La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (nos 1627, 1719, 1734, 1762).
Je vous informe qu’à la demande du Gouvernement, l’article 2 et le rapport annexé seront examinés après l’amendement portant article additionnel après l’article 10.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous vivons un moment inédit. Pour la première fois dans cet hémicycle, vous allez pouvoir débattre et voter sur la politique de développement et de solidarité internationale. La loi que j’ai l’honneur de présenter aujourd’hui au nom du Gouvernement est en effet une première dans l’histoire de notre République. Elle correspond à un engagement du Président de la République, aujourd’hui tenu.
Avec cette loi, nous ouvrons une nouvelle ère : l’ère du contrôle démocratique de notre politique de développement et de solidarité internationale. Le temps d’une politique africaine qui regardait derrière nous, le temps d’une politique qui relevait davantage de la gestion de l’héritage du passé, le temps pas si lointain d’une politique qui se décidait dans l’ombre, ce temps-là, mesdames et messieurs, est désormais révolu. Aujourd’hui, nous mettons fin à une exception qui n’a que trop duré.
Nous tournons notre politique de développement vers l’avenir, vers le XXIe siècle, sans pour autant renier les liens qui nous lient avec l’Afrique notamment. Nous allons écrire l’histoire du XXIe siècle. Tout au long de ces débats, nous allons parler de finalités, de modalités, d’évaluation, de redevabilité et de grands principes. Mais laissez-moi tout d’abord vous parler d’humanité. Laissez-moi tout d’abord prendre quelques minutes pour parler de celles et ceux sans qui notre politique de développement n’aurait tout simplement aucun sens. Ce sont les héros quotidiens du développement et de la solidarité internationale, qui inventent et se battent, innovent et soulèvent des montagnes, bref qui contribuent chaque jour à changer le monde.
Je pense à Esther Madudu, une sage-femme ougandaise que j’ai eu l’occasion de rencontrer, qui parcourt le monde pour faire connaître l’extraordinaire engagement quotidien des sages-femmes africaines, dans des conditions pourtant horriblement difficiles, et pour nous rappeler ce chiffre terrible : dans le monde, 300 000 femmes meurent chaque année de donner la vie. Pour elles, donner la vie revient à donner sa vie.
Je pense aussi à Julienne Lussenge, que j’ai rencontrée avec le Président de la République en République démocratique du Congo. Elle anime une association qui aide les femmes violées dans l’est de son pays à se reconstruire peu à peu. À Kinshasa, elle nous a dit cette phrase terrible : « dans mon pays, le corps des femmes est le champ de bataille des hommes ».
Je pense enfin à Arsène Adiffon, qui dirige avec un engagement sans limite un centre de santé et de lutte contre le sida à Cotonou, au Bénin. Grâce aux efforts de tous, notamment de la France et des Français, aucun des cinquante enfants qui y sont nés l’an passé de femmes séropositives n’a développé la maladie. C’est la preuve que nous sommes enfin près de retrouver un monde sans sida.
Ces hommes et ces femmes, ce sont les héros à la fois ordinaires et extraordinaires du développement et de la solidarité. Et c’est tout simplement la grandeur de notre pays que de les soutenir et d’aider les femmes et les hommes des pays en développement à faire respecter leurs droits et à en conquérir de nouveaux – les droits civils et politiques, bien sûr, mais aussi le droit à la santé, à l’eau, à l’éducation ou encore les droits sexuels et reproductifs et, naturellement, les droits sociaux.
Mesdames, messieurs les députés, cette politique de développement est une composante essentielle de notre relation avec le monde et de notre politique étrangère. Rétablir la paix, au Mali comme en Centrafrique, impose d’avancer sur les trois piliers que sont la sécurité, la démocratie et le développement. Il n’y a naturellement pas de développement possible sans sécurité, mais il n’y a pas non plus de sécurité durable sans développement. Cette politique, dont nous allons pour la première fois débattre ici, est donc essentielle pour la construction d’un monde en paix. C’est pourquoi, malgré le contexte budgétaire que vous avez tous à l’esprit, nous avons depuis deux ans stabilisé le budget de l’aide publique au développement, grâce aux financements innovants. En effet, nous sommes déterminés à ne pas faire payer notre crise aux plus pauvres de la planète, aux hommes et aux femmes qui vivent, survivent avec moins d’un dollar par jour. Je le redis : nous ne ferons pas payer notre crise aux plus pauvres de la planète.
Ces moyens financiers, nous avons évidemment l’obligation de les utiliser au mieux. Nous le devons tant aux contribuables français qu’aux bénéficiaires de notre aide. C’est pourquoi, grâce à cette loi, nous allons tous ensemble faire des progrès déterminants en matière de transparence – un domaine où jusqu’à présent, avouons-le, la France était plutôt en retrait.
Pour utiliser au mieux nos moyens financiers, nous allons également concentrer notre aide en Afrique subsaharienne et dans les pays des rives méridionale et orientale de la Méditerranée. La moitié des subventions de l’État et les deux tiers des subventions de l’Agence française de développement, l’AFD, seront fléchées vers les seize pays prioritaires de notre aide.
Nous vivons dans un monde plus complexe, qui n’est plus fait d’un « Sud » unique, mais de plusieurs suds. Il n’est plus divisé entre les pays riches et développés d’un côté et, de l’autre, le tiers-monde. Il y a des pays émergents, qu’il faudra bien un jour finir par appeler des pays émergés. Malgré toutes ses limites et toutes les tensions qui en résultent, cette évolution est positive car elle a permis à des centaines de millions de femmes et d’hommes de s’extraire de l’extrême pauvreté dans laquelle ils se trouvaient. Cela étant, cette nouvelle donne nous oblige aussi à penser autrement nos interventions dans ces pays.
Voilà pourquoi cette loi fixe notre nouvelle doctrine d’intervention dans les pays émergents. Dans ce monde plus complexe, l’État ne peut plus agir seul. C’est pour cela que la loi consacre le rôle des collectivités locales dans notre politique de développement et de solidarité internationale.
Un groupe politique d’extrême droite attaque parfois en justice les collectivités qui mènent des actions de coopération décentralisée dans les pays en développement. C’est tout simplement insupportable. C’est pourquoi j’ai voulu que la loi renforce la sécurité juridique de l’action des élus locaux.
Ne pas agir seul, c’est aussi reconnaître le rôle irremplaçable des organisations non gouvernementales, qu’il s’agisse d’action humanitaire ou de développement. C’est pour cela que nous inscrivons aujourd’hui dans la loi le doublement, au cours du quinquennat, de la part de l’aide qui passe par les ONG, et que nous remettons en place une instance pérenne de concertation, le Conseil national du développement et de la solidarité internationale.
Ne pas agir seul, pour l’État, c’est aussi s’appuyer sur les entreprises. En effet, il n’y a pas de développement sans investissement privé. De nouveaux entrepreneurs émergent aujourd’hui dans les pays du Sud ; nous allons les soutenir davantage que nous ne le faisions dans le passé.
C’est tout le sens des initiatives que j’ai récemment proposées, soutenues et menées en faveur de l’innovation dans notre politique de développement.
Dans ce monde plus complexe, c’est la notion même de développement qu’il nous faut revoir, car il s’agit bel et bien d’inventer un nouveau modèle de développement. Notre politique doit contribuer à résoudre cette équation inédite : comment faire vivre neuf milliards d’êtres humains, en 2050, sur une seule planète aux ressources déjà terriblement dégradées ? Écoutons les scientifiques. Écoutons la Banque mondiale, pour qui le changement climatique non maîtrisé est un « cataclysme ». Connaissez-vous, mesdames et messieurs les députés, un autre sujet pour lequel la Banque mondiale emploie un tel terme ?
C’est précisément pour faire de notre action le levier d’un nouveau modèle de développement que l’article 1er de ce projet de loi fait du développement durable la nouvelle finalité de notre politique de développement. C’est pour cela que nous donnons la priorité aux énergies renouvelables et à l’agriculture familiale et paysanne. C’est aussi pour cela qu’inversement, nous ne finançons plus de projets liés aux organismes génétiquement modifiés ou au charbon, ni de projets qui détruisent les forêts primaires ou contribuent à l’accaparement des terres. Dans ce projet de loi, le Gouvernement se donne pour la première fois comme objectif de réduire progressivement ses soutiens publics aux énergies fossiles, au-delà de ce qui a déjà été réalisé par l’AFD.
Le dernier point que je voudrais aborder, essentiel, est celui de la cohérence. La politique de développement, ce n’est pas que l’aide au développement. C’est tout autant une obligation de cohérence avec les autres politiques publiques que nous menons – politique agricole, politique en matière de pêche, lutte contre l’évasion fiscale, politique commerciale – et avec la question, bien sûr, de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.
Vous connaissez mon engagement et celui du Gouvernement pour la transparence en matière fiscale. L’objectif de l’aide est de permettre aux pays qui en bénéficient de pouvoir un jour s’en passer, d’où l’importance du renforcement des ressources propres des États. Cela passe nécessairement par une lutte renforcée contre l’évasion fiscale, dont les pays en développement sont les premières victimes.
Les travaux que vous avez menés en commission des affaires étrangères, mais aussi dans les commissions saisies pour avis, ont permis de renforcer le texte initial. Je m’en félicite et je veux très sincèrement vous remercier pour ce travail, accompli dans un temps limité afin que ce projet de loi puisse être examiné en première lecture avant la suspension des travaux pour les élections municipales. Je remercie le rapporteur, Jean-Pierre Dufau et les rapporteurs pour avis, Dominique Potier et Philippe Noguès.
Vous avez été nombreux à déposer des amendements pour renforcer les dispositifs de responsabilité sociale et environnementale de nos entreprises dans les pays du Sud. Nous avons encore tous en tête les images terribles du Rana Plaza, cette usine du Bangladesh dont l’effondrement a causé la mort de plus d’un millier d’ouvriers, majoritairement des femmes.
Je suis le petit-fils d’un mineur de fond du Pas-de-Calais. En voyant ces images d’hommes et de femmes fouillant les décombres à la recherche des corps de leurs proches, j’ai pensé à la catastrophe de Courrières, ce terrible coup de grisou qui fit lui aussi plus de mille victimes il y a un siècle. C’est suite à cette catastrophe que fut rendu obligatoire en France le repos hebdomadaire. De la même façon, nous devons aujourd’hui faire en sorte que la catastrophe du Rana Plaza soit l’occasion de progresser dans les normes sociales internationales.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Car l’enjeu est bien là, dans un monde où les chaînes de valeur et de production sont mondialisées. Avec cette loi, aujourd’hui et lors des lectures qui suivront, nous étudierons concrètement la possibilité de renforcer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises françaises, le devoir de vigilance qui leur incombe et qui incombe à leurs filiales et sous-traitants. Nous contribuerons ainsi, j’en suis persuadé, à tirer la mondialisation vers le haut.
Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi que vous voterez aujourd’hui est l’aboutissement d’un long combat de la gauche, d’un engagement qui n’avait pas encore trouvé à se réaliser. Aujourd’hui, je pense à tous ceux qui ont mené ce combat pour la démocratisation de notre politique de développement et de solidarité internationale. Je pense particulièrement à Jean Pierre Cot qui, lorsque j’ai pris mes fonctions en mai 2012, m’a écrit qu’il espérait que je réussirais là où il avait échoué. Je sais que je peux compter sur son énergie, à lui qui est arrivé sans doute trop tôt. Ensemble, nous sommes en train de réussir ce qu’il n’avait pu accomplir à l’époque. Je pense aussi bien sûr à Stéphane Hessel, qui fut toute sa vie un militant infatigable de la solidarité internationale, le militant d’un monde ouvert et, comme il le disait lui-même, d’un « monde plus beau ».
Je forme le voeu qu’en faisant pleinement entrer notre politique de solidarité internationale dans les valeurs de la République, celles qui font que la France est reconnue partout dans le monde, nous contribuions nous aussi à rendre le monde plus beau.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement solidarité internationale était attendu, espéré. D’où l’intérêt qu’il suscite. Depuis de nombreuses années, la politique d’aide au développement était observée et critiquée pour son opacité et son manque de cohérence, d’efficacité et de lisibilité. Plusieurs rapports parlementaires, budgétaires et d’information, d’autres rapports de la Cour des comptes ou du comité d’aide au développement de l’OCDE, sans compter les évaluations officielles des ministères, de la société civile et des experts, en témoignent.
Le Président de la République a souhaité une rénovation de la politique publique d’aide au développement. Sous l’autorité de Pascal Canfin, les assises du développement ont permis un débat public inédit avec l’ensemble des parties prenantes. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, qui, faut-il le rappeler, ne s’était pas réuni depuis quatre ans, a pris des décisions importantes le 31 juillet 2013. D’abord, l’institution d’un Conseil national du développement et de la solidarité internationale, rassemblant les différents acteurs concernés : il a été créé par décret du Président de la République le 11 décembre. Ensuite, la présentation au Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale dont nous débattons aujourd’hui. Les engagements ont été tenus.
Ce projet de loi résulte donc d’un large processus de concertation. Concertation interministérielle d’abord, puisque cette politique est pilotée par le ministère des affaires étrangères et par le ministère des finances, lesquels exercent entre autres une tutelle conjointe sur l’AFD, principal opérateur de l’aide de la France. Concertation ensuite avec d’autres administrations, la société civile, les ONG et les collectivités territoriales : l’association des maires de France, l’assemblée des départements de France et l’association des régions de France en étaient parties.
Permettez-moi de vous rendre compte du travail parlementaire effectué sur ce projet de loi. Il comporte un dispositif de 10 articles et un rapport annexé de plus de 250 alinéas, approuvés selon les termes du projet. L’ensemble constitue un tout : le texte ne contient pas de dispositions normatives. Il vise à définir les objectifs et principes de la politique, objets du titre 1er. Il ne modifie pas, si ce n’est à la marge, l’ordonnancement juridique des collectivités territoriales. Projet de loi d’orientation et de programmation, il ne comporte pas de disposition financière. Relevant des lois de programmation politique, il définit les orientations de la politique d’aide au développement et les principes qui la régissent.
Le travail parlementaire a été important : la commission des affaires économiques s’est saisie du titre 1er. Son rapporteur, Dominique Potier, a émis un avis favorable, après adoption d’un certain nombre d’amendements, le 22 janvier. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, dont le rapporteur est Philippe Noguès, s’est saisie de l’ensemble du texte et a émis un avis favorable le 29 janvier. Pour ma part, j’ai procédé à l’audition des personnalités et représentants d’organismes publics et privés dont la liste détaillée figure dans mon rapport. Au total, plus de 300 amendements ont été examinés en commission, ce qui confirme l’attente dont ce projet de loi est l’objet.
J’ai conscience des limites de ce texte, eu égard à l’ensemble des sujets que les acteurs du développement, et sans doute les parlementaires, auraient aimé intégrer. Certaines questions seront considérées comme trop peu abordées et devront être reprises dans d’autres textes. Citons pour exemple la responsabilité sociale et environnementale – la RSE, une avancée fondamentale, ou encore la fiscalité ou la lutte contre les paradis fiscaux. Autant de questions d’actualité.
Pour autant, ce projet de loi n’avait pas pour but de clore le débat sur ces sujets : il a le mérite de souligner les attentes, et d’autres projets ou propositions de loi sont en discussion. Le Gouvernement, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, anime la plateforme de discussion sur la RSE et participe activement à la lutte contre les paradis fiscaux avec ses partenaires européens.
Ce projet de loi est donc un point de départ. Le Gouvernement a accepté que soient rappelés l’accord de Monterrey et la trajectoire des 0,7 % du PNB. Nous savons tous que ces objectifs sont difficiles à atteindre, particulièrement en période de crise. La France n’est pas la seule à connaître des difficultés. Elle reste néanmoins le quatrième contributeur mondial, toutes aides confondues, et le deuxième pour ce qui est du Fonds sida. Ce n’est pas rien, chacun devrait en prendre conscience.
L’article 1er définit un objectif général de promotion d’un « développement durable dans les pays en développement, dans ses composantes économiques, sociales et environnementales ». En commission, les amendements ont précisé certains objectifs, comme la lutte contre la faim, contre les inégalités territoriales et contre le changement climatique, ou encore le développement local, la protection sociale et la bonne gouvernance. L’accent est mis sur la francophonie, avec une modification par amendement de l’alinéa 3, qui prévoit désormais que la politique de développement participe aussi à la cohésion politique et économique de l’espace francophone.
L’article 3 s’attache à la cohérence entre les politiques publiques et leur incidence dans le développement commercial, agricole, migratoire, social. La France a pris des engagements au niveau international dans ce domaine, notamment au sein de l’OCDE.
L’article 4 développe la question de l’efficacité des politiques de développement. Le partenariat différencié entre dans le texte, avec une concentration géographique de notre aide, notamment sur l’Afrique subsaharienne. Votre rapporteur a proposé des amendements, qui ont été retenus, et fait ajouter un article additionnel afin d’inscrire le principe de transparence et de redevabilité qui figuraient dans le rapport.
L’article 5 aborde le sujet de la RSE. C’est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’amendements. Le ministre a rappelé l’engagement du Gouvernement dans la discussion sur la plateforme concernant la RSE. Dans le contexte actuel, il convient de trouver un juste équilibre sur ce sujet et de confirmer la volonté de notre pays de s’engager résolument dans cette démarche ; c’est une avancée considérable. Il faut aussi attendre les résultats de la concertation lancée l’an dernier pour en mesurer toute la portée.
L’article 8 traite de l’expertise internationale. Il importe d’évoquer ce sujet dans le texte. Le Gouvernement a engagé depuis plusieurs mois une réflexion sur le dispositif d’expertise de notre pays, qui doit être plus performant. Une étude sur sa rationalisation est en cours. Face aux opérateurs allemands, britanniques ou espagnols par exemple, nos opérateurs souffrent d’un éparpillement remarquable. Par exemple, l’opérateur unique de la RFA, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, pèse 1,4 milliard d’euros quand certains de nos opérateurs français ont un chiffre d’affaires limité à quelques millions. Cela doit susciter une réflexion.
L’article 9 traite, quant à lui, de la coopération décentralisée. Les collectivités sont devenues des acteurs majeurs de l’aide au développement, de l’aide humanitaire, des actions de coopération. Il faut les sécuriser, dans leurs choix et sur le terrain. Cet article y pourvoit. Votre rapporteur a fait intégrer l’amendement Destot qui vise « toute action internationale de coopération, d’aide au développement ». Une coordination entre l’État et les collectivités est nécessaire. Nous nous inscrivons là dans le droit fil du remarquable rapport Laignel.
L’article 10 a été adopté après des modifications formelles à l’initiative de votre rapporteur. Il marque la volonté d’un contrôle parlementaire, avec la remise au Parlement d’un rapport que doit produire le Gouvernement tous les deux ans. Ce rapport, également adressé au CNDSI, fait la synthèse de la politique de développement et de solidarité internationale conduite par la France dans un cadre bilatéral et multilatéral et de ses évolutions. Un amendement adopté en commission prévoit aussi qu’une nouvelle loi soit présentée dans cinq ans. Lors de l’examen des articles, une modification formelle vous sera proposée.
Venons-en au rapport annexé. Rassurez-vous, mes chers collègues, je n’évoquerai pas les quelque 250 alinéas qui détaillent précisément le cadre de la politique de développement et de solidarité internationale. Notons, sans entrer dans les détails, qu’il souligne que cette politique s’inscrit dans un contexte international renouvelé, vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, dans lequel l’aide au développement doit prendre en compte de nouvelles problématiques que les objectifs du Millénaire pour le développement n’avaient pas abordées.
Cela étant, le rapport détaille les deux priorités transversales que sont la stratégie genre, adoptée en 2013, et la lutte contre le changement climatique. Toutes deux doivent désormais figurer dans toute politique conduite au titre de l’aide au développement, et les parlementaires y sont particulièrement vigilants. Elles sont totalement intégrées au texte du projet de loi.
Sont ensuite présentés les dix secteurs d’intervention dans lesquels la France propose son offre à ses partenaires : santé et protection sociale ; agriculture, sécurité alimentaire et nutritionnelle ; éducation et formation ; secteur privé, secteur financier et promotion de la RSE ; développement des territoires ; environnement et énergie ; eau et assainissement ; gouvernance et lutte contre la corruption ; mobilité, migration et développement ; commerce et intégration régionale. Trois secteurs sont retenus pour chaque pays, d’un commun accord avec les bénéficiaires, conformément aux pratiques internationales résultant des déclarations de Paris, Accra et Busan, pour une action effective et pertinente.
Le rapport détaille ensuite les priorités géographiques, et tout d’abord les partenariats différenciés introduits dans le document cadre en 2010 et désormais systématisés. Trois zones sont définies : les pays les plus pauvres, coeur de cible de l’aide de la France ; les pays en crise et en sortie de crise ; les pays du reste du monde. L’articulation des moyens à engager, des actions proposées est indiquée. Les questions relatives au pilotage de la politique d’aide au développement et les principes essentiels annoncés dans le dispositif articulé sont détaillés et approfondis.
La question des financements est enfin évoquée sous l’angle non des engagements de notre pays mais des modalités et des pistes nouvelles à explorer, dans une recherche de synergies entre ressources de diverses origines. L’Europe doit se saisir, à son niveau, de la taxe sur les transactions financières : le ministre nous en dira peut-être davantage, au cours de la discussion, sur la réunion des 18 et 19 février prochains. Nous aurons l’occasion d’en débattre. Enfin, une liste d’indicateurs révisables est proposée.
Ce rapport fait l’objet d’un nombre considérable d’amendements. Pour sa part, votre rapporteur s’est attaché à essayer de donner plus de cohérence au texte. Le Gouvernement proposera, quant à lui, des avancées par voie d’amendements en séance. Le débat parlementaire, déjà largement entamé dans les commissions pour avis et dans la commission des affaires étrangères, va maintenant se poursuivre dans l’hémicycle. Je souhaite qu’il soit fructueux et permette une large adoption, la plus consensuelle possible, de ce texte. Pour moi, l’adoption de ce projet de loi n’est pas un aboutissement : c’est un nouveau départ, l’écriture d’une page nouvelle de la politique de développement et de solidarité internationale de la France. C’est une nouvelle page qui s’écrit pour son influence dans le monde.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. Dominique Potier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
La politique, ce sont des paroles et des actes. Côté paroles, on a connu des sommets et des abîmes. Le sommet, pour moi, restera Cancún, au mois d’octobre 1981, avec, au coeur de mon adolescence, le discours bouleversant du président François Mitterrand aux Mexicains : Salut à vous, travailleurs sans droit, paysans sans terre, résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres ! Et le plus désolant, dans ma mémoire, c’est le discours de Dakar : l’homme africain qui n’est pas entré dans l’histoire… Mais passons.
Côté actes, le réel se rappela aux uns et aux autres trop souvent comme une ornière dans laquelle on tombe sur la route des bonnes intentions. Trop souvent en effet, l’aide publique au développement a servi de contrepartie à une diplomatie ambivalente ou à des négociations économiques qui ne disaient pas leur nom. Depuis trop longtemps, la promesse des 0,7 % du PNB semble aussi inaccessible que l’horizon aux yeux du navigateur.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, votre projet de loi échappe au double écueil de l’angélisme et du cynisme. Conçu dans une concertation avec la société civile qu’il faut qualifier d’exemplaire, il s’impose comme portant les germes de changements dont le fil conducteur semble être le souci de cohérence. Cohérence, d’abord, avec la démocratie. Cela passe par le Parlement, avec le rapport qui, tous les deux ans, permettra de faire le point pays par pays, action par action. Cohérence aussi avec les moyens dont nous disposons. Les cibles tiennent compte de la nouvelle donne mondiale, recentrée sur l’Afrique subsaharienne et les rives de la Méditerranée, dont l’enjeu est symbolisé par la tragédie de Lampedusa. Cohérence, surtout, entre la politique de solidarité et l’ensemble des politiques publiques de la France. Nous avons été quelques parlementaires, ici même, il y a quelques semaines, à ajouter quelques chapitres à l’article 1er de la loi d’avenir pour l’agriculture et à rappeler qu’elle doit s’inscrire dans des logiques de souveraineté alimentaire et de commerce juste, dans le respect de la diversité des agricultures du monde, qui, comme le disait Edgard Pisani, seront nécessaires pour nourrir le monde.
« Très bien ! Très juste ! » sur les bancs du groupe SRC.
Urgence, donc, d’une cohérence pour faire face aux risques contemporains : migrations climatiques ; trafics mafieux ; insécurité terroriste. Aucun mur ne nous protégera des désordres d’un monde qui crie justice. Rapporteur pour la commission des affaires économiques, je remercie avec force le président Brottes d’avoir, en si peu de temps, avec autant de célérité, fait en sorte que cette commission se saisisse pour avis et me permette d’être rapporteur pour exprimer nos combats.
Avec Philippe Noguès et Danielle Auroi, je porte devant vous la recherche d’une autre cohérence, la cohérence de la politique économique avec celle de l’aide publique au développement. Savez-vous que, pour un euro d’aide publique au développement de par le monde, il y en a cinq qui relèvent d’investissements directs à l’étranger ? Alors, peut-on d’un côté être favorable à une politique d’alphabétisation et de l’autre créer les conditions de travail, dans le secteur de la fabrication de textiles, qui réduiront des enfants à un esclavage précoce ? Peut-on défendre la biodiversité par de grandes déclarations internationales et des actions concrètes et, dans le même temps, permettre l’extraction minière qui, ailleurs, atteindra les nappes phréatiques et la ressource durable d’un continent ou d’une région ? Peut-on, sur le plan agroalimentaire, promouvoir l’agriculture familiale et la diversité des parcours et en même temps considérer que certains continents, certaines régions, certaines métropoles du Sud sont des déversoirs pour le dumping commercial ou pour les excédents commerciaux dans nos pays ?
Il faut, en politique, des principes. Peut-on envisager la nature et l’écosystème planétaire comme un capital pour le futur, un bien commun ? Peut-on capter des plus-values sans partager les droits ? Sommes-nous responsables de la vie des exclus, hommes, femmes et enfants, au bout de la rue comme au bout du monde ?
C’est en respectant ces principes que nous pourrons bâtir des politiques nouvelles, et c’est ce que nous avons fait avec ce projet de loi bienvenu, en l’enrichissant de différents amendements contre l’opacité financière et l’évasion fiscale, pour une montée qualitative des marchés publics et pour donner corps à la responsabilité sociale et environnementale et à la due diligence. Nous développerons cela au cours du débat.
Chers amis, c’est le même combat que celui que nous menons contre les paradis fiscaux. Et contre nous nous retrouverons, peut-être pas dans l’hémicycle mais ailleurs, les mêmes qui sont les héritiers de ceux qui résistèrent au milieu du dix-neuvième siècle à l’abolition de l’esclavage au nom de la compétitivité économique. Nous disons aujourd’hui non à un libéralisme qui fabrique des damnés de la terre à l’autre bout du monde. Nous disons oui à l’esprit de coopération, d’entreprise et d’innovation, oui à une mondialisation régulée, oui à des échanges justes et équilibrés, oui à une vraie compétitivité, celle qui ouvre des cercles vertueux de croissance pour l’économie réelle, oui au « made with humanité ».
Chers amis, c’est à nous aujourd’hui qu’il convient d’agir. Les ONG, avant nous, ont défriché le terrain. À leurs côtés, avec elles, nous avons posé les jalons d’une proposition de loi nouvelle, portée par bientôt quatre groupes parlementaires. Nous en posons aujourd’hui les principes, pour la première fois – merci, monsieur le ministre ! – dans une loi de la République. En avril, à nous de rassembler nos forces : élus, ONG, syndicats, autour de l’anniversaire tragique de Dacca, pour un printemps citoyen. En mai, la France doit porter ce combat dans le débat européen et, en juin, au nom de tous les humbles acteurs de la coopération internationale. Je pense à la paysannerie de chez nous, qui tend la main, depuis des décennies, aux paysanneries de là-bas pour penser, pour dire qu’un autre monde est possible. En juin, la France, parce qu’elle est la France, doit passer aux actes, en en faisant une juste contrepartie d’un pacte de responsabilité dont la dimension républicaine doit rayonner au-delà de nos frontières.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. Philippe Noguès, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Le présent projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale marque la volonté de l’actuelle majorité de donner plus de clarté, plus de cohérence et plus de transparence, vous l’avez dit, monsieur le ministre – en un mot une nouvelle impulsion à la politique française d’aide au développement.
La France est le quatrième donateur d’aide au développement dans le monde, et nous pouvons en être fiers. Toutefois, malgré son ambition et son importance sur la scène internationale, la politique de développement et de solidarité de notre pays fait l’objet de critiques récurrentes, qui portent aussi bien sur le rapport de domination entre le pays donateur et les bénéficiaires que sur les effets pervers de l’aide sur les économies et sociétés concernées, sur les outils et la nature des allocations budgétaires de l’aide publique au développement ou encore sur ses objectifs mêmes. En 2012, un rapport de la Cour des comptes a remis en lumière les critiques qui pouvaient lui être adressées.
Il fallait donc agir pour clarifier notre politique de développement, lui redonner force et lisibilité. C’est bien l’objet de ce projet de loi.
Les Assises du développement et de la solidarité internationale, qui se sont tenues entre l’hiver 2012 et le printemps 2013, ont constitué un moment de dialogue intense entre toutes les parties prenantes, un dialogue d’une ampleur inédite depuis 1997. Elles ont abouti à une redéfinition opportune des objectifs, des priorités et des moyens.
Ces assises ont été suivies, en juillet 2013, d’une réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement qui a permis de formaliser les premières décisions et de jeter les bases de la nouvelle vision de la politique française de développement que le présent projet de loi entend défendre.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc l’aboutissement d’un long travail de concertation. Il est appelé à devenir la première loi de programmation en matière de politique de développement et de solidarité internationale de l’histoire de la Ve République. Nous passons ainsi d’une politique de coopération, monopole de l’exécutif, à une politique de développement et de solidarité sous le contrôle, certes relatif, mais tout de même, du Parlement. J’y vois l’amorce d’un changement profond et salutaire.
M. le ministre et Jean-Pierre Dufau, rapporteur au fond de ce projet de loi, ont excellemment décrit les principales avancées qu’il contient. Je n’y reviens donc pas. J’aimerais pour ma part saluer la reconnaissance du rôle, dans le développement international, des acteurs non étatiques – ONG, syndicats mais aussi entreprises – qui sont valorisés dans le rapport annexé au projet de loi que nous nous apprêtons à examiner.
Je commencerai par les syndicats. La lutte pour un travail décent et pour l’amélioration de la condition sociale des travailleurs, partout dans le monde, est un objectif de toute politique de développement et de solidarité internationale. Ainsi, il m’a semblé important que le rôle des organisations syndicales en matière de développement soit pleinement reconnu. J’ai défendu plusieurs amendements en ce sens au sein de la commission du développement durable. Leur rôle s’exprime d’abord, bien évidemment, au travers des syndicats locaux, dont les capacités doivent être renforcées, mais aussi des partenariats internationaux de plus en plus nombreux tissés entre les organisations syndicales du Nord et celles du Sud.
En ce qui concerne, ensuite, les ONG, seule 0,15 % de l’aide publique au développement est passée par leur canal en 2010, selon le rapport de la Cour des comptes, contre 2 % en moyenne dans l’OCDE. Avec ce texte, le Gouvernement s’engage à doubler d’ici à la fin du quinquennat la part de l’aide française transitant par elles.
Enfin, je suis heureux que les débats devant la commission du développement durable, la commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères aient permis de lier la question de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises aux enjeux du développement international. Je consacrerai le temps qu’il me reste à ce sujet.
Dans un monde où le chiffre d’affaires de certaines grandes entreprises dépasse parfois le PIB des États dans lesquels sont implantés leurs sites de production et où le volume mondial des investissements directs à l’étranger représente cinq fois l’aide publique au développement, mieux responsabiliser les entreprises multinationales et les donneurs d’ordres vis-à-vis de leurs filiales et de leurs fournisseurs situés dans les pays en développement est une nécessité. À cet égard, il existe déjà, au niveau international, des textes que la France a approuvés et auxquels nous avons souhaité faire référence dans l’article 5. Il s’agit, d’une part, des principes directeurs de l’OCDE, élaborés en 1976, et d’autre part des principes directeurs relatifs aux affaires et aux droits de l’homme, dits principes de Ruggie, adoptés en 2011 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, fruits d’une décennie de travail et de négociations. De ces textes se dégage l’idée d’un devoir de vigilance des entreprises, lesquelles ont la responsabilité de prévenir toute atteinte aux droits de l’homme dans le cadre de leurs activités économiques et de mettre en oeuvre, le cas échéant, des mesures de réparation.
Par ailleurs, le rapport annexé au projet de loi fait de la gouvernance et de la lutte contre la corruption l’une des dix priorités sectorielles de l’aide publique au développement, en cohérence avec la décision du Gouvernement d’engager le processus formel d’adhésion à l’Initiative sur la transparence dans les industries extractives.
De tout cela, monsieur le ministre, il faut naturellement se féliciter, mais il me semble qu’il faut aller encore plus loin. Tel est le sens de la proposition de loi que j’ai déposée avec Dominique Potier et Danielle Auroi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres. Ce texte, présenté par les groupes SRC et écologiste, a pour objet de transposer dans notre droit national les principes édictés par l’OCDE et l’ONU. Il entend créer un régime de responsabilité juridique en cas de survenance d’un dommage environnemental ou d’une atteinte aux droits fondamentaux résultant des activités économiques d’une entreprise, y compris de ses filiales et sous-traitants. Aussi, je vous propose de prendre date dès aujourd’hui pour l’examen de cette proposition de loi.
La France et ses entreprises ont un devoir d’exemplarité. Je suis convaincu que la compétitivité hors coût de nos entreprises et de notre économie passe par leur capacité à rejeter définitivement le moins-disant social et environnemental. Le travail que vous avez engagé, monsieur le ministre, pour parvenir à ce projet de loi participe d’ailleurs de cet objectif.
Tels sont, brièvement rappelés, les principaux apports d’un projet de loi très attendu et accueilli, m’a-t-il semblé, avec bienveillance sur tous les bancs de cette assemblée. Devant la commission du développement durable comme devant celle des affaires étrangères, les débats ont été constructifs et ont permis d’enrichir le texte de contributions venant d’horizons divers ; je ne doute pas qu’il en sera de même aujourd’hui et vous appelle naturellement, au terme de nos débats de ce jour, à l’adopter.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui constitue une grande première. Cela faisait longtemps que le Parlement souhaitait avoir une présentation des orientations d’une politique qui, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, jusqu’ici était le privilège de l’exécutif, si l’on excepte les examens annuels en loi de finances. J’avais d’ailleurs pu mesurer depuis plusieurs années, au sein de la commission des affaires étrangères, à quel point nous étions frustrés de ne pas avoir de débat général sur les orientations de notre politique de développement.
À l’heure où notre pays, comme beaucoup d’autres, est concentré sur ses problèmes intérieurs, il est selon moi particulièrement important d’affirmer que notre politique est aussi tournée vers le monde extérieur, en particulier les pays les plus défavorisés. Même si ce texte ne contient pas d’engagement budgétaire précis – c’est l’objet des lois de finances – il constitue un engagement politique fort, que vous avez personnellement porté, monsieur le ministre, et que je suis fière d’affirmer avec vous. À la suite des rapporteurs, je voudrais donc rendre moi aussi hommage à votre action.
Ce projet est responsable, car il ne cède pas à la facilité qui consiste à afficher des objectifs hors d’atteinte. Avec 10 milliards d’euros consacrés à l’aide au développement, nous sommes le quatrième contributeur mondial, tout en étant très éloignés, hélas ! de l’objectif de 0,7 % du produit national brut dessiné lors de la conférence de Monterrey en 2002. Nous savons tous d’ailleurs que le contexte budgétaire ne nous permettra pas de rattraper ce retard rapidement.
Cette contrainte budgétaire, même si elle pèse lourdement, n’est toutefois pas incompatible avec des ajustements permettant d’accroître l’efficacité des instruments financiers de l’aide au développement et de faire en sorte qu’ils soient mieux adaptés aux objectifs que nous poursuivons. De ce point de vue, la commission des affaires étrangères attend avec impatience le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de développement qui lui sera soumis pour avis. Vous savez, monsieur le ministre, à quel point la commission est attachée à ce que les dividendes des prêts de l’Agence puissent être affectés au renforcement de son action.
Il n’est sans doute pas possible qu’ils soient directement affectés à de nouveaux dons – nous avons eu un débat sur ce sujet au sein de la commission. En revanche, cette somme pourrait très utilement renforcer ses fonds propres. Pour ma part, je souhaite que, dans le cadre de l’élaboration de l’avis que nous serons amenés à donner, j’espère dans les prochaines semaines, la commission et le Gouvernement puissent nouer un dialogue fructueux.
Sous cette contrainte budgétaire, il convient de définir des priorités et de réfléchir à l’efficacité des instruments dont nous disposons. C’est tout le mérite de la réflexion qui a précédé la rédaction de ce projet de loi. Comme vous l’avez rappelé, les zones géographiques de l’aide ont été redéfinies. L’accent a été mis plus particulièrement sur les pays d’Afrique subsaharienne et du sud de la Méditerranée. Le texte vise aussi à affirmer une plus grande cohérence entre la politique publique d’aide au développement et les autres politiques qui ont des impacts directs dans ce domaine.
La transparence est le premier principe qui doit, à mon sens, inspirer cette politique. Les citoyens, qui sont loin d’être indifférents aux enjeux du développement, nous en avons tous les jours des témoignages dans nos circonscriptions, doivent avoir le sentiment que chaque centime dépensé l’a été à bon escient. L’argent que l’on donne ou que l’on prête à des taux préférentiels doit avoir des résultats visibles. À cet égard, on n’insistera jamais assez sur la nécessité d’encourager la bonne gouvernance – terme pudique pour marquer notre détermination à aider à lutter contre la corruption.
Le projet de loi reconnaît également le rôle que les femmes peuvent jouer en faveur du développement. Je me réjouis que la discussion en commission ait permis de mettre cette dimension un peu plus en avant et que certains amendements présentés en séance visent à la renforcer encore un peu plus. D’ailleurs, vous avez vous-même, monsieur le ministre, insisté sur ce point et ce que vous avez dit sur les femmes du Kivu était très émouvant, car il est vrai que le viol est devenu une arme de guerre.
La mobilisation de la société civile est aussi un levier puissant. Je pense bien entendu aux organisations non gouvernementales, qui ont été nombreuses à suivre l’élaboration de ce projet et à y participer. Vous avez d’ailleurs formalisé un dialogue avec la société civile grâce aux Assises du développement. Je pense aussi aux collectivités territoriales, dont le rôle est reconnu à travers ce projet de loi, et au rôle que doivent jouer les entreprises et les sources de financement privé.
Nous attendons également avec impatience les résultats de la réflexion que vous avez engagée sur la réforme, à l’évidence indispensable, de notre dispositif d’assistance technique. Il est vrai que la multiplicité de nos opérateurs tranche avec la simplicité et la taille des opérateurs étrangers et constitue un handicap.
S’agissant de la responsabilité sociale et environnementale, sur lesquelles mes collègues ont déjà beaucoup insisté, vous avez souligné l’engagement du Gouvernement afin de faire élaborer une plateforme. Notre adhésion au principe selon lequel les acteurs publics et privés ont un devoir de vigilance en la matière est évidemment acquise. Nous serons donc très attentifs aux recommandations formulées par la plateforme nationale sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et aux conclusions qu’en tirera le Gouvernement. À cet égard, il conviendra de revenir sur certaines des modifications apportées par la commission au texte du Gouvernement. En effet, quelques-unes sont sans doute prématurées car elles vont au-delà de ce que prévoient nos engagements internationaux. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen des amendements.
Je soutiens donc pleinement la démarche du Gouvernement et la vôtre propre, monsieur le ministre. Ce projet de loi doit être l’occasion d’affirmer que les pays qui bénéficient de notre aide ne sont pas condamnés au sous-développement et à la mauvaise gouvernance. L’Afrique, pour ne citer qu’elle – mais elle est tout de même la principale destinataire de notre aide – est sans doute le continent qui compte le plus d’opérations de maintien de la paix, mais c’est aussi, j’en suis convaincue, le continent de l’avenir.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, tous les pays sont concernés par la question du développement, qu’ils reçoivent une aide ou qu’ils l’accordent. Ai-je besoin de rappeler que plus d’un milliard et demi de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour ? Aider au développement des pays les moins avancés est une nécessité. Les Français l’ont d’ailleurs parfaitement compris. Les pays les moins avancés d’aujourd’hui seront, je l’espère, les économies développées de demain. C’est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe UMP ne peut que saluer votre engagement.
Ce texte constitue une innovation. De nombreux pays de l’Union européenne disposent déjà d’un cadre législatif pour réglementer leur dispositif d’aide, tel l’International Development Act en Grande Bretagne. Le Parlement, qui jusqu’à présent ne pouvait examiner cette politique que dans le cadre de la loi de finances, aura dorénavant l’occasion de débattre en détail de ses grands principes et de ses orientations.
Ce texte se fixe comme objectif l’efficacité et la transparence. Il devrait donc permettre de renforcer le pouvoir de contrôle des parlementaires.
Ce qui est bon pour le Parlement ne peut être que bon pour la démocratie.
« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Monsieur le ministre, nous souhaitons également saluer l’important effort de concertation qui a permis l’élaboration de ce texte. Il faut le dire, les Assises du développement et de la solidarité internationale, qui ont réuni l’ensemble des acteurs français, ont été un succès. Je pense que c’était la méthode à employer pour élaborer ce projet de loi.
L’aide publique au développement est un savant mélange entre bilatéralisme et aides multilatérales. Elles se complètent réciproquement, comme le rapporteur l’a excellemment dit. On retrouve assez bien ce principe dans le texte. Je regrette cependant, mais j’espère que certains amendements y remédieront, que le projet de loi ne dise quasiment rien sur les entreprises françaises, sur la question du pilotage de l’aide et sur la « confusion des rôles » que nous avons tous soulignée. Il faut clarifier les rôles respectifs des différentes administrations, aux côtés du ministère des affaires étrangères, et de certains établissements publics.
L’amendement que Christian Jacob et moi-même vous proposerons, au nom du groupe UMP, devrait permettre de clarifier, de fédérer le rôle des différents opérateurs de l’expertise technique internationale. M. le rapporteur l’a également fort bien détaillé, avec la méticulosité qu’on lui connaît à l’Assemblée parlementaire de la francophonie, où j’ai l’honneur de travailler avec lui.
Vous le savez monsieur le ministre, les trois principaux opérateurs, à savoir ADETEF pour Bercy, Civipol pour l’intérieur et France Expertise Internationale pour le ministère des affaires étrangères, réalisent chacun des projets d’environ 20 millions d’euros, soit au total 60 millions par an. Nous souhaitons regrouper, à coût constant, les opérateurs actuels en une seule et unique agence et remonter la stratégie de coopération internationale au plus haut niveau politique. Des économies de fonctionnement sont attendues du fait de la mutualisation des moyens et du regroupement des agents en un seul lieu. Nous devrions pouvoir trouver un consensus autour de ce thème.
Ce texte ne mentionne pas non plus l’agenda post 2015 du développement, qui doit succéder aux objectifs du Millénaire. Ce doit être un oubli. Et vous évoquez très succinctement, dans l’annexe, la taxe sur les transactions financières, sans jamais indiquer le montant qui sera reversé. Si je me souviens bien, en septembre 2012, le Président de la République avait précisé que la France avait pris l’engagement de consacrer une partie des produits de cette taxe, au moins 10%, au développement et à la lutte contre les fléaux sanitaires et les pandémies. Je n’ai pas retrouvé cet engagement dans la loi de finances, ni dans ce texte d’ailleurs. Est-ce aussi un oubli ? J’ai déjà eu l’honneur d’évoquer cette question lors du débat budgétaire pour 2013.
Monsieur le ministre, votre texte ne contient quasiment pas de disposition normative. Il vise essentiellement à définir dans la loi les objectifs et principes de la politique d’aide. L’article 2, par exemple, propose l’adoption d’un rapport annexé fixant les orientations de la politique de développement. C’est bien, mais comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a estimé que les orientations présentées dans un rapport annexé à une loi sont dotées d’une valeur juridique sans pour autant détenir formellement une valeur normative.
Parlons également de la responsabilité sociétale des entreprises qu’a évoquée le rapporteur. Attention à ne pas ouvrir la boîte de Pandore ! La plateforme RSE, gérée par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, devrait conserver une approche d’élaboration de consensus et éviter une approche normative par la contrainte réglementaire.
Les entreprises françaises sont conscientes des exigences de responsabilité et y ont largement oeuvré, dans le cadre des principes directeurs de l’OCDE. Ces principes ne sont pas juridiquement contraignants, mais font l’objet d’un examen dans une procédure via le Point de contact national, le PCN. Je vous rappelle que le PCN est organisé par le Trésor et que les syndicats y sont fortement représentés – CFDT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, MEDEF. Ces derniers n’hésitent pas à saisir le président du PCN, Paul Hunsinger, en cas d’abus d’une entreprise – je pense par exemple à l’affaire Michelin en Inde. Établir des principes juridiques contraignants en droit français sans que cela soit inscrit dans le droit international risquerait de placer nos entreprises dans une situation de concurrence déloyale.
Mes chers collègues, certains d’entre vous ont malheureusement déposé des amendements qui risqueraient de fragiliser nos entreprises à l’international. L’expression de notre solidarité est non seulement un instrument d’influence, mais également une contribution au maintien d’un environnement plus sûr pour la France. L’avenir passe par le développement. C’est un engagement de tous dans l’intérêt de tous. Ce sont ces couleurs que nous défendons dans d’autres enceintes – n’est-ce pas, monsieur le rapporteur ?
Monsieur le ministre, il y a beaucoup de bonnes intentions dans ce texte, beaucoup de belles idées, qui restent encore, hélas, au stade embryonnaire. La philosophie est très belle, le discours de la méthode également. C’est une première avancée, et je souhaite de tout coeur que nous puissions aller de l’avant dans le débat. Cela étant, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, les députés du groupe UMP s’abstiendront sur ce texte.
« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.
L’ambition d’une politique de développement et de solidarité internationale doit avoir plus d’ampleur que la crise économique mondiale n’a de vivacité. Dans un tel contexte, les pays pauvres se trouvent particulièrement fragilisés. Leurs ressources sont convoitées et pillées, alors que leurs populations font l’objet d’importants transferts dont la gestion est difficile pour les États.
L’Afrique, en particulier, est un continent prioritaire, qui mérite un plan global de solidarité. C’est un voisin aux multiples atouts – population jeune, forêts vierges, potentiel d’énergies renouvelables remarquable – et il en va de notre responsabilité de mettre en place une stratégie de solidarité pour assurer sa sécurisation afin de protéger l’Europe.
Les populations du Moyen-Orient sont aussi particulièrement vulnérables. Elles sont à la fois touchées par des catastrophes naturelles, comme la vague de sécheresse historique qui touche actuellement, en plein hiver, la Turquie et les pays du pourtour méditerranéen, et par des conflits interreligieux, liés souvent à l’islam radical, qui menacent la stabilité de toute la région.
Le Gouvernement a pris l’initiative d’organiser, entre novembre 2012 et mars 2013, des Assises du développement et de la solidarité internationale. Ces assises ont constitué un moment décisif de réflexion collective, aboutissant à la redéfinition des objectifs et des priorités. Elles sont parvenues à réunir l’ensemble des acteurs de la coopération : État, collectivités territoriales, parlementaires, ONG, syndicats, entreprises, fondations, organismes de recherche, pour un dialogue inédit.
Le groupe UDI soutient bien évidemment une politique de développement et de solidarité internationale très ambitieuse. Il salue un travail préparatoire vigoureux, basé sur la concertation. Il est nécessaire et juste de s’engager dans une loi d’orientation pour hiérarchiser les objectifs, élargir la gouvernance et mieux analyser les impacts. Néanmoins, ne cultivons pas l’art de brandir les symboles au point de s’attacher uniquement à la forme et non plus au fond ! Il ne s’agit pas seulement de refonder la politique de développement et de solidarité internationale en s’appuyant sur une évaluation qualitative, mais de lui donner les moyens d’être efficace. Or, les moyens financiers tangibles sont les grands absents de ce projet de loi.
La politique d’aide au développement de notre République doit faire face à son plus grand paradoxe, celui d’une politique généreuse, à laquelle la France consacre près de 10 milliards d’euros par an, tous modes de financement confondus, mais critiquée quant à sa cohérence et ses difficultés à respecter ses engagements internationaux.
Depuis le sommet du Millénaire, en 2000, les pays des économies développées se sont engagés à consacrer 0,7 % de leur produit national brut à l’aide publique au développement.
Ce niveau d’engagement a été maintes fois rappelé et reconfirmé lors des nombreux sommets sur le développement qui ont suivi. Il est aussi fixé par la plupart des instances internationales auxquelles la France adhère, notamment l’OCDE, l’ONU et l’Union européenne, et constituait également un engagement de François Hollande lors de sa campagne présidentielle… Or nous nous rapprochons à grande vitesse de l’échéance fixée à 2015 et l’objectif de 0,7 % semble, lui, s’éloigner de plus en plus.
On aurait pu penser qu’une loi d’orientation et de programmation aussi volontariste reprenne à son compte cet engagement. Hélas, il n’en est rien.
Aujourd’hui, la France n’y consacre que 0,48 % du revenu national brut. Et l’exposé des motifs du projet de loi se conclut par la reprise des propos du Président de la République : la France reprendra une trajectoire ascendante vers les objectifs internationaux que nous nous sommes fixés dès lors que nous renouerons avec la croissance…
Cette promesse n’est clairement pas à la hauteur des enjeux d’une telle loi. On comprendra que, pour aider les pays en développement, il faut être en mesure de s’aider soi-même ! Il est donc urgent de renouer avec la croissance économique. C’est urgent pour les Français qui n’en peuvent plus d’attendre, qui n’en peuvent plus d’un gouvernement qui tergiverse sans cesse, d’un gouvernement qui a le courage des annonces mais pas, hélas, le courage de l’action.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
C’est urgent pour les Français qui attendent depuis deux ans le fameux choc de compétitivité. Mais la croissance, elle aussi, est urgente au regard de nos obligations envers les pays en voie développement – vous voyez, j’y reviens !
« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.
Ils attendent notre aide. C’est donc doublement notre devoir que de remettre la France sur les rails. C’est pourquoi le président de l’UDI, Jean-Louis Borloo, à qui je transmets mes voeux de prompt rétablissement (« Nous aussi ! » sur les bancs du groupe SRC) – merci, chers collègues ! – n’a pas peur de dire que si le Gouvernement a le courage de prendre les mesures dont la France a besoin, l’UDI sera au rendez-vous.
Le groupe UDI estime que des pistes concrètes de financement de l’aide publique au développement auraient dû être exploitées dans ce projet de loi pour se rapprocher de l’objectif de 0,7 %, comme la taxe sur les transactions financières, l’élargissement des moyens financiers que peuvent consacrer les collectivités locales à la solidarité internationale, les fondations d’entreprise, les assurances-vie défiscalisées dans le domaine de l’épargne responsable ou encore la taxe sur les billets d’avions. Or le projet de loi modifié en commission n’évoque que timidement ces financements innovants, destinés à accroître l’effort d’aide global.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, une réelle ambition aurait permis de déployer ces produits additionnels et d’être en cohérence avec l’ampleur annoncée de ce projet de loi, qualifié de grande première dans l’histoire de la Ve République. Innover, donner de l’élan à l’aide au développement en la dotant des moyens concrets de son efficacité : voilà un vrai combat contre la pauvreté extrême et les inégalités et pour la défense des libertés fondamentales !
Il en va de l’image de la France, de sa capacité d’action et de réaction et de la crédibilité de sa politique étrangère. Ne tombons pas dans la critique du discours politique de George Orwell, destiné selon lui à « donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air »…
De toute évidence, il ne s’agit pas, contrairement à l’esprit qui devait l’animer, d’un projet ambitieux, pas plus que d’une loi de programmation. Sa portée normative est limitée, ses objectifs financiers hélas trop maigres.
Monsieur le ministre, considérant toutes ces lacunes et après mûre réflexion, le groupe UDI a décidé de s’abstenir.
« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.
Quarante ans après René Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, en 1974, levant son verre d’eau pour nous expliquer que l’eau serait dorénavant une ressource toujours plus rare, je ne peux m’empêcher de lui rendre hommage. La présentation du présent projet de loi par un gouvernement de gauche comprenant des écologistes constitue sans doute pour lui une première victoire posthume.
En effet, aux côtés des organisations non gouvernementales et de ceux que l’on appelait avec dédain les tiers-mondistes, René Dumont s’est battu pour une révolution de la politique du développement, à tout le moins pour une profonde réforme. Le projet de loi que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, vise à sortir de l’opacité et de l’hypocrisie vis-à-vis de pays que nous avons très longtemps gardé sous la tutelle coloniale, afin qu’ils prouvent leur détermination et trouvent leur prospérité et que nous passions enfin de la compassion à la solidarité.
René Dumont évoquait le problème de l’eau. Aujourd’hui, environ deux milliards d’humains sont privés d’accès à l’eau potable et victimes de maladies liées à ce manque. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes, dans les pays du Sud pour l’essentiel, souffrent de malnutrition, de famine, du paludisme, de la tuberculose et du SIDA. Ce sont ceux que l’on appelait les damnés de la terre, ces invisibles auxquels nous devons une autre politique de solidarité. Dominique Potier a cité tout à l’heure François Mitterrand, en 1981, à la conférence des pays les moins avancés de Cancún. Le président se demandait aussi ce que nous ferions si nous n’agissions pas pour le milliard d’humains qui sont traqués par la famine et le désespoir.
C’était en 1981. Les choses ont-elles beaucoup changé depuis ? Les ajustements économiques du FMI et de la Banque mondiale n’ont fait qu’affaiblir un peu plus des pays déjà soumis à des dictatures polymorphes. Heureusement, il existe des organisations non gouvernementales travaillant à nous éclairer et à combattre la politique de compassion et d’hypocrisie, en particulier Oxfam, qui nous apprend que 45 % des richesses de la planète sont détenues par 1 % de la population, ce qui n’est nullement une révélation pour ceux qui s’intéressent au sujet.
Malgré la crise de 2008, les inégalités se sont creusées encore un peu plus entre pays riches et pays pauvres, entre ceux qui détiennent aujourd’hui l’essentiel des richesses et cette moitié de l’humanité qui vit aujourd’hui dans des conditions déplorables. Comme cela a été dit, le revenu moyen dans les pays africains est d’un dollar par jour. Mais, et l’image est frappante, une vache européenne, grâce aux subventions accordées, vit avec 2,50 euros par jour ! Bien plus que des centaines de milliers d’hommes et de femmes africains !
Le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, se veut une réponse à cette inégalité profonde, à cette injustice. Il vise aussi, si je l’ai bien compris, à mettre sur pied une politique fondée sur trois éléments : la référence aux droits humains fondamentaux tels qu’ils sont décrits par la Convention européenne des droits de l’homme et surtout par la Déclaration des droits de l’homme de 1948, la cohérence des politiques de développement et enfin leur transparence, sur laquelle je m’attarderai quelques minutes.
Depuis plusieurs décennies, en fait depuis la présidence de Gaulle, la politique de coopération de notre pays a été basée sur l’opacité et les réseaux, situation bien résumée par le terme de « Françafrique » forgé par le regretté François-Xavier Verschave, traîné devant les tribunaux par des dictateurs africains aujourd’hui poursuivis par la justice française dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis. Votre projet de loi, monsieur le ministre, constitue aussi un hommage post mortem au travail d’hommes comme lui.
Pendant près de quarante ans, nous n’avons eu aucun droit de regard sur la politique de coopération, domaine réservé de l’Élysée. Des hommes et des femmes, peuplant les cabinets noirs de l’Élysée, sans aucune légitimité démocratique, décidaient du sort des ministres osant lever le doigt contre quelque dictateur ou quelque crapule – que nous continuons d’ailleurs de soutenir – et leur ayant déplu, voire ayant mis en cause leur position dominante dans le pays !
Bien évidemment, j’espère que le présent texte contribuera à nous faire sortir de la Françafrique !
Pour vous dire le vrai, monsieur le ministre, je n’en suis pas pleinement convaincu et nos avis sur le sujet divergent. L’intervention militaire de la France au Mali me donne à penser que ce n’est pas par la diplomatie de la canonnière que nous établirons une autre politique de développement. Je ne déplore pas l’intervention de la France en République centrafricaine, mais je lui reproche d’avoir soutenu des régimes et laissé pourrir des situations au point de nous contraindre à intervenir militairement. Je constate d’ailleurs que le règlement militaire des problèmes très graves frappant ces territoires d’Afrique a fait de nous les obligés de régimes que nous devrions poursuivre, en particulier le régime tchadien de M. Idriss Déby qui n’hésite pas à faire enfermer et torturer ses opposants, voire à les liquider.
Nous avons beaucoup discuté du contenu du texte dans le cadre de la commission des affaires étrangères, et en particulier du rapport annexé, monsieur le ministre. Nous pouvons nous féliciter que vous y ayez introduit, conformément d’ailleurs à la politique que vous menez depuis votre prise de fonction, la question du développement durable, vue non pas comme ce terme fourre-tout qui ne veut rien dire mais sous l’angle de sujets aussi importants que la souveraineté alimentaire, l’agriculture vivrière et l’autosuffisance alimentaire, ce que nous appelons dans notre jargon d’écologistes « l’agriculture paysanne ».
Jusqu’alors, on ne parlait pas de développement dans le cadre de la fonction de contrôle du Parlement ni d’un projet de loi. On ne l’évoquait que lors des discussions budgétaires, pour s’étonner ou verser des larmes de crocodile sur des catastrophes naturelles apportant le chaos dans certains endroits du monde et sur les victimes exploitées par les multinationales, y compris françaises, de pays comme le Bangladesh. La catastrophe du Rana Plaza dont nous allons malheureusement célébrer le triste anniversaire dans les jours qui viennent est venue nous le rappeler. On feignait aussi de déplorer les émeutes de la faim liées à la spéculation sur les matières premières d’un certain nombre de groupes financiers, de clubs d’investissement et de multinationales. Nous n’en sommes pas sortis. C’est pourquoi, aux côtés de nos collègues du parti socialiste et de la présidente de la commission des affaires européennes Danielle Auroi, nous nous battrons pour cette fameuse responsabilité sociale et environnementale.
Dois-je rappeler que des sociétés dont l’État détient 80 % se comportent très mal, en termes de responsabilité sociale et environnementale, dans des pays qui sont d’anciennes colonies ? Je pense à Areva – vous avez très bien répondu sur ce sujet lors des questions au Gouvernement, monsieur le ministre – qui exploite les mines d’uranium du Niger et se soustrait aux exigences issues de la réforme que cet État a faite en 2006 de son code minier. Les exportations d’uranium du Niger représentent 70 millions d’euros, mais ne lui rapportent que 3 à 4 % de son produit intérieur brut ! Il n’est pas normal que cela perdure.
C’est la raison pour laquelle nous nous battrons au cours de la discussion parlementaire pour que la responsabilité sociale et environnementale soit une réalité et que ni le MEDEF ni Bercy ne dirigent le Parlement sur cette question. C’est une affaire de vigilance et de fiscalité. Il est indéniable qu’un certain nombre d’entreprises, ainsi que leurs filiales et leurs sous-traitants, profitent très largement de l’exploitation des hommes et des ressources dans les pays africains et asiatiques, comme l’a démontré la catastrophe du Rana Plaza. Les fabricants de produits électriques et électroniques, par exemple, travaillent dans les pays du Sud au mépris de toutes les conventions, dont celle de Bâle signée en 1982. On trouve au Ghana, qui fait partie des pays à aider prioritairement, ou au Nigeria, pays avec lequel nous avons des relations économiques, des décharges sauvages où sont récupérés le cuivre et d’autres métaux, au mépris à la fois de l’environnement et de la santé de ces malheureux que Franz Fanon appelait les damnés de la Terre.
Bien entendu, monsieur le ministre, nous voterons votre projet de loi, en dépit de quelques lacunes persistantes, en particulier sur la traçabilité et la conditionnalité des aides que nous apportons. Je fais ici référence à un certain nombre de pays où la démocratie n’est pas la vertu la mieux partagée, où les peuples sont privés du droit d’expression et les minorités soumises et traquées. Il s’agit d’un sujet transversal. Nous ne pouvons pas séparer l’aide au développement des questions économiques. La défense de la diplomatie économique que fait M. le ministre des affaires étrangères m’inquiète beaucoup, car de tels slogans risquent d’effacer la nécessaire solidarité dont doit procéder la politique de développement. Nous ne pourrons pas mener durablement une politique publique schizophrène.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Le projet de loi dont nous entamons l’examen, même s’il est en lui-même un véritable événement, revêt pour le groupe RRDP une importance d’autant plus grande qu’il va bien au-delà du développement et de la solidarité internationale. Il va au-delà d’une rénovation pour lutter contre la pauvreté et pour la préservation de la planète. Il représente pour nous un souffle de solidarité et d’ambition, une véritable respiration de notre système démocratique et républicain. En effet, un texte réaffirmant l’implication de la France en matière de transparence des politiques de développement et de solidarité internationale s’inscrit logiquement dans ce qui nous caractérise et nous distingue depuis 225 ans : l’universalisme de nos valeurs et de nos principes humanistes.
Bien sûr, il s’en trouvera toujours pour passer plus de temps à en relever les imperfections ou les approximations qu’à travailler à son amélioration. Même si le projet de loi est moins normatif que ce à quoi l’on pouvait s’attendre, il porte en lui l’ambition légitime de réaffirmer la place et le rayonnement uniques de notre pays, la France, dans le concert des nations. Compte tenu des enjeux, puisse-t-il au moins rassembler avec enthousiasme tous les élus républicains soucieux de solidarité internationale.
Je me félicite que le projet de loi accorde une attention toute particulière à la francophonie, dont j’avais souligné l’absence lors du débat en commission. Je me félicite que son article 3, issu des travaux des différentes commissions, dispose que la politique de développement et de solidarité internationale participe à la cohésion politique et économique de l’espace francophone. Ce point est à mes yeux crucial.
La francophonie est née en 1539 à Villers-Cotterêts, dans ma circonscription. Elle constitue l’empreinte du fait français par excellence, fait de culture embrassant par notre langue l’ensemble des peuples auxquels l’Histoire nous a liés sur les cinq continents. Elle est aussi, j’en suis convaincu, une façon de penser et de concevoir le monde porteuse de l’indépassable message de liberté adressé à l’humanité par les révolutionnaires de 1789 et renouvelé en 1948 par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle constitue un espace de rayonnement et de promotion de valeurs universelles, d’ouverture et d’échange économique, social et culturel. Son renforcement est l’une des clefs du développement réciproque et durable.
Elle est également un atout pour notre pays, qui se laisse trop souvent aller à oublier que sa grandeur se mesure à l’inspiration qu’il n’a jamais cessé de faire naître chez les autres. La francophonie constitue enfin l’occasion et la responsabilité de favoriser l’essor des valeurs et des principes démocratiques, républicains et laïcs auxquels les membres du groupe RRDP sont particulièrement attachés. La solidarité internationale est une source de soutien aux États mais aussi de revenus pour la France, ne l’oublions pas. La France est classée au quatrième rang mondial des donateurs, ce qui n’est déjà pas si mal. L’aide qu’elle apporte en matière de développement et de solidarité internationale participe de notre rayonnement sur la scène internationale, mais pas seulement.
Cet aspect est fort bien démontré dans le rapport annexé au projet de loi, aux alinéas 228 à 248 consacrés au financement du développement. L’alinéa 233, en particulier, souligne que les financements publics sont mobilisés « en prenant en considération leur valeur ajoutée selon les contextes et les secteurs afin de maximiser leur impact ». Ainsi l’aide au développement et la solidarité internationale ont, il faut le faire savoir, une incidence positive sur notre potentiel économique. Aussi, loin d’être un coût, la solidarité est avant tout une ressource différée dans le temps. L’histoire nous enseigne que le repli sur soi a plus souvent causé la ruine que favorisé l’essor des pays qui l’ont pratiqué. Les Français seraient bien inspirés de s’en convaincre à l’heure où, en politique, certains bonimenteurs voudraient leur faire croire le contraire.
Pour toutes ces raisons, il est fondamental de former notre jeunesse aux enjeux du développement à travers la solidarité internationale. L’alinéa 183 du rapport annexé est à ce titre tout à fait révélateur. En effet, il pose pour principe que l’éducation au développement doit « faire progresser le niveau de connaissance et d’appropriation par les citoyens des actions conduites ». Le groupe RRDP a souhaité intégrer à cet alinéa 183 un amendement visant à assurer au corps enseignant une formation adéquate sur les enjeux du développement et de la solidarité internationale. En effet, chacun conviendra que le niveau d’éducation des élèves dépend en premier lieu du niveau de formation de leurs professeurs.
Le souci et l’attention portés à autrui sont des principes liés à l’exercice d’une véritable morale citoyenne. Se soucier des hommes et des femmes en difficulté qui habitent au coin de la rue est tout à fait naturel, et en rien incompatible avec le fait de se soucier d’individus qui vivent dans des pays éloignés du nôtre, par le biais de la solidarité internationale et de l’aide au développement. Vous me permettrez, monsieur le ministre, d’évoquer quelques exemples d’un territoire que je connais bien, à savoir la Picardie et en particulier le sud de l’Aisne. Ainsi, l’association Château-Thierry-Kinyami met en oeuvre, au Rwanda, un programme d’accès à l’eau ; de son côté, l’association Asa Tanana Solidarité agit pour apporter de l’aide à plusieurs hameaux de Madagascar. Ces associations ont reçu l’appui d’acteurs du territoire tels l’Agence de l’eau, le Syndicat d’assainissement de la région de Château-Thierry, le conseil régional de la région Picardie et d’autres collectivités.
Si ces initiatives peuvent exister, c’est avant tout grâce à l’engagement des bénévoles. Vous avez parlé des héros et des héroïnes qui agissent sur le terrain. Je veux, pour ma part, évoquer le million de bénévoles qui oeuvrent, en France, à la mobilisation pour la solidarité internationale. Ils exercent des responsabilités en matière de contrôle et de vérification concrète des projets sur terrain et, surtout, initient des dynamiques de développement autonomes et démocratiques. L’échelon territorial est le plus concret et le plus transparent aux yeux de nos concitoyens. Il est primordial que les collectivités territoriales puissent elles aussi jouer leur rôle en matière de politique de développement et de solidarité internationale. Le groupe RRDP se félicite de ce qu’en partenariat avec l’association Cités Unies France, ce texte permette une « cohabitation » entre l’État et les collectivités territoriales.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, le groupe RRDP apportera son soutien à ce texte important. Parmi les dix secteurs d’intervention, j’en citerai trois qui me paraissent particulièrement essentiels. Tout d’abord celui de l’action en faveur de la santé et de la protection sociale, telle que définie par les alinéas 39 et 42. Ensuite celui de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Rappelons-nous ce que disait Confucius : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. L’aide de la France doit porter sur le développement d’une agriculture responsable et aboutir à une autonomie agricole pérenne des pays aidés. Le fait que le projet de loi mette l’accent sur la notion de développement durable est, par conséquent, un point extrêmement positif.
Enfin, le dernier secteur d’intervention est celui de l’éducation et de la formation dispensées aux populations des pays bénéficiaires. Il s’agit certainement d’un des points les plus importants car, au-delà de l’urgence, l’aide de la France doit permettre à la jeunesse des pays les plus pauvres de se persuader qu’elle a son avenir entre ses mains. Un système éducatif qui garantit l’accès au savoir et à la formation est le premier gage d’une réelle capacité à déterminer les conditions et les modalités de son développement. Les peuples trouvent là les possibilités de relever eux-mêmes l’ensemble des défis économiques, sociaux, sociétaux et politiques qui se posent à eux. Si les travaux en commission ont permis d’inscrire dans le texte que l’aide de la France en matière d’éducation se fera également en direction des filles, il reste que les membres du groupe estiment que la notion d’éducation doit apparaître dès l’article 1er du projet de loi. Nous avons donc déposé un amendement qui place l’éducation au premier rang des objectifs de la politique de développement et de solidarité internationale de la France, et comptons sur votre appui pour le faire aboutir, monsieur le ministre.
Les députés radicaux de gauche et apparentés sont donc à vos côtés, monsieur le ministre, et les amendements que nous déposons n’ont d’autre dessein que de concourir à l’amélioration du texte. La grandeur de la France est comme sa réputation : elle vit et respire sur les lèvres de tous les peuples qui font partie de l’espace francophone. Elle se mesure aux actions que nous menons dans l’esprit des lumières, dans la générosité et la solidarité.
Pour conclure, je ferai une fois de plus référence au poète de Château-Thierry, Jean de La Fontaine, qui dit, dans la fable L’Âne et le chien, « Il se faut entraider, c’est la loi de nature ». Ce projet de loi nous rappelle à ce qui est notre devoir et je vous remercie, monsieur le ministre, de votre volonté de promouvoir l’idée d’entraide. Elle nous permet d’avoir, dans cet hémicycle, une pensée pour les 1,3 milliard d’habitants qui vivent avec moins d’un euro par jour.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRCécologiste.
Ce projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale poursuit une ambition légitime. Je pense que, malgré la crise et les appels au repli nationaliste et chauvin, les citoyens français demeurent, pour la plupart d’entre eux, attentifs à la solidarité et au respect des droits humains, ici et ailleurs dans le monde.
La démarche à l’origine de ce projet de loi constitue une novation. C’est, en effet, la première fois en France que les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale sont inscrites dans un texte législatif. Cet acte inédit manifeste une volonté de donner un cadre pérenne à cette politique. Le texte a fait l’objet d’un processus de concertation avec divers acteurs français du développement et de la solidarité internationale : des élus nationaux, locaux et européens, mais aussi des représentants des ONG, des syndicats de salariés et d’employeurs, des établissements de recherche et d’enseignement supérieur, des entreprises et des fondations et enfin des représentants des administrations.
Au-delà de cette méthode louable, le texte lui-même s’imposait, tant la France affiche traditionnellement son ambition internationale sans s’en donner toujours les moyens. Je rappelle que notre pays ne respecte pas les engagements qu’il a pris sur le volume de l’aide au développement et que la crise sert de nouveau prétexte à ce manque de solidarité. Je rappelle aussi que le budget pour 2014 de la mission « Action extérieure de l’État » a été affecté par une baisse de crédits de 20 millions d’euros, affaiblissant notre diplomatie.
Cette loi s’imposait, enfin, pour combler le déficit de lisibilité de notre politique d’aide au développement, qui nuit à sa crédibilité, d’autant que les circuits officiels sont traditionnellement concurrencés par des circuits moins avouables et honorables. Il faut le reconnaître, la politique de développement et de solidarité internationale a parfois tenté de masquer des pratiques dignes du néocolonialisme, symbolisées par la Françafrique !
Les problèmes de gouvernance n’étaient pas les seuls à rendre ce texte nécessaire : nous devions également disposer d’un cadre législatif pour adapter notre politique de développement aux nouvelles réalités, qui structurent un monde multipolaire profondément inégalitaire, où les différences entre les plus riches et les plus pauvres ne cessent de se creuser. Un milliard et demi de personnes continuent de vivre avec moins d’un dollar par jour, et les 85 personnes les plus riches du monde possèdent autant que 3,5 milliards de pauvres sur la planète ! Un monde, disais-je, régi par les dogmes du néolibéralisme et meurtri par ses agents : les banques, les multinationales, le FMI et ses plans d’ajustement structurels, mais aussi les États qui ont décidé de s’y soumettre. La crise financière internationale a eu le mérite de prouver cruellement la fiction de l’autorégulation des marchés. Nous avons besoin d’une autre mondialisation, au service des peuples, pour tenter d’apporter des solutions à des problèmes transnationaux tels que le changement climatique ou les épidémies.
Dans ce contexte, la loi d’orientation et de programmation va dans le bon sens, même si l’impulsion demeure modeste. Nous souscrivons à la promotion des principes et valeurs du développement durable : la promotion de la paix, de la stabilité, des droits de l’homme et de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’équité, la justice sociale et le développement humain et, enfin, un développement économique durable et riche en emplois. Les priorités données aux pays les plus pauvres, bénéficiaires prioritaires de l’aide publique française au développement – je pense en particulier aux pays de l’Afrique subsaharienne et de la rive sud de la Méditerranée – sont tout à fait justifiées.
Jusqu’à présent, notre pays a préféré soutenir des pays en fort développement comme la Chine ou la Turquie, pour stimuler les exportations des grandes entreprises françaises, plutôt que d’aider les populations les plus déshéritées.
Le Mali a été l’un des parents pauvres de l’aide au développement. En 2012, l’AFD n’avait accordé que 167 millions d’euros d’aides aux 14 pays du Sahel, une somme dérisoire au regard des 1,2 milliard d’euros versés par l’Agence à l’État.
L’identification des domaines d’action s’avère également fondée. Une logique d’inspiration humaniste doit nous amener à nous concentrer sur l’éradication de la pauvreté au travers de la lutte contre la faim par la consolidation de l’agriculture vivrière et familiale et le renforcement des actions en matière de santé, de protection sociale et d’éducation. Nous partageons l’idée selon laquelle l’égalité entre les hommes et les femmes est l’une des valeurs que la politique de développement et de solidarité internationale doit contribuer à promouvoir. Nous sommes néanmoins plus circonspects quant à l’attention portée au secteur privé et au secteur financier. Cela ne doit pas être la porte ouverte à ce que les multinationales pillent davantage encore les ressources et la main-d’oeuvre des pays du Sud pour engranger encore plus de profits.
Plus largement, le texte présente un certain nombre de lacunes qu’il convient de souligner. Je regrette que le gouvernement français souffle le chaud et le froid sur le projet européen de taxation des transactions financières. Depuis un an, le chantier est à l’arrêt et, par différentes voix, la France semble vouloir le vider de son contenu en limitant les opérations visées et le taux envisagé. Des sommes considérables pourraient pourtant être dégagées pour aider le développement. Le projet de loi ne dit rien, ou presque, sur un point souvent soulevé dans les audits de l’aide française : le manque de clarté dans la répartition des rôles entre les principaux ministères concernés, en particulier le ministère des affaires étrangères et Bercy. Au-delà des relations intra-étatiques, des clarifications méritent d’être apportée sur les modalités de coopération de la France avec les organisations internationales et européennes.
La question s’impose, puisque la coopération dans les pays pauvres et dans les secteurs du développement humain passe essentiellement par les canaux européens et multilatéraux. L’effectivité et la crédibilité de ce dispositif sont remises en question en raison de l’absence de programmation budgétaire, qui concrétiserait les engagements politiques annoncés. Certes, la loi d’orientation et de programmation reconnaît la nécessité de sortir de la logique du guichet et de s’inscrire dans la durée, dans une démarche contractuelle. Cependant, l’exercice trouve rapidement ses limites.
Les montants alloués par la France sont de plus en plus modestes et permettent, au mieux, une présence symbolique. Dans de nombreuses circonstances, elle ne siège pas à la table des grands donateurs où se discutent les politiques d’aide aux pays pauvres et fragiles et où se gèrent les montants représentant environ 10 % de leurs PIB. L’absence de précisions sur les ressources publiques retire tout aspect de programmation au présent texte loi, en dépit de son intitulé. Il y a quarante ans, la France prenait l’engagement devant l’ONU de consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide publique au développement. Cette promesse n’est toujours pas tenue, loin de là puisque notre effort a récemment baissé autour de 0,46 %. Et l’aide est, en réalité, d’un montant bien inférieur encore si l’on retranche certains artifices comptables et des prêts supérieurs aux dons.
La France a évidemment un rôle international très important à jouer, mais il faudrait sanctuariser les moyens pour donner de la crédibilité à son action. Enfin, le projet de loi n’insiste probablement pas assez sur la nécessité de mettre en avant l’intérêt mutuel à coopérer. L’aide au développement n’est pas une démarche caritative, mais de solidarité et de réparation face à un capitalisme financier qui génère de profondes inégalités entre les peuples et au sein des peuples. Notre politique en la matière doit viser à l’envol des pays pauvres, à leur développement propre, et non à les maintenir sous une quelconque tutelle économique ou politique.
Les quelques critiques que je viens d’exposer au nom du groupe GDR me semblent fondées et méritent d’être entendues par le Gouvernement afin d’améliorer encore ce dispositif de bon aloi, auquel les députés du Front de gauche adhèrent. Nous voterons en faveur de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRCécologiste.
Nous tenons ici pour la première fois un débat de fond sur les objectifs, l’organisation et les modalités de mise en oeuvre de l’aide publique au développement. Le groupe socialiste, républicain et citoyen s’en réjouit et félicite le Gouvernement, et vous en particulier, monsieur le ministre, d’avoir pris cette initiative. C’est un texte fondateur qui sera suivi de phases d’évaluation impliquant non seulement les parlementaires membres des instances de concertation mais aussi notre assemblée tout entière, de manière régulière, tous les deux ans, sur la base d’un rapport gouvernemental. Il s’agit d’un progrès incontestable dans l’effort de transparence et de recherche d’efficacité.
Certes, il s’agit d’un texte plus d’orientation que de programmation, qui ne permet pas pour l’instant de définir un parcours de renforcement des moyens financiers. La situation financière et l’exercice budgétaire annuel rendent de fait l’exercice impossible. C’est la raison pour laquelle notre groupe a souhaité rappeler en commission, par des amendements, que les interventions françaises s’inscrivent toujours dans le cadre du consensus de Monterrey, adopté par les Nations unies en 2002, qui fixe l’objectif global de consacrer 0,7 % du produit national brut à l’aide publique au développement et d’en affecter 0,2 % aux pays les moins avancés.
De notre point de vue, d’autres travaux devront se poursuivre sur ce que vous appelez les financements innovants. Ce travail engagé à l’échelon français et européen est indispensable. Par ailleurs, la réduction des moyens budgétaires publics doit nous amener à rechercher toujours plus l’efficacité et les effets de leviers dans chacune de nos interventions, ce qui justifie l’affirmation de priorités transversales, sectorielles et géographiques.
Bien entendu, les aides d’urgence, les dons aux pays les plus pauvres qui ne peuvent plus emprunter, sont indispensables. À cet égard, nous avons fait part de nos interrogations sur la faiblesse des sommes disponibles pour les dons et sur la réaffectation des produits nets résultant des prêts octroyés par l’AFD. Chacun voit bien que la lutte contre les maladies de l’extrême pauvreté, la sous-nutrition et les épidémies doit rester au premier rang de nos interventions, multilatérales comme bilatérales. Le soutien renforcé aux ONG y concourt.
Mais il s’agit aussi de mieux répondre à la demande croissante des pays les plus pauvres, qui aspirent à sortir des politiques d’aide pour évoluer plus rapidement vers la création d’entreprises et des circuits économiques susceptibles de créer une dynamique locale. Nous pouvons aller plus loin dans le soutien aux initiatives économiques, à la création et au développement d’entreprises. Les collectivités territoriales, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les organismes consulaires entre autres sont mobilisables pour leur expertise, pour leur savoir-faire, pour le renforcement d’outils et d’apports en fonds propres par exemple dans des entreprises naissantes. Aussi ce texte est-il l’occasion de renforcer les passerelles entre politique de développement et économie solidaire, aspiration des pays pauvres à l’autonomie et volonté de parvenir à des échanges économiques justes.
L’éducation de base, la formation tout au long de la vie, la formation professionnelle des femmes comme des hommes doivent permettre l’innovation technique et technologique dans les pays pauvres. La présentation qui nous a été faite, avec vous, monsieur le ministre, de dizaines d’initiatives lors du sommet africain à Paris en décembre dernier illustre parfaitement ces capacités d’innovations multiples et cet esprit d’entreprise.
Nous avons aussi insisté dans nos débats en commission sur le nécessaire renforcement des capacités des États, et tout particulièrement sur l’importance de les aider à bâtir des systèmes fiscaux adaptés à leur situation et à leurs objectifs.
Clarté des objectifs et des priorités, transparence des actions conduites, cohérence des politiques publiques pour réduire les contradictions encore très présentes, évaluation partagée : tels sont les fils conducteurs de ce que nous produisons ensemble pour améliorer l’efficacité de nos interventions.
Nos travaux nous ont également permis de nous engager dans la voie de l’exigence et de la progressivité dans l’effort, en matière de responsabilité sociale et environnementale des acteurs publics et privés. Il s’agit, entre autres choses, de lutter contre l’opacité financière et les flux illicites de capitaux.
Il reste à mes yeux, et cela a été évoqué à plusieurs reprises, à travailler à un continuum plus explicite entre les aides d’urgence apportées à des crises de nature très diverse, puis les phases de reconstruction et de développement et enfin l’amorçage de partenariats économiques s’inscrivant dans des échanges justes et durables. Tout cela exige des coordinations accrues entre l’ensemble des acteurs pour définir des stratégies à moyen et à long terme et, sur les terrains d’intervention, des plateformes de pilotage renforcées, légitimées par tous.
Bien entendu, notre groupe soutient avec conviction ce texte, peut-être amendé ici ou là au fil de nos débats.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
L’aide au développement est l’une des responsabilités historiques de la France. Vous nous proposez aujourd’hui de la revisiter et de fixer, dans une loi d’orientation et de programmation, ses nouvelles lignes directrices. Je veux saluer ici l’esprit de concertation qui a prévalu dans le cadre des assises nationales du développement, auxquelles j’ai moi-même participé.
Oui, il fallait revisiter la politique d’aide au développement de notre pays. Bien des évolutions l’exigeaient : la multiplication des pays émergents et des rapports qu’ils entretiennent avec les pays les plus pauvres ; les nouveaux défis que posent le réchauffement de la terre, la lutte contre l’extrême pauvreté et la malnutrition, pour ne citer que ceux-là ; l’évolution politique de nombre de pays en quête de démocratie ; la consolidation de nouveaux acteurs de coopération dans notre pays, au premier rang desquels les collectivités locales.
Tous ces facteurs conduisent en effet à redéfinir et à faire connaître les nouvelles priorités d’intervention de notre pays, du point de vue des pays bénéficiaires comme des thématiques prioritaires, de l’articulation entre le bilatéral et le multilatéral, des modes opératoires et, enfin, de l’articulation entre les différents opérateurs.
Tout cela cependant demeure vain si l’on n’exprime pas clairement une volonté budgétaire. Je ne peux donc que regretter, monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues, que vous ne vouliez pas vous engager à atteindre le plus rapidement possible l’objectif des Nations unies consistant à consacrer 0,7 % du PNB à l’aide au développement. Plus d’aide au développement maintenant, c’est moins d’aide au développement demain, c’est moins de souffrances, moins d’atteintes à l’environnement, plus de démocratie, plus de paix rapidement.
Certes, vous encouragez les financements nouveaux et innovants. À cet égard, si je salue l’affectation exclusive de la taxe sur les billets d’avion, créée par Jacques Chirac, à la lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida, je ne peux que dénoncer le fait qu’une partie de la taxe sur les transactions bancaires soit affectée au simple équilibre du budget de votre ministère. En effet, ces nouvelles recettes pourraient être efficacement dédiées aux grandes causes, telles la couverture sociale universelle, pour ne parler que de cela. L’esprit de cette taxe est détourné. Comment, dans ces conditions, rendre ces contributions acceptables par les Français ?
Votre projet de loi affiche deux priorités transversales et définit dix secteurs d’intervention, dont le développement territorial. Mais il semble ignorer que l’émergence d’autorités locales efficaces, associant les populations à leur gestion et au financement des services offerts, est reconnue par la communauté internationale comme le facteur principal de réussite des politiques de développement, particulièrement dans certains domaines d’intervention sectoriels comme la santé, l’agriculture, l’éducation et l’information, l’environnement et l’énergie, et l’accès aux services de base.
D’un côté, la France revendique et assume le fait d’être pilote pour la mise en oeuvre des lignes directrices internationales pour la décentralisation et l’accès aux services de base. De l’autre côté, l’on semble reléguer le renforcement de la décentralisation et la mise en capacité des collectivités locales des pays en développement au rang d’un outil parmi d’autres. Il devrait pourtant être au centre de la politique des prochaines années.
De même, vous renforcez la capacité des collectivités locales françaises dans le domaine de la coopération décentralisée, tout en donnant l’impression de les reléguer à un rôle d’échange d’expériences et d’expertises. Pourtant, vous le savez, leur vraie plus-value consiste à placer ces potentialités au service de projets partenariaux de développement qu’elles cofinancent. Des évolutions récentes ont d’ailleurs permis aux collectivités locales françaises de dégager de nouvelles sources de financement avec des dispositions leur permettant d’affecter une partie de leur budget consacré à l’eau ou à l’énergie à des projets de développement. Pourquoi ne pas étendre ces dispositions à leur budget consacré aux déchets ou aux transports ?
L’implication de la société civile par ces réseaux d’ONG est au coeur de votre loi et joue déjà un rôle substantiel. Il conviendrait cependant de s’assurer que cela ne conduira pas à un éparpillement de l’aide au développement. Il faudra aussi veiller à ce que l’ensemble de ces ONG ne deviennent pas progressivement, à l’instar de certaines d’entre elles, de simples groupes de pression ou des bureaux d’études ordinaires.
Enfin, l’implication des populations immigrées résidant dans notre pays dans l’aide au développement est primordiale, d’une part en raison de l’importance de l’épargne qu’elles consacrent à leurs proches et aussi, de plus en plus, aux cofinancements des projets de développement portés par les collectivités locales de leur pays d’origine ; d’autre part par leur implication et leur expertise, puisque ces migrants sont souvent qualifiés. Cela nécessite que leur mobilité et leur implication soient facilitées.
Enfin, la rareté des moyens budgétaires et la nécessité de leur utilisation efficace exigent de pousser encore plus loin la réduction des coûts de fonctionnement des opérateurs de l’aide au développement en étudiant la poursuite de leur regroupement.
Monsieur le ministre, il fallait revisiter et actualiser la politique française de l’aide au développement et je vous félicite d’avoir assumé cette responsabilité. Mais votre loi compte trop de considérations générales qui concourent certes à une ambition mais qui auraient pu être avantageusement complétées par des inflexions et des engagements concrets tels que je les ai évoqués.
Le texte dont nous allons débattre constitue à mon sens une rupture. C’est tout simplement, vous l’avez dit, monsieur le ministre, le premier projet de loi de la Ve République consacré à la politique de développement et de solidarité internationale. J’ai bien entendu les appréciations favorables auxquelles il a donné lieu, sur tous les bancs, depuis le début de notre discussion ; certaines ne manqueront pas de surprendre. Il nous aura en effet fallu attendre soixante ans – soixante ans ! – après la décolonisation pour que ce l’on appelait pudiquement la politique de coopération, notamment vis-à-vis des pays africains, ne soit plus le privilège exclusif et discrétionnaire du président de la République, ou plutôt, devrais-je dire, le domaine réservé exclusif du monarque-président.
Fini, le temps de la Françafrique, fini, le temps du néocolonialisme, le temps des réseaux obscurs et d’une certaine opacité financière. Fini, le temps pas si lointain où un secrétaire général de l’Élysée, marchand de tableaux à ses heures perdues, distribuait les aides et les prêts à convenance, aux amis et pas aux autres. Fini, le temps où, sans même consulter le Parlement, l’exécutif décidait seul de la politique de la France dans les pays dits du « champ ». J’ai le sentiment que, depuis dix-huit mois, notamment sur cette question, les temps ont radicalement changé.
Ce projet de loi est une vraie et forte avancée démocratique. C’était aussi, il faut le rappeler, un engagement de la gauche, pris là aussi de longue date – plus de trente ans : notre majorité va le mettre en oeuvre.
La France, qui fournit 10 % de l’aide publique mondiale et constitue le quatrième donateur de la planète avec près de dix milliards d’euros par an, assume une responsabilité particulière, assortie d’un devoir d’exemplarité. Nous devions urgemment non seulement redéfinir notre politique sans équivoque, avec l’ensemble des acteurs du développement, mais aussi soumettre ces orientations à la représentation nationale, qui, ainsi, arbitrera le cadre de nos interventions et ses contreparties. Nous devons, parallèlement – c’est le minimum, lorsqu’il s’agit d’argent public – exiger la transparence, la traçabilité, la responsabilité sociale, environnementale et fiscale, contrôler la bonne destination et le bon usage des aides allouées, lutter contre la corruption et établir une liste de pays prioritaires et de domaines d’intervention.
Ce texte comporte à mon sens des avancées majeures, que vous avez rappelées, monsieur le ministre : je n’y reviendrai pas. Je concentrerai mon propos sur quatre points, à mes yeux essentiels, que la commission des affaires étrangères a souhaité introduire dans le rapport annexé ; nous aurons assurément l’occasion d’en débattre d’ici quelques minutes.
Tout d’abord, et bien que nous ne soyons pas dans une discussion budgétaire, je veux dire que, s’agissant des engagements financiers, depuis 1970 et plus récemment avec le consensus de Monterrey, les pays les plus riches se sont engagés à affecter 0,7 % de leur produit national brut à l’aide publique au développement. Or, la France n’y consacre que 0,47 %. Afficher l’objectif de 0,7 % dans un texte d’orientation et de programmation fixe une exigence et engage. Il nous semble important d’assumer explicitement et collectivement cette ambition.
Le pendant de cet objectif est la question des indicateurs. L’usage d’un indicateur non pertinent contribue, in fine, à fausser les politiques d’aide des pays donateurs.
La France doit être aux avant-postes et élaborer, au sein de l’OCDE, une définition plus restrictive de la notion d’aide publique au développement. La sincérité commanderait que nous soustrayions du montant de nos aides les frais de scolarité, l’aide aux réfugiés ou encore les annulations de dettes.
Par ailleurs, les pays de l’Afrique subsaharienne demeurent la priorité de la France : ils concentrent 85 % de son effort financier. Dans le contexte que nous connaissons, notamment au Mali ou en République centrafricaine, cette priorisation de l’aide est indispensable. Nous devons cependant veiller à différencier clairement nos interventions, pour les rendre encore plus efficaces. Aux pays stables et en croissance : les prêts ; aux pays les plus en difficulté, c’est à dire les plus pauvres, des dons ou des subventions, voire les deux.
Enfin, il nous semble essentiel que l’Agence française de développement puisse être mieux évaluée. Aujourd’hui, l’AFD prête à de nombreux pays : nous ne devons pas nous interdire de réfléchir à l’affectation du produit de ces prêts au soutien de notre politique bilatérale de dons.
Derrière les grands principes, ce sont des destins particuliers et l’avenir d’États qui se jouent. C’est l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau, c’est la lutte contre la mortalité infantile, c’est la promotion de l’égalité femme-homme. Tout cela mérite bien que nous prenions quelques heures pour en débattre collectivement.
Ce texte ne doit pas rester au niveau de l’intention, fût-elle louable. Nous devons ensemble, sur tous les bancs de cette Assemblée, nous saisir de cette belle opportunité. Souvenons-nous que l’aide au développement est notre dette historique ainsi que notre honneur de grande puissance, consciente du message d’égalité que porte notre histoire.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, enfin un projet de loi d’orientation sur l’aide au développement, un projet de loi permettant transparence, traçabilité et contrôle démocratique. C’est important car nous savons tous combien les politiques internationales de développement restent – malheureusement – utiles et primordiales à l’heure où 1,3 milliard d’êtres humains vivent encore avec moins d’un euro par jour.
Rappelons-le : la solidarité internationale est là pour pallier les carences du marché mondialisé, dont profitent des pays développés comme le nôtre. La bataille est cependant loin d’être gagnée : le rapport des Nations unies sur les objectifs du millénaire met en lumière de grandes carences. En Afrique subsaharienne, aucun des huit objectifs ne sera atteint d’ici à 2015. À rebours de la tendance mondiale, le fait que le montant de l’APD française pour 2014 soit en hausse est un signe encourageant.
Il faudra tout de même veiller, d’une part, à la bonne réalisation de ces prévisions dont je rappelle qu’elles ont été revues à la baisse pour les deux exercices budgétaires précédents. D’autre part, nous devons promouvoir une définition plus stricte de la notion d’APD et la conception d’un indicateur mesurant précisément l’effort budgétaire consenti. C’est un point important qui a fait l’objet de longs débats en commission.
Nous savons pertinemment que l’usage d’un indicateur biaisé contribue à fausser l’appréciation des politiques de coopération, notamment parce que les chiffres sont artificiellement gonflés par un certain nombre d’éléments qui ne devraient pas faire partie du calcul. Je pense, par exemple, à l’aide aux réfugiés ou à l’annulation de dettes. Je pense aussi, et nous devrons nous interroger sérieusement ce soir sur ce point, à la légitimité de l’intégration dans l’APD du financement d’actions dans les outre-mer, qui s’élève à 1,5 milliard d’euros. Ce sont tout de même des compatriotes !
Monsieur le ministre, votre projet de loi engage de profonds changements, et c’est heureux. Mais le Parlement ne serait pas le Parlement s’il n’était pas là pour apporter sa pierre à l’édifice. Les débats ont été intenses en commission, et je ne doute pas qu’ils le seront encore aujourd’hui.
Dans la même veine que l’excellent rapport Bacquet-Ameline, nous sommes nombreux à penser que la France doit assumer des orientations politiques et des objectifs clairs. Ne soyons pas naïfs, aucune politique d’aide ne trouve son fondement dans des motivations uniquement compassionnelles. Cela ne veut pas dire que ce facteur ne tienne pas une place centrale, et je l’ai déjà rappelé. Mais nous ne gagnons rien à refuser d’exposer nos ambitions à l’aune de nos intérêts. Au contraire, nous perdons en lisibilité, et donc en compréhension, vis-à-vis de nos concitoyens et de nos partenaires.
Notre politique internationale de développement est l’incarnation d’une vision. Qui le niera ? Oui, nous avons des intérêts stratégiques, ceux d’aujourd’hui et ceux que nous préparons pour demain. Oui, nous avons une histoire longue et complexe avec de nombreuses parties du monde, des liens forts, des relations à construire, parfois même à reconstruire. Bien sûr, nous devons privilégier la gestion de crise et le développement dans notre environnement immédiat, à nos frontières, dans le bassin méditerranéen et au Sahel. Affirmer cela, ce n’est pas faire preuve d’un quelconque égoïsme, c’est faire montre d’honnêteté sans rien obérer de la dimension humaine de notre action, comme la plupart des grands États donateurs le fait déjà. C’est pourquoi nous sommes nombreux à souhaiter un rééquilibrage entre bilatéralisme et multilatéralisme.
Il est difficile d’opérer un tel processus, pour des raisons qui tiennent tant au contexte budgétaire qu’aux engagements pluriannuels qui nous lient, et nous le savons très bien. Mais c’est précisément le rôle d’un tel projet de loi que de fixer un horizon et des objectifs. La France a, au regard du niveau de son aide et de son implication, tous les atouts pour figurer parmi les leaders de l’APD mondiale.
Cessons donc de gaspiller nos ressources dans de petites actions sans impact ni visibilité.
Bien sûr, nous n’ignorons pas le rôle prépondérant des mécanismes multilatéraux, souvent efficaces pour traiter des problématiques transversales. Nous parlons simplement de recentrage, de rééquilibrage, de complémentarité. Dans cette logique de rationalisation, affirmons alors quelques principes directeurs : définir des lignes de conduite dans la répartition des crédits envers les partenaires et les associations de développement ; éviter le saupoudrage ; se concentrer sur les pays pauvres et définir des priorités précises sur la liste des PMA ; revoir en profondeur notre politique de choix d’instruments. Il faut distinguer, comme vient de le dire Philippe Baumel, l’utilité du recours aux prêts pour les pays solvables du recours aux dons pour les pays fragiles qui n’ont pas les capacités pour accéder aux prêts.
Enfin, nous devons mettre sur la table la possibilité que le produit perçu des prêts alloués par nos opérateurs APD soit reversé directement à la politique de développement, au lieu qu’il abonde, comme c’est le cas actuellement, le budget général de l’État. Partant, il serait judicieux que ces recettes bénéficient prioritairement à la politique de dons dans le cadre de l’aide bilatérale.
La commission des affaires étrangères a fait sienne la proposition de notre collègue Bacquet qui vise à encourager une telle pratique. Je crois que c’est une demande raisonnable. Si ce n’est pas maintenant, cela se fera au moment du contrat d’objectifs et de moyens de l’Agence française de développement.
Et ne doutez pas de nos motivations. Donner, ce n’est pas un acte unique et sans lendemain ; c’est un lien qui construit, un lien d’amitié, un lien de solidarité, un lien d’humanité. Il est encore plus fort dans les temps d’effort et de disette budgétaire. C’est aussi cela le message de la France, le message de ce projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, et que nous approuverons.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, j’ai écouté avec attention l’exposé de M. Bui et j’avoue que j’y souscris à 99 %, à l’exception de sa dernière phrase, qui constitue à mon avis une critique de ce projet de loi…
Ce texte vise à définir les objectifs et les principes de la politique de la France en matière de développement. Je me félicite que le Parlement puisse être saisi de ce sujet important.
Pour élaborer ce texte, les Assises du développement et de la solidarité internationale ont été réunis de novembre 2012 à mars 2013, engageant ainsi une concertation entre les acteurs du secteur. Permettez-moi de saluer cet effort, qui demeure malheureusement le seul intérêt de ce texte.
En effet, mon enthousiasme ici n’est que de courte durée, puisqu’en réalité la montagne a accouché d’une souris. Avec le présent texte, le Gouvernement entend graver dans la loi les grandes orientations de la politique française en matière de développement et de solidarité internationale. Cette future loi d’orientation doit notamment être une réponse aux observations de la Cour des comptes qui constatait dans un rapport de juin 2012 une organisation de notre système d’aide publique au développement « mal articulée ».
Ces aides transitent aujourd’hui par de multiples biais. Il peut s’agir d’aides directes à un pays partenaire, d’aides mises en oeuvre par la Commission européenne ou encore d’aides de programmes internationaux. Cette multitude d’opérateurs constitue autant d’éléments nuisibles à la cohérence de notre politique d’aide au développement. Il n’en reste pas moins que ce texte ne règle en rien ce problème.
Ce projet de loi n’est qu’une simple déclaration de principe : lutte contre la pauvreté et le changement climatique, préservation de la planète, promotion des valeurs de la démocratie et de l’État de droit, des droits de l’homme, etc. Bref, le vocabulaire est joli et consensuel, mais qu’y a-t-il réellement derrière ? Ce texte est dénué de caractère normatif et n’aura donc aucune portée concrète. Au mieux, c’est un catalogue de bonnes intentions, une liste à la Prévert. Pourtant, des mesures étaient attendues. Lors de son audition par la commission des affaires étrangères, M. Serge Michailof avait d’ailleurs insisté sur l’articulation entre l’aide bilatérale et multilatérale aux pays en développement. Or, il n’y a rien sur ce sujet. De nombreux travaux d’évaluation de la Cour des comptes ou du cabinet Ernst
Vous êtes trop aimable !
Mais cela n’exclut pas que l’on puisse apporter des améliorations.
L’’éparpillement des opérateurs de la coopération technique internationale nuit, je l’ai déjà dit, à la cohérence de l’action extérieure de la France, mais aussi à son efficacité en termes d’influence et d’impacts économiques pour nos entreprises. Il manque en France une véritable stratégie politique de coopération technique internationale. Or l’impératif aurait été de regrouper, à coût constant, les opérateurs dans une seule et unique agence et de remonter la stratégie de coopération internationale au plus haut niveau politique. À cet effet, un amendement a été déposé, vous demandant d’examiner la faisabilité et les alternatives d’un regroupement de tous les opérateurs de l’expertise internationale au sein d’une agence française de coopération internationale. Votre Gouvernement ferait preuve d’une grande sagesse en acceptant cet amendement dont les conclusions pourraient permettre de véritables avancées.
Par ailleurs, puisque je note que la rénovation de la politique de développement doit s’appuyer notamment sur une redéfinition des priorités géographiques et sectorielles, j’en profiterai pour appeler votre attention sur les aides accordées à certains pays qui nous sont chers historiquement : Laos, Cambodge et Vietnam. 85 % des aides sont destinées à l’Afrique subsaharienne. Certes, cette région du monde est nécessiteuse, mais peu d’aides sont allouées aux trois pays que je viens de citer. Le Président de la République et son Gouvernement affichent pourtant, à juste titre, la volonté d’asseoir une présence forte dans cette zone, où se sont rendus les plus hauts responsables de l’État. C’était un bon signe, mais s’il avait été suivi d’effet, cela aurait été plus concret pour les responsables politiques de ces pays.
Enfin, je souhaite profiter de ce débat pour tirer la sonnette d’alarme sur le Fonds de Solidarité Sida qui sera, pour les trois ans à venir, abondé par la France à hauteur de 1,08 milliard d’euros. La France est, je le rappelle, le deuxième contributeur à ce fonds derrière les États-Unis. De toute évidence, si la France souhaite se doter d’une véritable stratégie politique de coopération et d’un dispositif efficace de sa mise en oeuvre, ces questions devront être abordées tôt ou tard. Certes, ce fonds est généreusement approvisionné, mais la lutte contre le sida ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la politique de développement.
Je crois, en effet, que ce qui caractérise les diplomaties occidentales dans leur ensemble depuis maintenant plusieurs années – à mon sens depuis la chute de l’URSS – est leur manque de vision globale, au profit de tactiques très fortement gouvernées par l’idéologie et la communication, et qui nous empêchent par moments d’agir avec le sens de l’intérêt à long terme de nos États et de nos concitoyens.
Pour conclure, au-delà du symbole je constate que ce texte est malheureusement vide de contenu. Je voterai donc à regret contre ce projet de loi dont l’ambition n’est pas à la hauteur de votre discours, monsieur le ministre.
Si, vous vous trompez, monsieur Mariani ! Et comme vous le trouvez creux, vous ne prendriez aucun risque en le votant !
Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui concrétise un engagement de campagne du Président de la République, celui de refonder notre politique de développement. Dès le début de son mandant, cette question a fait l’objet d’un traitement particulier, en concertation avec les acteurs de la société civile réunis lors des Assises du développement et de la solidarité internationale. Ce travail a permis quelques mois plus tard la tenue du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement qui n’avait pas été convoqué depuis plus de quatre ans. Une vaste réflexion a ainsi été engagée avec l’ensemble des acteurs concernés quant à l’avenir de nos engagements en matière de développement, donnant naissance à un texte dont l’objectif n’est autre que de refonder la politique de notre pays dans ce domaine.
Je ne peux que saluer l’initiative du Gouvernement d’inscrire le développement et la solidarité internationale dans le corpus législatif. Cette loi permettra, je l’espère, une meilleure appropriation des stratégies de développement par la représentation nationale. Notre politique de développement avait besoin d’être dépoussiérée. Nous n’avons eu de cesse, ces dernières années, au travers de plusieurs rapports parlementaires qui ont été évoqués ici, d’appeler de nos voeux cette rénovation. Le constat que nous faisions était largement partagé par les acteurs de l’APD. Ce projet répond à certains problèmes constatés.
Alors que nous avions critiqué la dilution de l’aide française, le projet redéfinit profondément nos priorités, tant sur le plan géographique, en la redéployant en direction des pays d’Afrique subsaharienne les plus pauvres, que sectoriel, en définissant dix pôles d’actions prioritaires. Alors que nous avions dénoncé l’intervention, sans logique d’ensemble, de multiples acteurs publics, la loi renforce la cohérence de l’ensemble des politiques menées en matière de développement et assure, je l’espère, une plus grande coordination entre les différents acteurs.
Alors que nous demandions à étendre notre contrôle sur les orientations d’une politique publique complexe et opaque, demeurée longtemps l’affaire de quelques spécialistes, ce projet permettra, en mettant en oeuvre une batterie d’outils et d’indicateurs, un réel contrôle démocratique.
Cette politique est particulièrement populaire auprès de nos concitoyens. Il était urgent de la reconsidérer afin de la rendre plus moderne, plus efficace, plus transparente. Mais toute réforme en la matière n’est pas aisée. La politique de développement international n’est pas une politique comme une autre, elle repose sur une certaine conception que nous avons de la place de la France dans le monde, de notre rôle et de nos valeurs.
C’est une politique hautement symbolique, tant elle renvoie à l’image que nous avons de nous-mêmes et à celle que nous renvoient les autres, à travers le monde.
Il faut savoir évoluer en fonction du contexte international, de nos ambitions, de nos priorités, en lien avec les engagements que nous avons pris au niveau international.
Ce projet est une base de travail qui synthétise des orientations et qui mérite peut-être des améliorations.
Je souhaite souligner les apports de ce texte dans un domaine qui m’est cher : celui de la santé. La santé est un droit humain essentiel, fondé sur des principes de non-discrimination, d’équité, de solidarité, de redevabilité, et pas simplement un bien public mondial. Dès lors, la France doit promouvoir, soutenir un accès universel effectif à des médicaments et à des soins de santé préventifs et curatifs, de qualité, accessibles à tous, au sens financier comme au plan géographique.
Cette loi inscrit la santé comme une priorité de l’action de notre pays dans le monde. Elle reconnaît expressément la santé comme étant l’un des principaux vecteurs de la lutte contre la pauvreté et un élément central du développement durable. Le texte se veut particulièrement ambitieux ; il appelle à une mobilisation globale et coordonnée de l’ensemble des acteurs.
Je retiens plusieurs éléments marquants, parmi lesquels la promotion de l’accès de tous à la protection sociale, marqueur du modèle social français. La promotion d’un socle de protection sociale, historiquement porté par notre pays au plan international, est indispensable pour garantir une croissance inclusive et une mondialisation juste.
Autre point essentiel, la loi réaffirme la priorité en matière de lutte contre les maladies de la pauvreté et les maladies négligées. Il est essentiel que dans ce domaine les efforts de recherche et développement soient concentrés sur les maladies de la pauvreté les plus graves en termes de mortalité et de morbidité, comme la tuberculose. Ces maladies touchent plusieurs milliards de personnes.
Enfin, il apparaît essentiel de réfléchir aux causes des inégalités face à la maladie. Les causes environnementales sont connues, mais que dire des déterminants sociaux ? En renforçant la capacité des États à agir sur ces déterminants, la politique de développement et de solidarité internationale de la France adopte une approche globale de la santé, du développement durable et de la lutte contre les inégalités.
Ce texte constitue une première historique. Son objectif demeure de consolider la place de notre pays comme contributeur mondial et nous devons en être fiers. J’espère que nous saurons nous rassembler par-delà les clivages partisans sur cette solidarité indispensable qu’est la solidarité internationale.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Je vous dirai d’emblée que je soutiens avec beaucoup de plaisir et de joie votre projet de loi qui me paraît excellent : il va dans le bon sens et nous souhaitions un tel texte depuis longtemps.
Je profiterai de l’occasion qui m’est donnée pour vous parler des moyens, qu’une démocratie comme la nôtre devrait renforcer.
Se pose d’abord le problème d’un certain manque de lisibilité de la politique étrangère du Gouvernement. Celle-ci est conduite par l’État, certes, mais sa lisibilité pâtit de ce que chaque ministère a sa propre politique étrangère. Je pense par exemple à ce que j’ai découvert en examinant le rôle joué, pour contrarier ce morcellement, par la délégation interministérielle à la Méditerranée.
Il y a aussi le nombre peut-être excessif des grandes organisations, comme l’AFD, qui ne sont pas toujours comprises à l’étranger. Leur nombre ne contribue pas non plus à la lisibilité pourtant indispensable à l’action de la France.
À côté de l’action du Gouvernement, il y a la faiblesse de notre diplomatie parlementaire. Là, vous n’y êtes pour rien. La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale accomplit un travail remarquable, sous l’excellente présidence de Mme Guigou, mais il me semble qu’au-delà de ses travaux, nous devrions pouvoir examiner la façon dont les États-Unis utilisent leurs parlementaires pour apporter avec souplesse une contribution singulière au rayonnement et à l’influence de ce pays.
Un exemple entre cent, sur le manque de possibilités d’action des parlementaires : le rapprochement souhaité par les présidents mexicain et français, pour réparer les dégâts causés dans nos relations par le président Sarkozy…
…ne peut être soutenu, hélas, par le Parlement français, parce que nous n’en avons pas les moyens. Nous restons donc cois, en une année où les présidents des deux pays se rendront visite réciproquement.
Il y a aussi la diplomatie participative, écho de la démocratie participative. Merci, monsieur le ministre, de reconnaître et de soutenir l’action des collectivités territoriales, mais une coordination et une analyse de leurs moyens, qui sont bien faibles, me semblent s’imposer pour savoir si on ne peut pas faire beaucoup plus pour des coopérations plus fortes.
Dans ces réunions entre élus locaux, on ne discute pas des problèmes qui fâchent – je pense à la Méditerranée –, on parle de questions qui concernent les pays des deux ou des trois côtés de la mer et de problèmes très concrets, au sujet desquels des politiques de paix et de coopération peuvent être utilement avancées, tandis que les diplomaties d’État semblent réduites à l’inaction – je pense bien sûr au problème de la Palestine, à celui de la Syrie et à tant d’autres !
Enfin, me semble-t-il, il y a la société civile elle-même et la jeunesse. Aujourd’hui, on le sent bien, la société civile souhaite jouer son rôle dans la démocratie participative, et aussi dans la diplomatie participative. En accord avec le Gouvernement bien sûr, mais en prenant toute sa place. Cela suppose que, dans toutes les politiques économiques, sociales et culturelles dans lesquelles notre pays excelle, des moyens soient donnés non à de grandes organisations, comme l’Union pour la Méditerranée, qui ne fonctionne pas très bien, c’est le moins qu’on puisse dire, mais à des outils de coopération : je pense à la formation professionnelle, à la santé, aux réseaux sociaux ou à l’économie sociale et solidaire.
Encore faut-il avoir dans le même temps une politique responsable, certes, mais peut-être plus fine, en matière de visas, de manière à encourager la mobilité des jeunes en formation, qu’il s’agisse de formation professionnelle ou d’études universitaires.
C’est parce que votre projet va dans le sens de ces remarques, qu’il renforce à travers la société civile, les parlementaires et les présidents des collectivités territoriales le rayonnement de la France, que je salue votre travail et vous apporte naturellement mon soutien.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Discussion générale
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Je vous rappelle que nous examinerons les dispositions de l’article 2 et le rapport annexé après l’amendement portant article additionnel après l’article 10.
Cet article nous permet donc, pour la première fois, de discuter des objectifs de la politique de développement et, également pour la première fois, de l’application de la stratégie genre et développement que vous avez validée, monsieur le ministre, le 31 juillet 2013.
L’approche « genre » part du constat que les inégalités entre les femmes et les hommes sont construites par les sociétés, je tiens à le rappeler. C’est ainsi qu’au moment de l’évaluation des objectifs du millénaire, nous avons constaté que ces inégalités-là sont celles qui ont le moins reculé. Ce sont 33 millions de filles qui ne vont pas à l’école, 800 femmes qui meurent chaque jour dans le monde en accouchant, une femme sur six qui est victime de violences – vous l’avez rappelé : le viol est devenu une arme de guerre. Ce sont 60 millions de filles qui sont mariées avant l’âge de quinze ans et 100 millions de femmes ou de filles qui sont victimes de mutilations.
Aussi, je me félicite que la France ait décidé de lutter contre ces inégalités dans toutes ses politiques et, en particulier, dans celle-ci, monsieur le ministre.
Votre projet de loi est en effet particulièrement bienvenu à l’approche de l’anniversaire des conférences du Caire et de Pékin qui avaient reconnu des droits en faveur des femmes, alors qu’aujourd’hui des forces réactionnaires tentent de revenir sur les avancées qui y avaient été formulées.
Aussi, les articles I et II rappellent que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes sont les leviers stratégiques essentiels pour prévoir le développement et que la promotion de l’égalité constitue une dimension transversale de votre et de notre politique, les femmes étant actrices du développement et de leur développement.
La commission a accepté, et j’en remercie M. le rapporteur, d’enrichir le texte sur un certain nombre de points.
Il faut absolument que 50 % des projets puissent tendre à l’égalité entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes, dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’économie.
Nous serons très attentifs à la cohérence de la France, tant lorsqu’elle s’exprime sur le plan international qu’à travers ses acteurs comme, par exemple, l’Agence française pour le développement, l’AFD.
C’est pourquoi, même dans un texte d’orientation, il faut prévoir des indicateurs précis et fiables. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, c’est un texte important qui nous est proposé là, une sorte de loi-cadre, sur un sujet qui associe développement économique et solidarité à l’échelle internationale.
C’est une rénovation, – oserai-je dire une refondation ? – de notre politique publique qui est tout de même très éclatée, tant sur le plan national qu’international où nombre d’institutions se préoccupent de développement avec des ambitions considérables, de l’ONU à la FAO, du PNUD à l’OMS, de l’ONUSIDA aux organisations concernant plus spécifiquement les femmes, j’y reviendrai, et à l’UNICEF s’agissant des enfants.
Mais nous avons également une politique publique avec l’AFD et l’APD, ainsi que nos services culturels dans les ambassades, les Services de coopération et d’action culturelle, les SCAC. Des ONG françaises ou d’obédience française s’intéressent aussi aux questions de nutrition, de faim, de santé, notamment en ce qui concerne les femmes et les enfants.
Par ailleurs, nous avons un dispositif de recherche scientifique de haut niveau dans les domaines de la nutrition et de l’agronomie, qui doit à mon avis être plus soutenu et mieux accompagné pour être plus efficace et plus performant dans un monde où, vous l’avez souligné, le multi- et le bi-latéral sont importants. Dans ce dernier domaine, l’expertise française est de qualité et doit être à la fois mise en évidence et refondée. Cela est essentiel et nécessaire dans un monde globalisé.
N’oublions pas, c’est un truisme, que nous vivons tous quelque part, et que des millions d’êtres humains vivent dans les pays les plus pauvres. Les politiques de décentralisation conduites par ces pays eux-mêmes, notamment ceux qui sont les moins avancés, sont des ferments d’un développement économique, comme ils l’ont été chez nous.
Les questions, en effet, sont les mêmes pour eux comme pour nous : réseaux sociaux, Internet, décentralisation, éducation, accès à la santé, territorialité. Comme nous, ils vivent dans un monde certes réel mais connecté au monde virtuel.
Ce texte est donc essentiel pour cela, dans les domaines multi- et bi-latéraux et il convient de refonder l’action de la science en ce sens.
Cela a été dit lors de la discussion générale : cet article pose les bases et les fondamentaux d’une nouvelle orientation qui sera déterminante pour l’image que la France renvoie – ma collègue Chantal Guittet l’a dit – mais, au-delà, pour organiser ou réorganiser et reformuler concrètement une politique de développement, celle qui est nécessaire afin de raffermir et consolider les liens qui unissent la France avec les pays les plus en difficulté ou en situation de décollage économique.
Nous avons sur notre radar, principalement, des pays africains, même s’ils ne sont pas les seuls à être concernés par la politique de développement.
Sans doute les débats nous éclaireront-ils, mais nous devrons signifier et réorganiser quelques priorités.
L’une d’entre elles, comme le précise le titre même de la loi, est de s’inscrire résolument dans une politique de solidarité internationale ce qui est évidemment essentiel dans toute une série de domaines – éducation, santé, infrastructures, aide au développement urbain maîtrisé – qui se traduiront ensuite par des axes de développement économique.
Je crois que nous devons aussi réfléchir à la manière de mieux faire comprendre à l’opinion publique française quel est notre intérêt, au-delà de l’empathie et de la générosité naturelles, à aider les autres peuples dans leur marche vers le développement. Dans nombre de pays confrontés au chaos, parfois à l’instabilité et donc aux déstabilisations de toutes sortes, il est en effet parfaitement dans notre intérêt d’organiser les conditions d’un développement durable et partagé.
En effet, nombre de ressources de ces pays sont souvent utiles à notre propre développement économique – notre action n’est qu’un légitime renvoi d’ascenseur – et, de surcroît, il en va de notre sécurité commune. De ce point de vue, l’une de nos priorités doit être la capacité de renforcer les possibilités d’action des États et, plus généralement, des puissances publiques.
Nous l’avons constaté lors des conflits récents et des tentatives de déstabilisations, la fragilité des États était telle, souvent, que leur effondrement nous a obligés à tout recommencer. Le fait de disposer d’une loi nous permet de pérenniser enfin des objectifs qui sont trop souvent établis de manière ad hoc.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
Nous en venons aux amendements à l’article premier.
La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement no 71 .
Très brièvement, conformément à l’esprit de ce texte et aux propos qui ont été tenus lors de la discussion générale, nous voulons favoriser « les modes de consommation et de production durables » et défendre donc ce que l’on appelle l’agriculture vivrière et paysanne, ce qui ne devrait pas soulever de problème particulier pour le Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur de la commission des affaires étrangères, pour donner l’avis de la commission.
Pour importante que soit la question soulevée, elle relève de mon point de vue davantage du rapport annexé, où elle est d’ailleurs amplement traitée. En outre, l’alinéa 2 pose un certain nombre de principes. C’est pourquoi la commission et moi-même formulons un avis défavorable.
La parole est à M. le ministre délégué chargé du développement, pour donner l’avis du Gouvernement.
Même avis pour les mêmes raisons, qui ne concernent bien évidemment pas le fond, le Gouvernement et moi-même étant particulièrement sensibles à ce sujet. Nous souhaitons simplement que cet article reste dédié à la formulation des grands principes.
En outre, je vous renvoie à l’alinéa 73 du rapport annexé qui couvre déjà le sujet que vous avez abordé.
Je vous invite à retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrai donc un avis défavorable à son adoption.
Nous ne le retirerons pas parce que nous préférerions que cela figure dans le corps du texte.
L’amendement no 71 n’est pas adopté.
Très brièvement, comme on souhaite d’ordinaire que la paix soit « durable », il nous paraît nécessaire de le préciser dans le corps de la loi.
Avis défavorable de la commission dès lors que cette mention n’apporte pas une précision extraordinaire et que ce sujet est déjà traité à l’alinéa 3 de l’article premier.
À titre personnel, toutefois, je n’y suis pas opposé.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse des députés. À vous de savoir si la notion de « paix durable » est plus significative que la « paix » tout court. J’entends l’argument de M. Mamère, mais j’entends aussi l’argument inverse selon lequel la première formule est moins expressive que la seconde.
L’amendement no 83 est adopté.
La parole est à M. Jean-Marie Tetart, pour soutenir l’amendement no 16 .
J’espère également bénéficier de la sagesse de l’Assemblée. La « promotion » des droits de l’homme me paraît trop faible par rapport à leur « respect », formulation qui me semble plus incitative et que je propose d’y substituer.
L’intention de notre collègue est certes louable, mais la clarification me paraît superflue dans la mesure où les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme sont rappelés à l’alinéa 4. Avis défavorable de la commission et du rapporteur.
Je vous remercie, monsieur Tetart, de ne pas avoir proposé un amendement de suppression de l’article, comme celui de M. Tardy qui n’a d’ailleurs pas été défendu.
Avis défavorable pour les mêmes raisons que celles exprimées par le rapporteur.
Ce n’est pas parce que cet amendement est proposé par un député de l’opposition qu’il faut s’y opposer.
Il me semble que la mention du « respect » des droits de l’homme est beaucoup plus forte et prescriptive que celle de leur « promotion ».
Nombre de dictateurs se sont engagés à promouvoir les droits de l’homme sans pour autant les respecter.
Même si cela figure dans les conventions internationales, il faut que ce soit aussi présent dans le corps de la loi.
L’amendement no 16 n’est pas adopté.
Au-delà de l’urgence incontestable de lutter contre la faim il existe, comme je l’ai dit dans la discussion générale, une seconde urgence qui n’apparaît pas dans cet article premier : celle de l’éducation. Nous souhaitons donc insérer ce terme après le mot « homme ».
Nous savons bien, en effet, que l’éducation est la clé de voûte de toutes les actions visant à faire respecter les droits.
Il paraît donc gênant de ne pas voir figurer le mot « éducation » dans l’article qui présente la loi, même s’il apparaît à d’autres endroits du texte. C’est par l’éducation que la jeunesse des pays les plus pauvres prendra conscience que son avenir est entre ses mains. Un système éducatif qui garantit l’accès au savoir et à la formation est le premier gage, pour un pays, d’une réelle capacité à déterminer les conditions de son développement. Sans éducation, il est difficile d’accéder au droit, comme à la santé. C’est pourquoi le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste tient beaucoup, comme vous le savez, à voir le mot « éducation » figurer à l’article 1er de cette loi.
Cet amendement est important, puisqu’il est relatif à l’éducation, mais on pourrait aussi bien demander à faire figurer à l’article 1er la santé ou tout autre sujet figurant dans le rapport. La commission a néanmoins adopté cet amendement, pour souligner le caractère un peu exceptionnel de ce que représente l’éducation, et le rapporteur y est favorable.
Je m’en remettrai, là encore, à votre sagesse, mais si nous commençons à faire la liste de toutes les priorités et de tous les secteurs d’intervention de l’aide française dans l’article 1er, demain nous mentionnerons également l’eau.
En effet, pourquoi l’eau serait-elle moins importante que l’éducation ? Et nous mentionnerons également la santé, car pourquoi la santé serait-elle moins importante que l’éducation ? La liste pourrait être longue ; or c’est déjà l’objet des autres articles que de faire la liste des priorités sectorielles et des droits prioritaires sur lesquels nous intervenons, dont nous faisons la promotion, et dont nous assurons le respect. Je crois donc, même si je m’en remets à votre sagesse, que nous pouvons nous en tenir à la formulation initiale. Cela me semblerait plus cohérent, même si, bien évidemment, il n’y a aucune espèce de désaccord entre nous sur ce sujet.
L’amendement no 18 n’est pas adopté.
Cet amendement s’inscrit dans la logique et poursuit les objectifs de ce projet de loi, dont l’un des trois piliers est le respect des droits fondamentaux. Chacun sait que nous sommes confrontés, dans certains des pays auxquels nous apportons notre aide au développement, à des dictatures toujours très présentes. Pour protéger les populations, qui doivent être les premières bénéficiaires de notre politique d’aide au développement, il est donc très important de préciser que cette aide ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux.
Chacun connaît l’importance de la notion des droits de l’homme et tout ce qu’elle recouvre, notamment les droits politiques, civils, sociaux et économiques. La commission et son rapporteur ont donc considéré, même s’ils reconnaissent que cet amendement présente un intérêt sur le fond, qu’il ne ferait qu’alourdir inutilement un alinéa déjà dense et qui traite très bien des questions fondamentales. La commission a donc rejeté cet amendement, même si, comme l’auteur de l’amendement, elle défend les droits de l’Homme dans leur intégralité.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets… Nous mentionnons les droits de l’Homme à l’alinéa et à l’article suivants. C’est un point tellement important que nous pourrions mentionner les droits civils ou les droits économiques à chaque alinéa, comme je l’ai moi-même fait dans mon intervention. Je vous invite donc à retirer votre amendement, sans quoi je devrai lui donner un avis défavorable.
L’amendement no 62 n’est pas adopté.
Mes chers collègues, lorsque vous votez, laissez-moi le temps d’embrasser du regard tout l’hémicycle pour compter les mains levées.
La parole est à Mme Chantal Guittet, pour soutenir l’amendement no 111 .
Cet amendement vise à simplifier la rédaction du troisième alinéa, qui ne me semblait pas très clair, et à y réintroduire la notion de « socles de protection sociale », qui garantit l’accès des populations aux prestations sociales tout au long de leur vie.
Sur cet amendement, qui apporte des précisions, la commission et le rapporteur ont émis un avis favorable.
Même avis, puisque cet amendement apporte effectivement des clarifications tout à fait utiles.
J’avais déposé un amendement sur cet article, tendant à y mentionner l’égalité entre les femmes et les hommes. Cela peut paraître anecdotique, mais c’est l’usage aujourd’hui que de parler d’égalité « entre les femmes et les hommes » – c’est également l’expression qui est employée lorsqu’on parle de la stratégie genre et développement, monsieur le ministre. J’avais retiré mon amendement, parce que vous m’aviez dit que vous réécririez cet alinéa. J’aimerais donc, si vous en êtes d’accord, rectifier l’amendement de Mme Guittet, en remplaçant les mots « entre les hommes et les femmes » par l’expression « entre les femmes et les hommes ».
Cela change tout ! Il faudrait une suspension de séance pour y réfléchir.
Sourires.
L’amendement no 111 , tel qu’il vient d’être rectifié, est adopté.
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement no 94 .
J’ai eu l’occasion, madame la présidente, d’évoquer cet amendement dans mon intervention sur l’article 1er. En qualifiant le renforcement de la capacité des États, sinon de prioritaire, du moins d’important – parce qu’à force de décréter des priorités, on finit par mal les cerner –, il s’agit à la fois de comprendre pourquoi certains pays, en Afrique subsaharienne notamment, se sont retrouvés dans la situation que l’on sait, et de voir comment y remédier.
Je rappelle que l’effondrement assez soudain de certains États, au Mali ou ailleurs, n’est pas seulement le fruit d’une mauvaise gouvernance ou de la corruption, pourtant bien réelles dans certains pays, mais aussi des politiques de libéralisation à outrance, exigées notamment par les ajustements structurels du Fonds monétaire international, qui a ainsi mis à bas un certain nombre de pays, en Afrique comme en Amérique latine. On a vu que cette politique macroéconomique, qui a demandé aux États de se délester de leurs capacités en général, et de leurs missions régaliennes en particulier, combinée avec la présence active d’un certain nombre de groupes mafieux faisant commerce de toutes choses, d’armes et de drogue surtout, mais parfois aussi d’êtres humains, a contribué à semer le désordre et le chaos et à rendre parfois difficile, voire impossible, toute politique de coopération. On est alors face à un tonneau des Danaïdes : on bouche un trou ici, tandis que l’eau coule là, et on n’arrive à rien.
L’amendement vise donc à préciser que le renforcement de la capacité des États est une des priorités de notre politique d’aide au développement – étant précisé qu’il s’agit d’États présents sur l’ensemble d’un territoire, et pas seulement dans les villes capitales, et démocratiques, ce qui va de soi et renvoie à l’esprit plus général de la loi, tel qu’il a été rappelé tout à l’heure. Il faut rappeler cette priorité et l’expliquer, y compris parce que cela peut constituer un point d’appui pour les sociétés civiles que d’avoir des États capables de les accompagner dans les missions les plus essentielles.
Cette précision paraît en effet utile, pour ne pas dire nécessaire, et il en avait déjà été question lors de l’examen du texte en commission. Ne sachant si M. Amirshahi pourrait être présent en séance, j’ai cosigné cet amendement, pour être certain qu’il serait défendu. Notre collègue a fort bien expliqué pourquoi il est nécessaire de renforcer les États et les capacités de la puissance publique, car c’est là une condition de l’aide au développement.
Je souhaiterais seulement que l’on insère le mot « notamment » après l’expression « en favorisant ». C’est une précision rédactionnelle et, sur l’amendement lui-même, l’avis de la commission et du rapporteur est favorable.
Avis favorable, sous réserve que la rectification apportée par le rapporteur soit prise en compte, pour montrer que ce n’est là qu’un aspect de notre action.
Pour que les choses soient bien claires pour tout le monde, la rectification apportée par le rapporteur à l’amendement no 94 vise donc à compléter la quatrième phrase de l’alinéa 3 par les mots : « et en favorisant, notamment, le renforcement des États et des capacités de la puissance publique ».
L’amendement no 94 , tel qu’il vient d’être rectifié, est adopté.
Cet amendement vise à ajouter à l’alinéa 4, après le mot « défense », les mots : « et de respect ». Il s’agit ainsi de prévenir toute atteinte aux droits de l’Homme, mais surtout d’en renforcer le respect, conformément aux traités internationaux, dont nous avons déjà dit un mot tout à l’heure. Je pense que cet amendement permettra de renforcer le texte que vous nous proposez.
Je partage évidemment sur le fond l’objectif de cet amendement. Son intention est louable, mais la clarification me paraît quelque peu superflue. Les traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme, rappelés dans cet alinéa 4, prévoient précisément le respect des droits de l’Homme. Il ne me semble donc pas nécessaire d’introduire cette précision. Nous avons déjà repoussé des amendements très proches ; c’est la raison pour laquelle la commission et le rapporteur ont donné un avis défavorable à cet amendement.
Pour les mêmes raisons, le Gouvernement a émis un avis défavorable à cet amendement.
L’amendement no 17 n’est pas adopté.
L’article 1, amendé, est adopté.
Cet amendement est différent de celui que j’ai soutenu tout à l’heure. Il s’agit d’introduire le mot « culture » dans cet article 3, où il ne figure pas, alors qu’il est mentionné à l’alinéa 5 du rapport annexé. Il faut faire preuve de cohérence, d’autant plus que la culture est un élément essentiel du développement. Au nom de cette cohérence, nous vous demandons d’introduire le mot « culture » dans l’article 3, après le mot « éducation ».
Comme le souligne avec justesse M. Krabal, qui est un homme de culture, il me semble que le mot « culture » a sa place dans cet alinéa. L’avis de la commission et du rapporteur est donc favorable à cet amendement.
L’amendement no 19 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 95 .
Cet amendement vise à déplacer le texte de l’alinéa 3 de l’article 3 à l’article 5. Il s’agit par là de donner au texte une plus grande cohérence. Je précise que l’avis de la commission est favorable à cet amendement.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement, à condition que l’alinéa soit effectivement replacé à l’article 5.
Sourires.
Si je comprends bien, monsieur Dufau, cet amendement est lié à un autre amendement que l’on examinera à l’article 5. Je le précise pour rassurer M. le ministre.
L’amendement no 95 est adopté.
L’article 3, amendé, est adopté.
Il nous paraît nécessaire de préciser la répartition des aides dans le corps de la loi. Cela correspond aux objectifs du millénaire, et permettrait de lutter contre une forme de dilution de nos aides vers de multiples États, dont les pays émergents. Un certain nombre de pays en ont besoin en priorité, particulièrement en Afrique subsaharienne, comme l’a dit le ministre lors de son brillant exposé devant la représentation nationale.
Cet amendement entre en contradiction avec les décisions du CICID. Ces dernières sont longuement présentées dans le rapport, et ce comité interministériel a prévu qu’au moins 50 % de l’effort financier bilatéral, et non les deux tiers, serait consacré aux pays les plus pauvres prioritaires. Cela figure à l’alinéa 127 du rapport. Il en va de même pour les subventions de l’AFD.
En outre, la fin de l’amendement est un peu contradictoire en ce qu’il prévoit de réserver les deux tiers des prêts de l’AFD aux pays les moins avancés alors qu’il plaide en même temps pour une politique de dons en leur faveur.
Avis défavorable de la commission et du rapporteur.
Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement et propose à son auteur de le retirer.
Notre objectif n’est pas de déplaire à monsieur le ministre du développement, mais sous des apparences banales, nous touchons là un sujet important : la répartition entre les dons et les prêts – nous savons que l’AFD intervient plus sur les prêts que sur les dons – et sur la question de l’aide aux pays les plus pauvres et donc le ciblage vers ces pays. C’est pourquoi, pour des raisons de principe, nous maintenons notre amendement.
L’amendement no 63 n’est pas adopté.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement no 128 .
Il vous est proposé de supprimer l’alinéa 3 de l’article 4 qui se lit comme suit : « Le Gouvernement remet un rapport évaluant la possibilité, pour les organismes publics de l’État chargés à titre principal de l’aide publique au développement, d’utiliser comme dons, dans le cadre de la politique bilatérale d’aide au développement, le produit final des prêts qu’ils ont eux-mêmes octroyés. »
Nous en avons débattu en commission. Si ce type d’engagement était maintenu dans la loi, il aurait un coût immédiat extrêmement important. Nous sommes en train d’élaborer une proposition dans le cadre du COM, le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, pour renforcer la part des dividendes de l’Agence qui lui sont réaffectés, et contribuent donc au développement. C’est le contraire de ce qui se passe actuellement, puisque l’immense majorité des dividendes de l’AFD sort de la sphère du développement, ce que certains d’entre vous dénoncent à juste titre.
Dès le débat en commission, l’alinéa 3 nous paraissait donc prématuré par rapport au COM, dont vous aurez la possibilité de vous saisir. Par ailleurs, tel qu’il est rédigé, il entraînerait des coûts beaucoup trop importants au regard du modèle économique actuel de l’AFD. Nous proposons donc de le supprimer.
Comme l’a dit le ministre, cette question relève du contrat d’objectifs et de moyens qui nous sera très prochainement soumis par le Gouvernement. De plus, les explications complémentaires que vient de donner le ministre renforcent l’avis favorable de la commission et du rapporteur à l’amendement du Gouvernement.
La parole est à Mme la Présidente de la commission des affaires étrangères.
Je voudrais moi aussi expliquer pourquoi je suis favorable à la suppression de cet alinéa.
Tout d’abord, nous écrivons une loi d’orientation. Il s’agit donc de fixer des grands principes, et je pense qu’une disposition de ce genre a mieux sa place ailleurs.
Ce qui est important, c’est que le Parlement soit informé et consulté sur la question de l’affectation des dividendes de l’AFD. Mais je rappelle que nous avons pour cela une procédure beaucoup plus efficace que la rédaction d’un rapport au Parlement : la loi sur l’action extérieure de l’État oblige le Gouvernement à transmettre à la commission des affaires étrangères le projet de contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, et permet à la commission de donner son avis sur ce projet.
Comme vous le savez, chers collègues, cette procédure a été utilisée une première fois en mai 2011. À cette occasion, la question des dividendes a été abordée. La commission avait auditionné le directeur général de l’agence, puis avait donné son avis sur le projet de COM. La rapporteure de la commission avait proposé que la commission soumette une clé de répartition permettant à l’agence de conserver les deux tiers des dividendes, un tiers étant consacré aux subventions, et l’autre au renforcement des fonds propres.
Je pense que nous pourrons suivre la même procédure lorsque le projet de COM nous sera transmis, ce qui ne saurait tarder, j’ai insisté sur ce point lors de mon intervention en présentation de ce texte. Cela sera d’autant plus possible que la question du partage des résultats figurera dans le COM, ce qui n’était pas le cas en 2011.
J’ai d’ores et déjà demandé à la directrice générale de l’AFD de venir devant la commission des affaires étrangères pour une audition. Ce sera l’occasion de l’interroger à ce sujet, ainsi que sur tous les autres sujets qui concernent l’agence.
Sur le fond, la clef de répartition envisagée par le Gouvernement est acceptable. L’agence conservera 80 % de ses résultats pour renforcer ses fonds propres. Le respect des critères de Bâle par l’agence suppose que ces fonds soient augmentés de 800 millions d’euros. Par ailleurs, l’agence a accordé 7 milliards d’euros d’autorisations de financement, dont 500 millions de financement pour les PMA. Son statut bancaire lui permet de lever des fonds sur les marchés et de financer, pour un euro d’argent public, quelque 10 à 12 euros de projets de développement. Augmenter les fonds propres de l’agence est donc tout à fait opportun puisque l’effet de levier est considérable.
Voilà pourquoi nous devrions réserver à l’examen du projet d’orientation de l’agence cette question de la répartition de ces résultats.
Je regrette cette proposition du Gouvernement. Elle est le fruit d’un long débat en commission au cours duquel nous avions des positions divergentes. Comme l’a très bien dit la présidente de la commission des affaires étrangères, la loi d’orientation fixe le cadre et les principes.
Nous pensions que ce rapport était une demande raisonnable. Car vous êtes en train de créer les conditions d’une attente colossale sur le COM. Et cette attente colossale va rencontrer l’insatisfaction ou l’impatience des parlementaires que nous sommes.
En effet, vous l’avez entendu lors des débats, nous avons un certain nombre de récriminations, et la volonté de changer des axes de la politique de l’AFD ; qu’il s’agisse du ratio entre prêts et dons, de celui entre pays développés et pays en voie de développement, ou encore entre aides bilatérales ou multilatérales. Nous avons aussi des doutes sur les aides qui vont à la Chine ou à la Turquie. Le 27 janvier 2014, 150 millions d’euros ont été affectés à un prêt à la Turquie. Nous ne sommes pas sûrs que ce soit le bon choix. Et que dire de l’affectation de 1,5 milliard à nos départements et territoires d’outre-mer ?
Monsieur le ministre, vous êtes en train de créer les conditions d’une attente colossale. Que va-t-il se passer si nous sommes en désaccord sur le COM ? Ce COM va être soumis à la commission des affaires étrangères, ne doutez pas de notre volonté de nous saisir de ce document. Et si nous votons contre, que va-t-il se passer ? Voilà pourquoi nous avons privilégié une option qui était, chemin faisant, de donner des orientations, une analyse, pour s’assurer qu’avant que le COM ne soit définitivement établi et que nous en arrivions à un rapport de force, des éclaircissements puissent être donnés à nos questions.
Je n’éprouve pas seulement de la déception. Je vis cela comme un renoncement, un recul de plus. Je rappelle que la commission avait adopté cette disposition, elle figure d’ailleurs dans le texte. Aujourd’hui, l’amendement gouvernemental est un recul.
Monsieur le ministre, vous le savez, cette loi de programmation et d’orientation était attendue depuis longtemps. Encore faut-il que l’on trouve quelque chose dedans.
Nous avons considéré que nous ne pouvions pas en rester à des déclarations de bonnes intentions, que l’aide au développement n’était pas de la charité chrétienne ou de la déculpabilisation pour repentance. C’est un véritable choix politique. Ce n’est pas non plus l’énumération sans imagination des objectifs du millénaire.
Il fallait aller plus loin.
Or le véritable problème des prêts est qu’ils sont attribués aux pays solvables, et que les pays qui ne sont pas solvables n’ont pas de prêts, ils doivent recevoir des dons. Et lorsqu’il n’y a pas de quoi financer les dons, il n’y a rien. Ce n’est pas la constatation de Jean-Paul Bacquet, de Philippe Baumel ou de Gwenegan Bui. Nous avons déposé trois amendements sur ce sujet. L’un a été refusé au titre de l’article 40, et les deux autres ont été acceptés puis repoussés par le Gouvernement.
Cela soulève des questions. Les pauvres peuvent-ils attendre ? Ce sujet ne date pas d’aujourd’hui, je l’avais soulevé avec Nicole Ameline dans un rapport intitulé « bilatéralisme et multilatéralisme ». Une fois de plus, on repousse la décision.
Madame la présidente, reconnaissez que rejeter un amendement en avançant que rédiger un rapport sur ce sujet apparaît inopportun car le Gouvernement doit bientôt soumettre le projet de COM, c’est un peu léger. D’autant plus que l’amendement initial, qui a été rejeté au titre de l’article 40, n’imposait rien. Nous proposions simplement une orientation.
Jamais, en la matière, il n’y a eu un tel recul. Je voudrais dire ma très grande déception. Sous la majorité précédente, lorsque M. de Raincourt était ministre, la commission des affaires étrangères avait obtenu que la moitié des dividendes soit attribuée sous forme de dons. Nous ne serons même pas capables de faire ce que faisait la majorité précédente…
Cet alinéa a été adopté en commission des affaires étrangères de manière délibérée par l’ensemble des collègues qui siégeaient à ce moment-là, contre l’avis du Gouvernement et du rapporteur. Je partage complètement les arguments qui ont été développés par nos collègues. Les questions que nous avions à l’égard de l’AFD et des politiques de prêt constituent un sujet ancien, qui a été soulevé à plusieurs reprises dans nos échanges.
Néanmoins, je crois qu’il est opportun de suivre les positions du Gouvernement, du rapporteur et de la présidente de la commission des affaires étrangères. Les messages ont été passés, l’exigence est forte, la volonté d’y voir clair et de progresser dans cette affaire est clairement affirmée, et le rendez-vous, comme l’a dit Gwenegan Bui, se fera au moment du contrat d’objectifs et de moyens. C’est alors que nous aurons un vote déterminé. Je demande donc à mes collègues de voter la proposition du Gouvernement en l’état des choses, mais sans renier aucun des messages qui ont été portés à l’occasion de ce débat.
On peut comprendre les arbitrages interministériels qui aboutissent à l’amendement que vient de nous présenter le Gouvernement, mais cela ne correspond pas à l’esprit de la loi qu’a défendu notre ministre Pascal Canfin bec et ongles. Cela ne correspond pas non plus à l’idée qui me semblait nouvelle et nécessaire de réintroduire le Parlement dans le contrôle de notre politique étrangère et de notre politique d’aide au développement.
Il me paraissait nécessaire d’avoir un minimum de contrôle sur la politique menée par l’Agence française de développement, et notamment sur la répartition entre les dons et les prêts, et je le dis en tant que membre du conseil d’administration de l’AFD y représentant l’Assemblée nationale. Les dons sont à destination des pays les plus pauvres, ceux qui entrent dans les objectifs du millénaire, et qui ne sont pas solvables.
Cela pose un problème de fond quant au contenu de notre politique de développement. Je ne dis pas que cet amendement du Gouvernement détruit totalement l’économie et l’esprit du texte ; cependant, il relègue le Parlement dans un statut de spectateur impuissant. Ou bien cette situation va générer, comme l’a expliqué notre collègue Bui, un conflit entre la majorité parlementaire et le Gouvernement – or le rôle de la majorité n’est pas de s’opposer au Gouvernement au sujet d’une politique d’aide au développement particulièrement bien révisée –, ou bien le Parlement sera obligé de taire son opinion sur des objectifs qu’il ne partage pas.
On compte, parmi les pays prioritaires, un certain nombre de pays qui ne devraient plus l’être aujourd’hui – je pense en particulier au Ghana, dont le taux de croissance est supérieur à celui de la France. En revanche, comme nous avons eu l’occasion de le dire en commission des affaires étrangères, un pays comme Haïti ne figure pas sur cette liste. On est loin du principe d’égalité entre les pays donateurs et les pays bénéficiaires ; il faut rétablir dans la loi le respect de ce principe.
Madame la présidente, je demande une suspension de séance pour faire le point sur la situation et régler ce problème.
Seul le représentant de votre groupe a la possibilité de faire cette demande, monsieur Assouly.
La parole est à M. Jean-René Marsac.
En effet, madame la présidente, c’est à moi de vous demander une suspension de séance.
Sourires.
En réalité, aucune délégation de pouvoir ne m’est parvenue pour le groupe SRC.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Mais peut-être le rapporteur ou la présidente de la commission peuvent-ils demander la suspension de séance souhaitée par nos collègues.
La parole est à M. le rapporteur.
Pour apaiser les esprits, je demande une suspension de séance de quelques minutes. Je pense que deux minutes suffiront.
Sourires.
Mes chers collègues, je vous informe que la délégation de pouvoir du groupe SRC est arrivée au plateau. À l’avenir, M. Marsac pourra donc demander directement des suspensions de séance – sans en abuser, naturellement.
Sourires.
Article 4
La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.
Le principal problème que pose l’alinéa 3 adopté en commission, c’est qu’il est contraire à la LOLF, en particulier au principe selon lequel il est impossible d’affecter le résultat d’un organisme public aux dons accordés par ce même organisme, en dehors du budget. Même avec le volontarisme le plus ardent, vous conviendrez qu’il est difficile de demander au Gouvernement de rédiger un rapport sur la possibilité de mettre en oeuvre une disposition illégale. Dès lors, nous refusons l’alinéa adopté par la commission.
En revanche, si vous souhaitez rendre plus transparente l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement en laissant au Gouvernement le soin d’étudier l’ensemble des options – mais, évidemment, uniquement les options légales –, alors il n’y a pas de problème. Je sais bien que certains, comme Élisabeth Guigou, considèrent que cet objectif pourra être atteint grâce au contrat d’objectifs et de moyens, sur lequel une discussion va s’ouvrir dans les prochaines semaines . Mais si vous voulez absolument que le Gouvernement rédige un rapport spécifique sur ce sujet, nous ne nous y opposerons pas.
Je propose donc de rédiger ainsi l’alinéa 3 de l’article 4 : « Le Gouvernement remet un rapport sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement. » Cette rédaction ne préjuge pas de l’affectation du résultat de l’AFD puisque, je le répète, l’affectation directe de ce résultat à des dons accordés par la même Agence est extralégale.
Je crois que ce compromis peut tout à fait recevoir l’accord des uns et des autres.
L’amendement no 128 est retiré.
Nous allons suspendre la séance le temps que le nouvel amendement soit enregistré et distribué.
Article 4
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.
La séance est reprise.
L’amendement no 149 que nous a présenté le ministre avant la suspension de séance ayant été distribué, je propose que M. le rapporteur nous donne l’avis la commission sur cet amendement.
Par définition, cet amendement n’a pas été examiné par la commission. Après les explications du ministre et considérant que ce rapport améliore la transparence, j’émets un avis favorable à titre personnel.
Je voudrais saluer la démarche du ministre qui prend en considération nos observations, nos attentes et notre déception.
Cela étant, je trouve que cet amendement prête à confusion : « Le Gouvernement remet un rapport sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement. » Ce n’est pas le sujet : le débat porte sur les prêts, les dons et éventuellement sur l’utilisation du résultat des dividendes des prêts. Ce n’est pas tout à fait la même chose.
L’AFD publie déjà un rapport annuel, un bilan d’activité, mais ce que nous voulons c’est le résultat des prêts.
Nous débattons d’une question importante. Or les atermoiements entre le Gouvernement et sa majorité – je ne porte pas de jugement mais je fais un simple constat –, après les multiples séquences du même genre auxquelles nous avons assisté pendant les travaux de la commission, augurent relativement mal de l’application de cette loi si elle était adoptée.
Nous épiloguons depuis deux heures sur le mot « respect ». Cela fait deux heures, presque trois, que nous débattons à juste titre de la place du Parlement dans tout cela.
En tant que députés – je m’exprime au nom de mon groupe – nous sommes solidaires de la classe parlementaire. Le Gouvernement doit tenir compte de l’avis du Parlement, de sa majorité évidemment, de l’opposition si possible. Dans le cas présent, nous n’allons pas vraiment dans la bonne direction. Aussi, demanderai-je que vous essayiez d’harmoniser un peu les travaux pour que nous puissions progresser.
La parole est à Mme la Présidente de la commission des affaires étrangères.
Nous voyons bien le problème : dans une loi d’orientation, nous ne pouvons pas décider de l’affectation des résultats de l’AFD car, comme le ministre l’a expliqué, cela ressort d’autres textes. Il s’agit d’une contrainte légale.
Je comprends très bien les arguments de nos collègues car, bien sûr, nous aimerions qu’il puisse y avoir davantage pour les dons, mais nous devons chercher à avoir une discussion au fond qui soit sérieuse et complète sur l’affectation des résultats de l’AFD.
Nous aurons cette discussion au moment du contrat d’objectifs et de moyens. À ce moment-là, nous nous prononcerons sur les propositions qui seront faites – certes pour avis, mais ensuite, lors de débats sur les lois de finances, nous serons à nouveau consultés et rien ne nous empêchera de voter.
C’est un sujet sérieux.
La réforme Bâle III oblige l’AFD à augmenter ses fonds propres et cela va coûter 800 millions d’euros : cela mérite tout de même que nous nous y reprenions à plusieurs fois.
Le Gouvernement présentera un rapport, un geste qui montre qu’il comprend nos préoccupations et notre souhait de nous prononcer sur le sujet. La commission des affaires étrangères l’a fait plusieurs fois au cours des dernières années dans des rapports, et c’est une constante dans nos positions.
Nous aurons l’occasion de nous prononcer pour avis dans le détail au moment du COM, et ensuite d’approuver ou non la proposition d’affectation du Gouvernement au moment de l’examen des lois de finances.
Monsieur Schneider, la première marque de respect à l’égard du Parlement c’est de proposer une loi, ce que vous vous êtes bien gardés de faire pendant des années.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Pour revenir à l’article 4, voici notre dernière offre, compte tenu de la contrainte de temps à laquelle nous sommes soumis : « Le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement, et sur l’équilibre entre les prêts et les dons. »
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Je pense que tout le monde sera d’accord sur cette rédaction.
Je renonce à ma prise de parole car le ministre vient de répondre exactement à ma préoccupation qui rejoint la vôtre.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je lis l’amendement no 149 tel qu’il vient d’être rectifié à l’instant par M. le ministre : « Rédiger ainsi l’alinéa 3 : Le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur l’utilisation du résultat de l’Agence française de développement, et sur l’équilibre entre les prêts et les dons. »
Quel est l’avis de M. le rapporteur sur cet amendement no 149 rectifié ?
(L’amendement no 149 , tel qu’il vient d’être rectifié, est adopté.) (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 107 .
Il s’agit d’un amendement de cohérence. La notion de pays « partenaires » est désormais utilisée de préférence à celle de pays « bénéficiaires ».
L’amendement no 107 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 4, amendé, est adopté.
Article 4
Cet amendement vise à introduire dans l’article 4 bis la mention des trois principes fondateurs de ce texte : l’égalité entre pays donateurs et pays bénéficiaires, la transparence de la gestion de la politique de développement, la participation citoyenne.
Cet amendement ne nous semble pas apporter de précisions supplémentaires en matière de transparence ou d’appropriation. Il nous paraît quelque peu redondant : avis défavorable de la commission.
Ces principes sont au coeur de notre action : ils sont déjà mentionnés à l’article 4 et à l’article 10 ainsi qu’aux alinéas 166 et suivants du rapport annexé. Votre amendement est donc redondant et nous vous demandons de bien vouloir le retirer, monsieur Mamère.
L’amendement no 64 est retiré.
L’article 4 bis est adopté.
Je tiens tout d’abord à remercier M. le ministre d’avoir écouté la représentation nationale et pris en compte toute l’attention qu’elle accorde à la responsabilité sociale des entreprises.
Il y a dans ce texte des avancées notables en matière de responsabilité sociale, fiscale et environnementale. Si la France veut réellement contribuer au développement durable des pays les plus pauvres, il est essentiel de faire respecter les droits fondamentaux des personnes et l’environnement par les organisations nationales publiques et privées, et de s’assurer que des activités dont le fait générateur se situe en France ne sont pas susceptibles de nuire directement ou indirectement aux droits humains, à l’environnement et à la santé des populations sur le sol duquel elles s’exercent. Les débats en commission des affaires étrangères ont montré la détermination des parlementaires à éviter que ne se reproduisent des drames comme celui du Rana Plaza.
Les articles 5 et 5 bis, dans leur rédaction actuelle, comportent des avancées notables, nous en remercions leurs auteurs. Cependant, permettez-moi, chers collègues, de plaider en faveur d’un devoir de vigilance pour les entreprises françaises présentes dans le sud : il impliquerait de leur demander une obligation de moyens et de sanctionner celles qui contreviennent gravement au droit comme les entreprises responsables du drame du Rana Plaza.
La mondialisation de l’économie ne peut pas ne pas s’accompagner de la mondialisation du droit. Il y va de l’équité et de l’accès à la justice pour tous. Les bonnes pratiques ne suffisent pas ; comme de nombreux exemples l’ont montré, elles ne sont pas efficaces. Récemment, notre assemblée a d’ailleurs adopté une résolution européenne allant en ce sens : elle salue les engagements européens pris en matière de transparence, mais insiste également sur la nécessité pour l’Union européenne et les États membres d’édicter des règles de diligence raisonnable. La France a été un pays précurseur en matière de reporting, mais il faut qu’elle le soit aussi en matière de responsabilité au moment où l’Europe a fait un certain nombre de pas. Il y va, me semble-t-il, de la cohérence de nos politiques, du respect des textes internationaux en faveur des droits humains – en particulier ceux de l’OCDE –, de la protection de l’environnement et de toutes les valeurs qui font honneur à la France. J’espère que nos propositions seront examinées avec bienveillance.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 108 .
L’amendement no 108 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Cet amendement tire les conséquences de la suppression de l’alinéa 3 de l’article 3 relatif à la lutte contre l’opacité financière, en l’insérant à l’article 5 pour une meilleure cohérence.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir le sous-amendement no 147 .
Ce sous-amendement, qui reprend un amendement déposé par M. Potier, vise à ajouter un alinéa supplémentaire : la France « promeut le renforcement des critères de responsabilité sociale et environnementale dans les marchés publics des pays partenaires ». Nous menons déjà une action en ce sens – je pourrais développer ce point si le temps ne nous était pas compté – mais il va de soi qu’il est bon de préciser cet objectif dans le texte.
Il n’a pas été examiné par la commission, mais j’y suis favorable à titre personnel car il apporte une importante précision.
À mon tour de re mercier et le ministre et le rapporteur de l’effort qu’ils ont fait à l’article 4 et à présent à l’article 5 avec cet amendement et ce sous-amendement. Lors de la discussion en commission, nous avons eu un long débat sur la référence à la fiscalité et je vous sais gré de l’avoir conservée. De la même manière, je me réjouis que vous ayez accepté de prendre en compte la RSE et la transparence.
Selon les statistiques établies par l’organisation Global Financial Integrity, 950 milliards de dollars de flux financiers illicites ont été enregistrés en 2011 dans les pays en développement, soit 13,7 % de plus qu’en 2010. C’est un problème et nous sommes tombés d’accord sur la nécessité de trouver les solutions à même d’éviter que par l’aide au développement ne se renforcent les paradis fiscaux et l’évasion fiscale.
Merci d’avoir amendé et sous-amendé le texte pour qu’il y ait une cohérence entre la position du Gouvernement et celles des députés.
Le sous-amendement no 147 est adopté.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 46 .
Je remercie M. le ministre d’avoir repris la proposition que j’avais formulée – et placée au mauvais alinéa – afin d’utiliser les marchés publics comme levier d’un développement responsable.
L’amendement no 46 est rédactionnel.
L’amendement no 46 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
Cet amendement vise à compléter l’article 5 par l’alinéa suivant : « À ce titre, la reconnaissance d’un régime de responsabilité juridique des groupes de sociétés est indispensable pour une politique de développement et de solidarité internationale cohérente. » Je ne reviens pas sur l’argument que j’ai développé à propos de la mondialisation nécessaire du droit, mais de nombreux exemples ont montré que les bonnes pratiques ne suffisaient pas. Nous avons cité le Rana Plaza, nous pourrions évoquer les procédés d’Areva au Niger ou ailleurs – soulignons d’ailleurs que le Gouvernement s’est saisi de ce dossier de manière plutôt positive. Le droit international a permis de réelles avancées, notamment grâce aux règles édictées par l’OCDE. La France a toujours été en avance en matière de RSE. C’est dans cette perspective que nous souhaitons inscrire a minima une obligation de vigilance des sociétés mères à l’égard de leurs filiales et de leurs sous-traitants. Une résolution européenne allant en ce sens vient d’ailleurs d’être adoptée par notre assemblée. Nous voulons en quelque sorte procéder à une mise en cohérence.
Je comprends votre volonté d’aller plus loin dans la reconnaissance des responsabilités. M. le ministre a toutefois expliqué en commission qu’il était quelque peu prématuré de fixer d’ores et déjà dans la loi le cadre des questions que la consultation sur la RSE aura à traiter alors que celle-ci n’est pas encore achevée. Il ne nous appartient pas de préjuger des résultats de ce dialogue. Avis défavorable.
C’est la première fois depuis l’examen du texte en commission que nous revenons sur la responsabilité juridique des entreprises dans le cadre de la RSE. Je prendrai donc quelques minutes pour rappeler la position générale du Gouvernement à ce sujet.
Nous allons en effet, grâce à ce texte, ouvrir un débat entre le Gouvernement et le Parlement, entre les différents acteurs économiques – syndicats, entreprises – et le législateur sur la façon dont la fameuse question du devoir de vigilance devra se traduire dans la loi. Je vous renvoie à l’alinéa 59 du rapport annexé. Et si le débat s’ouvre – et il s’ouvre réellement, par un vrai texte –, il importe de ne pas le conclure dès maintenant. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement sera défavorable à tous les amendements entendant fixer déjà les conclusions auxquelles ce débat devra aboutir, qu’il s’agisse du devoir de vigilance, de diligence raisonnable, de responsabilité juridique et ce pour des raisons qui sont aussi juridiques. Car s’agissant de sujets aussi importants qui engagent la responsabilité juridique de très grandes entreprises, il va de soi que les amendements devront être parfaitement d’équerre sur un plan juridique, ce qui ne semble pas être le cas aujourd’hui.
Ainsi le Gouvernement s’opposera aux amendements qui, comme celui-ci, préjugent du résultat de cette consultation. Mais s’il le fait, c’est précisément parce que le débat s’ouvre, et il ne s’ouvre pas sans calendrier et sans cadre déterminés : un mandat a été donné à la plateforme d’action globale pour la promotion de la RSE – mais la possibilité de le conclure devra rester ouverte tout au long des débats parlementaires. C’est la raison pour laquelle, madame Auroi, l’avis du Gouvernement est défavorable à votre amendement.
Dominique Potier, Philippe Noguès et moi-même nous sommes rendus devant la plateforme dédiée à la RSE cet après-midi. Nous savons que nous aurons l’occasion de reprendre le débat mais nous ne lâcherons pas ce combat, vous l’avez bien compris. Pour l’heure, je retire mon amendement.
L’amendement no 76 est retiré.
L’article 5, amendé, est adopté.
Article 5
Cet amendement vise à ajouter aux dommages sanitaires et environnementaux la prise en compte des atteintes aux droits de l’homme en matière de responsabilité des multinationales, des maisons-mères, des donneurs d’ordres à l’égard des filiales et des sous-traitants. Il importe de donner un cadre juridique à ce sujet sensible d’une extrême importance.
Il faut intégrer dans la loi les principes de l’OCDE. C’est le but de cet amendement qui, je l’espère, recueillera un avis favorable.
Il est de même inspiration. J’ajouterai que le critère des droits de l’homme a été adopté par les Nations unies et approuvé par la France.
Il paraît en effet tout à fait opportun d’insérer à cet article la mention des atteintes aux droits de l’homme. Cet ajout correspond bien à l’esprit de ce texte. Avis favorable.
Avis favorable qui ne fait que renforcer ce que je disais précédemment sur l’état d’esprit du Gouvernement à ce sujet.
S’agissant d’amendements en discussion commune, l’avis favorable doit porter soit sur les amendements identiques, soit sur l’amendement de Mme Auroi qui est alternatif : il faut donc choisir.
Je précise que nous sommes favorables à l’amendement faisant état des « droits de l’homme » et non à celui évoquant les « droits humains ». Je vous propose donc de retirer ce dernier amendement afin d’éviter tout débat sur ce sujet. Nous avons toujours utilisé l’expression « droits de l’homme » : essayons de rester cohérents.
Très franchement, cela mériterait un débat : il y a des femmes ici qui me soutiendraient.
Des femmes et des hommes, en effet : l’expression « droits humains » me semble plus juste que « droits de l’homme » – je suis désolée de vous le dire ! Mais puisque la coutume est celle-ci, et puisque mes deux collègues ont choisi « droits de l’homme », j’accepte de retirer mon amendement.
L’amendement no 79 est retiré.
Je souhaite défendre cet amendement car nous avons convenu de prendre un peu de temps sur ce sujet qui est au coeur du projet de loi. Cet amendement est en effet crucial, au même titre que d’autres que nous présenterons sur les paradis fiscaux ou le reporting pays par pays.
Le présent amendement est donc extrêmement important. J’ai bien noté la réponse du ministre lors de l’examen du premier amendement défendu par ma collègue Danielle Auroi ; mais je souhaite, pour que cela soit bien défendu dans cet hémicycle, souligner à nouveau l’esprit de ce texte.
Ces objectifs sont partagés partout : on ne peut pas couvrir le monde de marchandises en organisant partout des chaînes de valeur et, quand on est donneur d’ordres et que l’on bénéficie de l’essentiel des plus-values, se sentir en permanence irresponsable et non coupable de la fabrication, parfois à l’autre bout de la terre, par des damnés, des personnes qui, hommes, femmes, enfants, travaillent dans des conditions indignes. On ne peut pas se sentir irresponsable des conséquences sur l’environnement qu’ont parfois certaines activités industrielles ou de traitement des déchets, programmées et situées à l’autre bout du monde.
Tout le monde est d’accord sur ces questions ; même le patronat, avec qui nous dialoguons, admet ces principes. Le projet de loi intègre ces principes et il est important que la république, pour la première fois, traite de RSE à l’échelle internationale, de devoir de vigilance, et intègre les principes de l’OCDE. Mais nous considérons que si nous ne mettons pas des radars, si nous ne suspendons pas une épée de Damoclès, tous ces voeux resteront des voeux pieux et en demeureront au stade des grands principes. Certes, cela est important car la politique repose d’abord sur des principes ; mais nous souhaitons vraiment que ce texte ne constitue pas un point d’arrivée, une étape à mi-chemin voire un échec, mais qu’il constitue au contraire un point de départ : s’il n’y a pas de sanction, si nous ne mettons pas les juges en capacité de qualifier un fait d’inhumain et de poursuivre, alors tout continuera comme avant. Nous aurons d’une part les entreprises qui, sur des marchés à haute valeur ajoutée, joueront leur image et feront des efforts pour démontrer leur bonne volonté et, d’autre part, toutes les autres entreprises qui continueront dans des démarches low cost se traduisant par les désastres dont nous ne voulons plus.
Il est donc extrêmement important que nous engagions ce débat à l’échelle nationale, que nous en fassions un débat européen et que l’anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza soit l’occasion de rassembler les forces politiques, les forces syndicales et les ONG, de sensibiliser l’opinion et de s’engager à faire de ce combat une contrepartie du pacte de responsabilité.
Pour conforter ce que viennent de dire notre collègue Potier et avant lui Danielle Auroi, les écologistes se reconnaissent dans le discours que vous venez de tenir puisqu’il y a déjà longtemps que nous réclamons cette responsabilité sociale et environnementale. Nous considérons même au rang de délinquance et, pourquoi ne pas le dire, de crime le fait pour les entreprises, qu’elles soient multinationales ou françaises, de ne pas exercer leur responsabilité en cas d’accidents ou de drames dans des pays où elles exploitent des personnes, hommes, femmes et quelquefois même enfants – rappelons le rôle de Total en Birmanie –, se comportant ainsi d’une manière absolument insupportable.
S’il n’y a pas une menace de sanction lourde contre ces entreprises, elles ne feront rien : nous le savons ! Nous l’avons du reste constaté après la catastrophe du Rana Plaza : les entreprises se lamentaient de ce qui venait de se passer, alors même qu’elles s’étaient organisées précisément pour ne pas voir leur responsabilité engagée en recourant bien souvent à de filiales ou à des sous-traitants. Cette chaîne-là, qui est la chaîne du déshonneur et de la honte, doit être démantelée.
Pour cela, il faut que le Gouvernement et le Parlement, soutenant ce projet de loi, affirment de manière très claire ce qu’est la responsabilité sociale et environnementale. Tout comme mes amis écologistes, j’ai entendu M. le ministre nous expliquer il y a quelques instants que cela faisait partie de ses priorités mais que, pour l’instant, cela ne pouvait pas figurer d’une manière très forte dans la loi. Or il faut que nous nous battions pour que cette proposition ait la force de la loi, car le droit est là pour apporter un peu d’éthique.
La parole est à M. Philippe Noguès, pour soutenir l’amendement no 110 .
Sans répéter ce qui a déjà été dit, je souhaite rappeler que le devoir de vigilance dont nous parlons est une obligation de moyens et non de résultat. Nous disposons déjà de grands textes internationaux – nous avons ainsi évoqué les principes directeurs de l’OCDE, les principes de Ruggie à l’ONU, la norme ISO 26 000, etc. – ; certains pays occidentaux proches ont déjà des jurisprudences dans ce domaine, comme au Royaume-Uni, en Italie, au Canada. Chez nous, le devoir de vigilance existe déjà pour un certain nombre de professions : ainsi, les banquiers ont un devoir de vigilance concernant leurs activités. Par ailleurs, nous avons introduit dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt un article créant un régime de sanctions pour éviter la mise sur le marché de bois ou de produits dérivés du bois obtenus par des récoltes illégales.
À notre avis, le phénomène est inexorable : il monte en puissance partout. Même l’Inde demande à ses entreprises de consacrer un pourcentage de leur revenu fiscal aux activités de RSE. En France, nous demandons simplement un devoir de vigilance : c’est de la soft law, et non une véritable loi ! Nos entreprises auront ainsi l’opportunité de commencer à se préparer au devoir de vigilance qui leur sera imposé un jour ou l’autre – dans un avenir proche, espérons-le. En se plaçant ainsi à la pointe, elles prendront de l’avance sur les autres entreprises dans le monde.
J’entends bien tous les arguments qui viennent d’être excellemment développés. Je les partage sur le fond, et il est évident qu’il faut avancer dans cette direction ; mais nous devons avancer pas à pas. À l’heure actuelle, ce sujet fait partie de la fameuse consultation sur la RSE ; il faudra le traiter dans ce cadre.
Dans un souci de cohérence avec les interventions précédentes, il faut replacer ce débat, qui est un vrai débat, au sein de la RSE. Nous devons le mener avec les entreprises concernées, au sein de cette plateforme. Par la suite, j’espère que nous pourrons aboutir, non seulement en France mais également à l’échelle internationale, à une communauté de vues qui permettra d’apporter une réponse satisfaisante, adaptée et pertinente aux problèmes ainsi posés. Sur le fond, je suis totalement en phase avec ces amendements ; malheureusement, la commission a donné un avis défavorable à ce stade, et le rapporteur de la même façon. Il s’agit, non pas de leur opposer une fin de non-recevoir, mais de préparer rapidement autre chose.
Je ne vais pas reprendre l’argumentation au fond puisque nous l’avons déjà fait tout à l’heure. Cela étant, vous avez parfaitement raison : en face de la mondialisation financière, économique et des chaînes de valeur, il faudra un jour ou l’autre instaurer une mondialisation de la responsabilité.
Aujourd’hui, nous en sommes au point de départ de cette réflexion, pas simplement dans le cadre de la plateforme, mais dans le cadre de cette loi, avec un calendrier. Saisissons-nous de cette opportunité ; mais pour autant, on ne peut pas qualifier ce texte de soft law, comme vous venez de le faire, monsieur Noguès : un certain nombre d’amendements viennent justement le préciser en imposant une responsabilité juridique. La responsabilité juridique, loin de relever de la soft law, constituerait au contraire un changement très fort, d’où la nécessité d’en débattre de manière plus approfondie dans les semaines et les mois qui viennent. Je vous propose donc de retirer les amendements que vous venez de défendre.
Je voudrais simplement dire à mes collègues qu’il serait bien d’en finir avec les damnés de la terre ! C’est valable au niveau international ; nous faisons des progrès en Europe – nous allons discuter ici même, le 18 février, d’une proposition de loi qui traitera de la directive « Travailleurs détachés », pour la seconde fois, et qui proposera des règles pour que les damnés de la terre, les esclaves en provenance d’autres pays d’Europe qui travaillent en France, soient désormais traités d’une façon totalement différente, puisque les entreprises concernées seront désormais responsables de leurs sous-traitants. Je vais retirer mon amendement, ayant bien entendu vos propositions, monsieur le ministre ; mais je crois qu’il faudra très vite reprendre au fond l’ensemble de ces sujets parce que, tout de même, la France est le pays des droits de l’homme – si j’ai bien compris !
L’amendement no 80 est retiré.
Je retire également mon amendement, dont vous avez bien compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Mais je voudrais dire une dernière fois, parce que ce sujet est au coeur de la loi – cela ira beaucoup plus vite après, soyez-en absolument certains –,…
Sourires.
…, qu’il ne s’agit pas de charger la barque des entreprises, comme certains veulent le laisser entendre : il s’agit au contraire de donner du souffle dans les voiles d’une mondialisation où la France peut être pionnière, où elle peut gagner des marchés, des valeurs, une réputation. Elle doit être première en Europe, première dans le monde, parce qu’elle est la patrie des droits de l’homme et qu’elle doit montrer le chemin en la matière.
Nous retirons donc cet amendement, mais le débat continue et je voudrais préciser au rapporteur, avec tout le respect qui lui est dû, que ce débat ne se résoudra pas à un avis ou à une recommandation de la plateforme RSE, où nous savons que des forces contraires sont à l’oeuvre pour l’instant. Le Parlement aura en la matière son propre dialogue avec le Gouvernement, et le débat européen sera une formidable plateforme pour faire valoir ces idées qui ont vocation à s’épanouir dans des directives européennes.
L’amendement no 55 est retiré.
L’amendement no 110 est retiré.
La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 56 .
L’amendement no 110 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
L’article 5 bis, amendé, est adopté.
Article 5
La parole est à M. Jean-René Marsac, pour soutenir l’amendement no 116 .
Il s’agit tout simplement d’indiquer, comme c’est l’usage, « économie sociale et solidaire », car l’article ne traitait que de l’« économie solidaire », qui ne renvoyait pas à l’ensemble du concept recouvrant ce secteur.
Avis favorable de la commission à cet amendement rédactionnel et opportun.
L’amendement no 116 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 5 ter, amendé, est adopté.
La parole est à M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 98 .
Cet amendement vise à mettre la structure du projet en accord avec son contenu. La présence du titre II ne se justifie désormais plus, compte tenu des modifications que la commission a apportées aux articles du projet de loi initial. Il s’agit simplement d’une réécriture.
L’amendement no 98 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quinze.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron