Intervention de Claudine Schmid

Séance en hémicycle du 17 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaudine Schmid :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, j’interviens cet après-midi au nom du groupe UMPsur la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle. Je souhaite associer ma collègue Anne Grommerch dont la circonscription comprend le site de Florange et qui s’est beaucoup mobilisée sur ce texte.

Cette proposition de loi est également connue sous d’autres noms : son titre initial, plus lyrique, « redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel », et son titre médiatique « proposition de loi Florange ».

Il est vrai que la situation dramatique vécue par les salariés de Florange a conduit le candidat François Hollande à faire cette promesse, rappelée par notre collègue André Chassaigne : « Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions, et nous donnerons la possibilité aux salariés de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l’intérêt de l’entreprise. » Il s’agissait de l’engagement no 35.

Près de deux années plus tard, ce texte tente de respecter cette promesse après avoir connu un parcours chaotique.

Le 27 septembre 2012, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, promettait aux salariés de Florange, « dans les trois mois », une loi obligeant à céder une usine viable. Je regrette d’ailleurs qu’il ne soit pas là cet après-midi pour défendre le texte.

Le 11 février 2013, dans un contexte économique et social tendu, notamment face à l’incompréhension des salariés de Florange, le Président de la République avait de nouveau promis qu’une loi sur la reprise des sites rentables serait examinée avant l’été.

Une proposition de loi des députés socialistes et écologistes a donc été déposée quelques semaines plus tard, le 15 mai. Mais elle n’aura finalement été inscrite qu’en septembre, en session extraordinaire, et adoptée par l’Assemblée nationale le 1er octobre dernier.

Le Sénat a ensuite freiné de toutes ses forces pour examiner ce texte. Bien que la commission des affaires économiques l’ait adopté, les sénateurs, dans leur sagesse, l’ont rejeté en séance publique le 4 février dernier.

Après l’échec de la CMP, nous nous retrouvons donc aujourd’hui pour une nouvelle lecture.

Le rappel de ce calendrier montre à quel point l’incertitude est grande face à ce texte, ô combien important, pour lequel il fallait aller vite parce qu’il fallait envoyer un signal aux salariés des usines qui ferment les unes après les autres. Mais une fois n’est pas coutume, le décalage est grand entre les discours et la mise en oeuvre des promesses.

La CMP a échoué parce qu’il n’y avait pas d’accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, qui a rejeté le texte en bloc. Mais rappelons que la majorité du Sénat est à gauche : les désaccords sont donc au sein de la majorité parlementaire. Je souhaite le dire très clairement : s’il n’avance pas, c’est parce que la majorité n’est pas unie face à ce texte.

Venons-en plus précisément au fond.

Les articles du titre III qui visent à privilégier l’actionnariat de long terme ont été considérablement réécrits ou modifiés.

L’article 4 prévoyait d’abaisser le seuil de déclenchement obligatoire d’une OPA de 30 % à 25 %, à contre-courant de qui se pratique dans les autres pays européens. Le seuil de 30 % a été fixé par la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, à la suitd des recommandations de Bernard Field dans son rapport au nom de l’Autorité des marchés financiers en 2008. En changeant à nouveau le seuil, on méprisait le principe de sécurité juridique.

Alors que dans votre rapport, en première lecture, madame la rapporteure, vous sembliez convaincue du bien-fondé de cet article, considérant que « l’impact global sur l’attractivité est jugé faible », vous avez présenté un amendement de suppression en séance publique, identique d’ailleurs à un amendement de Mme Grommerch. Fort heureusement, les préoccupations des acteurs économiques et de l’AMF ont justement été entendues.

Malheureusement, l’article 5, lui, n’a pas été supprimé. Il prévoit d’attribuer automatiquement un droit de vote double après deux ans de détention. Actuellement, l’attribution d’un droit de vote double est déjà possible dans le cadre des statuts ; il s’agit d’une démarche volontaire. En imposant ce droit de vote double, vous risquez de décourager les investisseurs pour lesquels une action égale une voix. Le risque de perte d’attractivité des entreprises françaises pour les investisseurs internationaux est réel.

Le coeur du dispositif reste l’article 1er. Cet article vise à obliger les dirigeants d’entreprise à rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement avec pour conséquence un projet de licenciement collectif. Il prévoit également d’augmenter les moyens d’information et d’action des salariés et du tribunal de commerce. Nous sommes très réservés sur ces dispositions et leurs modalités.

Il est tout à fait légitime que les salariés et les élus soient informés. C’est toujours un choc de découvrir, souvent dans la presse, qu’un établissement ferme et que les salariés se retrouvent devant une porte close du jour au lendemain. Le traitement de l’information doit être clair et transparent.

Cela étant, le texte que vous nous proposez impose des contraintes administratives lourdes pour le chef d’entreprise : réalisation de documents de présentation de l’établissement, réalisation de bilan environnemental, notifications diverses et variées, motivation de chaque réponse à une offre de reprise. Autant de dispositions en totale incohérence avec les annonces faites par M. le Président de la République lors des assises de l’entrepreneuriat en avril dernier qui visaient à rassurer les entrepreneurs et à leur redonner confiance, en totale incohérence également avec les promesses de « choc de simplification » si souvent répétées.

En outre, le niveau des sanctions prévu pour les chefs d’entreprise qui ne respecteraient pas la procédure de recherche de repreneur dénote un véritable climat de méfiance à leur encontre : les dispositions en question prévoient que tribunal de commerce « peut imposer le versement d’une pénalité qui peut atteindre vingt fois la valeur mensuelle du SMIC par emploi supprimé. » Cette pénalité pourra être prononcée si le chef d’entreprise refuse « une offre de reprise sérieuse sans motif légitime de refus. » De quoi parle-t-on ? Sur quels critères le tribunal de commerce appréciera-t-il si l’offre est sérieuse : le nombre d’emplois sauvegardés, la viabilité économique de l’établissement sur le long terme ?

Toutes ces incertitudes vont décourager les investissements en France. L’effet de cette proposition de loi sera contre-productif puisque personne ne souhaitera reprendre un site qui ferme, de crainte de se voir imposer par la suite les mêmes contraintes en cas de difficultés économiques.

Comme le décalage est grand entre les discours du Président de la République à l’étranger – par exemple la semaine passée aux États-Unis – et ce que vote la majorité au Parlement !

Aujourd’hui même, le conseil stratégique de l’attractivité est réuni à l’Élysée autour de trente-quatre leaders du monde économique. D’un côté de la Seine, on cherche draguer les investisseurs, à valoriser notre pays ; de l’autre côté de la Seine, on complexifie la réglementation, on adopte des mesures à contre-courant des autres pays européens. Ne soyons pas dupes : ce que regardent les investisseurs ce sont les mesures, pas les discours.

En 2013, 77 % de baisse des investissements étrangers en France ! Pourtant, dans l’Union européenne, les investissements étrangers ont augmenté par rapport à 2012. En Allemagne, ils ont quasiment quadruplé. Ils ont également progressé en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et en Irlande.

Terminons par les réelles questions d’ordre constitutionnel qui se posent au regard de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété.

En première lecture, de nombreux amendements des rapporteurs ont été adoptés afin de tenir compte de l’avis du Conseil d’État et de prévenir les risques d’inconstitutionnalité. Il semble que cela ne soit pas suffisant, et nous ne sommes pas les seuls à le penser. Le rapporteur pour avis de la commission des lois du Sénat – membre de la majorité, rappelons-le – a exprimé ses craintes : « S’il n’a pas souhaité remettre en cause l’économie générale du texte de l’article 1er de la proposition de loi, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale, votre rapporteur observe cependant qu’il existe des interrogations quant à la constitutionnalité de l’obligation de recherche d’un repreneur, ainsi que de son contrôle et surtout de sa sanction, au regard de la liberté d’entreprendre, du droit de propriété et éventuellement de la liberté contractuelle.

« En effet, la fermeture d’un établissement par une entreprise in bonis, malgré les licenciements qui peuvent en résulter, peut être considérée comme relevant de la liberté d’entreprendre, tandis que le refus de céder à une autre entreprise, qui peut être une entreprise concurrente, même sans motif légitime ou sérieux, peut être considéré comme relevant du droit de propriété.

« Dans ces conditions, sanctionner un manquement dans l’obligation de rechercher un repreneur et surtout le refus de cession peut s’apparenter à une atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété, qui ne serait pas nécessairement justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. »

Nous pensons donc, au groupe UMP, qu’il appartiendra au Conseil constitutionnel de trancher ces questions si la proposition de loi est adoptée.

À supposer qu’elle soit adoptée, cette proposition de loi, si elle est un symbole pour la majorité, restera une loi d’affichage qui, malheureusement, n’empêchera nullement les usines de fermer et n’incitera pas à la reprise économique. Une loi d’affichage qui vise également à masquer le bilan catastrophique du Gouvernement en matière industrielle et ne remplace pas une véritable politique économique, structurante et compétitive. Nous ne pouvons que regretter cette posture, et nous ne voterons pas cette ce texte.

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