Commission des affaires étrangères

Réunion du 7 janvier 2014 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, commune avec la commission des affaires européennes, de M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes

La séance est ouverte à seize heures trente.

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Nous sommes particulièrement heureux de commencer notre programme de travail de cette année avec vous, Monsieur le Ministre conjointement avec la Commission des affaires étrangères.

Nous allons ainsi pouvoir vous entendre sur les résultats du dernier Conseil européen des 19 et 20 décembre 2013 et les suites que l'on peut en attendre.

Ce Conseil a été consacré notamment à l'Europe de la défense, sur laquelle nos deux commissions se sont beaucoup investies. Quelles seront précisément ses retombées sur les opérations menées par la France en Centrafrique ?

Nous souhaiterions également vous entendre sur les accords trouvés, tant au niveau de l'Eurogroupe et de l'Ecofin que dans le cadre du Conseil européen, en ce qui concerne l'Union bancaire. Notre Commission des affaires européennes a adopté à ce propos le 18 décembre une résolution européenne, qui a été transmise à la Commission des finances et sera débattue en séance publique, dans le cadre de la semaine de contrôle, le 30 janvier prochain. Le compromis semble avoir été difficile à trouver. Pouvez-vous nous présenter les principaux résultats obtenus et nous décrire les prochaines étapes prévues, ou à prévoir, dans ce domaine ?

En matière économique et financière, le Conseil envisage en outre la mise en place de « partenariats reposant sur un système d'arrangements contractuels arrêtés d'un commun accord et de mécanismes de solidarité associés ». Si les mécanismes de solidarité ont naturellement plutôt notre faveur, les « arrangements contractuels » suscitent plus de questions que d'enthousiasme au sein de notre commission. Pensez-vous que la nouvelle donne en Allemagne, sur ce sujet comme sur d'autres, permettra de faire avancer les dossiers et de dialoguer plus efficacement ?

Ainsi, l'initiative franco-germano-italienne en vue de renforcer les objectifs européens en matière d'énergie renouvelable, sur laquelle notre commission est en train de travailler, montre les effets d'un renouvellement politique outre-Rhin. Cette nouvelle dynamique allemande, mieux articulée avec les choix faits par notre pays, va-t-elle pouvoir faire sortir l'Union européenne de quelques-unes des ornières dans lesquelles elle s'était enfoncée ?

Par ailleurs, la question de l'approfondissement démocratique est malheureusement restée en marge de ce Conseil. Vous connaissez l'attachement de notre assemblée à cet enjeu essentiel pour l'avenir de l'Union, au travers en particulier le renforcement de sa dimension parlementaire. Pouvons-nous encore espérer quelques avancées, ou propositions nouvelles, avant les prochaines élections européennes ?

Enfin, nous aborderons sans doute les autres grands chantiers que la nouvelle présidence grecque devra, dans un contexte extérieur difficile et un contexte intérieur certes compliqué, bien avancer.

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Je ne reviendrai pas sur la politique de sécurité et de défense commune, au sujet de laquelle nous avons eu déjà des échanges nourris, pour concentrer d'abord mon propos sur le mécanisme de résolution unique dans le cadre de l'Union bancaire.

Après la création du Mécanisme européen de stabilité et l'instauration d'un mécanisme de surveillance des banques, les États se sont en effet accordés sur ce deuxième pilier, permettant l'organisation ordonnée d'une faillite bancaire, financée, non plus par le budget des États membres, mais par les banques elles-mêmes. On reste cependant loin du mécanisme de résolution proprement européen demandé par la Commission européenne. Quelle est votre analyse à cet égard ?

Par ailleurs, s'agissant de la mise en oeuvre du Pacte de croissance, une initiative pour l'emploi des jeunes a été prise par le Président de la République et Mme Merkel il y a quelques mois : où en est-on de son application ? J'ai vu dans les conclusions du Conseil qu'il fallait que chaque État membre ait mis en place son dispositif d'ici à la fin du mois de janvier : cela sera-t-il le cas ?

En outre, s'agissant de l'Europe sociale, nous avons été heureux du résultat obtenu sur la directive relative au détachement des travailleurs. Mais qu'attendez-vous des indicateurs sociaux, qui existaient entre 2002 et 2005 avant d'être malencontreusement supprimés par la Commission Barroso ?

Quant à la directive sur la fiscalité des revenus de l'épargne, qui est attendue depuis trente ans, elle devrait être adoptée d'ici à mars 2014 : allons-nous enfin avoir un dispositif dans ce domaine ?

Enfin, quelle est votre analyse au sujet de l'Ukraine ? Si nous avons en effet été heureux de voir de nombreux Ukrainiens se mobiliser dans un froid glacial en faveur de l'Union européenne, celle-ci n'en a pas moins subi un échec diplomatique important.

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Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes (ouverte à la presse

L'année qui s'ouvre sera importante pour l'Europe en raison des élections européennes du 25 mai prochain, qui vont mobiliser nos formations politiques respectives, et du renouvellement des institutions européennes, notamment de la Commission. J'espère que la France sortira renforcée de cette échéance en choisissant des représentants capables de peser dans les débats au sein du Parlement européen.

En cette rentrée, j'ai bien sûr une pensée pour nos amis lituaniens, qui ont assuré avec sérieux et efficacité la Présidence du Conseil de l'Union européenne pour la première fois de leur histoire. Grâce à leur mobilisation, les règlements sous-tendant les grandes politiques européennes ont été adoptés. Ils permettent de mettre en oeuvre sans tarder le cadre financier de l'Union pour la période 2014-2020.

J'ai également une pensée pour nos amis grecs qui prennent le relais et que nous avons rencontrés dès le mois de décembre pour leur indiquer les priorités de la France. Ils assumeront cette tâche dans un contexte difficile, marqué à la fois par les élections européennes et une Commission qui aura en tête son renouvellement. Mais nous comptons sur eux pour faire avancer un certain nombre de dossiers, notamment l'application de la directive sur le détachement des travailleurs : si celle-ci a fait l'objet d'un accord à la majorité qualifiée, un travail a été engagé début janvier entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, dont sortira le texte définitif, prévu pour fin février. Je crois d'ailleurs qu'une proposition de loi du groupe socialiste devrait être inscrite à l'ordre du jour de votre assemblée sur ce sujet avant les élections municipales.

Une pensée, enfin, pour la Lettonie qui, en devenant le dix-huitième État membre de la zone euro, permet au coeur du réacteur de l'Union européenne de s'élargir.

La zone euro fut d'ailleurs au coeur des débats qui ont eu lieu lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre. Trois points principaux étaient à l'ordre du jour.

Le premier, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), était, pour la première fois depuis cinq ans, l'un des points majeurs, à la demande de la France.

Certains journalistes ont estimé que nos amis britanniques étaient les grands gagnants de ce Conseil européen. En fait, le premier ministre britannique a abordé celui-ci en cherchant à introduire différents amendements visant à affirmer une priorité à l'OTAN, à subordonner la politique de sécurité et de défense commune à l'action de celle-ci et à faire obstacle à la mise en place de capacités militaires européennes. Il a d'ailleurs déclaré à la presse être venu pour s'assurer qu'il n'y aura pas d'armée européenne. Mais ce débat était factice dans la mesure où il n'était pas question de mettre en place des moyens militaires propres à l'Union.

Nous avons quant à nous refusé le langage inféodant la PSDC à l'OTAN et maintenu l'engagement à progresser sur le développement capacitaire.

En définitive, la posture britannique n'a pas affecté les résultats que nous attendions de ce Conseil européen, qui étaient très concrets et visaient à réaliser des progrès pratiques.

La PSDC est un élément majeur de notre autonomie stratégique européenne, comme elle représente un véritable enjeu industriel pour l'ensemble des États membres. Ce Conseil européen a donc permis de réaffirmer notre objectif commun, qui est de rendre cette politique commune plus visible et plus efficace.

Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes mis d'accord pour que différents aspects soient renforcés. D'abord, l'amélioration des modes de financement des opérations de PSDC militaire. Car face aux crises émergeant ces dernières années, il apparaît plus que nécessaire que l'Union se dote d'instruments pour améliorer la sécurité aux frontières ainsi que les capacités de formation des armées, africaines notamment, et définir un cadre d'action en matière de cyberdéfense de même qu'une stratégie de sûreté maritime d'ici à juin 2014.

Ce Conseil européen a en outre obtenu un large consensus sur la question des capacités, dont la mise en commun de la majeure partie des moyens de transport militaire de plusieurs États membres dans le cadre d'un commandement unique, ou la constitution d'une flotte européenne d'avions ravitailleurs achetés en commun et de drones de surveillance.

Enfin, le Conseil européen a permis de mettre l'accent sur la nécessité de consolider la base industrielle et technologique de la défense européenne. Le programme horizon 2020 doit notamment être mis à contribution pour soutenir la recherche duale, civilo-militaire. De même, nous avons envisagé des mesures destinées à aider les PME dans le domaine de l'industrie de défense.

Cela étant, ce Conseil européen n'est pas un solde de tout compte en matière de défense. Il s'agit d'un point de départ et il a été expressément demandé à la Commission de faire un certain nombre de propositions selon un calendrier déterminé.

Nous entamons donc un processus de moyen terme, dont le rendez-vous des 19 et 20 décembre constituait la première étape clé. Nous pouvons en être satisfaits.

Les Chefs d'État et de gouvernement se sont d'ailleurs fixé un nouveau rendez-vous sur le sujet en juin 2015. En cela, la méthode diffère du Conseil européen de 2008, sans véritable lendemain faute d'engagement contractuel.

Je ne veux pas conclure ce point sans évoquer la question de la République centrafricaine, très présente dans les débats. Il a d'ailleurs été demandé au Président de la République de faire une présentation sur ce point.

Les Chefs d'État et de gouvernement ont apporté leur soutien politique à l'intervention française. La Haute représentante a ainsi reçu un mandat pour faire des propositions d'ici au prochain Conseil des ministres des affaires étrangères du 20 janvier pour stabiliser le pays et mobiliser nos partenaires européens, afin qu'ils participent à l'effort international engagé. Je rappelle que l'Union était déjà à nos côtés, une somme de 50 millions d'euros ayant été prévue par la Commission pour accompagner le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Il s'agira de savoir si l'Europe labellise en quelque sorte cette intervention, ce qui pourrait se traduire par le soutien d'un certain nombre de pays sur le terrain et un renforcement de l'aide financière de l'Union.

Deuxième point principal : l'Union économique et monétaire (UEM), qui a été une nouvelle fois abordée avec l'Union bancaire, mais aussi les contrats de compétitivité et de croissance et les mécanismes de solidarité financière associés.

La crise que nous avons traversée a révélé deux faits majeurs. D'abord, le fait que nous ne pouvons pas vivre indépendamment les uns des autres en zone euro : nous devons donc davantage nous coordonner et harmoniser nos règles de fonctionnement, en particulier en matière économique. Ensuite, un besoin de réforme. Tous les chantiers sur lesquels nous travaillons aujourd'hui pour renforcer l'UEM cherchent à répondre à ces deux impératifs, avec un mot d'ordre à l'esprit : la solidarité.

Or on avance sur ce sujet. Le Conseil européen a permis de constater à la fois les progrès et les efforts à poursuivre pour approfondir l'UEM.

Concernant la mise en place des contrats de compétitivité et de croissance et des mécanismes de solidarité associés, la position de la France est très claire et nous l'avons exprimée : si nous sommes, comme d'autres pays, d'accord pour renforcer des mécanismes visant à identifier les secteurs dans lesquels des réformes doivent être réalisées en matière économique, nous souhaitons qu'en même temps, soient mis en place des mécanismes de solidarité à l'égard des pays auxquels on demande des efforts supplémentaires. Nous n'acceptons de bouger sur le premier point que si des dispositions sont prises sur le second.

Ces contrats de compétitivité et de croissance, désormais appelés « arrangements contractuels », reposeraient sur le volontariat des États membres. Mais comme les moyens d'accompagnement n'étaient pas finalisés, il a été décidé de remettre ce dossier sur la table des négociations à la fin de 2014. L'Union se donne donc une année supplémentaire pour approfondir le contenu de ces arrangements, tant en ce qui concerne les politiques à mettre en place que l'accompagnement qu'elle pourra apporter.

Cela prouve les vertus d'un dialogue exigeant avec l'Allemagne, laquelle a modifié sa position sur le volet solidarité, sur lequel elle était réticente au départ.

Une petite révolution a par ailleurs été enregistrée sur l'Union bancaire. Il y a dix-huit mois, lorsque le Pacte de relance a été acté, plusieurs États ont considéré que l'Union européenne devait prendre des mesures visant à sécuriser le système bancaire européen et que nous ne pouvions plus être à la merci d'un nouveau crash bancaire qui viendrait bousculer l'équilibre au sein de l'Union. Depuis, a été notamment mis en place un mécanisme de supervision : désormais, toutes les banques seront surveillées par un organisme placé auprès de la Banque centrale européenne (BCE) – sous la présidence d'une Française, Mme Danièle Nouy, nommée en décembre dernier –, pour s'assurer que leur situation nous préserve de faillites liées à une mauvaise gestion.

En outre, un deuxième mécanisme a été adopté à la veille du Conseil européen, lequel l'a endossé : le mécanisme de résolution bancaire. Il s'agit de règles du jeu communes – aux banques de la zone euro et à celles d'autres pays volontaires – applicables à des banques en situation de détresse financière, permettant de déterminer comment celles-ci sont mises en banqueroute ou sauvées. Ainsi, à partir de l'an prochain, les 130 banques les plus importantes – qui représentent 85 % de l'ensemble – cotiseront à un fonds commun de résolution, qui sera opérationnel d'ici à dix ans et doté de cinquante-cinq milliards d'euros. Mais on n'attendra pas dix ans pour faire appel à la solidarité et, si cela ne suffisait pas, l'État concerné par la banque qui aurait une difficulté serait sollicité pour apporter son soutien.

Cette avancée substantielle a donné lieu à beaucoup d'échanges de travail, notamment avec nos amis allemands, qui concevaient mal au départ un système d'assurance qui ne soit pas porté par les États vis-à-vis de leurs propres banques, considérant que ceux d'entre eux qui géraient mieux n'avaient pas à payer pour ceux qui géraient moins bien. Une directive, qui a abouti lors du Conseil, va notamment protéger le dépôt des épargnants dans les banques jusqu'à hauteur de 100 000 euros

Troisième point principal : ce Conseil européen a été l'occasion de revenir sur la politique économique et sociale de l'Europe.

Tout d'abord, il a permis de souligner le bilan du Pacte pour la croissance et l'emploi de juin 2012. Il a en particulier permis de rappeler qu'il était nécessaire que l'initiative pour l'emploi des jeunes soit pleinement opérationnelle dès ce mois de janvier, afin de pouvoir consommer sans tarder à l'échelle de l'Union les 6 milliards d'euros figurant dans le cadre financier 2014-2020 et de concentrer l'effort qui sera réalisé sur la période 2014-2015 en faveur des régions où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est supérieur à 25 %.

Il a également décidé une augmentation du capital du Fonds européen d'investissement, la filiale de la Banque européenne d'investissement en charge des investissements en capital-risque en soutien aux PME – aspect qui avait été un peu oublié par le passé.

Ce Conseil européen a aussi été l'occasion d'appeler à une adoption rapide de la directive sur le détachement des travailleurs après l'accord difficile obtenu sur ce point – grâce notamment au changement de position de la Pologne, qui a accepté le choix d'une solution européenne plutôt que la seule défense de son économie et de ses entreprises. En effet, ce pays n'a pas voulu que cette question soit mise en avant par ceux qui combattent l'Europe lors des élections européennes et entend compter dans le processus décisionnel. Je souhaite que le texte qui sera adopté ne s'éloigne pas trop de ce qui a été décidé, car l'équilibre est fragile et les pays qui ont accepté de faire un pas important doivent pouvoir préserver cet acquis.

En conclusion, ce Conseil européen a en grande partie répondu à nos attentes.

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On savait que l'Europe de la défense était un parcours de longue haleine. Ce Conseil européen a apporté à cet égard quelques satisfactions et quelques déceptions.

Les satisfactions tiennent aux décisions prises en matière de mutualisation, aspect sur lequel nous avions beaucoup insisté lors du débat sur la résolution adoptée par la Commission des affaires européennes. Ces décisions portent sur les moyens de transport et de ravitaillement en vol, la mise en place d'un drone stratégique à l'horizon 2020-2025, la coopération sur la cyberdéfense ou le renouvellement des moyens de communication des satellites de communication militaire.

Mais on regrette que l'on n'ait pu aborder l'idée d'un état-major européen, qui ne peut être encore envisagée par nos amis britanniques alors qu'elle mériterait d'être mise en oeuvre, tant cette structure de commandement intégré fait défaut. L'autre déception tient à l'absence de prise en compte du mécanisme de dédommagement, malgré l'intervention de la France et le fait que ce soit prévu dans notre loi de programmation militaire. D'ailleurs, en matière de priorités stratégiques, l'Union européenne hésite beaucoup.

Un sommet franco-britannique va se tenir le 31 janvier prochain : pourrait-il ouvrir une nouvelle voie à la défense européenne ? Par ailleurs, au regard des objectifs que l'on s'est donné, notamment en matière de stratégie maritime, quels sont les moyens qui vous paraissent les plus pertinents pour continuer à oeuvrer à l'Europe de la défense, sachant que de nombreux citoyens souhaitent un approfondissement de la coopération dans ce domaine ?

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Monsieur le Ministre votre talent oratoire ne peut, hélas, masquer que bien peu de chose est sorti du dernier Conseil européen, excepté quelques petites avancées en matière de cybersécurité et de cyberdéfense, mais cela, c'était le plus facile car il ne s'agit que d'informatique. L'OTAN aussi travaille sur le sujet, et je ne crois pas possible un programme vraiment différent du sien sur ce sujet. Les choses avancent, car en ce domaine, rien ne peut se faire sans coopération internationale. En matière de mise en commun en revanche, rien de bien nouveau. Je ne rappellerai pas ici ce qui s'est passé en 1900 quand les Alliés étaient intervenus « ensemble » pour réprimer la révolte des Boxers en Chine.

S'agissant de l'Union bancaire, il faut regarder les choses en face. En matière de supervision, le dispositif prévu est complexe, mais c'est pour le fonds de résolution que les bras m'en tombent ! En effet, 55 milliards d'euros, en regard de l'ampleur qui a été celle de la crise bancaire, notamment de titrisation, c'est un cautère sur une jambe de bois, tous les experts l'ont souligné. De surcroît, l'Allemagne a exigé que ce fonds soit institué par le biais d'un accord international qui devra donc être ratifié par la Diète fédérale et soumis à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, laquelle a des vues très tranchées en matière de souveraineté financière – elle n'a d'ailleurs toujours pas rendu son arrêt sur le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui ne sera connu que ce mois-ci. Il semble que l'Allemagne ait joué la montre, et qu'elle ait gagné. De toute façon, ce fonds n'est pas à la hauteur. Une directive garantira les dépôts des épargnants jusqu'à 100 000 euros, dites-vous, mais en cas de problème, ce sont en définitive les contribuables qui paieront, et non ce fonds. Il est certes bienvenu de s'assurer du respect de certaines normes prudentielles, ce qui permettra de tirer la sonnette d'alarme. J'ai d'ailleurs toujours pensé qu'une telle surveillance aurait dû être instituée beaucoup plus tôt. Mais pour tout le reste, je demeure très sceptique.

Concernant la directive sur le détachement des travailleurs, qu'y a-t-il de nouveau ? Le fond du problème reste inchangé. Les entreprises qui font appel à des travailleurs détachés continueront de payer leurs cotisations sociales en Pologne, en Bulgarie ou ailleurs. Il est seulement prévu de renforcer les contrôles : on aurait pu y penser avant. Où est la victoire dont vous faites état, Monsieur le Ministre ?

Enfin et surtout, de cela pourtant vous n'avez dit mot, Mme Merkel a proposé qu'il soit possible aux pays en difficulté de la zone euro de contracter directement avec l'Allemagne. La proposition a été repoussée, mais cela en dit long sur la volonté allemande de contrôler l'économie de tous les pays du sud de l'Europe. Mme Merkel a d'ailleurs clairement dit que la zone euro n'était plus viable. J'aimerais avoir des éclaircissements. Où allons-nous en matière de coopération européenne si des pays tirent ainsi à hue et à dia ?

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À ce jour, la France est trop seule dans le conflit centrafricain. Il serait urgent que l'Union européenne soit enfin présente à nos côtés. Un calendrier est-il prévu et quel type d'intervention pourrait-on envisager de la part de l'Union ?

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Contrairement à mon collègue Jacques Myard, je considère qu'il y a eu un progrès dans l'approche du sujet des travailleurs détachés – au moins, le problème a-t-il été posé et a-t-on commencé à essayer d'y voir plus clair. Je serais donc enclin à faire preuve d'indulgence quant à la méthode et au calendrier. En revanche, je souhaiterais tempérer votre satisfaction, Monsieur le Ministre, s'agissant de la supervision et de la résolution bancaires. Des règles du jeu ont été adoptées qui prémuniraient contre une seconde crise, assurez-vous. Mais toutes les banques sont-elles incluses dans le périmètre de surveillance ? Quel est exactement ce périmètre ? Toutes les filiales des établissements, quelle que soit la participation des sociétés-mères, en font-elles partie ? Il me semble que l'on a beaucoup reculé sur ce point, y compris en termes de surveillance, par rapport aux objectifs initiaux.

S'agissant du mécanisme de résolution, une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec Jacques Myard. Soixante milliards peuvent, dans l'absolu, sembler une jolie somme, mais qui pourrait croire que cela suffira à nous prémunir d'une crise bancaire ? Sans compter que ce mécanisme n'est pas près d'être en place ! On sait toutes les difficultés rencontrées avec l'Allemagne. Là où vous voyez un progrès manifeste, Monsieur le Ministre je vois plutôt la marque d'une grande faiblesse de la politique financière européenne.

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Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes (ouverte à la presse

Monsieur Pueyo, en matière de PSDC, le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Avant de porter un jugement définitif, attendons ce qu'il en sera à l'issue des dix-huit prochains mois. On peut considérer que le verre a été à moitié rempli dès le Conseil européen des 19-20 décembre. Des objectifs, ainsi qu'un calendrier, ont été fixés. Ainsi, pour ce qui concerne la sécurité des frontières en Afrique, notamment dans la zone sahélo-saharienne, les décisions seront prises d'ici à la fin 2014, et mandat a été donné de ne pas dépasser cette échéance. Pour la stratégie de sécurité maritime, laquelle a produit par le passé, avec la mission Atalante, des résultats très positifs au large de la Somalie, la date-butoir a été fixée à juin 2014, de même que pour la prise en compte financière des opérations de PSDC. Nous maintiendrons la pression sur les institutions européennes pour que le calendrier soit tenu. Les ministres des affaires étrangères feront régulièrement le point.

Le 20 janvier prochain, ils se réuniront pour débattre spécifiquement de l'accompagnement que l'Union européenne en tant que telle et certains pays de l'Union pourraient fournir à la France en République centrafricaine. Depuis le Conseil européen des 19-20 décembre, plusieurs pays, précisément dans la perspective de cette réunion du 20 janvier, ont engagé chez eux un dialogue à ce sujet. Cet accompagnement – ou ce dédommagement – pourra prendre plusieurs formes. La première pourrait être d'envoyer sur le terrain des moyens logistiques et même des personnels. Trois ou quatre pays ne l'ont pas exclu, tout en demandant, comme il est naturel, que leur gouvernement et leur parlement en débattent préalablement. Une autre forme pourrait consister dans une aide financière supplémentaire de l'Union, au bénéfice sur le terrain soit de l'armée africaine, soit des troupes françaises. Pourraient ainsi être pris en charge les surcoûts induits par le transport sur place de nos troupes auparavant stationnées dans les pays voisins ou encore le supplément de logistique nécessaire – bien sûr pas la solde de nos militaires, qui aurait dû être versée même si ceux-ci n'avaient pas été engagés en Centrafrique. S'il est estimé le 20 janvier que l'opération Sangaris concourt d'une certaine façon à la sécurité de l'Union européenne, une aide financière complémentaire sera débloquée, s'ajoutant aux 50 millions d'euros déjà accordés pour des aspects militaires.

Vous avez également évoqué, Monsieur Pueyo, la question des drones. Il a tout d'abord été décidé de créer un club d'utilisateurs de drones, offrant la possibilité d'achats partagés. Puis l'engagement a été pris de lancer un programme de recherche-développement à l'horizon 2025, en mobilisant les crédits du programme Horizon 2020, destinés à favoriser la recherche et le développement industriel. La question du commandement n'a pas été totalement écartée. Dans l'idée de constituer une flotte commune d'avions ravitailleurs, plusieurs pays se sont engagés à acheter dorénavant des appareils en commun. Pour ce qui est d'un commandement unique du transport aérien (EATC, European Air Transport Command), huit États membres ont déjà franchi le pas et plusieurs autres sont prêts à les rejoindre, souhaitant toutefois qu'un débat préalable puisse se tenir chez eux. Il a été par ailleurs demandé à la Commission de réfléchir à des mécanismes d'incitation fiscale ou financière, afin de favoriser la mutualisation. En effet, si par exemple, les Pays-Bas décidaient aujourd'hui d'acquérir un A400M, ils auraient intérêt à le faire par le biais de la filiale de l'OTAN, laquelle bénéficie du taux de TVA réduit, alors que s'ils l'achetaient directement, y compris pour une utilisation européenne dans le cadre d'une mise en commun des moyens, ils devraient s'acquitter de la TVA à taux plein. Et sur de tels matériels, l'écart peut représenter plusieurs millions d'euros.

J'en viens aux questions bancaires. Un fonds doté de 55 milliards d'euros suffit-il à prémunir d'une crise bancaire systémique à l'échelle de l'Union européenne ? Non bien sûr, mais tel n'est pas son objet. L'idée est de constituer un fonds entre banques pour que si d'aventure l'une des 130 banques de la zone euro qui représentent 85% des actifs rencontrait une difficulté, les autres puissent venir à son secours et qu'il ne soit pas nécessaire de faire appel au budget de l'État dont ressortit cette banque. Le dispositif sera opérationnel en novembre 2014. Mais dès ce mois-ci, ces 130 banques seront toutes soumises à des tests de résistance – vous noterez, monsieur Myard, que je ne dis pas stress tests ! – afin d'évaluer leur fragilité potentielle. Cela se fera, je l'ai dit, sous l'autorité de Mme Danièle Nouy. Si la surveillance n'est pas d'emblée en place, c'est parce qu'il faut disposer des hommes et des femmes possédant la capacité technique d'analyser les comptes des établissements. Des appels à candidature ont été lancés pour recruter un millier d'experts.

Cinquante-cinq milliards d'euros, c'est ce qu'il est demandé aux banques d'apporter au fonds. Le mécanisme de résolution prévoit que si une banque rencontre une difficulté, ses actionnaires seront sollicités pour apporter leur juste contribution. Les dépôts des particuliers jusqu'à 100 000 euros, mais aussi ceux des PME, seront ainsi préservés. Ce dispositif n'est sans doute pas parfait. Il n'en constitue pas moins une mini-révolution, comparé à la situation antérieure. Pendant les dix années durant lesquelles va se constituer ce fonds, le Mécanisme européen de stabilité pourra être, si nécessaire, sollicité.

Monsieur Myard, les contrats de compétitivité et de croissance ne sont pas une idée de l'Allemagne seule. Ces « arrangements contractuels » sont des contrats souscrits volontairement entre un État membre, la Commission et le Conseil. Les partenaires sociaux et les parlements nationaux seront associés à leur élaboration à l'échelle nationale. Les pays sont désireux de cet approfondissement des politiques économiques. Mais il reste à inventer les mécanismes de solidarité à associer à ces contrats, de façon à accompagner les pays auxquels sont demandés des efforts supplémentaires. Comme ce deuxième aspect, auquel nous tenions beaucoup, ne figurait pas dans le dispositif envisagé, nous avons demandé que le sujet soit reporté à la fin de l'année.

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Cela sera-t-il une décision du Conseil ? Quelle sera la formulation juridique exacte de ces contrats ?

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Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes (ouverte à la presse

Vous aurez la réponse précise à ces questions à la fin de 2014. L'ensemble du projet sera à l'ordre du jour d'un prochain Conseil européen. Le dispositif aurait pu être opérationnel dès le premier trimestre 2014, mais comme il n'était pas finalisé, il a été reporté d'une année.

Un mot de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. On peut être déçu qu'un retard de trois mois ait été pris, mais qu'est-ce au regard des trente ans durant lesquels on a attendu en vain des mesures ? Une directive sur le sujet devait être adoptée pour décembre 2013. Alors que l'Autriche et le Luxembourg s'y étaient pendant des années opposés, ils ont accepté à l'automne dernier, non sans difficulté d'ailleurs, de se mettre autour de la table, en exigeant toutefois qu'on parvienne parallèlement à des accords, si possible de même nature en matière de transparence, avec les cinq autres pays considérés comme des paradis fiscaux aux portes de l'Union européenne : le Liechtenstein, la Suisse, Andorre, Saint Marin et Monaco. Dans les dernières semaines, les choses n'ont que peu avancé avec ces cinq pays. Un délai de trois mois supplémentaires a donc été donné pour autoriser l'échange d'informations fiscales souhaité, mais il a été clairement dit que mars était une date-butoir. À compter de mars, la transparence sera totale, ce qui permettra d'aller récupérer l'argent de la fraude fiscale, laquelle représente 1 000 milliards d'euros à l'échelle de l'Union et 80 milliards en France.

Un dernier mot du sommet franco-britannique du 31 janvier prochain. Les coopérations bilatérales, comme la coopération franco-britannique prévue dans le traité de Lancaster House, doivent se développer, non comme une fin en soi, mais parce qu'elles peuvent être un moteur entraînant d'autres pays et ainsi faire progresser la capacité des Européens à prendre leur sécurité en mains. D'autres formes de coopération, comme celle existant dans le cadre du Triangle de Weimar qui réunit la France, l'Allemagne et la Pologne, ne doivent pas non plus être négligées. Comme pour la directive sur le détachement des travailleurs, nous devons être très attentifs aux propositions de la Pologne vu ce que représentent ses armées et qu'elle s'apprête à investir près de 30 milliards d'euros pour son système de défense. Le choix qu'elle opérera entre l'industrie française, européenne ou américaine, conditionnera grandement l'avenir de la PSDC, au même titre que le choix de nos amis turcs dans le même domaine.

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Nous serons très attentifs à la directive sur la fiscalité de l'épargne. Selon une dépêche publiée cet après-midi, les Ministres de Bercy demanderaient que Jersey et les Bermudes soient retirées de la liste des États et territoires non coopératifs. J'aimerais savoir pourquoi.

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La Lettonie est le dix-huitième État membre de l'Union européenne à avoir rejoint la zone euro, le 1er janvier 2014. Or, des doutes et des inquiétudes se font jour concernant les comptes de ce pays. Les principales critiques portent sur le manque de transparence, et surtout la trop grande part qu'occupent les fonds étrangers dans les banques lettones. La BCE elle-même a exprimé des craintes, s'interrogeant sur la soutenabilité à long terme de la convergence économique pour ce pays. Les réticences sont nombreuses, et le peuple letton lui-même semble s'être vu imposer une adhésion à l'euro qu'il ne désirait pas. Quel est, Monsieur le Ministre votre sentiment sur l'avenir de l'intégration de la Lettonie à la zone euro et sur la procédure d'adhésion des nouveaux entrants ? Chacun se souvient de ce qui s'est passé avec la Grèce, et c'est un mauvais souvenir.

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Une remarque préalable sur la solidarité dans l'Union européenne. Les Européens sont toujours prêts à être solidaires, mais jamais à dépenser un euro pour manifester cette solidarité !

Ma question porte sur le Service européen pour l'action extérieure (SEAE). D'après vous, la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères actuellement en poste est-elle une « erreur de casting » ou l'utilité du service doit-elle être mise en cause ? L'Europe a du mal à parler d'une seule voix. De ce point de vue, la création de ce poste représentait un grand espoir. Or, on n'entend quasiment jamais parler de Mme Ashton.

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À la suite du rapport sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, que nous avons rédigé avec mes collègues Didier Quentin et Michel Herbillon, une proposition de résolution sera débattue en séance plénière le 30 janvier prochain. Je m'en réjouis car cela permettra non seulement de faire le point sur l'Union bancaire, mais aussi de préciser les compétences des parlements nationaux en ce domaine. Cette proposition comporte plusieurs demandes. Nous souhaiterions que le Gouvernement les examine avec attention. Même si c'est moins vite que certains le souhaiteraient – je suis toujours étonné de voir notre collègue Jacques Myard regretter finalement l'insuffisance de l'intégration européenne ! –, les choses avancent néanmoins. L'une des questions est pour nous la place du Parlement français dans cette affaire.

Je regrette que l'on ne soit pas allé plus loin en matière d'union bancaire. La Commission avait réalisé un travail exemplaire, que la France avait soutenu sans réserve. Mais l'Allemagne a beaucoup traîné les pieds et fait en sorte de s'engager le moins possible. Je suis toutefois convaincu qu'une dynamique est enclenchée qui s'imposera, à travers la supervision d'abord – ses mécanismes sont en place, la BCE est en train de recruter quelque 1 000 analystes, les bilans de toutes les banques concernées seront analysés et des stress tests opérés. Fin 2014, une opération-vérité, de nature à restaurer la confiance, aura été menée sur l'ensemble des banques européennes. Si l'économie américaine a pu repartir aussi rapidement, ce n'est pas seulement en raison de l'action de la Réserve fédérale ; c'est aussi parce qu'un mécanisme de supervision et de résolution a été mis en place beaucoup plus rapidement qu'en Europe. Mécaniquement toutefois, chacun sait que la supervision induira la nécessité d'aller plus loin en matière de résolution.

S'agissant des « arrangements contractuels », il ne faut pas en récuser a priori le principe ni l'intérêt. Il est vrai que l'Allemagne les avait conçus de manière très coercitive, avec des engagements s'imposant aux États, notamment dans le cadre du semestre européen. Mais Mme Merkel s'est retrouvée isolée au Conseil sur ce point. Une majorité de pays, sans remettre en question le principe de ces contrats, a souhaité recentrer le dispositif. Le problème est que dans certains des pays concernés, les réformes nécessaires ne sont pas acceptées sur le plan politique. Il pourrait donc être utile qu'une capacité budgétaire vienne à leur appui et joue comme un dispositif incitatif. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

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S'agissant de la directive relative au détachement des travailleurs, nous tenons à adresser nos plus vives félicitations au Gouvernement car le résultat obtenu était très improbable. Comme pourrait en témoigner notre collègue Michel Piron, qui y a assisté avec nous, une réunion surréaliste s'est tenue à la Commission, où la position défendue était que, certains États membres freinant le détachement, il fallait libéraliser davantage la pratique. La proposition faite est, selon nous, conforme à la feuille de route votée ici même à l'unanimité. Nous avions demandé au Gouvernement de tenir bon sur les articles 9 et 12. Il l'a fait, au-delà de toute espérance. Nous souhaitions ensuite qu'une législation nationale plus protectrice soit adoptée. Ce sera chose faite en février. Enfin, nous interpellerons de nouveau le Gouvernement, de façon que soit d'emblée contrée toute politique systématique d'optimisation sociale et que, sur ce sujet, il ne faille pas, comme sur d'autres, attendre trente ans avant d'agir ! Il faut se réjouir que la Bulgarie, la Roumanie et la Pologne aient montré qu'elles n'avaient aucune intention de saper l'économie des autres pays de l'Union. Il s'agit de politiques privées, et non de politiques d'État, et c'est le marché du travail qu'il convient aujourd'hui de réguler.

Cela étant, l'honnêteté exige de dire qu'il est impossible d'interdire le détachement, lequel a, de manière immémoriale, accompagné les échanges mondiaux, à moins de renoncer à tout échange international. Par ailleurs, si on obligeait à payer en France les cotisations sociales dues pour les travailleurs détachés dans notre pays, le corollaire serait que les travailleurs français travaillant en Bulgarie ou en Roumanie cotiseraient sur la base bulgare ou roumaine, avec la couverture sociale afférente. Y seraient-ils favorables ?

J'en viens à l'Europe de la défense. Je suis toujours surpris des interrogations françaises qui, comme en matière d'Europe sociale, sont asymétriques. Tout en souhaitant préserver notre indépendance nationale, nous voudrions que les autres pays soutiennent nos interventions extérieures. Sans remonter à la Communauté européenne de Défense que nous avons nous-mêmes fait imploser, souvenons-nous des positions passées de la France. Il y a eu l'indépendance nationale gaullienne, le refus d'intervenir en Irak, le retrait unilatéral de nos forces d'Afghanistan, la guerre en Libye, laquelle a enflammé le Maghreb – on disait dans les couloirs à Bruxelles que la guerre malienne était le service après-vente d'une initiative franco-britannique –, et maintenant l'intervention en Centrafrique. N'oublions pas qu'entre temps notre pays a réintégré le commandement intégré de l'OTAN. La question s'était alors posée de savoir si l'OTAN était l'avenir de la défense européenne, avec un rôle respectif différent pour les États-Unis et les pays européens, vu la nouvelle position, plus distanciée, adoptée par les premiers, et si cette réintégration était compatible avec l'émergence d'une défense européenne. J'étais de ceux qui pensaient que non.

Cessons de poursuivre des chimères comme d'attendre une aide financière de la part des autres États membres ou que l'Europe de la défense soit d'abord une Europe de l'industrie de la défense. L'attitude de Bruxelles ne m'étonne pas. Elle peut s'expliquer. Voilà trois fois en effet que la France part ou s'apprête à partir seule – elle était prête à le faire en Syrie. Au lieu de nous nourrir d'illusions, demandons-nous plutôt si ce qui arrive tient au fait que le monde a changé, que les États-Unis ont changé, que l'OTAN ne s'engage pas. Demandons-nous aussi s'il est possible de construire une Europe de la défense distincte de l'OTAN. Arrêtons de ratiociner. Cela me rappelle l'attitude de notre pays en matière d'Europe sociale où on voudrait que partout s'imposent les principes de notre sécurité sociale ou notre salaire minimum. Voilà ce qui me gêne dans notre position sur l'Europe de la défense.

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J'ajouterai une question : qu'allons-nous faire avec l'Ukraine ?

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Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes (ouverte à la presse

Je suis d'accord avec M. Caresche : les choses avancent en matière d'approfondissement de l'union bancaire. Pour ce qui est des arrangements contractuels, plus on imposera des contraintes à un pays, plus le mécanisme de solidarité sera nécessaire pour faire accepter la réforme structurelle. Je me réjouis que ce message ait été entendu. L'Allemagne s'est retrouvée in fine assez esseulée, nouveauté qui n'est pas dénuée d'intérêt. Cela montre bien, en effet, que nous pouvons faire bouger les choses pour peu que nous défendions des positions solides.

Les articles 9 et 12 de la directive relative au détachement des travailleurs constituent une réelle avancée, le premier en garantissant une sécurité juridique aux contrôles que nous effectuons, le second en responsabilisant les entreprises qui seront désormais responsables conjointes et solidaires des sous-traitants en cas d'utilisation abusive du statut de travailleur détaché.

L'adhésion de la Lettonie à la zone euro est le fruit d'un processus de contrôle qui a duré plusieurs années. Les conclusions très positives des rapports de convergence de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne, rendus en mai 2013, ont été saluées par un Conseil européen en juin 2013, avant qu'un conseil Ecofin n'ouvre la voie de l'adhésion à l'euro à ce pays en juillet 2013. La Lettonie a été frappée par une crise très dure entre 2008 et 2010 et a consenti d'énormes et très douloureux efforts de réforme structurelle, mais ceux-ci ont été fructueux puisqu'ils ont donné lieu à une analyse positive de la Banque centrale européenne. La décision de devenir membre de la zone euro, d'intégrer le coeur du réacteur de l'Union européenne, appartenait pleinement au gouvernement letton.

Quant à l'élargissement de l'Union, rien n'est prévu à brève échéance. Je ne sais d'ailleurs pas quel sera le prochain pays concerné ; et si nous engageons, le 21 janvier prochain, des négociations avec la Serbie, le processus prendra sans doute une dizaine d'années, le temps pour elle d'atteindre les standards actuels de l'UE. Vous avez d'ailleurs conscience qu'intégrer l'Union européenne est plus difficile aujourd'hui que cela ne l'a été pour les pays fondateurs : les exigences sont plus élevées qu'en 1957. Des efforts supplémentaires ont été demandés au fil du temps aux candidats.

Certains des vingt-huit pays membres de l'UE souhaitent rejoindre la zone euro – la Pologne s'interroge – et nous devons leur réserver une place. Nous nous acheminons vers une Europe différenciée dans laquelle se distinguera le groupe de la zone euro, pourvu le moment venu d'un budget spécifique et menant des politiques de plus en plus intégrées.

Le SEAE, créé en 2010, est une jeune institution à laquelle il faudra du temps pour imposer une politique étrangère de l'UE. Nous avons créé ex nihilo le poste de Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui doit s'imposer face à la Commission. Il convient de souligner le travail considérable mené par ce service et par Mme Ashton dans le cadre de la conférence sur la paix en Syrie (Genève II), des négociations préalables à l'accord d'association avec la Géorgie et la Moldavie, mais aussi et surtout des relations entre la Serbie et le Kosovo, deux pays qui n'acceptent de se rencontrer que sous l'égide de l'UE. Mme Ashton n'est pas responsable de tous les maux s'agissant d'un dossier sur lequel elle a parfois été seule. Son successeur pourra partir de ce qu'elle a construit.

Certains ont regretté le manque de solidarité de l'Union européenne qui n'en a pas moins apporté 210 milliards d'euros à la Grèce au cours des dernières années, et a aussi aidé le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et Chypre. Que seraient devenus ces pays sans cette solidarité, même si les contreparties ont été durement vécues par les populations ? On peut toujours mieux faire, mais l'UE a répondu présent.

S'agissant de l'Ukraine, une certaine presse a présenté le sommet de Vilnius comme un échec de l'Union européenne. Délégué par Laurent Fabius, j'ai participé à trois conseils des affaires étrangères relatifs à l'accord d'association avec l'Ukraine. Il y a dix-huit mois, l'UE demandait à ce pays, en contrepartie de la signature de cet accord, la mise en oeuvre de réformes structurelles en matière de droits, de système politique, de liberté de la presse et exigeait la libération de Mme Timochenko. Or le régime ne souhaitait pas signer l'accord, ou il ne pouvait pas le faire en raison de la pression exercée par son voisin.

Mais plus nous nous approchions du sommet de Vilnius, moins nous nous montrions exigeants sur la fin de la justice sélective, sur la liberté de la presse, la possibilité pour chacun de se présenter aux élections, pour ne plus nous accrocher qu'à la symbolique libération de Mme Timochenko. M. Ianoukovitch a néanmoins fermé la porte des négociations et nous avons dû prendre acte, à Vilnius, que l'Ukraine faisait un autre choix sans pour autant accepter l'union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan – la porte reste donc ouverte. Les mêmes journalistes qui prétendaient qu'il s'agissait d'un échec de l'Union européenne auraient été aussi agressifs contre celle-ci si l'accord avait été obtenu contre la seule libération de Mme Timochenko.

L'histoire dira si M. Ianoukovitch a en fait rendu un service à la fois à l'UE et à la population ukrainienne en permettant d'ouvrir le débat. À Kiev j'ai pu constater que le mouvement émanait de la population, M. Ianoukovitch ayant réussi l'exploit de provoquer un appétit d'Europe et de fédérer contre lui toutes les oppositions. Nous verrons comment évolueront les choses à l'occasion des élections.

L'accord d'association ne se jouait pas à quelques milliards d'euros près ; les raisons de son échec sont plus fondamentales. J'ai en effet été très surpris d'entendre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement faire des discours politiques en ukrainien et dialoguer ensuite avec nous en russe. Il en a été de même au somment de l'OSCE à Kiev.

Nous devons continuer d'affirmer que l'Union européenne est prête à un accord d'association pour autant que l'Ukraine montre qu'elle partage une partie de ses valeurs, qu'elle engage des réformes en matière de respect des droits. Il faut maintenir le lien avec ce pays et exercer une pression pour permettre à ceux qui manifestent pour la liberté d'opérer une prise de conscience. Nous y avons intérêt et Laurent Fabius rappellera cet esprit d'ouverture quand il rencontrera Vitali Klitschko, catalyseur de cette opposition.

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Le 22 janvier prochain la Commission des affaires européennes auditionnera M. Dimitris Kourkoulas, secrétaire d'État grec aux affaires européennes, sur la présidence grecque de l'UE. La Commission des affaires étrangères a bien entendu vocation, si elle le souhaite, à être associée à cette audition.

Il serait par ailleurs intéressant d'auditionner à nouveau, là aussi conjointement, Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du SEAE, qui joue un rôle éminent auprès de Mme Ashton.

Enfin, dans la perspective des prochaines élections européennes, il serait bon de vous revoir, Monsieur le Ministre, pour un tour d'horizon des principaux thèmes qui seront abordés, qui pourrait être organisé avant la coupure des municipales.

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Une dernière remarque sur l'Ukraine : je suis heureuse que la porte reste ouverte pour la signature d'un accord d'association. Il faudrait néanmoins rappeler clairement à certains responsables européens que nous n'avons plus pour arrière-pensée de faire adhérer l'Ukraine à l'Union européenne et encore moins à l'OTAN. Nous devrions ouvrir une discussion avec la Russie sur les ex-Républiques soviétiques. On ne peut que déplorer la façon dont on a foncé, tête baissée, en étant prêts à abandonner les garanties exigées pour que l'accord soit signé, alors que Mme Timochenko elle-même avait renoncé à demander sa libération pour ne pas être tenue responsable d'un éventuel échec des négociations.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.