Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission, chers collègues, en dix ans, l’industrie française a perdu 750 000 emplois. Sa part dans la valeur ajoutée est passée de 18 % à 12,5 %. Et l’hémorragie se poursuit, voire s’amplifie : environ 1 000 emplois disparaissent par jour. Face à cette catastrophe industrielle et sociale, il faudrait un arsenal juridique et législatif permettant d’opposer l’intérêt économique et général aux appétits financiers.
Nous avons besoin d’un dispositif qui interdise les licenciements sans cause réelle et sérieuse, les licenciements dits « boursiers ». C’est ce que nous avions défendu dans une proposition de loi examinée lors de l’une de nos niches parlementaires, mais que la majorité a malheureusement refusé de voter alors même que nos collègues sénateurs socialistes et écologistes l’avaient adoptée.
Il ne s’agissait pas, pour les députés et sénateurs du Front de gauche, d’une quelconque posture mais d’un choix politique, assumé. Ce n’était pas qu’un appel du pied, c’était et cela demeure une impérieuse nécessité.
Nous constatons à regret que la majorité actuelle n’est pas prête à faire ce choix en faveur de l’intérêt général, pas prête à faire primer le travail sur les actionnaires, pas disposée à faire primer l’emploi sur le capital.
Revenons donc sur la genèse de cette proposition de loi présentée comme permettant de reconquérir l’économie réelle, et mesurons par là même les renoncements face au mur de l’argent.
Il n’est pas étonnant que cette proposition de loi soit en retrait par rapport à nos propositions, mais elle est aussi en retrait par rapport à ce que disait souhaiter le candidat Hollande, qui, lors d’un déplacement à Florange en février 2012, annonçait vouloir légiférer sur l’obligation pour l’employeur de rechercher un repreneur en cas de fermeture d’un site.
Cette promesse s’est immédiatement traduite par le dépôt, le 12 février 2012, avant l’élection présidentielle et les élections législatives, d’une proposition de loi tendant à garantir la poursuite de l’activité des établissements viables, notamment lorsqu’ils sont laissés à l’abandon par leur exploitant.
Cette proposition deviendra par la suite la proposition no 35 du programme présidentiel, qui prévoyait de donner aux ouvriers et aux employés victimes de licenciements boursiers la possibilité « de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l’intérêt de l’entreprise ». Il s’agissait du tribunal de grande instance, pas du tribunal de commerce comme le prévoit le texte que nous discutons.
Cette promesse a été tempérée dès juillet 2012, lors de la première conférence sociale, avec la proposition visant seulement à « encadrer » les licenciements manifestement abusifs et les obligations liées à des projets de fermeture de sites rentables. Nous notons déjà un premier glissement de vocabulaire, pour ne pas dire un glissement sémantique. Viendra ensuite la transposition de l’ANI du 11 janvier 2013, dont l’article 19 prévoyait une simple obligation d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les offres de reprise. Cette obligation n’était d’ailleurs assortie d’aucune sanction, ce que nous avions dénoncé à cette tribune.
Épilogue de ce parcours législatif : le dépôt sur le bureau de notre assemblée de la présente proposition de loi visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel. Cette proposition de loi est tout de même d’une certaine timidité dans son dispositif au regard de l’ampleur des destructions d’emplois, de la précarisation des travailleurs, du cynisme et de l’arrogance débridés dont font preuve certains employeurs, donneurs d’ordre et actionnaires.
Essayons d’apprécier le texte proposé. Le dispositif concerne les entreprises et établissements d’au moins 1 000 salariés, ou appartenant à des groupes qui ont un tel effectif. Cela exclut d’ores et déjà un grand nombre d’entreprises et de groupes. Le dispositif ne concernera que 1 500 entreprises au plus et aura un impact sur 15 % des plans de sauvegarde de l’emploi et sur 30 % seulement des personnes touchées par ceux-ci.
Bien entendu, les établissements en redressement ou en liquidation judiciaire ne sont pas concernés. C’est déjà ignorer la pratique courante des groupes qui filialisent puis organisent la faillite d’une ou de plusieurs de leurs entreprises pour s’en débarrasser et échapper à leurs obligations à l’égard du personnel. J’ai des exemples en tête, comme chacun d’entre nous.
Je pense en particulier aux unités de quelques dizaines de salariés situées sur des sites historiques qui comptaient quelques centaines de salariés il y a dix ou vingt ans. Leur richesse est pompée, quotidiennement. L’outil de travail n’est pas renouvelé, au point de devenir obsolète. Les salariés sont surexploités et les directeurs des sites sont écoeurés par ce qu’on leur fait vivre. La production est véritablement asséchée, souvent du jour au lendemain. Au final, la mort est au bout du chemin. Et tout cela, c’est préparé, c’est anticipé, et cela se fait au détriment des salariés, des directeurs de sites et des territoires. C’est une façon de se comporter qui est aujourd’hui monnaie courante. Pour ne citer qu’un seul exemple, je vous demande de suivre dans les mois qui viennent un groupe qui compte plusieurs milliers de salariés et qui a une quarantaine de sites en France : le groupe Altia. Ce groupe est en train de se comporter de cette façon, retenez bien cela et suivez ce qui va se passer mois après mois, vous verrez le résultat de ce type d’orientation.
Le texte instaure certes l’obligation de rechercher un repreneur. Rechercher. Les mots ont un sens : il s’agit là d’une simple obligation de moyens, en aucun cas d’une obligation de résultat. Les grands groupes, assistés de leurs bataillons d’experts, savent très bien y faire quand il s’agit d’afficher leurs efforts volontaires, afin d’éviter des pénalités sans pour autant remettre en question une seule seconde leurs funestes projets.
Les sanctions prévues par le texte en cas de non-respect de l’obligation de recherche d’un repreneur sont par ailleurs faibles, pour ne pas dire dérisoires. Il est question d’un montant ne pouvant dépasser vingt fois le SMIC par emploi supprimé, dans la limite de 2 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise. À titre de comparaison, Continental a dépensé 50 millions d’euros pour fermer son site de Clairoix dans l’Oise, soit quarante SMIC nets par emploi supprimé.
En réalité, le mécanisme choisi permettra aux employeurs qui refusent à tout prix de vendre le site à un repreneur concurrent d’anticiper et d’intégrer le coût de cette pénalité dans le plan social.