se compose de 6 000 hommes, dont certains doivent encore être équipés, et les soutiens internationaux permettront d'étoffer son armement. Les Américains, par exemple, ont armé des soldats burundais et rwandais dont ils assuraient le transport ; l'Union européenne a également commencé à faire de même, à travers le dispositif « facilité de paix pour l'Afrique ».
Enfin, les troupes Sangaris se montent à 1 600 hommes, monsieur Léonard.
Il y a deux semaines, l'archevêque de Bangui et l'imam président de la communauté islamique nous ont indiqué que de nombreux bénévoles se déplaçaient sur l'ensemble du territoire pour tenter de rassembler les communautés : ces actions jouent-elles un rôle important dans la réconciliation ? Les soutenons-nous ?
Oui. Les responsables communautaires ont tous demandé une OMP lors de leur tournée européenne. Ils disposent dans les quartiers, à Bangui et ailleurs, de relais qui parfois travaillent ensemble.
Il faut en effet rendre hommage à nos soldats, qui s'acquittent admirablement, semble-t-il, d'une tâche plus ardue encore qu'au Mali.
Sans les attributs de la souveraineté, au premier rang desquels l'armée et la police, le rétablissement de l'État restera virtuel, en dépit du fonctionnement des institutions politiques. La reconstitution des FACA ne devrait-elle pas être notre priorité et, le cas échéant, celle de l'Union européenne ?
Le Président de la République avait annoncé un désengagement progressif au Mali : qu'en est-il ?
Le Gouvernement centrafricain est en train de recenser les soldats ayant appartenu aux FACA : il doit d'ailleurs faire preuve de vigilance, pour éviter les problèmes rencontrés au Mali.
Je soutiens résolument le principe d'une opération de type « EUTM », qui donne de très bons résultats à Koulikoro, au Mali. Cela dit, le temps n'est pas encore venu : j'en parlerai dimanche aux nouvelles autorités centrafricaines et au général Soriano. En attendant, j'espère que les pays européens se mobiliseront dans l'EUFOR. Il serait pour le moins décevant de ne pas obtenir l'engagement de 500 soldats, d'autant que nous apporterons aussi notre contribution. Mon homologue allemande m'a fait part de sa bonne volonté, mais, outre-Rhin, la procédure d'engagement des troupes prend deux ou trois mois : ce délai est trop long pour envisager une participation à l'EUFOR. L'Allemagne se bornera donc à une aide logistique, mais elle participerait sans doute à une opération de reconstruction de l'armée. Je rappelle néanmoins que les attributs de la souveraineté ne se limitent pas à l'armée : pour le rétablissement des autres, une OMP sera particulièrement utile.
Le désengagement au Mali se poursuit selon le rythme prévu : les soldats engagés ne seront plus que 1 000 à la fin du printemps, contre 2 600 en décembre. Ils sont essentiellement basés à Gao. La présence de nos troupes sur place s'inscrit en effet dans le cadre de la régionalisation. Un officier général restera néanmoins présent à Bamako, auprès des autorités élues.
Les fuites face aux exactions se sont transformées en exodes. Des musulmans fuient désormais certaines villes sous la protection de l'armée tchadienne, pour se diriger vers le Nord. Doit-on craindre une partition comparable à celle du Soudan, avec des musulmans au Nord et des chrétiens au Sud ?
Quid de l'éventuel envoi de gendarmes européens en RCA, dans le cadre de missions de maintien de l'ordre ?
Les Égyptiens s'inquiètent non seulement de la situation au Sinaï, mais aussi des incursions à partir du Sud libyen : des actions alliées – mobilisant des forces spéciales ou des drones, par exemple – visent-elles les groupes terroristes installés dans cette zone ? Le Tchad fait tampon entre le Sud libyen et la RCA, mais des incursions me semblent possibles par le Darfour et le Soudan du Sud, malgré la présence de nos forces spéciales à Birao. D'autres moyens ne seront-ils pas nécessaires pour régler le problème ?
Notre armée de terre a-t-elle les moyens, au regard de nos engagements au Mali et en RCA, d'accomplir durablement ses missions avec son format actuel ? Si oui, combien de temps ?
J'ai évoqué les risques de partition, monsieur Bays. Cela dit, le Tchad y est résolument opposé ; cela pourrait même devenir un casus belli pour lui. Une communauté d'origine tchadienne, mais de nationalité centrafricaine, est établie depuis longtemps à Bangui : essentiellement composée de commerçants, elle est victime de représailles ou d'actes de vandalisme, si bien que certains de ses membres commencent à revenir au Tchad. En réalité, c'est le reflux des ex-Séléka vers le Nord-Est qui peut entraîner un risque de partition.
Une mobilisation des forces de gendarmerie européennes est tout à fait envisageable, monsieur Folliot, mais seulement dans un second temps.
Quant au Sud libyen, nous collaborons avec les États-Unis dans le domaine du renseignement. Les ministres des Affaires étrangères se réuniront à Rome, début mars, pour évoquer le sujet. Il faudra bien, un jour ou l'autre, engager le dialogue avec les autorités libyennes, mais l'on connaît la complexité de la situation. La déclaration de l'amiral Guillaud sur la nécessité d'une nouvelle intervention en Libye a été sortie de son contexte : le propos, plus général, relayait la préoccupation de la communauté internationale s'agissant de la zone qui, en fait, s'étend de la Guinée-Bissau jusqu'en Syrie.
La présence de 3 000 militaires dans la zone sahélo-saharienne s'inscrira dans la durée, monsieur Meunier : aucune date n'est donc fixée pour un éventuel départ. Ces troupes s'ajouteront à celles déjà installées dans les bases de Dakar, Abidjan et Libreville. Un tel déploiement est évidemment un facteur de mobilisation pour notre armée de terre.
Est-il compatible avec le volume actuellement prévu pour les opérations extérieures (OPEX) ?
Oui, compte tenu notamment de nos retraits du Mali, d'Afghanistan et du Kosovo.
Avant votre rencontre, dimanche, avec la Présidente intérimaire de RCA, avez-vous quelques impressions personnelles sur le nouvel exécutif ? S'implique-t-il dans les questions de sécurité, ou s'occupe-t-il seulement de la réorganisation administrative et institutionnelle ?
Les forces de sécurité sont inexistantes. M. Djotodia s'appuyait plus ou moins ouvertement sur les ex-Séléka ; ce n'est bien entendu plus le cas. Les seules forces de sécurité disponibles sont donc celles de l'opération Sangaris et de la MISCA. Cependant, le dialogue avec la présidence centrafricaine est bien meilleur qu'auparavant. Mme Samba-Panza s'emploie à mobiliser son peuple, et le gouvernement qu'elle a nommé, plus technique que le précédent, compte très peu d'ex-Séléka ou anti-balaka – et aucun ancien partisan du Président Bozizé –, mais il n'a que peu de moyens. Une aide financière sera donc nécessaire. Rappelons que les fonctionnaires ne sont plus payés depuis un certain temps.
Information relative à la commission
La commission a désigné M. Philippe Gosselin, rapporteur sur la proposition de loi visant à affirmer le caractère intangible de l'appellation de la « Voie sacrée nationale » (n° 594).
La séance est levée à dix-huit heures trente.