L’aide au développement est l’une des responsabilités historiques de la France. Vous nous proposez aujourd’hui de la revisiter et de fixer, dans une loi d’orientation et de programmation, ses nouvelles lignes directrices. Je veux saluer ici l’esprit de concertation qui a prévalu dans le cadre des assises nationales du développement, auxquelles j’ai moi-même participé.
Oui, il fallait revisiter la politique d’aide au développement de notre pays. Bien des évolutions l’exigeaient : la multiplication des pays émergents et des rapports qu’ils entretiennent avec les pays les plus pauvres ; les nouveaux défis que posent le réchauffement de la terre, la lutte contre l’extrême pauvreté et la malnutrition, pour ne citer que ceux-là ; l’évolution politique de nombre de pays en quête de démocratie ; la consolidation de nouveaux acteurs de coopération dans notre pays, au premier rang desquels les collectivités locales.
Tous ces facteurs conduisent en effet à redéfinir et à faire connaître les nouvelles priorités d’intervention de notre pays, du point de vue des pays bénéficiaires comme des thématiques prioritaires, de l’articulation entre le bilatéral et le multilatéral, des modes opératoires et, enfin, de l’articulation entre les différents opérateurs.
Tout cela cependant demeure vain si l’on n’exprime pas clairement une volonté budgétaire. Je ne peux donc que regretter, monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues, que vous ne vouliez pas vous engager à atteindre le plus rapidement possible l’objectif des Nations unies consistant à consacrer 0,7 % du PNB à l’aide au développement. Plus d’aide au développement maintenant, c’est moins d’aide au développement demain, c’est moins de souffrances, moins d’atteintes à l’environnement, plus de démocratie, plus de paix rapidement.
Certes, vous encouragez les financements nouveaux et innovants. À cet égard, si je salue l’affectation exclusive de la taxe sur les billets d’avion, créée par Jacques Chirac, à la lutte contre la tuberculose, le paludisme et le sida, je ne peux que dénoncer le fait qu’une partie de la taxe sur les transactions bancaires soit affectée au simple équilibre du budget de votre ministère. En effet, ces nouvelles recettes pourraient être efficacement dédiées aux grandes causes, telles la couverture sociale universelle, pour ne parler que de cela. L’esprit de cette taxe est détourné. Comment, dans ces conditions, rendre ces contributions acceptables par les Français ?
Votre projet de loi affiche deux priorités transversales et définit dix secteurs d’intervention, dont le développement territorial. Mais il semble ignorer que l’émergence d’autorités locales efficaces, associant les populations à leur gestion et au financement des services offerts, est reconnue par la communauté internationale comme le facteur principal de réussite des politiques de développement, particulièrement dans certains domaines d’intervention sectoriels comme la santé, l’agriculture, l’éducation et l’information, l’environnement et l’énergie, et l’accès aux services de base.
D’un côté, la France revendique et assume le fait d’être pilote pour la mise en oeuvre des lignes directrices internationales pour la décentralisation et l’accès aux services de base. De l’autre côté, l’on semble reléguer le renforcement de la décentralisation et la mise en capacité des collectivités locales des pays en développement au rang d’un outil parmi d’autres. Il devrait pourtant être au centre de la politique des prochaines années.
De même, vous renforcez la capacité des collectivités locales françaises dans le domaine de la coopération décentralisée, tout en donnant l’impression de les reléguer à un rôle d’échange d’expériences et d’expertises. Pourtant, vous le savez, leur vraie plus-value consiste à placer ces potentialités au service de projets partenariaux de développement qu’elles cofinancent. Des évolutions récentes ont d’ailleurs permis aux collectivités locales françaises de dégager de nouvelles sources de financement avec des dispositions leur permettant d’affecter une partie de leur budget consacré à l’eau ou à l’énergie à des projets de développement. Pourquoi ne pas étendre ces dispositions à leur budget consacré aux déchets ou aux transports ?
L’implication de la société civile par ces réseaux d’ONG est au coeur de votre loi et joue déjà un rôle substantiel. Il conviendrait cependant de s’assurer que cela ne conduira pas à un éparpillement de l’aide au développement. Il faudra aussi veiller à ce que l’ensemble de ces ONG ne deviennent pas progressivement, à l’instar de certaines d’entre elles, de simples groupes de pression ou des bureaux d’études ordinaires.
Enfin, l’implication des populations immigrées résidant dans notre pays dans l’aide au développement est primordiale, d’une part en raison de l’importance de l’épargne qu’elles consacrent à leurs proches et aussi, de plus en plus, aux cofinancements des projets de développement portés par les collectivités locales de leur pays d’origine ; d’autre part par leur implication et leur expertise, puisque ces migrants sont souvent qualifiés. Cela nécessite que leur mobilité et leur implication soient facilitées.
Enfin, la rareté des moyens budgétaires et la nécessité de leur utilisation efficace exigent de pousser encore plus loin la réduction des coûts de fonctionnement des opérateurs de l’aide au développement en étudiant la poursuite de leur regroupement.
Monsieur le ministre, il fallait revisiter et actualiser la politique française de l’aide au développement et je vous félicite d’avoir assumé cette responsabilité. Mais votre loi compte trop de considérations générales qui concourent certes à une ambition mais qui auraient pu être avantageusement complétées par des inflexions et des engagements concrets tels que je les ai évoqués.