Le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement solidarité internationale était attendu, espéré. D’où l’intérêt qu’il suscite. Depuis de nombreuses années, la politique d’aide au développement était observée et critiquée pour son opacité et son manque de cohérence, d’efficacité et de lisibilité. Plusieurs rapports parlementaires, budgétaires et d’information, d’autres rapports de la Cour des comptes ou du comité d’aide au développement de l’OCDE, sans compter les évaluations officielles des ministères, de la société civile et des experts, en témoignent.
Le Président de la République a souhaité une rénovation de la politique publique d’aide au développement. Sous l’autorité de Pascal Canfin, les assises du développement ont permis un débat public inédit avec l’ensemble des parties prenantes. Le comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, qui, faut-il le rappeler, ne s’était pas réuni depuis quatre ans, a pris des décisions importantes le 31 juillet 2013. D’abord, l’institution d’un Conseil national du développement et de la solidarité internationale, rassemblant les différents acteurs concernés : il a été créé par décret du Président de la République le 11 décembre. Ensuite, la présentation au Parlement du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale dont nous débattons aujourd’hui. Les engagements ont été tenus.
Ce projet de loi résulte donc d’un large processus de concertation. Concertation interministérielle d’abord, puisque cette politique est pilotée par le ministère des affaires étrangères et par le ministère des finances, lesquels exercent entre autres une tutelle conjointe sur l’AFD, principal opérateur de l’aide de la France. Concertation ensuite avec d’autres administrations, la société civile, les ONG et les collectivités territoriales : l’association des maires de France, l’assemblée des départements de France et l’association des régions de France en étaient parties.
Permettez-moi de vous rendre compte du travail parlementaire effectué sur ce projet de loi. Il comporte un dispositif de 10 articles et un rapport annexé de plus de 250 alinéas, approuvés selon les termes du projet. L’ensemble constitue un tout : le texte ne contient pas de dispositions normatives. Il vise à définir les objectifs et principes de la politique, objets du titre 1er. Il ne modifie pas, si ce n’est à la marge, l’ordonnancement juridique des collectivités territoriales. Projet de loi d’orientation et de programmation, il ne comporte pas de disposition financière. Relevant des lois de programmation politique, il définit les orientations de la politique d’aide au développement et les principes qui la régissent.
Le travail parlementaire a été important : la commission des affaires économiques s’est saisie du titre 1er. Son rapporteur, Dominique Potier, a émis un avis favorable, après adoption d’un certain nombre d’amendements, le 22 janvier. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, dont le rapporteur est Philippe Noguès, s’est saisie de l’ensemble du texte et a émis un avis favorable le 29 janvier. Pour ma part, j’ai procédé à l’audition des personnalités et représentants d’organismes publics et privés dont la liste détaillée figure dans mon rapport. Au total, plus de 300 amendements ont été examinés en commission, ce qui confirme l’attente dont ce projet de loi est l’objet.
J’ai conscience des limites de ce texte, eu égard à l’ensemble des sujets que les acteurs du développement, et sans doute les parlementaires, auraient aimé intégrer. Certaines questions seront considérées comme trop peu abordées et devront être reprises dans d’autres textes. Citons pour exemple la responsabilité sociale et environnementale – la RSE, une avancée fondamentale, ou encore la fiscalité ou la lutte contre les paradis fiscaux. Autant de questions d’actualité.
Pour autant, ce projet de loi n’avait pas pour but de clore le débat sur ces sujets : il a le mérite de souligner les attentes, et d’autres projets ou propositions de loi sont en discussion. Le Gouvernement, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, anime la plateforme de discussion sur la RSE et participe activement à la lutte contre les paradis fiscaux avec ses partenaires européens.
Ce projet de loi est donc un point de départ. Le Gouvernement a accepté que soient rappelés l’accord de Monterrey et la trajectoire des 0,7 % du PNB. Nous savons tous que ces objectifs sont difficiles à atteindre, particulièrement en période de crise. La France n’est pas la seule à connaître des difficultés. Elle reste néanmoins le quatrième contributeur mondial, toutes aides confondues, et le deuxième pour ce qui est du Fonds sida. Ce n’est pas rien, chacun devrait en prendre conscience.
L’article 1er définit un objectif général de promotion d’un « développement durable dans les pays en développement, dans ses composantes économiques, sociales et environnementales ». En commission, les amendements ont précisé certains objectifs, comme la lutte contre la faim, contre les inégalités territoriales et contre le changement climatique, ou encore le développement local, la protection sociale et la bonne gouvernance. L’accent est mis sur la francophonie, avec une modification par amendement de l’alinéa 3, qui prévoit désormais que la politique de développement participe aussi à la cohésion politique et économique de l’espace francophone.
L’article 3 s’attache à la cohérence entre les politiques publiques et leur incidence dans le développement commercial, agricole, migratoire, social. La France a pris des engagements au niveau international dans ce domaine, notamment au sein de l’OCDE.
L’article 4 développe la question de l’efficacité des politiques de développement. Le partenariat différencié entre dans le texte, avec une concentration géographique de notre aide, notamment sur l’Afrique subsaharienne. Votre rapporteur a proposé des amendements, qui ont été retenus, et fait ajouter un article additionnel afin d’inscrire le principe de transparence et de redevabilité qui figuraient dans le rapport.
L’article 5 aborde le sujet de la RSE. C’est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’amendements. Le ministre a rappelé l’engagement du Gouvernement dans la discussion sur la plateforme concernant la RSE. Dans le contexte actuel, il convient de trouver un juste équilibre sur ce sujet et de confirmer la volonté de notre pays de s’engager résolument dans cette démarche ; c’est une avancée considérable. Il faut aussi attendre les résultats de la concertation lancée l’an dernier pour en mesurer toute la portée.
L’article 8 traite de l’expertise internationale. Il importe d’évoquer ce sujet dans le texte. Le Gouvernement a engagé depuis plusieurs mois une réflexion sur le dispositif d’expertise de notre pays, qui doit être plus performant. Une étude sur sa rationalisation est en cours. Face aux opérateurs allemands, britanniques ou espagnols par exemple, nos opérateurs souffrent d’un éparpillement remarquable. Par exemple, l’opérateur unique de la RFA, la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, pèse 1,4 milliard d’euros quand certains de nos opérateurs français ont un chiffre d’affaires limité à quelques millions. Cela doit susciter une réflexion.
L’article 9 traite, quant à lui, de la coopération décentralisée. Les collectivités sont devenues des acteurs majeurs de l’aide au développement, de l’aide humanitaire, des actions de coopération. Il faut les sécuriser, dans leurs choix et sur le terrain. Cet article y pourvoit. Votre rapporteur a fait intégrer l’amendement Destot qui vise « toute action internationale de coopération, d’aide au développement ». Une coordination entre l’État et les collectivités est nécessaire. Nous nous inscrivons là dans le droit fil du remarquable rapport Laignel.
L’article 10 a été adopté après des modifications formelles à l’initiative de votre rapporteur. Il marque la volonté d’un contrôle parlementaire, avec la remise au Parlement d’un rapport que doit produire le Gouvernement tous les deux ans. Ce rapport, également adressé au CNDSI, fait la synthèse de la politique de développement et de solidarité internationale conduite par la France dans un cadre bilatéral et multilatéral et de ses évolutions. Un amendement adopté en commission prévoit aussi qu’une nouvelle loi soit présentée dans cinq ans. Lors de l’examen des articles, une modification formelle vous sera proposée.
Venons-en au rapport annexé. Rassurez-vous, mes chers collègues, je n’évoquerai pas les quelque 250 alinéas qui détaillent précisément le cadre de la politique de développement et de solidarité internationale. Notons, sans entrer dans les détails, qu’il souligne que cette politique s’inscrit dans un contexte international renouvelé, vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, dans lequel l’aide au développement doit prendre en compte de nouvelles problématiques que les objectifs du Millénaire pour le développement n’avaient pas abordées.
Cela étant, le rapport détaille les deux priorités transversales que sont la stratégie genre, adoptée en 2013, et la lutte contre le changement climatique. Toutes deux doivent désormais figurer dans toute politique conduite au titre de l’aide au développement, et les parlementaires y sont particulièrement vigilants. Elles sont totalement intégrées au texte du projet de loi.
Sont ensuite présentés les dix secteurs d’intervention dans lesquels la France propose son offre à ses partenaires : santé et protection sociale ; agriculture, sécurité alimentaire et nutritionnelle ; éducation et formation ; secteur privé, secteur financier et promotion de la RSE ; développement des territoires ; environnement et énergie ; eau et assainissement ; gouvernance et lutte contre la corruption ; mobilité, migration et développement ; commerce et intégration régionale. Trois secteurs sont retenus pour chaque pays, d’un commun accord avec les bénéficiaires, conformément aux pratiques internationales résultant des déclarations de Paris, Accra et Busan, pour une action effective et pertinente.
Le rapport détaille ensuite les priorités géographiques, et tout d’abord les partenariats différenciés introduits dans le document cadre en 2010 et désormais systématisés. Trois zones sont définies : les pays les plus pauvres, coeur de cible de l’aide de la France ; les pays en crise et en sortie de crise ; les pays du reste du monde. L’articulation des moyens à engager, des actions proposées est indiquée. Les questions relatives au pilotage de la politique d’aide au développement et les principes essentiels annoncés dans le dispositif articulé sont détaillés et approfondis.
La question des financements est enfin évoquée sous l’angle non des engagements de notre pays mais des modalités et des pistes nouvelles à explorer, dans une recherche de synergies entre ressources de diverses origines. L’Europe doit se saisir, à son niveau, de la taxe sur les transactions financières : le ministre nous en dira peut-être davantage, au cours de la discussion, sur la réunion des 18 et 19 février prochains. Nous aurons l’occasion d’en débattre. Enfin, une liste d’indicateurs révisables est proposée.
Ce rapport fait l’objet d’un nombre considérable d’amendements. Pour sa part, votre rapporteur s’est attaché à essayer de donner plus de cohérence au texte. Le Gouvernement proposera, quant à lui, des avancées par voie d’amendements en séance. Le débat parlementaire, déjà largement entamé dans les commissions pour avis et dans la commission des affaires étrangères, va maintenant se poursuivre dans l’hémicycle. Je souhaite qu’il soit fructueux et permette une large adoption, la plus consensuelle possible, de ce texte. Pour moi, l’adoption de ce projet de loi n’est pas un aboutissement : c’est un nouveau départ, l’écriture d’une page nouvelle de la politique de développement et de solidarité internationale de la France. C’est une nouvelle page qui s’écrit pour son influence dans le monde.