Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 17 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Ce dispositif nous semble poser nombre de difficultés.

Pour commencer, le choix fait par la majorité de passer par une proposition de loi nous paraît pour le moins sujet à caution, en ce qu’il permet de contourner la double obligation de consulter les partenaires sociaux et de produire une étude d’impact. En l’absence d’étude d’impact, il nous est particulièrement difficile d’évaluer si le dispositif proposé peut réellement permettre de maintenir l’activité dans un certain nombre de cas. Si le texte avait été en vigueur au moment de l’affaire Mittal, l’issue en eût-elle été plus favorable pour les salariés du site ? Il est permis de se poser la question. Et même, dans l’affirmative, combien de sites, donc d’emplois, pourraient aujourd’hui être concernés par cet article 1er ? A contrario, l’impact négatif des nouvelles obligations et sanctions prévues par cet article ne serait-il pas de nature à peser bien lourdement sur l’ensemble de l’économie en décourageant les éventuels investisseurs, à peser plus que les éventuels effets bénéfiques que l’on pourrait en attendre ? Autant de questions centrales qui restent évidemment sans réponse en l’absence d’un véritable travail d’évaluation a priori.

Nous nous étonnons également que vous reveniez sur les conditions d’examen des offres de reprises des sites qui envisagent une fermeture, alors même que ce sujet avait été traité dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du mois de janvier 2013. Son article 12 imposait déjà la recherche d’un repreneur en cas de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement. L’encre même de ces dispositions de l’ANI transcrites dans le code du travail vient à peine de sécher que vous vous apprêtez déjà à alourdir la législation, à rebours même du « choc de simplification » annoncé par ailleurs.

S’il est évidemment légitime de défendre l’emploi dans des entreprises industrielles rentables du territoire national, nous considérons que les obligations nouvelles et les sanctions que vous faites peser sur les dirigeants d’entreprise dans le cadre de la recherche d’un repreneur sont juridiquement fragiles, probablement inutiles en termes de sauvegarde d’emplois et, je le répète, économiquement dangereuses.

Juridiquement fragiles, car, même si le Conseil d’État et nos travaux en première lecture ont largement permis de corriger les failles de votre dispositif initial, bon nombre d’imprécisions restent encore à lever, et nous craignons que le texte ne soit une nouvelle source de contentieux et un nouveau facteur de judiciarisation de l’économie. Prenons le cas de la notion de « motif légitime de refus de cession », uniquement définie comme « la mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise » : nos travaux ont permis de constater qu’une telle définition ne couvrait pas tous les cas envisageables de motifs légitimes. Je pense également à la notion d’« offre sérieuse de reprise ». Alors même qu’elle repose, quoi qu’en ait dit M. Brottes, sur une sorte d’indéfinition légale, le refus sans motif légitime d’une telle offre entraîne des sanctions particulièrement lourdes pour les entreprises concernées.

Inutiles en termes de sauvegarde d’emplois, car, de l’aveu même de ses auteurs, les sanctions prévues par cette proposition de loi ne concerneront qu’un nombre marginal de sites, alors que les nouvelles contraintes s’imposeront à tous. Elles auront pour principale incidence d’alourdir les procédures et de rallonger les délais, ce qui pourrait avoir des conséquences contre-productives à l’égard d’éventuels repreneurs, dissuadés par la lourdeur de l’ensemble de ces procédures.

Économiquement dangereuses enfin dans la mesure où cette loi, fût-elle d’affichage, n’en aura pas moins des effets dissuasifs sur le volume des investissements nationaux comme étrangers, à rebours des objectifs que vous prétendez par ailleurs viser comme nous-mêmes. À l’heure où ces investissements étrangers ont enregistré un recul record de 77 % en 2013, est-il raisonnable de distinguer une nouvelle fois notre pays en Europe et dans le monde par une législation ultra-rigide qui va inquiéter repreneurs et des entrepreneurs ? Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, nous appelons au contraire le Gouvernement à aller dans le sens d’une réelle harmonisation européenne. À défaut, nous risquons de perdre des parts importantes dans la compétition industrielle qui, hélas ! on peut le regretter, nous oppose bel et bien à nos principaux partenaires. Plus généralement, nous considérons enfin que ce texte participe à un certain climat de méfiance ou de défiance à l’égard des entrepreneurs, climat qui pèse lourdement, comme une véritable présomption de mauvaise foi.

Si l’on en juge d’après l’esprit de ce texte, vous semblez nier une réalité au fond assez simple : pour créer des emplois, il faut des entrepreneurs qui prennent le risque d’entreprendre. En d’autres termes, il faut des employeurs qui prennent le risque d’employer.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI considère que l’ambition exprimée par le titre de cette proposition de loi ne se retrouve pas dans son contenu. Pour redonner des perspectives à l’économie réelle, comme vous dites, vous auriez pu, nous semble-t-il, traiter la question des fermetures de sites différemment, en renforçant les obligations de revitalisation et de reconversion de l’outil industriel dans le cadre des licenciements collectifs pour motif économique, et ce afin de privilégier la viabilité des sites concernés. Vous auriez également pu aller plus loin en ouvrant la possibilité aux salariés d’un site industriel de pouvoir investir dans leur outil de production pour garantir la pérennité même du site.

Sur tous ces sujets, nous sommes prêts à travailler avec vous, madame la ministre, pour renforcer notre tissu industriel, accompagner les mutations inéluctables et prévenir les drames humains liés à la fermeture d’un site industriel. Mais, monsieur le président Brottes, ce n’est ni le pessimisme ni l’optimisme qui nous anime : nous essayons seulement d’être lucides, et de l’être totalement. Or je n’ai pas entendu la même lecture du texte dans la bouche de Mme la rapporteure et de Mme la ministre. J’ai même eu parfois l’impression d’une musique assez discordante.

Le groupe UDI ne pourra pas apporter son soutien à ce texte, je le répète, hautement symbolique, et sans doute sans effet sur les fermetures de sites industriels, qui risque d’isoler encore davantage notre pays dans le concert des nations industrielles européennes.

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