Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous vivons un moment inédit. Pour la première fois dans cet hémicycle, vous allez pouvoir débattre et voter sur la politique de développement et de solidarité internationale. La loi que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui au nom du Gouvernement est en effet une première dans l’histoire de notre République. Elle correspond à un engagement du Président de la République, aujourd’hui tenu.
Avec cette loi, nous ouvrons une nouvelle ère : l’ère du contrôle démocratique de notre politique de développement et de solidarité internationale. Le temps d’une politique africaine qui regardait derrière nous, le temps d’une politique qui relevait davantage de la gestion de l’héritage du passé, le temps pas si lointain d’une politique qui se décidait dans l’ombre, ce temps-là, mesdames et messieurs, est désormais révolu. Aujourd’hui, nous mettons fin à une exception qui n’a que trop duré.
Nous tournons notre politique de développement vers l’avenir, vers le XXIe siècle, sans pour autant renier les liens qui nous lient avec l’Afrique notamment. Nous allons écrire l’histoire du XXIe siècle. Tout au long de ces débats, nous allons parler de finalités, de modalités, d’évaluation, de redevabilité et de grands principes. Mais laissez-moi tout d’abord vous parler d’humanité. Laissez-moi tout d’abord prendre quelques minutes pour parler de celles et ceux sans qui notre politique de développement n’aurait tout simplement aucun sens. Ce sont les héros quotidiens du développement et de la solidarité internationale, qui inventent et se battent, innovent et soulèvent des montagnes, bref qui contribuent chaque jour à changer le monde.
Je pense à Esther Madudu, une sage-femme ougandaise que j’ai eu l’occasion de rencontrer, qui parcourt le monde pour faire connaître l’extraordinaire engagement quotidien des sages-femmes africaines, dans des conditions pourtant horriblement difficiles, et pour nous rappeler ce chiffre terrible : dans le monde, 300 000 femmes meurent chaque année de donner la vie. Pour elles, donner la vie revient à donner sa vie.
Je pense aussi à Julienne Lussenge, que j’ai rencontrée avec le Président de la République en République démocratique du Congo. Elle anime une association qui aide les femmes violées dans l’est de son pays à se reconstruire peu à peu. À Kinshasa, elle nous a dit cette phrase terrible : « dans mon pays, le corps des femmes est le champ de bataille des hommes ».
Je pense enfin à Arsène Adiffon, qui dirige avec un engagement sans limite un centre de santé et de lutte contre le sida à Cotonou, au Bénin. Grâce aux efforts de tous, notamment de la France et des Français, aucun des cinquante enfants qui y sont nés l’an passé de femmes séropositives n’a développé la maladie. C’est la preuve que nous sommes enfin près de retrouver un monde sans sida.
Ces hommes et ces femmes, ce sont les héros à la fois ordinaires et extraordinaires du développement et de la solidarité. Et c’est tout simplement la grandeur de notre pays que de les soutenir et d’aider les femmes et les hommes des pays en développement à faire respecter leurs droits et à en conquérir de nouveaux – les droits civils et politiques, bien sûr, mais aussi le droit à la santé, à l’eau, à l’éducation ou encore les droits sexuels et reproductifs et, naturellement, les droits sociaux.
Mesdames, messieurs les députés, cette politique de développement est une composante essentielle de notre relation avec le monde et de notre politique étrangère. Rétablir la paix, au Mali comme en Centrafrique, impose d’avancer sur les trois piliers que sont la sécurité, la démocratie et le développement. Il n’y a naturellement pas de développement possible sans sécurité, mais il n’y a pas non plus de sécurité durable sans développement. Cette politique, dont nous allons pour la première fois débattre ici, est donc essentielle pour la construction d’un monde en paix. C’est pourquoi, malgré le contexte budgétaire que vous avez tous à l’esprit, nous avons depuis deux ans stabilisé le budget de l’aide publique au développement, grâce aux financements innovants. En effet, nous sommes déterminés à ne pas faire payer notre crise aux plus pauvres de la planète, aux hommes et aux femmes qui vivent, survivent avec moins d’un dollar par jour. Je le redis : nous ne ferons pas payer notre crise aux plus pauvres de la planète.
Ces moyens financiers, nous avons évidemment l’obligation de les utiliser au mieux. Nous le devons tant aux contribuables français qu’aux bénéficiaires de notre aide. C’est pourquoi, grâce à cette loi, nous allons tous ensemble faire des progrès déterminants en matière de transparence – un domaine où jusqu’à présent, avouons-le, la France était plutôt en retrait.
Pour utiliser au mieux nos moyens financiers, nous allons également concentrer notre aide en Afrique subsaharienne et dans les pays des rives méridionale et orientale de la Méditerranée. La moitié des subventions de l’État et les deux tiers des subventions de l’Agence française de développement, l’AFD, seront fléchées vers les seize pays prioritaires de notre aide.
Nous vivons dans un monde plus complexe, qui n’est plus fait d’un « Sud » unique, mais de plusieurs suds. Il n’est plus divisé entre les pays riches et développés d’un côté et, de l’autre, le tiers-monde. Il y a des pays émergents, qu’il faudra bien un jour finir par appeler des pays émergés. Malgré toutes ses limites et toutes les tensions qui en résultent, cette évolution est positive car elle a permis à des centaines de millions de femmes et d’hommes de s’extraire de l’extrême pauvreté dans laquelle ils se trouvaient. Cela étant, cette nouvelle donne nous oblige aussi à penser autrement nos interventions dans ces pays.
Voilà pourquoi cette loi fixe notre nouvelle doctrine d’intervention dans les pays émergents. Dans ce monde plus complexe, l’État ne peut plus agir seul. C’est pour cela que la loi consacre le rôle des collectivités locales dans notre politique de développement et de solidarité internationale.