Favoriser la mobilité vers la métropole, entre autres destinations, a toujours été l’une des lignes directrices de la politique envers les départements d’outre-mer, pour permettre à certains de leurs habitants de trouver un emploi et d’avoir une vie meilleure, et éventuellement de revenir ensuite dans leur département d’origine pour faire profiter ceux restés sur place des expériences vécues en métropole. Nous connaissons ce même phénomène avec nombre de nos jeunes compatriotes métropolitains qui se rendent temporairement à l’étranger puis reviennent en France. L’objectif du BUMIDOM était le même dans les années soixante, à une époque où La Réunion se trouvait dans une situation économique encore plus désastreuse qu’elle ne l’est malheureusement aujourd’hui.
Dans ces circonstances, prenons garde aux calculs politiciens et veillons à ne pas faire, au travers de ce débat, un injuste procès d’intention à Michel Debré, père de la Constitution de la Cinquième République au parcours courageux et exemplaire, qui mérite notre respect républicain.
Cette politique se fondait finalement sur un principe unique : la nation ne faisant qu’une, ses enfants, quelles que soient leurs origines, en étaient les contributeurs naturels. Mais cette idée très légaliste de la nation faisait malheureusement peu de cas de la psychologie de l’enfant.
Différents récits de ceux qu’on a appelés les « enfants de la Creuse » nous touchent tous profondément et nous révoltent. Je pense notamment au récit poignant de Jean-Jacques Martial, qui évoque l’enfance heureuse qu’il aura vécue jusqu’à ses sept ans, avant que « la deux-chevaux de la DDASS » l’arrache à sa terre natale. Je pense aussi à Jessy Abrousse, cette femme qui tente depuis des années de recomposer son passé, alors qu’elle a subi avec son frère et sa soeur les mauvais traitements de sa famille adoptive.
Il est évidemment primordial de comprendre comment de tels abus ont pu se produire durant cette période. Cependant, n’oublions pas trop vite que de nombreux expatriés, notamment des enfants, ont trouvé leur place en métropole et ont été accueillis avec amour et attention dans des familles métropolitaines. J’en connais quelques-uns dans le Tarn. Il faut donc rester vigilant et éviter de tomber dans des généralisations qui desserviraient le combat des ex-pupilles réunionnais.
Le rapport de l’IGAS conclut finalement à l’absence de faute des services sociaux et de l’État et propose le financement d’un billet d’avion aller-retour pour celles et ceux qui souhaiteraient revoir leur île natale. C’est une première avancée pour ces enfants qui souhaitent connaître leur histoire.
Personne n’est sorti indemne de ce sursaut de l’Histoire, ni les Réunionnais ni les métropolitains qui, pour la plupart, ont découvert les faits avec effroi en 2002.
Heureusement, cette histoire n’est pas tombée dans l’oubli, notamment grâce au travail de mémoire entrepris par le département de La Réunion. Le 20 novembre 2013, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, la présidente du conseil général de La Réunion, Nassimah Dindar, dont je tiens à saluer l’engagement sans faille sur cette question, a réuni certains de ces enfants dits de la Creuse, les associations et les élus pour commémorer le cinquantenaire de l’histoire des ex-pupilles réunionnais. À cette occasion, elle a inauguré à l’aéroport Roland-Garros une sculpture réalisée par l’artiste Nelson Boyer, à travers laquelle est enfin reconnu l’exil des enfants. Cette stèle est un symbole fort dans ce lieu emblématique qui fut le point de départ et le point de retour de ces enfants. Nous devons saluer et encourager ce travail de reconnaissance.
Chers collègues, vous avez choisi de présenter cette résolution à quelques semaines d’échéances électorales. On peut se demander si ce moment est le bon pour évoquer un sujet aussi difficile.