Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, chers collègues, nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle. Notre assemblée a adopté ce texte le 16 septembre dernier, le Sénat l’a rejeté le 4 février et la commission mixte paritaire a échoué le lendemain. Nous l’avons adopté mercredi dernier en commission des affaires économiques.
Ce texte affirme le primat de l’économie réelle sur la finance. Nous sommes tous ici conscients des dégâts que la finance cause à l’économie mondiale, à notre pays, à nos territoires, aux salariés et à nos filières industrielles. Nous le savons, c’est le résultat d’une logique trop exclusivement financière, qui a conduit à favoriser les intérêts financiers de très court terme en sacrifiant les stratégies de long terme, de recherche, d’innovation et de développement des entreprises et des filières industrielles. Nous savons combien cette logique financière est dévastatrice. Et parce que l’État doit être le protecteur des entreprises et des salariés, nous devions agir.
C’est ce que nous faisons avec ce texte, qui comprend deux volets. Le premier concerne la reprise de sites rentables : il s’agit d’affirmer que l’on ne peut fermer impunément un site rentable, que l’entreprise qui veut le fermer a des obligations à l’égard des salariés et du territoire, et d’abord celle de rechercher un repreneur, et que nous voulons aider les entrepreneurs qui s’engagent pour le développement économique et l’emploi. Cette loi favorise en effet la liberté d’entreprendre. Le deuxième volet concerne la gouvernance des entreprises, avec la volonté d’assurer le primat de l’économie réelle sur la finance, en protégeant les entreprises et les salariés des opérations purement financières pour stabiliser leur actionnariat dans la durée, au bénéfice de leur intérêt social et de leur stratégie de développement de long terme.
Ce texte est un outil de reconquête économique, notamment industrielle. Il a vocation à protéger nos entreprises, nos salariés, nos territoires et nos filières industrielles des excès de la finance pour faire prévaloir les stratégies et les dynamiques de développement de long terme. La reprise de sites rentables doit être systématiquement recherchée. Nombre d’entre nous ont été confrontés, sur leurs territoires, à des fermetures de sites : ces drames industriels et humains sont une source d’appauvrissement pour ces territoires et entraînent souvent la disparition de savoir-faire industriels. Notre pays a perdu 750 000 emplois industriels en dix ans.
Dès lors que l’on ferme un site rentable, les salariés, les élus et les habitants sont confrontés à l’incompréhensible, à l’absurde, à l’inacceptable, et ce texte est une réponse à ce type de situations : nous voulons garantir la recherche effective d’un repreneur, avec la mise au point d’une procédure spécifique, et instaurer un mécanisme de dissuasion avec une sanction financière prononcée par le tribunal de commerce contre l’entreprise qui refuserait une offre de reprise sérieuse.
Le modèle de gouvernance des entreprises doit par ailleurs favoriser les dynamiques de développement de l’activité et de l’emploi. La deuxième partie du texte pose donc les bases d’un nouveau modèle de gouvernance des entreprises. En effet, la logique financière met en difficulté, et même en danger, notre système économique, car trop souvent, les intérêts des actionnaires vont à l’encontre des intérêts à long terme de nos entreprises, de nos filières industrielles, des salariés et des territoires. En France, nous le savons, nos entreprises sont tout particulièrement exposées aux risques d’instabilité, car l’actionnariat y est particulièrement faible. Elles ont donc besoin d’être protégées, comme l’ont montré un certain nombre de travaux récents : un rapport du Sénat de 2007, mais aussi des publications que l’on doit à Jean-Louis Beffa, à Louis Schweitzer et Olivier Ferrand, ou encore, plus récemment, à Louis Gallois, en novembre 2012.
Il nous appartient donc de rechercher le bon équilibre entre l’attractivité, indispensable pour assurer le financement de notre économie, et l’encouragement aux investisseurs qui s’engagent dans la durée, au bénéfice de la stratégie de long terme de nos entreprises et des filières industrielles. C’est pourquoi la proposition de loi conforte les actionnaires de long terme avec le droit de vote double, donne aux entreprises des moyens de résister aux OPA hostiles et aux prises de participation rampantes et associe les salariés aux procédures d’OPA, à travers la consultation du comité d’entreprise.
Nous avons, à chaque étape du travail parlementaire, amélioré ce texte en tenant compte des auditions et des contributions qui nous ont été apportées. La phase des auditions, tout d’abord, a permis d’écouter tous les avis. Elle nous a permis de mettre au point l’articulation qui s’imposait avec la procédure prévue par la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi. Elle nous a aussi permis d’analyser des cas concrets, notamment celui de M-Real, dans l’Eure, dont nous parlera tout à l’heure notre collègue Jean-Louis Destans, qui a mobilisé autour des salariés les moyens nécessaires à la reprise du site. Nous avons également entendu longuement, au cours de nos auditions, les salariés de Pilpa. Le travail en commission nous a permis de traiter, entre autres, la question de l’information des élus et celle des aides publiques.
Le débat qui s’est déroulé ici même en septembre dernier a tenu compte des positions contradictoires exprimées lors des auditions quant à l’efficacité d’une nouvelle réduction du seuil de déclenchement des OPA, et nous en avons tenu compte. De même, nous avons modifié la procédure de consultation du comité d’entreprise en cas d’OPA, pour en réduire significativement la durée. L’examen au Sénat a été un moment important, même si le texte n’y a pas été adopté. Je tiens ici à rendre hommage à la rapporteure de la commission des affaires sociales saisie au fond, Anne Emery-Dumas et aux rapporteurs pour avis, Jean-Marc Todeschini, Félix Desplan et Martial Bourquin, qui ont réalisé un travail très important d’amélioration du texte.
C’est pourquoi nous avons proposé la semaine dernière à la commission des affaires économiques de reprendre une série d’amendements du Sénat, et pas seulement des amendements rédactionnels et de coordination, mais aussi des amendements de fond, portant notamment sur les offres techniques ou, plus importants encore, sur les conditions de remboursement des aides publiques. Dans le texte initial, c’est le tribunal qui pouvait, au moment de la condamnation à la pénalité, demander le remboursement des aides publiques. Le Sénat a amélioré significativement le texte, en permettant aux collectivités, dans l’année qui suit la condamnation, d’émettre un titre de recettes pour demander le remboursement. C’est là un acquis important de la discussion au Sénat.
Enfin, la commission des affaires économiques a adopté mercredi dernier plusieurs amendements d’amélioration du texte, ou de précision.
Je tiens à remercier tous les députés qui ont travaillé sur ce texte, à commencer par François Brottes, président de la commission des affaires économiques, qui en a été l’initiateur. J’adresse également mes remerciements à Guillaume Bachelay, Jean-Louis Destans, Jean-Marc Germain, Jean Grellier, Patrice Prat, Michel Liebgott, Marie-Françoise Bechtel, Christophe Borgel, Cécile Untermaier et Christophe Léonard – et j’en oublie sans doute.
Je tiens également à dire que nous pensons tous en ce moment aux salariés des entreprises qui ont dû subir une fermeture de site au cours de ces dernières années, notamment Petroplus, Pilpa, Arcelor-Mittal, D’Aucy, Moulinex, Plysorol, Goodyear, et beaucoup d’autres.
Pour protéger le développement des entreprises françaises, il nous faudra, madame la ministre, poursuivre ce travail au-delà de l’adoption de cette proposition de loi. En effet, à l’occasion du travail accompli sur ce texte, nous avons constaté que les entreprises, en France, sont moins bien protégées par la loi et par les dispositifs réglementaires que certaines de leurs concurrentes étrangères, américaines, asiatiques et même parfois européennes. Des secteurs industriels comme la sidérurgie et l’aluminium ont été frappés par des OPA hostiles, aux effets dévastateurs – je pense à Arcelor ou Pechiney. Il nous appartient d’en tirer toutes les conséquences.
Ainsi, entre le modèle libéral anglo-saxon que l’Europe lui a imposé, et les pratiques développées en Amérique du Nord et en Asie, la France doit, pour défendre ses intérêts, faire prévaloir un nouveau modèle de gouvernance de ses entreprises, afin de leur permettre de se développer sans subir les effets dévastateurs du capitalisme financier.