L'année qui s'ouvre sera importante pour l'Europe en raison des élections européennes du 25 mai prochain, qui vont mobiliser nos formations politiques respectives, et du renouvellement des institutions européennes, notamment de la Commission. J'espère que la France sortira renforcée de cette échéance en choisissant des représentants capables de peser dans les débats au sein du Parlement européen.
En cette rentrée, j'ai bien sûr une pensée pour nos amis lituaniens, qui ont assuré avec sérieux et efficacité la Présidence du Conseil de l'Union européenne pour la première fois de leur histoire. Grâce à leur mobilisation, les règlements sous-tendant les grandes politiques européennes ont été adoptés. Ils permettent de mettre en oeuvre sans tarder le cadre financier de l'Union pour la période 2014-2020.
J'ai également une pensée pour nos amis grecs qui prennent le relais et que nous avons rencontrés dès le mois de décembre pour leur indiquer les priorités de la France. Ils assumeront cette tâche dans un contexte difficile, marqué à la fois par les élections européennes et une Commission qui aura en tête son renouvellement. Mais nous comptons sur eux pour faire avancer un certain nombre de dossiers, notamment l'application de la directive sur le détachement des travailleurs : si celle-ci a fait l'objet d'un accord à la majorité qualifiée, un travail a été engagé début janvier entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, dont sortira le texte définitif, prévu pour fin février. Je crois d'ailleurs qu'une proposition de loi du groupe socialiste devrait être inscrite à l'ordre du jour de votre assemblée sur ce sujet avant les élections municipales.
Une pensée, enfin, pour la Lettonie qui, en devenant le dix-huitième État membre de la zone euro, permet au coeur du réacteur de l'Union européenne de s'élargir.
La zone euro fut d'ailleurs au coeur des débats qui ont eu lieu lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre. Trois points principaux étaient à l'ordre du jour.
Le premier, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), était, pour la première fois depuis cinq ans, l'un des points majeurs, à la demande de la France.
Certains journalistes ont estimé que nos amis britanniques étaient les grands gagnants de ce Conseil européen. En fait, le premier ministre britannique a abordé celui-ci en cherchant à introduire différents amendements visant à affirmer une priorité à l'OTAN, à subordonner la politique de sécurité et de défense commune à l'action de celle-ci et à faire obstacle à la mise en place de capacités militaires européennes. Il a d'ailleurs déclaré à la presse être venu pour s'assurer qu'il n'y aura pas d'armée européenne. Mais ce débat était factice dans la mesure où il n'était pas question de mettre en place des moyens militaires propres à l'Union.
Nous avons quant à nous refusé le langage inféodant la PSDC à l'OTAN et maintenu l'engagement à progresser sur le développement capacitaire.
En définitive, la posture britannique n'a pas affecté les résultats que nous attendions de ce Conseil européen, qui étaient très concrets et visaient à réaliser des progrès pratiques.
La PSDC est un élément majeur de notre autonomie stratégique européenne, comme elle représente un véritable enjeu industriel pour l'ensemble des États membres. Ce Conseil européen a donc permis de réaffirmer notre objectif commun, qui est de rendre cette politique commune plus visible et plus efficace.
Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes mis d'accord pour que différents aspects soient renforcés. D'abord, l'amélioration des modes de financement des opérations de PSDC militaire. Car face aux crises émergeant ces dernières années, il apparaît plus que nécessaire que l'Union se dote d'instruments pour améliorer la sécurité aux frontières ainsi que les capacités de formation des armées, africaines notamment, et définir un cadre d'action en matière de cyberdéfense de même qu'une stratégie de sûreté maritime d'ici à juin 2014.
Ce Conseil européen a en outre obtenu un large consensus sur la question des capacités, dont la mise en commun de la majeure partie des moyens de transport militaire de plusieurs États membres dans le cadre d'un commandement unique, ou la constitution d'une flotte européenne d'avions ravitailleurs achetés en commun et de drones de surveillance.
Enfin, le Conseil européen a permis de mettre l'accent sur la nécessité de consolider la base industrielle et technologique de la défense européenne. Le programme horizon 2020 doit notamment être mis à contribution pour soutenir la recherche duale, civilo-militaire. De même, nous avons envisagé des mesures destinées à aider les PME dans le domaine de l'industrie de défense.
Cela étant, ce Conseil européen n'est pas un solde de tout compte en matière de défense. Il s'agit d'un point de départ et il a été expressément demandé à la Commission de faire un certain nombre de propositions selon un calendrier déterminé.
Nous entamons donc un processus de moyen terme, dont le rendez-vous des 19 et 20 décembre constituait la première étape clé. Nous pouvons en être satisfaits.
Les Chefs d'État et de gouvernement se sont d'ailleurs fixé un nouveau rendez-vous sur le sujet en juin 2015. En cela, la méthode diffère du Conseil européen de 2008, sans véritable lendemain faute d'engagement contractuel.
Je ne veux pas conclure ce point sans évoquer la question de la République centrafricaine, très présente dans les débats. Il a d'ailleurs été demandé au Président de la République de faire une présentation sur ce point.
Les Chefs d'État et de gouvernement ont apporté leur soutien politique à l'intervention française. La Haute représentante a ainsi reçu un mandat pour faire des propositions d'ici au prochain Conseil des ministres des affaires étrangères du 20 janvier pour stabiliser le pays et mobiliser nos partenaires européens, afin qu'ils participent à l'effort international engagé. Je rappelle que l'Union était déjà à nos côtés, une somme de 50 millions d'euros ayant été prévue par la Commission pour accompagner le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Il s'agira de savoir si l'Europe labellise en quelque sorte cette intervention, ce qui pourrait se traduire par le soutien d'un certain nombre de pays sur le terrain et un renforcement de l'aide financière de l'Union.
Deuxième point principal : l'Union économique et monétaire (UEM), qui a été une nouvelle fois abordée avec l'Union bancaire, mais aussi les contrats de compétitivité et de croissance et les mécanismes de solidarité financière associés.
La crise que nous avons traversée a révélé deux faits majeurs. D'abord, le fait que nous ne pouvons pas vivre indépendamment les uns des autres en zone euro : nous devons donc davantage nous coordonner et harmoniser nos règles de fonctionnement, en particulier en matière économique. Ensuite, un besoin de réforme. Tous les chantiers sur lesquels nous travaillons aujourd'hui pour renforcer l'UEM cherchent à répondre à ces deux impératifs, avec un mot d'ordre à l'esprit : la solidarité.
Or on avance sur ce sujet. Le Conseil européen a permis de constater à la fois les progrès et les efforts à poursuivre pour approfondir l'UEM.
Concernant la mise en place des contrats de compétitivité et de croissance et des mécanismes de solidarité associés, la position de la France est très claire et nous l'avons exprimée : si nous sommes, comme d'autres pays, d'accord pour renforcer des mécanismes visant à identifier les secteurs dans lesquels des réformes doivent être réalisées en matière économique, nous souhaitons qu'en même temps, soient mis en place des mécanismes de solidarité à l'égard des pays auxquels on demande des efforts supplémentaires. Nous n'acceptons de bouger sur le premier point que si des dispositions sont prises sur le second.
Ces contrats de compétitivité et de croissance, désormais appelés « arrangements contractuels », reposeraient sur le volontariat des États membres. Mais comme les moyens d'accompagnement n'étaient pas finalisés, il a été décidé de remettre ce dossier sur la table des négociations à la fin de 2014. L'Union se donne donc une année supplémentaire pour approfondir le contenu de ces arrangements, tant en ce qui concerne les politiques à mettre en place que l'accompagnement qu'elle pourra apporter.
Cela prouve les vertus d'un dialogue exigeant avec l'Allemagne, laquelle a modifié sa position sur le volet solidarité, sur lequel elle était réticente au départ.
Une petite révolution a par ailleurs été enregistrée sur l'Union bancaire. Il y a dix-huit mois, lorsque le Pacte de relance a été acté, plusieurs États ont considéré que l'Union européenne devait prendre des mesures visant à sécuriser le système bancaire européen et que nous ne pouvions plus être à la merci d'un nouveau crash bancaire qui viendrait bousculer l'équilibre au sein de l'Union. Depuis, a été notamment mis en place un mécanisme de supervision : désormais, toutes les banques seront surveillées par un organisme placé auprès de la Banque centrale européenne (BCE) – sous la présidence d'une Française, Mme Danièle Nouy, nommée en décembre dernier –, pour s'assurer que leur situation nous préserve de faillites liées à une mauvaise gestion.
En outre, un deuxième mécanisme a été adopté à la veille du Conseil européen, lequel l'a endossé : le mécanisme de résolution bancaire. Il s'agit de règles du jeu communes – aux banques de la zone euro et à celles d'autres pays volontaires – applicables à des banques en situation de détresse financière, permettant de déterminer comment celles-ci sont mises en banqueroute ou sauvées. Ainsi, à partir de l'an prochain, les 130 banques les plus importantes – qui représentent 85 % de l'ensemble – cotiseront à un fonds commun de résolution, qui sera opérationnel d'ici à dix ans et doté de cinquante-cinq milliards d'euros. Mais on n'attendra pas dix ans pour faire appel à la solidarité et, si cela ne suffisait pas, l'État concerné par la banque qui aurait une difficulté serait sollicité pour apporter son soutien.
Cette avancée substantielle a donné lieu à beaucoup d'échanges de travail, notamment avec nos amis allemands, qui concevaient mal au départ un système d'assurance qui ne soit pas porté par les États vis-à-vis de leurs propres banques, considérant que ceux d'entre eux qui géraient mieux n'avaient pas à payer pour ceux qui géraient moins bien. Une directive, qui a abouti lors du Conseil, va notamment protéger le dépôt des épargnants dans les banques jusqu'à hauteur de 100 000 euros
Troisième point principal : ce Conseil européen a été l'occasion de revenir sur la politique économique et sociale de l'Europe.
Tout d'abord, il a permis de souligner le bilan du Pacte pour la croissance et l'emploi de juin 2012. Il a en particulier permis de rappeler qu'il était nécessaire que l'initiative pour l'emploi des jeunes soit pleinement opérationnelle dès ce mois de janvier, afin de pouvoir consommer sans tarder à l'échelle de l'Union les 6 milliards d'euros figurant dans le cadre financier 2014-2020 et de concentrer l'effort qui sera réalisé sur la période 2014-2015 en faveur des régions où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est supérieur à 25 %.
Il a également décidé une augmentation du capital du Fonds européen d'investissement, la filiale de la Banque européenne d'investissement en charge des investissements en capital-risque en soutien aux PME – aspect qui avait été un peu oublié par le passé.
Ce Conseil européen a aussi été l'occasion d'appeler à une adoption rapide de la directive sur le détachement des travailleurs après l'accord difficile obtenu sur ce point – grâce notamment au changement de position de la Pologne, qui a accepté le choix d'une solution européenne plutôt que la seule défense de son économie et de ses entreprises. En effet, ce pays n'a pas voulu que cette question soit mise en avant par ceux qui combattent l'Europe lors des élections européennes et entend compter dans le processus décisionnel. Je souhaite que le texte qui sera adopté ne s'éloigne pas trop de ce qui a été décidé, car l'équilibre est fragile et les pays qui ont accepté de faire un pas important doivent pouvoir préserver cet acquis.
En conclusion, ce Conseil européen a en grande partie répondu à nos attentes.