Intervention de Bernard Testu

Réunion du 5 février 2014 à 16h45
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE :

C'est un plaisir et un honneur pour moi de vous parler d'un sujet qui me passionne et, qui, en l'espèce, pourrait être mis au service d'un pays que j'aime.

Avant d'en venir aux avantages et aux inconvénients que l'organisation d'un tel événement peut présenter pour notre pays, puis aux atouts et aux faiblesses de notre candidature éventuelle, il m'a été demandé d'essayer de définir les expositions universelles. Or cette définition n'est pas aisée et, très souvent, on procède par la négative. Le BIE – qui, tel Dieu le père, décide et fait les expositions – définit ainsi l'événement en commençant par dire ce que ces expositions ne sont plus et en poursuivant en termes bien vagues : « D'abord outils au service de la promotion de l'identité nationale, du progrès industriel et des consommateurs éclairés, les expositions universelles sont devenues aujourd'hui une plateforme unique pour le dialogue international, pour la démocratie publique et pour la coopération internationale ».

Pour ma part, au risque de paraître iconoclaste, je partirai des faits pour décrire l'exposition universelle comme un site de loisir ludique, éducatif, international, commercial, festif, éphémère et populaire.

C'est d'abord un espace de loisir : un site fermé de quelques centaines d'hectares, accueillant divers événements et expositions et auquel les visiteurs accèdent en payant un billet d'entrée. Cet espace est ludique car les visiteurs viennent y chercher le plaisir et le divertissement, mais il est en même temps éducatif, les exposants – pays, collectivités territoriales, entreprises – offrant aux visiteurs l'occasion d'un transfert de savoirs et de connaissances sur différents aspects du thème retenu pour l'exposition. L'événement est évidemment international, d'abord parce qu'une exposition universelle abrite les pavillons de nombreux pays et ensuite parce que les visiteurs viennent, eux aussi, du monde entier. Il est également commercial, même si ce qualificatif peut choquer, ne serait-ce que parce que la société chargée de l'exploitation de l'exposition assume des charges et perçoit des recettes, ces dernières provenant essentiellement de la vente des billets d'entrée et des partenariats avec des entreprises commerciales qui choisissent de contribuer financièrement à l'événement pour en tirer des bénéfices en termes d'image. Le caractère festif de l'exposition universelle semble évident, l'immense majorité des visiteurs se souvenant avant tout d'un endroit magique et merveilleux où l'on peut aller à pied, en cinq minutes, du Chili en Grande-Bretagne. C'est pourquoi le livre de Florence Pinot de Villechenon – personne qui, en France, voire en Europe, connaît sans doute le mieux l'histoire des expositions universelles – s'intitule Fêtes géantes. L'événement est éphémère – on « y a été » ou non et lorsque l'exposition de Séville ou de Shanghai est terminée, il est trop tard pour ceux qui l'ont manquée – cette caractéristique n'étant d'ailleurs pas étrangère à son attrait. C'est enfin une manifestation populaire : une exposition organisée à Paris a de bonnes chances de réunir 50 millions de visiteurs ; Shanghai en a réuni 70 ; Séville, 40. Parmi ce grand nombre, chaque public – groupes scolaires, familles, comités d'entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. Ne sous-estimons pas la clientèle internationale de ces événements : certaines personnes, parfois de condition modeste, se rendent à chaque exposition universelle !

Parmi les inconvénients d'une exposition universelle, on ne saurait passer sous silence le problème de son coût. Les enjeux financiers – termes sans doute plus appropriés – sont évidemment considérables. Réunir, sur un site aux infrastructures éphémères mais importantes, 50 millions de personnes durant 180 jours implique forcément des dépenses. Ces enjeux peuvent être divisés en deux catégories, qui correspondent à deux étapes successives : l'investissement et l'exploitation.

S'il est impossible d'estimer aujourd'hui l'investissement nécessaire, quelques éléments peuvent aider à définir un ordre de grandeur. L'affluence quotidienne moyenne sur un site d'exposition est de quelque 200 000 personnes ; venant s'ajouter au trafic normal dans la zone, leur transport nécessite sans doute des investissements complémentaires – qui ne seront d'ailleurs pas forcément perdus. À l'image des villages olympiques, il faut aussi créer, à proximité du site, un village de l'exposition pour héberger quelque 15 000 personnes. Celles-ci paient en général un loyer, mais il convient de leur offrir des conditions d'hébergement raisonnables. Souvent, ce type de projet s'insère dans des programmes de construction de logements pour étudiants ou de logements sociaux. Là non plus l'argent investi n'est pas perdu ; mais cet investissement demande à être planifié et concentré en fonction de la tenue de l'exposition. Enfin, il semble difficile d'envisager une candidature solide sans prévoir quelques éléments architecturaux pérennes, qui seront utilisés à titre provisoire pour l'exposition.

Évaluer le budget d'exploitation apparaît plus simple, même si le départ avec le budget d'investissement fait débat parmi les experts. En tout état de cause, les exemples passés montrent que l'équilibre de la future société d'exploitation – entre, d'un côté, les contributions des entreprises et la recette des entrées, et, de l'autre, les charges de fonctionnement – peut raisonnablement être atteint, y compris dans les pays à économie de marché. Cependant, l'État étant obligé de se porter garant, y compris de la société d'exploitation, le calcul se doit d'être précis, sous peine de faire défrayer le contribuable. Sur un budget de quelque 2 à 5 milliards d'euros, une erreur de 10 % a des conséquences qu'on ne peut prendre à la légère. L'engagement doit donc être sérieux et le contrôle des dépenses et des recettes, rigoureux.

Dernier coût : celui de l'empreinte écologique que ne manquera pas de laisser la venue de 50 millions de personnes en un lieu circonscrit. Ce problème ne doit pas nous empêcher d'agir mais, même s'il apparaît moins aigu dans un environnement déjà urbanisé, il faut dès l'amont chercher à le réduire autant que possible.

Les avantages apparaissent pour leur part évidents. Une exposition universelle constitue un projet fédérateur tant pour les citoyens que pour les territoires concernés, ainsi que pour le pays tout entier. Consensuel, le projet, quoique réalisable, a un caractère magique : il fait rêver. Dans beaucoup de pays, ce potentiel mobilisateur a été très sous-estimé alors qu'il s'agit d'une occasion unique d'impulser un élan, de libérer une énergie qu'on a du mal à imaginer. Le champ des possibles est extrêmement large. D'autre part, première destination touristique au monde, la France se doit d'entretenir la flamme au lieu de se reposer sur ses lauriers. L'organisation d'un tel événement – qui pourrait attirer quelque 10 millions de visiteurs étrangers supplémentaires – démultiplierait l'attrait de notre pays.

Pour évoquer les atouts et les faiblesses de l'éventuelle candidature française, je commencerai par insister sur nos points forts. Ceux-ci sont objectifs : la France est un pays développé et Paris, un site très urbain, ce qui confère une crédibilité immédiate au projet. Les moyens financiers et humains, ainsi que les infrastructures sont là. Enfin, ayant réussi à organiser une exposition universelle il y a 150 ans, la France devrait également y parvenir aujourd'hui. Nous n'aurons donc pas grand-chose à prouver sur ce terrain.

Autre point positif pour le BIE : le succès prévisible de l'opération. En effet, rien n'est pire qu'une exposition universelle qui ne remplit pas ses promesses. Cette mésaventure est arrivée à l'Allemagne qui a péché par orgueil en voulant faire mieux que l'Espagne, qui avait attiré 40 millions de visiteurs et en en annonçant 50 millions. Mais Hanovre n'est pas Séville et avoir réussi à y faire venir 20 millions de personnes représente déjà un bel exploit ! Le problème a donc tenu tout entier à l'annonce initiale, trop optimiste. Dans le cas de Paris, le succès est par avance certain.

Plutôt que des faiblesses, je parlerai des vulnérabilités potentielles de notre candidature et je le ferai avec une très grande liberté, en tant que praticien et que citoyen. La création de cette mission d'information parlementaire semble indiquer la volonté du législateur de donner à notre pays les moyens d'organiser cet événement ; mais si l'on ne parvient pas à construire un consensus politique fort, dépassant les clivages partisans, et à obtenir l'appui des principales collectivités locales concernées et de l'État, notre candidature est vouée à l'échec. En effet, la France a dans ce domaine un passif – fait de projets avortés ou de renoncements – qui risque de nous désavantager. En 1989, sous l'impulsion de François Mitterrand, une exposition universelle devait célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Alors que le BIE était allé jusqu'à changer ses règles de fonctionnement pour conforter la candidature française, les désaccords entre François Mitterrand et Jacques Chirac ont conduit à l'abandon du projet. Plus récemment, l'exposition internationale Images 2004 avait bien fait l'objet d'accords entre différents partis composant la majorité de l'époque, mais non d'une véritable volonté politique partagée par l'administration. Lorsque Jean-Pierre Raffarin est devenu Premier ministre, la France a renoncé au projet, qui plus est d'une façon cavalière – épisode qui lui a valu quelques rancunes. Notre pire ennemi, c'est donc nous-mêmes. Pour atténuer ce handicap, il nous faudra insister sur le consensus politique à maintenir quelles que soient les alternances, s'agissant d'un projet de long terme.

Une autre vulnérabilité peut se révéler plus délicate à surmonter : contrairement aux pays d'Extrême-Orient et du Moyen-Orient, où les expositions universelles sont à la mode, en Europe elles le sont un peu moins. Le dernier grand succès – Séville – date déjà de presque une génération ; Hanovre n'était pas un grand succès, et les autres rendez-vous avaient une portée plus régionale. Cette situation s'explique peut-être par le statut quelque peu ambigu de cet événement : porteur d'une charge culturelle considérable, il est également très populaire, certains visiteurs s'y rendant comme on se rend à Disneyland. Ce constat peut gêner mais, au fond, il n'a rien de scandaleux. Là aussi, l'existence d'un véritable consensus politique autour d'un projet magique peut complètement changer la donne en insufflant un esprit neuf.

Enfin, s'il faut s'inscrire dans une dynamique de victoire – notamment en construisant un dossier de candidature solide –, il faut être prêt à perdre. Le succès n'est jamais acquis et un échec ne serait en rien honteux, d'autant que l'élan provoqué par une belle candidature fédératrice peut très bien y survivre.

Héritées du passé, les expositions universelles ont été profondément revisitées et procurent aujourd'hui un cadre favorable aux échanges entre les hommes. Lorsqu'elles ont lieu, elles constituent le plus grand rassemblement humain de l'année. Organiser cet événement est à notre portée ; il serait grand temps que la France se donne les moyens d'inviter le monde entier.

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