Intervention de Bernard Testu

Réunion du 5 février 2014 à 16h45
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Bernard Testu, ancien commissaire général des pavillons français des expositions universelles, ancien vice-président du BIE :

Les expositions universelles sont nées d'une volonté d'affirmation de puissance – industrielle, commerciale et même coloniale – des nations. En 1851, les Anglais ont réussi à devancer les Français, retardés par les événements de 1848 ; immédiatement après, Napoléon III a organisé deux expositions à la suite. Par rapport à cette conception, le projet devait évoluer pour rester d'actualité.

À la fin du vingtième siècle, l'événement a été très utilisé par les entreprises et s'est adressé au consommateur autant qu'au citoyen. Mais il est devenu également un outil de transmission et de vulgarisation des connaissances, la recherche y trouvant sa place à côté des déclinaisons commerciales et industrielles du thème. Chaque pays organise son pavillon selon son génie propre, en fonction des visiteurs attendus et du budget qu'il est prêt à consacrer à cette opération, quitte à produire parfois des manifestations décevantes. Les expositions fonctionnent dès lors comme un caravansérail où l'on trouve ce que l'on y apporte. Chaque pavillon s'apparentant à un musée, elles tiennent de la Cité des sciences et d'une grande fête cosmopolite simultanément. Par rapport à Hanovre – qui n'avait attiré que 15 ou 16 % de visiteurs étrangers –, cet aspect festif et international devrait être particulièrement saillant à Paris.

Si le concept d'exposition universelle n'avait pas été profondément revisité, l'événement serait mort. Avoir maintenu le mythe – dont des monuments tels que la Tour Eiffel, le Grand Palais ou le Trocadéro demeurent témoins – a permis à l'humanité, presque par hasard, de préserver ce moment particulier, presque miraculeux, où les hommes du monde entier posent leurs outils et oublient leurs conflits pour réfléchir ensemble à un sujet donné et essayer de se comprendre. L'événement est donc bien « une plateforme pour la démocratie publique », la médiation y étant minimale – l'UNESCO organise souvent des colloques en lien avec les expositions, mais ceux-ci restent marginaux par rapport à la vocation première de l'exercice.

Comme pour les Jeux olympiques, chaque candidature suscite immédiatement un fort sentiment d'identification nationale que nourrit le suspense lié au processus de sélection. En revanche, alors que l'exposition entraîne le plus grand rassemblement humain de l'année, loin devant les Jeux olympiques, elle bénéficie d'une couverture médiatique bien moindre – excepté dans le pays organisateur. Le parallèle entre les deux événements est cependant réel, et l'élan qu'une candidature peut donner à un pays est similaire. En effet, tous deux exigent une longue préparation, notamment pour construire les infrastructures ; l'importance des enjeux financiers est également comparable. Une candidature française ne laissera pas nos concitoyens indifférents et son impact sera important, même dans un vieux pays comme le nôtre qui a déjà organisé plusieurs expositions par le passé. L'événement a été capital pour les pays en développement ; il y a souvent été le marqueur d'une évolution. L'exposition d'Osaka a révélé au monde le Japon moderne ; celle de Séville a sanctionné l'entrée de l'Espagne dans le monde démocratique moderne ; celle de Lisbonne a symbolisé le développement du Portugal ; celle de Hanovre a concrétisé la réunification de l'Allemagne et celle de Shanghai, le renouveau de la Chine. Arriver à faire de l'événement un marqueur pour la France de 2025 serait source d'une réelle fierté nationale.

Comment réinventer l'exposition universelle du XXIe siècle ? Comme vous le savez sans doute, le projet français ne s'appuie pas sur un seul site. S'il est exclu d'imposer un changement total de la règle, un projet qui, tout en la respectant, proposerait des options supplémentaires serait parfaitement défendable. Ainsi, on ne peut imaginer une exposition universelle n'ayant qu'Internet pour support, mais l'on peut évidemment proposer des manifestations par Internet – en plus du reste. Le socle d'une exposition universelle reste quand même un lieu physique où des visiteurs battent le pavé pour visiter des pavillons et assister à des concerts, et non un simple écran. Le site fermé doté d'une billetterie reste donc d'actualité, même si l'on peut y ajouter d'autres sites, éventuellement ouverts et gratuits. Le modèle reste à inventer, dans le respect des traditions et sans froisser les conservatismes.

La lettre de candidature, signée du Président de la République ou du Premier ministre et adressée au président du BIE, ne contient au départ que trois éléments : un lieu, un thème et une période – qui peut aller jusqu'à six mois. Le lieu peut rester approximatif, mais le thème – de portée universelle, tel que les océans ou l'énergie – doit être précisément défini. C'est en effet un élément essentiel de la proposition. Le dossier de candidature, qui vient plus tard, doit décrire le consensus politique sur lequel j'ai insisté, les conditions matérielles envisagées pour l'exposition et les déclinaisons du thème proposé dont il doit montrer le caractère fédérateur et la pertinence. Il convient donc de créer immédiatement un comité ad hoc de spécialistes et d'autorités morales et scientifiques du secteur concerné, chargé de rédiger ce document de 20 à 40 pages – généralement passionnant – qui nourrira la réflexion des futurs scénographes de l'exposition.

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