Intervention de Didier Migaud

Séance en hémicycle du 11 février 2014 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud, premier président de la cour des comptes :

Ces réformes de ciblage et de simplification permettront, en contrepartie, de renforcer la prise en charge de ceux qui sont au coeur de la cible, en leur assurant un meilleur accès aux droits. Je prendrai deux exemples qui illustrent la nécessité de mieux cibler certaines actions publiques.

Le premier est l’indemnisation des victimes de l’amiante. Les travailleurs de l’amiante se voient offrir des possibilités de départ anticipé à la retraite grâce à un fonds, le FCAATA. Il est choquant de constater qu’alors que de nombreux travailleurs exposés à l’amiante n’ont pas accès à ce dispositif avant d’être effectivement malades – les artisans, par exemple –, le fonds a été fréquemment détourné de sa vocation pour prendre en charge la reconversion d’entreprises industrielles. En effet, ce fonds constitue aujourd’hui le dernier moyen de prise en charge publique de préretraites. L’inscription d’un établissement sur une liste aux critères peu précis suffit à faire bénéficier l’ensemble de ses salariés de départs anticipés, même s’ils n’ont pas été directement en contact avec l’amiante – par exemple, le personnel administratif. Le rapport cite le cas d’un établissement dont 96 % des salariés n’avaient jamais été exposés à l’amiante. Le défaut de ciblage sur les travailleurs les plus exposés à l’amiante entraîne une injustice et des dépenses publiques de fait plus élevées.

Le rapport évoque aussi les missions des sociétés d’aménagement foncier et rural, les SAFER, qui se sont éloignées de leurs missions originelles de remembrement agricole et d’aide à l’installation de jeunes agriculteurs pour servir le plus souvent de pur intermédiaire dans des transactions sur des biens fonciers dont la vocation est parfois résidentielle, mais en faisant bénéficier les parties privées de son privilège fiscal. Un contrôle plus étroit par l’État de l’activité des SAFER devrait permettre de les recentrer sur leurs missions d’intérêt général, avec des exigences déontologiques renforcées.

La simplification est un puissant levier d’économies et de ciblage de l’action publique. J’en prendrai un exemple tiré du rapport : des missions de recouvrement d’impôts divers ont été confiées au réseau des douanes pour compenser la perte de l’activité douanière traditionnelle. La Cour a relevé le nombre important d’impôts indirects à faible rendement : quarante-deux taxes ont un rendement inférieur à 100 millions d’euros. Certaines sont archaïques, comme la taxe sur les flippers qui a été réformée en 2007 sans être supprimée. Son coût de gestion dépasse son produit, qui est de 500 000 euros. La Cour invite les pouvoirs publics à supprimer les taxes obsolètes. Le retard d’informatisation des douanes est significatif : la Cour estime que 40 millions d’euros pourraient être économisés chaque année. Faut-il d’ailleurs que le ministère des finances conserve en son sein deux réseaux comptables de recouvrement des recettes fiscales ? La Cour pense que non. Elle recommande également la mise en place de l’auto-liquidation de la TVA à l’importation pour répondre à un enjeu important de compétitivité des plates-formes portuaires et aéroportuaires du territoire.

Vous le constatez à travers cet exemple : la mise en oeuvre d’économies n’est pas contradictoire avec l’amélioration de la qualité du service public, la simplification et le redressement de la compétitivité de notre économie, bien au contraire. C’est un constat que la Cour fait régulièrement et qui va souvent à l’encontre des idées reçues.

La Cour conçoit son rôle avant tout comme un aiguillon pour la modernisation des administrations. Pour cela, il est normal qu’elle souligne les insuffisances et les dérives. Mais il est important qu’elle souligne aussi les progrès constatés, qu’elle valorise ce que l’administration sait faire et bien faire et qu’elle encourage les réformes ainsi que les décideurs et les gestionnaires qui les conduisent. Le service civique doit répondre à une ambition forte : offrir dans trois ans à 100 000 jeunes par an l’opportunité de s’engager pour un projet d’intérêt général. Il en est encore à un premier stade de développement, avec 20 000 contrats par an, dont les premiers résultats sont encourageants. La poursuite du développement du service civique suppose de former les tuteurs, de maîtriser le coût pour l’État et de veiller à ce que les contrats ne se substituent pas à des emplois salariés.

Le rapport illustre les cas nombreux, où les exemples vertueux ne sont pas sans lien – nous nous en réjouissons – avec des travaux précédents de la Cour. Vous le savez, celle-ci est attentive aux suites concrètes données à ses recommandations. Elle répond ainsi à une prescription que vous-même avez inscrite dans la loi. Le nombre de recommandations partiellement ou totalement mises en oeuvre progresse, passant de 560 en 2011 à 1 033 en 2013, soit un quasi-doublement. Si le taux de recommandations suivies affiche un tassement, passant de 72 % à 62 %, ce résultat est imputable au caractère très récent de nombreuses recommandations et au choix de la Cour d’être sensiblement plus restrictive pour considérer qu’une recommandation est partiellement suivie.

Le rapport illustre des situations où les recommandations de la Cour ont été particulièrement suivies. La gestion des amendes de circulation et de stationnement routiers, dont le produit est de 1,6 milliard d’euros, s’est améliorée avec le développement des procès-verbaux électroniques, plus fiables, moins coûteux et laissant moins de prise à des possibilités d’indulgence, qui sont en rapide régression. La généralisation des PV électroniques doit être menée à son terme. Le redressement d’un régime de retraite complémentaire pour les enseignants du privé, récemment mis en place, avait été demandé par la Cour : il a été engagé rapidement.

Dans d’autres cas, les évolutions engagées sont trop lentes. C’est pourquoi la Cour insiste. C’est le cas par exemple de l’adoption internationale ou de l’accueil téléphonique de l’enfance en danger, encore très peu performant. Si Pôle emploi a fait de sensibles efforts pour lutter contre la fraude aux cotisations et aux indemnisations chômage, beaucoup reste à faire pour mieux cibler les contrôles, utiliser les données disponibles et rendre les sanctions plus rapides et plus efficaces.

Ce n’est pas non plus parce qu’une appréciation positive est formulée sur une politique publique qu’il faut se désintéresser de son avenir. Toutes sont soumises à des environnements changeants et certaines doivent être confortées pour préparer leur avenir. La Cour souligne l’importance des décisions à prendre concernant le transport spatial. Elle a examiné le recours aux partenariats public-privé pour le financement des investissements hospitaliers. La précipitation dans laquelle ces contrats ont été lancés explique une partie des dérives constatées, qu’il s’agisse des coûts ou de la qualité des réalisations, en particulier pour le Centre hospitalier sud francilien à Évry. La Cour formule des recommandations tirées de l’expérience passée, pour que les hôpitaux y aient recours à meilleur escient et dans des conditions financières beaucoup mieux maîtrisées. Les économies n’ont pas pour seule vocation de participer au redressement des comptes, elles permettent aussi de dégager des marges de manoeuvre, pour que les pouvoirs publics puissent investir dans des dépenses porteuses de croissance future et de donner à des services publics essentiels les moyens adéquats pour fonctionner de manière satisfaisante. Or, la Cour constate que ce n’est pas toujours le cas.

L’enquête sur la santé des détenus montre qu’en dépit des efforts des vingt dernières années, les importants besoins de soins de cette population en croissance continue sont encore très mal pris en charge, alors qu’elle se caractérise par une prévalence beaucoup plus forte des maladies psychiatriques et infectieuses que dans la population générale. Sur un autre sujet, la sécurité sanitaire des aliments, la Cour relève que le ministère de l’agriculture exerce de moins en moins ses missions de contrôle, particulièrement sur les produits phytosanitaires utilisés dans la culture et sur les établissements de transformation de denrées animales. La diminution des effectifs dans les services déconcentrés n’est pas pour rien dans cet affaiblissement. Alors que de nombreuses non-conformités sont détectées, les suites données aux contrôles sont rares et peu contraignantes, puisque 16 % seulement des contrôles ayant détecté des anomalies moyennes ou majeures ont débouché sur davantage qu’un simple avertissement. Ces deux exemples figurent pourtant au coeur des missions régaliennes de l’État.

Pour éviter que des situations de ce type ne se multiplient, la Cour invite les pouvoirs publics à recourir bien moins systématiquement à la réduction uniforme des dépenses dans l’ensemble des services, selon la méthode dite du « rabot ». Largement utilisée jusqu’ici, parce qu’elle était efficace pour produire rapidement des économies importantes, elle présente l’inconvénient d’affecter sans discernement les services les plus utiles et performants. Dans un nombre croissant de services de l’État, en particulier déconcentrés, elle conduit l’État à ne plus exercer certaines missions prévues par la loi, notamment les contrôles. C’est pourquoi, au rabot la Cour recommande de substituer des réformes ciblées sur les politiques les moins performantes, en s’appuyant sur les évaluations disponibles et en recentrant les politiques et les dispositifs publics sur les objectifs et sur les publics prioritaires.

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