Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Réunion du 5 février 2014 à 16h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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La mission d'information entend M. Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE.

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Pour sa première audition, notre mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025 est heureuse d'accueillir M. Bernard Testu.

Conseiller économique, ayant exercé plusieurs fonctions dans des cabinets ministériels, vous avez, monsieur, été commissaire général des pavillons français pour les expositions universelles de Lisbonne en 1998, de Hanovre en 2000, d'Aichi en 2005 et pour l'exposition internationale de Saragosse en 2008. Vous avez également été vice-président du Bureau international des expositions (BIE) – organisme qui attribue, tous les cinq ans, l'organisation d'une exposition à un pays et dont nous recevrons le secrétaire général dans quelques semaines – et commissaire général pour la contribution française à l'aménagement du Musée de l'Amérique française à l'occasion des célébrations du 400e anniversaire de Québec, qui se sont déroulées en 2008.

Il y a quelques mois, vous êtes intervenu au Sénat dans le cadre d'un colloque consacré aux expositions universelles, que nous avons co-organisé avec le sénateur Luc Carvounas. L'Assemblée nationale s'est saisie de ce dossier pour évaluer l'actualité d'un tel projet, qui a certes évolué depuis l'idée originelle ayant présidé aux premières expositions du dix-neuvième siècle – dont la France fut un des acteurs majeurs. Ayant exercé des responsabilités au BIE et animé la représentation de la France dans plusieurs expositions universelles et internationales, vous avez une connaissance fine et diversifiée du dossier. Chaque exposition étant unique et apportant des enseignements complémentaires, votre éclairage nous sera particulièrement précieux.

Que sont devenues les expositions universelles aujourd'hui ? Quelle est votre perception de ces grands événements mondiaux ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

C'est un plaisir et un honneur pour moi de vous parler d'un sujet qui me passionne et, qui, en l'espèce, pourrait être mis au service d'un pays que j'aime.

Avant d'en venir aux avantages et aux inconvénients que l'organisation d'un tel événement peut présenter pour notre pays, puis aux atouts et aux faiblesses de notre candidature éventuelle, il m'a été demandé d'essayer de définir les expositions universelles. Or cette définition n'est pas aisée et, très souvent, on procède par la négative. Le BIE – qui, tel Dieu le père, décide et fait les expositions – définit ainsi l'événement en commençant par dire ce que ces expositions ne sont plus et en poursuivant en termes bien vagues : « D'abord outils au service de la promotion de l'identité nationale, du progrès industriel et des consommateurs éclairés, les expositions universelles sont devenues aujourd'hui une plateforme unique pour le dialogue international, pour la démocratie publique et pour la coopération internationale ».

Pour ma part, au risque de paraître iconoclaste, je partirai des faits pour décrire l'exposition universelle comme un site de loisir ludique, éducatif, international, commercial, festif, éphémère et populaire.

C'est d'abord un espace de loisir : un site fermé de quelques centaines d'hectares, accueillant divers événements et expositions et auquel les visiteurs accèdent en payant un billet d'entrée. Cet espace est ludique car les visiteurs viennent y chercher le plaisir et le divertissement, mais il est en même temps éducatif, les exposants – pays, collectivités territoriales, entreprises – offrant aux visiteurs l'occasion d'un transfert de savoirs et de connaissances sur différents aspects du thème retenu pour l'exposition. L'événement est évidemment international, d'abord parce qu'une exposition universelle abrite les pavillons de nombreux pays et ensuite parce que les visiteurs viennent, eux aussi, du monde entier. Il est également commercial, même si ce qualificatif peut choquer, ne serait-ce que parce que la société chargée de l'exploitation de l'exposition assume des charges et perçoit des recettes, ces dernières provenant essentiellement de la vente des billets d'entrée et des partenariats avec des entreprises commerciales qui choisissent de contribuer financièrement à l'événement pour en tirer des bénéfices en termes d'image. Le caractère festif de l'exposition universelle semble évident, l'immense majorité des visiteurs se souvenant avant tout d'un endroit magique et merveilleux où l'on peut aller à pied, en cinq minutes, du Chili en Grande-Bretagne. C'est pourquoi le livre de Florence Pinot de Villechenon – personne qui, en France, voire en Europe, connaît sans doute le mieux l'histoire des expositions universelles – s'intitule Fêtes géantes. L'événement est éphémère – on « y a été » ou non et lorsque l'exposition de Séville ou de Shanghai est terminée, il est trop tard pour ceux qui l'ont manquée – cette caractéristique n'étant d'ailleurs pas étrangère à son attrait. C'est enfin une manifestation populaire : une exposition organisée à Paris a de bonnes chances de réunir 50 millions de visiteurs ; Shanghai en a réuni 70 ; Séville, 40. Parmi ce grand nombre, chaque public – groupes scolaires, familles, comités d'entreprise, touristes – doit trouver un intérêt. Ne sous-estimons pas la clientèle internationale de ces événements : certaines personnes, parfois de condition modeste, se rendent à chaque exposition universelle !

Parmi les inconvénients d'une exposition universelle, on ne saurait passer sous silence le problème de son coût. Les enjeux financiers – termes sans doute plus appropriés – sont évidemment considérables. Réunir, sur un site aux infrastructures éphémères mais importantes, 50 millions de personnes durant 180 jours implique forcément des dépenses. Ces enjeux peuvent être divisés en deux catégories, qui correspondent à deux étapes successives : l'investissement et l'exploitation.

S'il est impossible d'estimer aujourd'hui l'investissement nécessaire, quelques éléments peuvent aider à définir un ordre de grandeur. L'affluence quotidienne moyenne sur un site d'exposition est de quelque 200 000 personnes ; venant s'ajouter au trafic normal dans la zone, leur transport nécessite sans doute des investissements complémentaires – qui ne seront d'ailleurs pas forcément perdus. À l'image des villages olympiques, il faut aussi créer, à proximité du site, un village de l'exposition pour héberger quelque 15 000 personnes. Celles-ci paient en général un loyer, mais il convient de leur offrir des conditions d'hébergement raisonnables. Souvent, ce type de projet s'insère dans des programmes de construction de logements pour étudiants ou de logements sociaux. Là non plus l'argent investi n'est pas perdu ; mais cet investissement demande à être planifié et concentré en fonction de la tenue de l'exposition. Enfin, il semble difficile d'envisager une candidature solide sans prévoir quelques éléments architecturaux pérennes, qui seront utilisés à titre provisoire pour l'exposition.

Évaluer le budget d'exploitation apparaît plus simple, même si le départ avec le budget d'investissement fait débat parmi les experts. En tout état de cause, les exemples passés montrent que l'équilibre de la future société d'exploitation – entre, d'un côté, les contributions des entreprises et la recette des entrées, et, de l'autre, les charges de fonctionnement – peut raisonnablement être atteint, y compris dans les pays à économie de marché. Cependant, l'État étant obligé de se porter garant, y compris de la société d'exploitation, le calcul se doit d'être précis, sous peine de faire défrayer le contribuable. Sur un budget de quelque 2 à 5 milliards d'euros, une erreur de 10 % a des conséquences qu'on ne peut prendre à la légère. L'engagement doit donc être sérieux et le contrôle des dépenses et des recettes, rigoureux.

Dernier coût : celui de l'empreinte écologique que ne manquera pas de laisser la venue de 50 millions de personnes en un lieu circonscrit. Ce problème ne doit pas nous empêcher d'agir mais, même s'il apparaît moins aigu dans un environnement déjà urbanisé, il faut dès l'amont chercher à le réduire autant que possible.

Les avantages apparaissent pour leur part évidents. Une exposition universelle constitue un projet fédérateur tant pour les citoyens que pour les territoires concernés, ainsi que pour le pays tout entier. Consensuel, le projet, quoique réalisable, a un caractère magique : il fait rêver. Dans beaucoup de pays, ce potentiel mobilisateur a été très sous-estimé alors qu'il s'agit d'une occasion unique d'impulser un élan, de libérer une énergie qu'on a du mal à imaginer. Le champ des possibles est extrêmement large. D'autre part, première destination touristique au monde, la France se doit d'entretenir la flamme au lieu de se reposer sur ses lauriers. L'organisation d'un tel événement – qui pourrait attirer quelque 10 millions de visiteurs étrangers supplémentaires – démultiplierait l'attrait de notre pays.

Pour évoquer les atouts et les faiblesses de l'éventuelle candidature française, je commencerai par insister sur nos points forts. Ceux-ci sont objectifs : la France est un pays développé et Paris, un site très urbain, ce qui confère une crédibilité immédiate au projet. Les moyens financiers et humains, ainsi que les infrastructures sont là. Enfin, ayant réussi à organiser une exposition universelle il y a 150 ans, la France devrait également y parvenir aujourd'hui. Nous n'aurons donc pas grand-chose à prouver sur ce terrain.

Autre point positif pour le BIE : le succès prévisible de l'opération. En effet, rien n'est pire qu'une exposition universelle qui ne remplit pas ses promesses. Cette mésaventure est arrivée à l'Allemagne qui a péché par orgueil en voulant faire mieux que l'Espagne, qui avait attiré 40 millions de visiteurs et en en annonçant 50 millions. Mais Hanovre n'est pas Séville et avoir réussi à y faire venir 20 millions de personnes représente déjà un bel exploit ! Le problème a donc tenu tout entier à l'annonce initiale, trop optimiste. Dans le cas de Paris, le succès est par avance certain.

Plutôt que des faiblesses, je parlerai des vulnérabilités potentielles de notre candidature et je le ferai avec une très grande liberté, en tant que praticien et que citoyen. La création de cette mission d'information parlementaire semble indiquer la volonté du législateur de donner à notre pays les moyens d'organiser cet événement ; mais si l'on ne parvient pas à construire un consensus politique fort, dépassant les clivages partisans, et à obtenir l'appui des principales collectivités locales concernées et de l'État, notre candidature est vouée à l'échec. En effet, la France a dans ce domaine un passif – fait de projets avortés ou de renoncements – qui risque de nous désavantager. En 1989, sous l'impulsion de François Mitterrand, une exposition universelle devait célébrer le bicentenaire de la Révolution française. Alors que le BIE était allé jusqu'à changer ses règles de fonctionnement pour conforter la candidature française, les désaccords entre François Mitterrand et Jacques Chirac ont conduit à l'abandon du projet. Plus récemment, l'exposition internationale Images 2004 avait bien fait l'objet d'accords entre différents partis composant la majorité de l'époque, mais non d'une véritable volonté politique partagée par l'administration. Lorsque Jean-Pierre Raffarin est devenu Premier ministre, la France a renoncé au projet, qui plus est d'une façon cavalière – épisode qui lui a valu quelques rancunes. Notre pire ennemi, c'est donc nous-mêmes. Pour atténuer ce handicap, il nous faudra insister sur le consensus politique à maintenir quelles que soient les alternances, s'agissant d'un projet de long terme.

Une autre vulnérabilité peut se révéler plus délicate à surmonter : contrairement aux pays d'Extrême-Orient et du Moyen-Orient, où les expositions universelles sont à la mode, en Europe elles le sont un peu moins. Le dernier grand succès – Séville – date déjà de presque une génération ; Hanovre n'était pas un grand succès, et les autres rendez-vous avaient une portée plus régionale. Cette situation s'explique peut-être par le statut quelque peu ambigu de cet événement : porteur d'une charge culturelle considérable, il est également très populaire, certains visiteurs s'y rendant comme on se rend à Disneyland. Ce constat peut gêner mais, au fond, il n'a rien de scandaleux. Là aussi, l'existence d'un véritable consensus politique autour d'un projet magique peut complètement changer la donne en insufflant un esprit neuf.

Enfin, s'il faut s'inscrire dans une dynamique de victoire – notamment en construisant un dossier de candidature solide –, il faut être prêt à perdre. Le succès n'est jamais acquis et un échec ne serait en rien honteux, d'autant que l'élan provoqué par une belle candidature fédératrice peut très bien y survivre.

Héritées du passé, les expositions universelles ont été profondément revisitées et procurent aujourd'hui un cadre favorable aux échanges entre les hommes. Lorsqu'elles ont lieu, elles constituent le plus grand rassemblement humain de l'année. Organiser cet événement est à notre portée ; il serait grand temps que la France se donne les moyens d'inviter le monde entier.

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Nous sentons à votre passion que nous pourrons compter sur votre aide si la candidature française venait à se concrétiser.

Vous avez noté que les expositions universelles ont été profondément revisitées ; mais quelle en est aujourd'hui la nature ? Pourquoi en organise-t-on toujours, au-delà du seul objectif de réunir des hommes et des femmes ? Les grands événements internationaux de notre époque, tels que les Jeux olympiques et les expositions universelles, vous semblent-ils similaires ou profondément différents ?

Les Jeux olympiques suscitent immédiatement la fierté d'un peuple ; qu'en est-il des expositions universelles ? Que représentent-elles dans l'imaginaire collectif d'un pays ?

Comment voyez-vous l'exposition universelle du XXIe siècle ? Chaque candidat ayant à proposer un lieu et un thème, comment le BIE effectue-t-il son choix ? Considère-t-il d'abord le site ou la thématique, ou bien s'intéresse-t-il à l'articulation entre les deux ? Peut-on faire preuve d'imagination dans ce domaine pour inventer de nouveaux modes de fonctionnement ? Ainsi, dans votre définition, vous avez souligné que l'exposition universelle était un site fermé à entrée payante ; mais ne pourrait-on pas imaginer qu'elle se tienne sur plusieurs sites à la fois et que, grâce aux nouvelles technologies, elle adopte des formes nouvelles ? Selon vous, quelles pourraient être les modalités d'une exposition universelle différente de celles qui se sont tenues jusqu'ici ? Un tel projet aurait-il une chance d'aboutir alors que le processus de sélection correspond manifestement à des critères bien précis ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Les expositions universelles sont nées d'une volonté d'affirmation de puissance – industrielle, commerciale et même coloniale – des nations. En 1851, les Anglais ont réussi à devancer les Français, retardés par les événements de 1848 ; immédiatement après, Napoléon III a organisé deux expositions à la suite. Par rapport à cette conception, le projet devait évoluer pour rester d'actualité.

À la fin du vingtième siècle, l'événement a été très utilisé par les entreprises et s'est adressé au consommateur autant qu'au citoyen. Mais il est devenu également un outil de transmission et de vulgarisation des connaissances, la recherche y trouvant sa place à côté des déclinaisons commerciales et industrielles du thème. Chaque pays organise son pavillon selon son génie propre, en fonction des visiteurs attendus et du budget qu'il est prêt à consacrer à cette opération, quitte à produire parfois des manifestations décevantes. Les expositions fonctionnent dès lors comme un caravansérail où l'on trouve ce que l'on y apporte. Chaque pavillon s'apparentant à un musée, elles tiennent de la Cité des sciences et d'une grande fête cosmopolite simultanément. Par rapport à Hanovre – qui n'avait attiré que 15 ou 16 % de visiteurs étrangers –, cet aspect festif et international devrait être particulièrement saillant à Paris.

Si le concept d'exposition universelle n'avait pas été profondément revisité, l'événement serait mort. Avoir maintenu le mythe – dont des monuments tels que la Tour Eiffel, le Grand Palais ou le Trocadéro demeurent témoins – a permis à l'humanité, presque par hasard, de préserver ce moment particulier, presque miraculeux, où les hommes du monde entier posent leurs outils et oublient leurs conflits pour réfléchir ensemble à un sujet donné et essayer de se comprendre. L'événement est donc bien « une plateforme pour la démocratie publique », la médiation y étant minimale – l'UNESCO organise souvent des colloques en lien avec les expositions, mais ceux-ci restent marginaux par rapport à la vocation première de l'exercice.

Comme pour les Jeux olympiques, chaque candidature suscite immédiatement un fort sentiment d'identification nationale que nourrit le suspense lié au processus de sélection. En revanche, alors que l'exposition entraîne le plus grand rassemblement humain de l'année, loin devant les Jeux olympiques, elle bénéficie d'une couverture médiatique bien moindre – excepté dans le pays organisateur. Le parallèle entre les deux événements est cependant réel, et l'élan qu'une candidature peut donner à un pays est similaire. En effet, tous deux exigent une longue préparation, notamment pour construire les infrastructures ; l'importance des enjeux financiers est également comparable. Une candidature française ne laissera pas nos concitoyens indifférents et son impact sera important, même dans un vieux pays comme le nôtre qui a déjà organisé plusieurs expositions par le passé. L'événement a été capital pour les pays en développement ; il y a souvent été le marqueur d'une évolution. L'exposition d'Osaka a révélé au monde le Japon moderne ; celle de Séville a sanctionné l'entrée de l'Espagne dans le monde démocratique moderne ; celle de Lisbonne a symbolisé le développement du Portugal ; celle de Hanovre a concrétisé la réunification de l'Allemagne et celle de Shanghai, le renouveau de la Chine. Arriver à faire de l'événement un marqueur pour la France de 2025 serait source d'une réelle fierté nationale.

Comment réinventer l'exposition universelle du XXIe siècle ? Comme vous le savez sans doute, le projet français ne s'appuie pas sur un seul site. S'il est exclu d'imposer un changement total de la règle, un projet qui, tout en la respectant, proposerait des options supplémentaires serait parfaitement défendable. Ainsi, on ne peut imaginer une exposition universelle n'ayant qu'Internet pour support, mais l'on peut évidemment proposer des manifestations par Internet – en plus du reste. Le socle d'une exposition universelle reste quand même un lieu physique où des visiteurs battent le pavé pour visiter des pavillons et assister à des concerts, et non un simple écran. Le site fermé doté d'une billetterie reste donc d'actualité, même si l'on peut y ajouter d'autres sites, éventuellement ouverts et gratuits. Le modèle reste à inventer, dans le respect des traditions et sans froisser les conservatismes.

La lettre de candidature, signée du Président de la République ou du Premier ministre et adressée au président du BIE, ne contient au départ que trois éléments : un lieu, un thème et une période – qui peut aller jusqu'à six mois. Le lieu peut rester approximatif, mais le thème – de portée universelle, tel que les océans ou l'énergie – doit être précisément défini. C'est en effet un élément essentiel de la proposition. Le dossier de candidature, qui vient plus tard, doit décrire le consensus politique sur lequel j'ai insisté, les conditions matérielles envisagées pour l'exposition et les déclinaisons du thème proposé dont il doit montrer le caractère fédérateur et la pertinence. Il convient donc de créer immédiatement un comité ad hoc de spécialistes et d'autorités morales et scientifiques du secteur concerné, chargé de rédiger ce document de 20 à 40 pages – généralement passionnant – qui nourrira la réflexion des futurs scénographes de l'exposition.

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Vous avez expliqué que pour l'emporter, un dossier de candidature devait être extrêmement solide, le choix du pays, du lieu et du thème étant fondamental. Pourtant, nous avons appris – à nos dépens ! – que le processus de sélection pour l'organisation des Jeux olympiques donnait lieu, en coulisses, à un intense lobbying. Dans le cas des expositions universelles, les lobbies interviennent-ils également au moment du choix, et le cas échéant, sous quelle forme et avec quel succès ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Je crains que vous n'ayez raison. Cependant, si les expositions universelles présentent bien des points communs avec les Jeux olympiques, les différences restent importantes. Certes, les élections – faisant intervenir entre 150 et 200 électeurs – apparaissent similaires. Mais le Comité international olympique (CIO) est une organisation internationale de droit privé ; n'étant pas investis d'un mandat impératif, les électeurs n'y obéissent qu'à eux-mêmes. Ce mode d'organisation facilite les opérations de lobbying. En revanche, le BIE est une organisation internationale de droit public, antérieure non seulement à l'ONU, mais même à la Société des nations (SDN). Son siège – on l'oublie trop souvent – se trouve à Paris. Naguère composé de 45 membres, il en compte aujourd'hui 168. De grands pays comme les États-Unis et le Canada en sont pourtant sortis ; l'Inde – ou, dans l'Union européenne, l'Irlande et le Luxembourg – n'y sont pas représentés non plus. Le vote y est secret et il n'est pas toujours évident de savoir qui déposera dans l'urne le bulletin pour tel pays, même si cela revient le plus souvent au délégué. Il n'est donc pas facile d'élaborer une stratégie d'influence.

La France a toutes les cartes en main pour construire une candidature crédible ; capable de présenter un dossier technique irréprochable, elle dispose de surcroît d'un réseau diplomatique puissant. Cependant, certains délégués peuvent être vulnérables et il faut tenir compte de cette réalité. Si la France décide d'être candidate, elle devra le déclarer au début de 2016, la décision étant rendue deux ans plus tard. Sa lettre de candidature ouvrira une période de six mois durant laquelle d'autres pays pourront également se porter candidats. À la clôture des inscriptions, nous connaîtrons la liste de nos adversaires, les pays en compétition étant en général entre trois et cinq. En attendant ce moment, rien ne sert d'écouter les rumeurs : il faut simplement se dire que nous serons les meilleurs !

Pour renforcer le sérieux de notre candidature, il faut que le projet de loi ou d'ordonnance correspondant soit déjà écrit – sinon déposé – et annexé au dossier, attestant de l'engagement de l'État. Le dossier est ensuite examiné par une mission d'enquête qui interroge sans concession tous les protagonistes – groupes parlementaires de la majorité et de l'opposition, grandes collectivités locales et entreprises impliquées dans le projet – pour tester leur détermination. Cette mission d'enquête rend un simple avis technique, portant sur la viabilité du projet ; c'est ensuite l'assemblée générale du BIE qui vote pour départager les candidatures. Entre-temps, la responsabilité du comité de candidature reste écrasante puisqu'il lui appartient d'assurer la notoriété du projet et de convaincre 168 personnes par le biais d'opérations de relations publiques impliquant tant les services de l'État que leurs partenaires.

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Chaque pays disposant d'une voix, le Panama a dans cette élection autant de poids que la Chine. Il ne faudrait donc pas négliger les petits pays.

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La politique étrangère de la France a-t-elle du poids ? Peut-elle nous aider ou nous désavantager dans ce dossier ? Qui sont les 168 personnes qui participent à l'élection ? Qui les a choisies, et comment ? En avez-vous la liste ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Le BIE étant une organisation internationale de droit public, c'est le pouvoir politique qui nomme les trois délégués nationaux. Dans les grandes démocraties occidentales, il s'agit généralement de fonctionnaires, souvent de l'ambassadeur du pays. Quelquefois, pourtant, ce n'est pas le cas ; il est ainsi arrivé que le représentant d'un pays – généralement petit – soit une personne privée qui n'en avait même pas la nationalité, mais qui disposait d'amis haut placés. Si un tel électeur est plus vulnérable que d'autres aux pressions des lobbies, sa voix pèse pourtant autant que celle de l'ambassadeur de la République populaire de Chine.

La liste des délégués est publique ; cependant, ce n'est pas forcément le délégué qui sera l'électeur. Le rôle des services diplomatiques est ici essentiel : à eux de s'informer du cheminement de la réflexion dans chaque pays.

Pour ce qui est de notre pays, face au manque de mobilisation des administrations, j'ai souvent dû prendre la plume pour écrire à la personne chargée de ce dossier au cabinet du Premier ministre pour lui rappeler les échéances et lui donner mon point de vue. À l'issue d'une réunion entre responsables du quai d'Orsay et du ministère des finances, et parfois d'un ou deux ministères techniques concernés par le thème, la décision était prise quant au candidat pour lequel la France allait voter. Mais parfois les choses se passent autrement : lorsque, trois jours avant de terminer son mandat, François Mitterrand a reçu une lettre d'invitation de la part du chancelier Kohl, il y a répondu positivement. Bien que variés, ces processus restent légitimes et démocratiques.

Les grands candidats du passé, qu'ils aient gagné ou perdu, s'étaient toujours appuyés sur un réseau de spécialistes des questions internationales – anciens diplomates, intermédiaires qualifiés – pour suivre le processus de décision de chaque pays, sans pour autant négliger les appuis étatiques.

Quant au poids de la France dans le monde, il est bien réel, et notre candidature a davantage de chances d'emporter l'adhésion que celle de l'Islande. Mais notre pays ne compte pas que des amis.

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Pour les dernières expositions universelles, le choix était-il déjà connu au moment de l'élection ou au contraire faisait-il l'objet d'une véritable incertitude ? Les blocs en faveur de telle ou telle candidature avaient-ils déjà été identifiés ? Y a-t-il eu des surprises ou bien la décision a-t-elle été négociée en amont, le vote ne faisant alors que confirmer l'avantage pris par un pays sur les autres ? Le cas échéant, à quel moment le basculement en faveur d'une candidature s'est-il effectué ? À combien de voix l'élection s'est-elle jouée ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Tout comme dans le monde olympique, chaque campagne électorale est unique, porteuse d'un dynamisme propre. On a vu des candidatures ayant débuté sous les meilleurs auspices s'effondrer en raison d'un consensus politique défaillant ou de mouvements citoyens protestant contre l'organisation de l'exposition. Le projet de Nagoya a ainsi été compromis par la pression exercée à Paris par 350 manifestants japonais opposés à l'événement, leur mobilisation brisant l'impression de consensus. Ayant étudié le contexte, nous avons conclu que la contestation était motivée par des raisons internes au Japon, mais cet exemple montre qu'une campagne obéit à de strictes exigences de communication publique.

En toute modestie, je dirai que je ne me suis jamais trompé sur le pays vainqueur ; mais on ne peut pas en dire autant des candidats eux-mêmes qui, sûrs de l'emporter, ressortent parfois de l'élection dans un état de choc. On n'écoute malheureusement que ce que l'on a envie d'entendre, prenant toutes les promesses de soutien pour argent comptant.

Dans les élections récentes, le score n'a jamais été très serré, mais le Japon a gagné à très peu de voix près. Les Philippines – qui allaient ensuite abandonner le projet d'exposition – l'avaient emporté contre l'Australie au terme d'un processus particulier. La candidature de Brisbane, grande ville d'un pays développé, semblait ne devoir rencontrer aucun obstacle, d'autant que les chances des Philippines, pays en développement n'ayant jamais organisé d'exposition, paraissaient réduites. Lors du vote initial, pour lequel tous les représentants avaient des instructions, les voix se sont partagées à égalité, vingt-deux contre vingt-deux, ce qui était sans précédent. On a alors organisé un deuxième vote. Ayant au départ voté pour l'Australie, conformément à mes instructions, j'ai suivi mon coeur en choisissant les Philippines. En définitive, ce pays l'a emporté largement grâce au coefficient de sympathie dont il a bénéficié.

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Depuis le départ, j'ai l'impression que pour vous, si la France se portait candidate, c'est forcément à Paris que l'exposition serait organisée. S'agit-il d'une évidence ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Paris est plus connu dans le monde que Neuilly-sur-Seine ! (Sourires.) L'exposition Images 2004 qui devait se tenir en Seine-Saint-Denis avait ainsi, pour des raisons de visibilité, été présentée comme une exposition parisienne.

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Ma question concerne plutôt la possibilité d'organiser l'exposition dans une métropole régionale telle que Marseille ou Toulouse.

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Ce type de projet peut très bien prospérer. Hanovre est une ville de 700 000 habitants, Séville, de 400 000 seulement ; Milan – qui organise l'exposition de 2015 – en compte un peu plus d'un million. Les villes que vous avez citées pourraient donc très bien accueillir l'événement.

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Des étudiants ont été invités à livrer leurs idées dans le cadre du projet ExpoFrance 2025. Pour éviter les heures de queue dans les files d'attente, ils ont en particulier proposé d'organiser des expositions hors les murs, investissant les rues ou les transports en commun. Qu'en pensez-vous ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Uniquement du bien, à condition qu'il s'agisse d'une proposition supplémentaire. En effet, une exposition universelle ne saurait se passer de pavillons et il nous appartient d'adopter des méthodes intelligentes pour gérer les files d'attente – telles que des systèmes de réservation. Sous cette réserve, inventer des manifestations supplémentaires pour faire vivre l'événement hors les murs ou prévoir des installations sous d'autres formes ne peut qu'apporter un plus.

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La mission d'enquête qui instruit les candidatures établit-elle un rapport ? Les critères présidant à ses conclusions sont-ils connus ? Ce rapport est-il présenté aux délégués et débattu entre eux ?

Pour quelles raisons les États-Unis, le Canada et l'Inde ont-ils quitté le BIE ou n'y ont-ils pas adhéré ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

L'Inde n'y est jamais entrée. Le Canada est parti récemment, pour des raisons de personne, le candidat français à la présidence de l'assemblée générale l'ayant emporté sur le candidat canadien au terme d'une élection très conflictuelle. Les États-Unis se sont retirés il y a plus longtemps car l'organisation des expositions leur semblait trop chère et insuffisamment libérale. L'événement n'intéressant pas les gros opérateurs commerciaux tels que Disney – auxquels il fait concurrence –, ce pays a préféré ne pas participer. Cela dit, s'ils se portent un jour candidats à l'organisation d'une exposition – possibilité à ne pas exclure –, les États-Unis devront à nouveau adhérer au BIE.

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Cela n'empêche pas les Américains d'être toujours présents, avec de grands pavillons, à toutes les expositions universelles.

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Certes. Il faut distinguer l'organe qui décide de l'organisation des expositions et les États qui y participent. Ces derniers sont invités par le pays organisateur.

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En revanche, les pays ne faisant pas partie du BIE ne peuvent pas se porter candidats à l'organisation de l'événement.

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

En effet.

La mission d'enquête, composée de délégués membres du BIE, rédige un document qui entre dans les détails techniques et financiers du projet ; ce rapport est ensuite attentivement étudié par le secrétariat du BIE qui fait appel à l'expertise de consultants privés extérieurs. Ayant participé à quatre missions et en ayant présidé deux, je sais que l'investigation ne laisse rien dans l'ombre : on auditionne le Président de la République, les chefs de l'opposition, les principales villes concernées, les entreprises, les différents groupes de pression intéressés, les opposants, les banques, éventuellement les médias ; on vérifie différents documents relatifs à l'engagement financier de l'État et on examine la solidité de sa détermination en se penchant sur le projet de loi joint au dossier. En somme, on tente de s'assurer, dans la mesure du possible, qu'à ce stade de la procédure – soit neuf ans avant la tenue de l'exposition –, l'État concerné, dans toutes ses composantes, s'est mis en ordre de bataille pour préparer l'événement. Le rapport de la mission d'enquête est un document très épais et complexe, et la majorité des délégués ne le lisent pas ; mais la commission exécutive du BIE – que j'ai longtemps présidée – en fait une analyse avant de rendre un avis strictement technique, statuant sur la viabilité du projet et sur les éventuelles améliorations à y apporter. Ce rapport est voté par les membres de la commission exécutive – dont dix-huit pays font actuellement partie –, généralement à l'unanimité. Ainsi cette approbation ne signifie pas grand-chose, aucun projet sérieux n'étant rejeté à ce stade.

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À l'issue du vote, le dossier de candidature gagnant est-il rendu public, de façon que l'on puisse apprécier les raisons de sa victoire ? Après une exposition, en fait-on une analyse critique pour mettre en évidence les erreurs à ne pas reproduire ?

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Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE

Je ne saurais répondre à votre première question. En revanche, tant le pays organisateur que le BIE effectuent une étude a posteriori pour déterminer les raisons des succès et des échecs d'une exposition – tâche parfois délicate. Entre le dossier de candidature et la réalisation concrète du projet, il s'écoule plusieurs années et les différences sont souvent spectaculaires. En effet, si le pays candidat dépend totalement du BIE jusqu'au moment du vote, il devient ensuite seul maître à bord. C'est pourquoi le BIE craint les abandons en cours de route – dont la France notamment s'est rendue coupable.

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Monsieur Testu, je vous remercie pour cet échange qui donne envie de se lancer dans l'aventure. Nous en retiendrons qu'une exposition suppose avant tout le désir d'un peuple et d'un pays d'accueillir le monde. Mais à côté de cette dimension affective – essentielle –, une candidature nous ferait entrer dans un processus complexe de compétition qui, soumis autant à des réactions émotionnelles qu'à des considérations rationnelles, recèle une part de mystère. Nous nous souviendrons surtout de la nécessité d'un consensus : si nous voulons mobiliser la France et toute sa population sur un projet, il nous faudra le concours de tous les acteurs politiques, économiques et culturels, sans quoi l'élan initial ne saurait que retomber. Ce long processus nous donnera certainement l'occasion de nous revoir.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la candidature de la France à l'exposition universelle de 2025

Réunion du mercredi 5 février 2014 à 16 h 45

Présents. - M. Alexis Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Hervé Féron, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-François Lamour, M. Michel Lefait, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Martine Martinel, M. Hervé Pellois, Mme Catherine Quéré, Mme Claudine Schmid

Excusés. - M. Yves Albarello, Mme Marie-Odile Bouillé