Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 17 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des affaires économiques, chers collègues, la France est un des pays d’Europe qui connaissent le plus fort mouvement de désindustrialisation. Comme d’autres collègues l’ont dit avant moi, en trente ans, notre tissu industriel a perdu de son dynamisme, ce qui s’est traduit par la suppression de millions d’emplois – trois millions d’emplois au cours des trente dernières années, dit-on, dont environ un tiers au cours des dix dernières années. Cette situation est devenue critique non seulement du point de vue de l’emploi, mais aussi parce que notre pays est devenu dépendant des importations pour un certain nombre de productions.

Les causes sont multiples, les solutions le seront également. Comme l’annonce son intitulé, ce texte propose une piste : la reconquête de l’économie réelle. Si ce titre peut sembler étrange, voire obscur, sa signification est très claire : il s’agit de mettre un frein aux comportements purement spéculatifs qui affaiblissent notre appareil productif, aux comportements de quelques groupes ou fonds financiers dont les intérêts particuliers viennent percuter l’intérêt général de l’économie française.

Ces dernières années, les politiques ont délaissé l’économie réelle, c’est-à-dire l’économie productive, semblant baisser les bras face à la financiarisation de l’économie. De fait, aujourd’hui, le poids de la sphère financière est démesuré par rapport à celui de l’économie réelle. Ainsi, alors que l’ensemble de la sphère financière représentait environ deux fois et demie l’économie réelle en 1990, ce rapport a quadruplé : la finance représente désormais plus de dix fois l’économie réelle.

Alors que nous examinons à nouveau ce texte, nous avons toutes et tous à l’esprit le cas de l’usine de Florange, qui a inspiré – cela a été rappelé – sa rédaction. Cet exemple est particulièrement révélateur, même si d’autres collègues ont fait état d’autres expériences elles aussi très instructives. Alors que la rentabilité du site avait été prouvée, et que des repreneurs existaient, le groupe ArcelorMittal a préféré s’entêter et fermer les hauts-fourneaux. Ce choix a été opéré dans une logique dirigée vers le profit maximal à court terme, en donnant la priorité à d’autres usines du groupe, encore plus rentables.

Je le dis d’autant plus gravement que derrière ces noms d’entreprises, derrière ces acronymes comme celui d’OPA, derrière ces situations sur-médiatisées, il y a avant tout des travailleurs, des entrepreneurs, des salariés, des ouvriers, des employés, des ingénieurs ou des cadres. Si la voie paraît inéluctable, il n’est jamais trop tard pour changer le cap et aller dans le sens du maintien et du redéploiement de notre tissu industriel. L’innovation entrepreneuriale, écologique et sociale doit devenir notre atout, créant une nouvelle opportunité de relocalisation d’activités industrielles.

Les écologistes sont clairs sur les objectifs et les moyens : ce ne sont pas les tribunaux qui relanceront les entreprises en difficultés, ce sont les entrepreneurs qui créeront des emplois par la recherche et l’innovation débouchant sur de nouveaux produits. Ce n’est pas une judiciarisation accrue des rapports économiques et sociaux qui permettra un nouveau développement ; ce sont les nouvelles activités qui créeront les nouveaux emplois.

Cette proposition de loi répond à une vraie question : celle de la perte de l’outil de travail, y compris sur des sites rentables. Fermer des usines alors que des repreneurs étaient prêts à les racheter, c’est insupportable socialement et inacceptable économiquement. Il est de notre responsabilité politique collective de prendre des mesures afin que les entreprises françaises disposent d’outils efficaces pour se défendre lorsqu’elles font l’objet de tentatives de prise de contrôle, et que les salariés disposent d’instruments leur permettant de reprendre la main sur l’avenir de sites industriels rentables qu’ils ont contribué à faire vivre par leur travail pendant des années, parfois des décennies. Comme l’a dit notre collègue Jean-Marc Germain, des dispositifs similaires existent dans d’autres pays ; la France n’avait que trop tardé à se protéger.

Cette loi pose des conditions à la fermeture d’entreprises en obligeant un dirigeant souhaitant fermer un site à en informer ses salariés, l’autorité administrative et les collectivités territoriales, et en lui donnant trois mois pour trouver un repreneur. Cet effort de transparence est bienvenu.

Nous saluons les mesures prises en faveur d’une meilleure information des salariés concernant leur possibilité de reprise de l’établissement. Dès la première lecture, les écologistes ont souhaité, à travers un amendement, que soit facilitée la reprise d’entreprises par les salariés sous forme de société coopérative de production, les SCOP. Cet amendement a été adopté en commission des affaires sociales, et nous nous en réjouissons : en mettant les salariés aux manettes de leur entreprise, on s’assure de confier la gestion et la production à des personnes qualifiées qui connaissent leur activité et ont intérêt à ce que celle-ci perdure. Mais cela permet également de promouvoir un modèle coopératif qui garantit la démocratie dans l’entreprise et empêche les inégalités flagrantes de traitement, sources de conflits et de dérives néfastes à l’activité de production.

Ainsi, dans le cas où le tribunal de commerce juge que l’entreprise n’a pas respecté ses obligations ou qu’elle a refusé une offre de reprise sérieuse, celle-ci sera soumise à des pénalités financières. Cette somme sera ensuite réinjectée via la Banque publique d’investissement dans le financement de projets créateurs d’activité et d’emplois sur le territoire de l’entreprise. Cette mesure va dans le bon sens, celui de la création d’emplois et du maintien des liquidités dans les circuits de l’économie réelle, afin de dynamiser les territoires.

Ce texte renforce le rôle des comités d’entreprise et les sanctions prévues en cas de non-respect des obligations d’information ou d’association. Les sanctions prévues responsabilisent les employeurs vis-à-vis de leurs salariés.

Par ailleurs, cette proposition de loi limite la prise de contrôle des sociétés par des groupes prédateurs, qui, bien souvent, font peu de cas des salariés travaillant au sein des entreprises rachetées. Les OPA devront déboucher sur un contrôle d’au moins 50 % du capital de la société cible, sous peine d’invalidation.

Dans la même perspective, nous saluons la création d’un droit de vote triple pour les actionnaires détenant un titre depuis plus de cinq ans. Cette mesure phare favorise l’actionnariat de long terme plutôt que les intérêts purement spéculatifs.

Enfin, nous saluons la suppression de l’article 9, en commission. En effet, les dispositions de cet article nous paraissaient en contradiction avec le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – que nous venons d’examiner – qui vise à développer l’offre de logement tout en luttant contre l’artificialisation des zones naturelles et agricoles. L’article 9 sanctuarisait les zones industrielles abandonnées en empêchant leur reconversion vers un autre usage et leur réhabilitation.

Par ailleurs, la possibilité d’attribuer jusqu’à 30 % des actions, de manière gratuite, à tous les salariés parachève le dispositif. Afin de le renforcer, nos collègues écologistes au Sénat ont fait adopter un amendement précisant que la répartition des actions devait se faire de manière équitable, dans un rapport maximum d’un à cinq, afin d’éviter des écarts trop importants entre employés. Le texte ayant été rejeté dans son ensemble au Sénat, nous défendrons à nouveau cette position dans notre assemblée.

Il est indispensable, pour développer l’économie réelle et l’emploi, de soutenir de nouvelles filières industrielles : je pense évidemment au secteur de l’énergie, aux énergies renouvelables, aux transports – voiture écologique, transports intelligents, transports en commun ferroviaire et même maritime grâce à de nouvelles technologies comme les motorisations à gaz naturel, développées par les chantiers navals de Saint-Nazaire. Parallèlement, nous devons miser sur le réservoir de chercheurs et ingénieurs de grand talent que compte notre pays pour mettre au point les innovations de demain.

Vous l’avez compris, la lutte contre la désindustrialisation est pour nous une priorité. Néanmoins, les écologistes souhaitent qu’au-delà d’une simple défense du potentiel productif, nous ayons une vraie réflexion sur les modalités de son développement et de sa durabilité, à l’échelle des territoires locaux, de la France, et de l’Europe.

Enfin, au-delà des filières à vocation environnementale, nous plaidons pour une nouvelle révolution industrielle. Afin de s’adapter aux défis de demain, l’industrie devra intégrer les principes de l’économie dite circulaire, l’économie du recyclage. Elle devra être plus écologique, plus économe non seulement en consommation de matières premières, mais aussi en flux comme l’eau ou l’énergie, et moins polluante. C’est là une opportunité de développement de nouveaux process industriels et de nouveaux facteurs de compétitivité, à l’heure où l’énergie et les ressources sont plus rares, donc plus chères.

Les députés du groupe écologiste, cosignataires de cette proposition de loi avec les députés socialistes, voteront donc favorablement.

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