La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Monsieur le Premier ministre, après le pacte de responsabilité à horizon incertain, le Président de la République vient de lancer le Conseil stratégique de l’attractivité
« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP
pour ramener des entreprises étrangères sur le territoire national. Il est vrai qu’en 2013, les investissements directs étrangers en France se sont effondrés d’environ 77 % !
Je crains qu’avec les mesurettes annoncées, la tendance ne s’inverse pas… Mais votre souci envers les entreprises étrangères ne devrait-il pas plutôt se porter vers les entreprises françaises, dans un contexte de désindustrialisation dramatique, de pertes massives d’emplois et de crise économique persistante ? Faire venir des entreprises étrangères en France, c’est bien, mais éviter que des entreprises françaises ne disparaissent ou partent, ce serait mieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
L’attractivité, ce n’est pas que quelques grands groupes ne payent que 4 % d’impôt sur les sociétés quand l’immense majorité des entreprises françaises est imposée jusqu’à 37 %, un véritable record européen. L’attractivité, ce n’est pas non plus la taxe à 75 %. L’attractivité, ce ne sont pas des charges et un coût du travail devenus insurmontables pour tant d’entreprises, ni les augmentations d’impôts en série, telle la hausse de la TVA.
Non, monsieur le Premier ministre, nous ne sommes pas abusés par ces nouvelles opérations de communication et de diversion. À quand des actions urgentes afin de valoriser et d’aider concrètement les savoir-faire français et les entreprises françaises pour la croissance, pour l’embauche et pour le pouvoir d’achat ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur Moudenc, vous faites de la politique, vous êtes dans l’opposition, c’est bien ; vous combattez le Gouvernement, c’est votre droit ; mais pourquoi faut-il toujours que vous en veniez ainsi à dénigrer votre pays ?
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.
Cette attitude est insupportable. Vous partez de faux chiffres, ceux de la CNUCED, absolument pas spécialisée dans les calculs d’investissements étrangers, qui placent les Îles Vierges en quatrième position en Europe et qui font fi de la réalité.
La réalité, elle se trouve dans les chiffres de l’Agence française pour les investissements internationaux, l’AFII, qu’elle a donnés hier. Ils montrent de façon claire qu’en 2013, il y a eu 685 investissements étrangers en France, soit autant qu’en 2012, mais avec 30 000 créations d’emplois, soit 4 000 de plus ! La France est, la France reste un pays attractif.
Elle doit le devenir encore plus. C’est la raison pour laquelle un panel de chefs d’entreprise de taille mondiale ont été invités hier à participer au Conseil stratégique de l’attractivité. Tout y a été dit : les atouts de la France, dont nous devons être fiers, ses faiblesses, que nous devons corriger. D’où les décisions qu’a prises le Président de la République. J’en cite quelques-unes : la création d’un « passeport talents » pour attirer les talents en France, le financement des start-ups, notamment à travers la BPI, ou la fusion entre l’AFII et UbiFrance qui nous donne un grand acteur pour aider nos entreprises à exporter.
Vous ignorez, monsieur Moudenc, qu’il y a aujourd’hui en France 20 000 entreprises étrangères, qui représentent deux millions d’emplois, et surtout que pour conquérir des parts de marché et pour défendre nos entreprises, il y a le pacte de responsabilité. Je vous en prie, soyez un peu plus patriote !
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Christian Eckert, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le Premier ministre, l’INSEE, la Banque de France, l’OCDE, l’OFCE, le FMI, la Commission, le Haut conseil des finances publiques, la Cour des comptes, autant d’institutions qui nous donnent périodiquement avec aplomb, comme beaucoup d’éditorialistes et, reconnaissons-le, certains d’entre nous, des prévisions à échéance d’un, de deux, voire de trois ans sur la croissance, l’emploi, le commerce extérieur et bien d’autres indicateurs macroéconomiques. Les mêmes sont souvent moins empressés à commenter a posteriori les constats, qui viennent souvent contredire les hypothèses qu’ils ont émises.
Ainsi, en 2013, la France a connu une croissance de 0,3 %, supérieure aux prévisions, proche de celle de l’Allemagne et supérieure à celle de la zone euro.
« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.
Au quatrième trimestre, l’investissement des entreprises a augmenté de 0,6 %, la consommation des ménages de 0,5 %, et près de 15 000 emplois industriels ont été créés.
Ces premiers résultats, enregistrés avec l’humilité qui convient,
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
ne doivent pas réduire notre ambition de conduire le redressement industriel de notre pays parallèlement au redressement nécessaire de nos comptes publics.
Cette ambition doit amplifier notre action. Après le CICE, les programmes d’investissement d’avenir, le soutien aux filières innovantes et la montée en puissance de la Banque publique d’investissement, le Président de la République s’est engagé à aller plus loin et plus vite.
Monsieur le Premier ministre, dites-nous comment vous allez, avec tous ceux qui voudront s’y engager avec responsabilité, confirmer sans stress et dans la durée les premiers résultats qui ont été enregistrés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le rapporteur général du budget Christian Eckert, vous avez raison de le dire, même s’il ne s’agit pas de faire de l’autosatisfaction, la France redémarre
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – « Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.
C’est à ce rendez-vous du redressement de la France, du retour de la croissance qu’il faut amplifier, du recul du chômage qu’il faut consolider, que j’appelle toutes les forces de la nation à se rassembler.
Bien sûr, j’en appelle aux élus de la majorité parlementaire mais à vous aussi, mesdames et messieurs de l’UMP, qui devriez vous réjouir lorsque les chiffres sont meilleurs plutôt que de continuer, comme vient de le dire Pierre Moscovici, à dénigrer la France, notre pays.
Protestations sur les bancs du groupe UMP.
L’heure est au patriotisme, pas au France bashing !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Que constatons-nous ? Les chiffres du dernier trimestre montrent que la croissance a été de 0,3 % en France.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Un peu de modestie, mesdames et messieurs de l’UMP, et surtout de lucidité ! De 2007 à 2012, la croissance a été en moyenne de zéro. Au dernier trimestre, la France a quasiment le même niveau de croissance que l’Allemagne que vous ne cessez de citer en exemple.
La consommation y a contribué, pour plus d’un-demi point, l’investissement des entreprises pour près d’un point. Pour la première fois depuis longtemps, les embauches dans le secteur marchand sont positives.
Alors, il faut amplifier, consolider. C’est le sens du pacte que le Président de la République a proposé. Il n’y a pas un instant à perdre pour ceux qui aiment la France,
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
ceux qui veulent que la France réussisse, ceux qui veulent redonner le moral aux Françaises et aux Français.
Faire reculer durablement le chômage, ce n’est pas vous qui l’avez fait, vous qui n’avez aucune solution et qui portez la responsabilité de l’échec de la France.
Mêmes mouvements.
Ayez un peu de réflexe, le sens de la dignité et de l’honneur du pays
Mêmes mouvements
pour rassembler les forces et soutenir le pacte qui s’adresse aux entreprises, aux organisations syndicales, aux collectivités territoriales, à tous ceux qui veulent que la France réussisse, comme ces entreprises que nous avons reçues avec le Président de la République à l’occasion de ce conseil stratégique de l’attractivité.
Certes elles ont des questions à poser à la France, ces quelque quarante entreprises des cinq continents, qui représentent un chiffre d’affaires de 850 milliards d’euros, dont 39 en France, où elles investissent et où elles ont créé 100 000 emplois – et elles sont prêtes à faire plus. Le pacte a un impact de mobilisation pour ces entreprises-là, qui viennent d’ailleurs, comme pour les entreprises françaises.
Ce rendez-vous, il ne faut pas le manquer. C’est le rendez-vous auquel vous êtes tous conviés. On dira alors que 2014 aura été le tournant de la consolidation.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Les efforts que les Françaises et les Français ont faits depuis plus de vingt mois ne sont pas inutiles. Ces efforts vont payer. Il faut aller plus vite, plus fort, plus loin. La France redémarre et c’est à nous tous d’y contribuer.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Ma question s’adresse au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. J’y associe Frédérique Massat, députée de l’Ariège et présidente de l’Association nationale des élus de montagne.
Monsieur le ministre, lors de sa visite en Ariège, le 29 avril 2013, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait qu’il n’était pas prévu de réintroduction d’ours dans l’immédiat, que le plan ours constituait un volet de la stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité et que c’est dans ce cadre qu’il serait discuté.
Au mois de mai, un rapport a été commandé au Muséum national d’histoire naturelle, ayant pour objet une expertise collective scientifique sur la question de l’ours brun dans les Pyrénées. Alors que ce rapport n’est toujours pas public, des informations relatives aux conclusions ont largement fuité ces dernières semaines, créant une confusion totale en laissant entendre l’imminence de nouvelles réintroductions.
Une telle hypothèse suscite des inquiétudes très fortes chez les éleveurs du massif pyrénéen et chez tous ceux qui vivent du pastoralisme. Il me paraît utile de rappeler que ce sont les agriculteurs et particulièrement les éleveurs qui entretiennent avec leurs troupeaux la montagne et qui la font vivre. Ils ont besoin d’être encouragés et soutenus dans la pratique du pâturage en estive. La pérennité des activités pastorales doit être préservée. Son intérêt économique, social, culturel et touristique n’est plus à démontrer.
Par ailleurs, comme le précise l’article 22 de la directive européenne « habitats », la consultation des populations locales concernées est un préalable incontournable dans la mesure où la réintroduction ne revêt aucun caractère obligatoire.
Alors, monsieur le ministre, j’ai deux questions. Pouvez-vous nous indiquer si et quand ce rapport sera rendu public ? Pouvez-vous nous préciser quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?
La parole est à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Madame Jeanine Dubié, madame Frédérique Massat, la France doit garantir la conservation de l’ours dans les Pyrénées.
Exclamations et sourires sur les bancs du groupe UMP. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
C’est une espèce strictement protégée par le droit international et européen. Étant moi-même non pas un ours mais un élu d’un département rural et d’élevage, je connais les difficultés que présente la cohabitation de l’homme et de l’ours.
Sourires.
L’objectif du Gouvernement est à la fois d’assurer la sauvegarde de l’ours et de maintenir l’activité pastorale qui est indispensable dans ces territoires. Sur ce sujet, il est souhaitable que tous les acteurs concernés se remettent autour de la table. J’ai effectivement demandé au préfet de massif d’élaborer le volet « ours » qui est, comme l’a dit le Premier ministre au mois d’avril dernier, un aspect de la stratégie pyrénéenne de valorisation de la biodiversité.
Il le fera au cours de l’année 2014, dans la plus grande concertation avec les associations environnementales mais également avec les éleveurs.
C’est à l’occasion du lancement de ces travaux, dans quelques jours, que le préfet produira l’expertise du Muséum national d’histoire naturelle que vous évoquez. Cette étude donne des informations sur le plan de la biologie de l’espèce, mais je souhaite que des éléments de nature socio-économique soient aussi pris en compte, qui garantiront la pérennité et le développement du pastoralisme auquel je reste particulièrement attaché.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le Premier ministre, alors que le Président de la République était en visite officielle aux États-Unis, Pierre Gattaz a livré le fond de sa pensée sur votre pacte de responsabilité. En échange des 35 milliards d’euros que vous lui offrez…
…il ne faut attendre aucune contrepartie de la part du MEDEF. De retour sur le sol français, le patron des patrons a certes adouci son propos, mais quand croyez-vous donc qu’il était le plus sincère ?
Cela fait vingt ans que les mêmes vieilles recettes sont appliquées autour de l’allégement du coût du travail. Les exonérations de cotisations sociales, en particulier, représentaient moins de 3 milliards d’euros par an au début des années quatre-vingt-dix. Nous en sommes à 30 milliards, avec un bond de 55 % en dix ans. Et pour quel résultat en termes d’emplois ?
Les allégements Fillon de 2005 sur les salaires, jusqu’à une fois et demie le SMIC, que vous avez conservés, représentaient 20 milliards d’euros. Avec le CICE et le curseur des exonérations poussé jusqu’à deux fois et demie le SMIC, vous ajoutez encore 20 milliards. Pour quel résultat ? Le seul, c’est un coût du travail en diminution, au profit d’un coût du capital en hausse, qui ne sert ni l’investissement ni l’emploi mais qui sert la spéculation, les dividendes et l’accroissement des déficits.
La croissance ne peut naître d’une telle orientation. Le bon levier, c’est la demande, c’est-à-dire le pouvoir d’achat des salariés et l’encouragement à investir dans l’économie réelle. Bref, ce dont la France a besoin, monsieur le Premier ministre, c’est d’une politique de gauche.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Je ne vais pas, monsieur le député, revenir sur de quelconques déclarations. Il y en eut de successives, qui n’étaient pas identiques. Je veux surtout insister sur l’esprit qui anime le Gouvernement, sur ce qui motive le Président de la République et le Premier ministre quand ils lancent un pacte de responsabilité : c’est la volonté que notre pays connaisse plus de croissance, plus d’investissement, qui est une composante à la fois de l’offre et de la demande, et en conséquence plus d’emploi.
À partir de ce constat que notre économie redémarre en effet, que la croissance est positive mais qu’il faut faire plus, le pari que nous faisons, c’est le pari de la croissance. Pour cela, il faut tendre la main aux entreprises. La question n’est pas de savoir si les entreprises sont des amis ou des ennemis : ce sont des partenaires indispensables à la création de richesses dans ce pays.
C’est la raison pour laquelle plusieurs chantiers ont été ouverts. D’abord, celui du financement de la protection sociale, avec la question du coût du travail, qui est essentielle, vous le savez, pour beaucoup d’entreprises. Puis la question de la stabilité et de la lisibilité de la fiscalité des entreprises et celle de la simplification des normes, de l’environnement réglementaire, qui est fondamentale. C’est ce que nous disaient hier les chefs d’entreprise qui étaient à l’Elysée pour ce conseil stratégique de l’attractivité. Tout cela doit se faire évidemment avec une contrepartie, qui sera mesurée par un observatoire : plus d’investissements et plus d’emplois.
Il y a là une démarche qui n’exclut en rien le soutien à la demande. Vous aurez remarqué que les chiffres de la consommation sont solides, et notamment qu’elle a crû de 0,5 % au quatrième trimestre de l’année 2013, et que nous nous préoccupons du pouvoir d’achat. Bref, oui, il faut une politique de gauche. Cette politique de gauche, c’est une politique pour la croissance, une politique pour l’emploi sur laquelle je vous invite à vous engager vous aussi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances chargé du budget, la semaine dernière, Jean-Christophe Fromantin vous a interrogé sur les 50 milliards d’euros d’économies que vous devez faire pour respecter l’engagement du Président de la République. Nous vous avons écouté, et j’ai même relu votre réponse. Elle ne nous a pas vraiment éclairés.
Je renouvelle donc aujourd’hui notre question, simple : concernant l’État, les collectivités territoriales et les dépenses sociales, où et comment comptez-vous faire 50 milliards d’euros d’économies ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et plusieurs bancs du groupe UMP.
Merci, monsieur le député, pour votre question. Comme je ne souhaite pas vous décevoir
« Ah ! » les bancs du groupe UDI
et que je sens que ma réponse de la semaine dernière ne vous a pas donné satisfaction,
« Et comment ! » sur les mêmes bancs
je voudrais prendre quelques précautions.
La première, monsieur Piron, c’est que vous êtes trop averti sur les questions de finances publiques pour ne pas savoir que l’on ne fait pas au mois de février la loi de finances qui se discute devant le Parlement à l’automne, et qu’il est tout à fait normal que je ne sois pas en situation de vous dire aussi précisément que dans quelques semaines le détail de ce programme de 50 milliards d’euros d’économies.
Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
La raison en est extrêmement simple : quelle que soit l’impatience, que nous comprenons, de l’opposition de nous voir faire des économies qu’elle n’a jamais été en situation de faire lorsqu’elle était majorité,
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC
nous n’allons pas, même pour lui faire plaisir, changer toute la procédure budgétaire.
Je vais cependant essayer de vous donner la totalité des informations dont je dispose d’ores et déjà. La première, qui doit être de nature à vous rassurer, monsieur le député Piron, est que nous avons déjà, dans le budget 2014, affiché 15 milliards d’euros d’économies. C’est 5 milliards de plus que les économies engendrées par la révision générale des politiques publiques. Celle-ci a suscité 10 milliards d’euros d’économies sur trois ans, nous en avons fait 15 milliards sur une année, qui portent à la fois sur l’État et sur la protection sociale.
Je voudrais maintenant vous dire quelle méthode nous allons employer pour les économies à venir. Nous allons faire des économies sur la totalité du champ de la dépense publique. Nous allons les faire en durcissant les normes, nous allons les faire en menant des réformes structurelles et au moment de la présentation du programme de stabilité au mois d’avril, vous aurez le détail de la totalité des économies qui seront faites pour atteindre cet objectif de 50 milliards d’euros.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Bérengère Poletti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, 20 000 sages-femmes exercent aujourd’hui en France. Ce sont 20 000 professionnelles qui font tourner toutes les maternités, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de jour, de nuit et le week-end, y compris et de plus en plus dans des cabinets libéraux, dans tous nos territoires. Ce sont 20 000 professionnelles soucieuses de la santé et de l’accompagnement des femmes. Ce sont 20 000 professionnelles dont la responsabilité médicale s’exerce dans le cadre de leurs compétences, c’est-à-dire en dehors de toute pathologie.
D’autres professions médicales s’exercent également dans un cadre de compétences restreint, et aucun obstacle n’est fait à la reconnaissance de leur statut médical, y compris à l’hôpital. Les sages-femmes ont été, durant des décennies, exclusivement des femmes. Serait-ce pour cela qu’il leur est si difficile de se faire entendre ?
Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC.
« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.
Alors vous, madame la ministre, qui revendiquez la défense de la cause des femmes, ne pensez-vous pas qu’il serait temps d’entendre ces professionnelles qui n’ont pas démérité et qui en réalité assument quotidiennement leur responsabilité médicale auprès des femmes ? La Cour des comptes elle-même le recommande !
Les sages-femmes sont en grève, et en colère, depuis le 16 octobre dernier. Elles se sentent peu écoutées et manifesteront demain pour la troisième fois. Malgré vos promesses, rien n’évolue selon leurs souhaits !
Elle n’écoute même pas ! Il faudrait au moins écouter la question, madame la ministre !
Pourquoi ne peuvent-elles pas rejoindre leur famille médicale à l’hôpital, c’est-à-dire obtenir le statut de praticien hospitalier, comme les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les pharmaciens ?
Pourquoi créer un statut bâtard non conforme à leurs pratiques, destiné à recevoir plus tard…
Madame la députée, la question de la santé des femmes est trop importante pour que je vous renvoie à vos propres responsabilités (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), qu’il s’agisse des sages-femmes ou des droits des femmes. Mais je ne crois pas que le Gouvernement ait à recevoir de leçons de votre part quant à l’égalité des femmes et à la manière de faire progresser leurs droits.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Cela fait plusieurs semaines que j’ai engagé un travail avec les sages-femmes. Ce travail est tout à fait fondamental parce qu’il en va de la santé des femmes tout au long de leur vie, et pas seulement au moment de l’accouchement. D’ores et déjà, des avancées très importantes ont été réalisées : à l’avenir, des responsabilités pourront être accordées à des sages-femmes dans des unités fonctionnelles. Nous avons également progressé pour ce qui concerne la place des sages-femmes dans les établissements, y compris dans leur gouvernance.
Nous devons avancer sur deux fronts. D’abord, je souhaite que la place des sages-femmes parmi l’ensemble des professionnels de premier recours, lorsqu’elles exercent en libéral, soit mieux identifiée et mieux reconnue. Deuxième objectif : faire en sorte que le caractère médical de leur compétence soit pleinement reconnu lorsqu’elles exercent à l’hôpital. Pour cela, il nous faut leur accorder un statut approprié.
Ce statut peut se décliner de plusieurs façons. Deux options sont actuellement discutées : au sein de la fonction publique hospitalière, ou complètement à l’extérieur. Le groupe de travail me remettra ses conclusions dans quelques jours. À partir de là, je prendrai des décisions. Et à partir de ce moment une discussion s’engagera sur la revalorisation salariale des sages-femmes, car la reconnaissance du statut doit s’accompagner d’une revalorisation salariale.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Laurent Kalinowski, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de la défense, à l’occasion du Conseil de défense restreint qui s’est tenu vendredi dernier, le Président de la République a pris la décision de porter nos effectifs militaires déployés en Centrafrique à 2 000 hommes. Cet effort supplémentaire de 400 hommes est indispensable pour éviter les massacres et les crimes de guerre et rétablir la sécurité en République centrafricaine. Tous les députés veulent rendre hommage à l’engagement et au dévouement de nos soldats sur ce théâtre d’opération difficile. La mission qu’ils mènent avec détermination et efficacité honore la France.
En décembre 2013, la France a pris ses responsabilités en intervenant pour mettre fin à une situation pré-génocidaire. Notre diplomatie poursuit sans relâche ses efforts pour élargir une coalition que nous conduisons en lien avec nos partenaires africains rassemblés dans la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine. Saluons ici leur dévouement et leur implication dans ce processus de paix.
L’Union européenne va déployer sa mission EUFOR, et il est indispensable que la communauté internationale joue pleinement son rôle sous l’égide des Nations unies. Sur le terrain, la situation sécuritaire reste complexe. La confrontation sanglante entre les milices Séléka et anti-balaka a créé de profonds traumatismes. La nouvelle présidente, Catherine Samba-Panza, doit offrir un nouveau destin à un peuple meurtri et déchiré. Le devoir de la France est d’aider la République centrafricaine à surmonter cette terrible épreuve.
Monsieur le ministre, une délégation de parlementaires s’est rendue hier en République centrafricaine pour examiner avec précision la situation de nos troupes et des populations. Pouvez-vous nous faire partager votre analyse quant à l’adaptation et l’évolution de nos objectifs sur le terrain ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le député, tout d’abord je tiens à saluer l’initiative prise par l’Assemblée nationale de diligenter une délégation, présidée par Mme Guigou, qui s’est rendue en Centrafrique hier.
Nos forces l’ont perçu comme un geste fort de soutien. Je m’associe à l’hommage que vous rendez à nos soldats présents là-bas. Ils mènent une tâche complexe. Les députés qui s’y sont rendus ont pu apprécier à la fois leur discernement, leur sang-froid et leur professionnalisme.
La situation à Bangui reste difficile. Depuis l’arrivée d’une nouvelle équipe de transition, présidée par Mme Samba-Panza, le calme est un peu plus revenu. Certains quartiers sont désormais totalement sécurisés. L’activité économique a en partie repris. Il n’en demeure pas moins que des groupes significatifs des communautés musulmanes, à partir de Bangui, se sont retournés vers l’est, à la suite de provocations et d’exactions commises par les milices que l’on appelle anti-balaka contre les communautés musulmanes, assimilées à tort aux groupes Séléka.
La France entend bien poursuivre le mandat qui lui a été confié par les Nations unies. À la demande du secrétaire général des Nations unies, mais aussi de Mme Samba-Panza, le Président de la République a décidé d’augmenter notre présence militaire sur place, pour passer à 2 000 soldats. Cela nous permettra de nous projeter en province, pour contribuer à ouvrir définitivement la voie qui va de Bangui au Cameroun et qui permet l’acheminement de l’aide humanitaire. Telle est notre préoccupation immédiate, en attendant l’arrivée des forces européennes.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le ministre, vendredi 6 février, l’Agence de financement des infrastructures de transport a adopté son budget pour 2014. Le verdict est tombé : l’agence ne financera cette année ni le troisième appel à projets « transports collectifs », ni les contrats de plan État-Régions 2014-2020.
La raison de ce coup d’arrêt mis à la politique de mobilité durable en France, vous la connaissez : c’est la suspension de la taxe kilométrique poids lourds. C’était pourtant une mesure de bon sens, votée à l’unanimité par cette assemblée en 2009. Cette suspension entraîne un manque à gagner de 450 millions d’euros pour l’agence, et son budget est, de ce fait, en baisse depuis deux ans ; et ce, alors même que la France devrait investir pour préparer l’avenir et offrir au plus grand nombre des solutions alternatives à la voiture.
Concrètement, ce sont des dizaines de projets de tramway et de bus à haut niveau de service, qui ne pourront être réalisés, ou seront retardés. Au total, 111 projets avaient en effet été déposés auprès du ministère des transports, qui devait annoncer en décembre les projets sélectionnés, cofinancés à hauteur de 450 millions d’euros. Ce ne sera donc pas pour 2014. Et l’agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF, ayant consommé tout son fonds de roulement, c’est même toute la politique des transports qui est mise en péril à partir de 2015.
Dès lors, monsieur le ministre, mes questions seront directes : les transports du quotidien sont-ils toujours une priorité pour la France et avez-vous l’intention d’y consacrer les moyens nécessaires ?
Avez-vous, en particulier, toujours la volonté de mettre en oeuvre la taxe kilométrique poids lourds pour financer cette politique des transports, notamment en vous appuyant sur les conclusions à venir de la mission parlementaire menée par Jean-Paul Chanteguet ? Et si oui, pouvez-vous nous donner le calendrier dans lequel vous comptez remettre en place cette mesure nécessaire au financement des transports collectifs ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Madame la députée Eva Sas, vous avez raison : l’agence de financement des infrastructures de transport est confrontée aux effets de la suspension de l’écotaxe. Celle-ci doit, en effet, se substituer aux recettes budgétaires, alimentées par le contribuable, pour permettre le financement des infrastructures, selon un principe simple : l’utilisation économique des infrastructures de transport doit donner lieu à une contribution pour leur modernisation et leur entretien.
Si nous sommes, aujourd’hui, tenus de verser une subvention budgétaire d’un milliard d’euros, c’est que les recettes provenaient, à l’époque, des concessions autoroutières qui ont été privatisées par la droite en 2005, dans des conditions tout à fait contestables.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Aujourd’hui, nous avons fait un effort important, puisque nous avons compensé une partie de cette perte par une subvention à hauteur de 650 millions d’euros, ce qui permet à l’État de faire face à ses engagements vis-à-vis des collectivités territoriales et des entreprises de transport et de travaux publics.
Une mission parlementaire est engagée pour donner des perspectives d’amélioration et répondre à un certain nombre de questions posées par l’impréparation de la mise en place de cette écotaxe par nos prédécesseurs.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il était donc nécessaire de pouvoir attendre les conclusions de la mission présidée par le député Jean-Paul Chanteguet. Sur la base de ses propositions, nous aurons à coeur de boucler le financement de l’AFITF pour qu’elle puisse répondre aux priorités du Gouvernement : le transport du quotidien, la modernisation et la sécurisation des infrastructures, notamment ferroviaires, et, bien sûr, les transports en commun en site propre.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, il y a quelques mois, le Président de la République essayait de se relancer – lui et, par là même, son Gouvernement –, en annonçant une pause fiscale, une boîte à outils, et un choc de simplification. Quelque temps après, vous annonciez, monsieur le Premier ministre, le « Grand soir » de notre fiscalité, avec une réforme d’ampleur sans pareille.
Plus récemment, le Président de la République, lors de ses voeux aux Français, essayait de reprendre la main en annonçant un virage social-démocrate et un pacte de responsabilité, corollaire de 50 milliards d’euros d’économie.
S’agissant de la pause fiscale, les Français sont vent debout et n’arrivent plus à payer les impôts que vous leur infligez. S’agissant de la boîte à outils, vous en avez visiblement perdu la clé. S’agissant du choc de simplification, aucune mesure concrète n’a vu le jour. S’agissant du pacte de responsabilité, aucune piste n’est envisagée pour atteindre les 50 milliards d’euros d’économie, quarante-huit jours après son annonce.
Pire, nos comptes dérapent. Les affirmations répétées par M. Cazeneuve dans cet hémicycle, semaine après semaine, sont devenues mensonges d’État, dénoncés il y a quelques jours par la Cour des comptes. Non seulement la dépense publique ne diminue pas, mais elle continue à augmenter : le déficit public pour 2014 sera d’ailleurs largement supérieur à 4 %.
C’est dans ces conditions que nous apprenons votre volonté de vous attaquer désormais à la fiscalité locale en instaurant une progressivité de la taxe d’habitation. Les classes moyennes seront, à nouveau, les victimes de l’augmentation attendue des impôts. La preuve en est que vous avez différé ce chantier après les élections municipales de mars. De la même façon, la révision de la valeur locative cadastrale, entamée par Bercy, va entraîner une forte hausse des impôts locaux.
Monsieur le Premier ministre, la folie créatrice de votre Gouvernement en matière d’impôts nouveaux dépasse aujourd’hui l’entendement. Je comprends, mes chers collègues, que cela vous dérange.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, vous êtes tellement désireux de faire oublier la situation dans laquelle vous avez laissé le pays
Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP
que, désormais, question après question, chaque semaine, vous convoquez de façon absolument lamentable – je le dis après avoir écouté votre question – la manipulation et le mensonge. Vous dissimulez en permanence la situation que vous avez laissée.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Vous avez raison d’applaudir ! Je vais profiter de cette question pour vous rafraîchir la mémoire.
Exclamations prolongées sur les bancs du groupe UMP.
Lorsque le premier ministre du budget du précédent quinquennat, Éric Woerth, était aux responsabilités, la dette publique est passée de 64,2 % du PIB à 80 % du PIB, en deux ans.
Huées sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Voilà qui légitime, assurément, que vous posiez ce genre de questions ! Sous la responsabilité de M. Baroin, la dette publique est passée de 80 % du PIB à 84,1 % du PIB, soit une hausse de 4,1 % du PIB pendant son ministère. (Mêmes mouvements.)
Avec Mme Pécresse, la dette est passée de 84 % à 87 %. Vous avez doublé la dette en l’espace de cinq ans ! Vous avez creusé les déficits ! (Mêmes mouvements.)
Et vous venez, question après question, en convoquant le mensonge et la manipulation, nous demander des comptes sur notre action ? Je vais donc vous en rendre : depuis que nous sommes aux responsabilités, les déficits diminuent. Ils étaient de 5,3 % lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, seront un peu supérieurs à 4 % en 2013 et de 3,6 % en 2014.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Lorsque les déficits diminuent moins vite qu’ils n’augmentaient à votre époque, vous estimez qu’ils augmentent ! Non, ils diminuent ! Je pourrais vous donner d’autres chiffres concernant les déficits sociaux, qui diminuent. Je pourrais également vous donner des chiffres sur la croissance qui reprend, après cinq années atones. Vos mensonges et vos manipulations ne nous impressionnent donc pas !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Je ne suis pas sûr que les vociférations de M. Cazeneuve soient convaincantes !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDI et UMP.
Monsieur le Premier ministre, après avoir lancé le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi en novembre 2012, puis le pacte d’avenir en octobre 2013, le Président de République a annoncé, en janvier 2014, un énième pacte : le pacte de responsabilité.
« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe UDI.
Vous avez ensuite annoncé la mise en place d’un observatoire des contreparties et le Président de République a présidé, hier, un conseil stratégique de l’attractivité. Monsieur le Premier ministre, il est grand temps de passer des pactes aux actes !
Alors que le Gouvernement accumule les déclarations d’intention, la France souffre. Tous les indicateurs sont au rouge : le taux de chômage ne cesse d’exploser, en dépit de la promesse du Président de la République d’en inverser la courbe en 2013. Le matraquage fiscal des entreprises a eu des effets désastreux sur leur compétitivité et leur taux de marge est à son plus bas niveau depuis 1985, très loin derrière nos voisins européens.
L’absence totale de cap, le mensonge sur la pause fiscale et des déclarations hostiles aux créateurs de richesses ont fait fuir les investisseurs.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.
Les investissements étrangers en France ont chuté de 77 % en 2013 par rapport à 2012, alors qu’ils augmentaient de 500 % en Allemagne !
Oui l’attractivité de la France est bien un enjeu majeur, mais il faudra plus, bien plus qu’une mise en scène et de belles paroles pour recréer les conditions d’une confiance durable. Il est vital que vous décidiez, enfin, d’une baisse immédiate et massive des charges qui pèsent sur les entreprises et sur le pouvoir d’achat des salariés !
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Monsieur le député Rudy Salles, vous avez dû échanger votre question avec M. Moudenc. Je ferai donc quelques économies dans ma réponse.
Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Ce qui me frappe, tout d’abord, c’est la mauvaise foi abyssale, le mensonge, comme le soulignait Bernard Cazeneuve, dont vous faites preuve s’agissant de la situation de l’économie française !
Protestations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Comme l’a dit le Premier ministre, vous devriez mieux connaître les chiffres de la croissance en France qui a atteint, en 2013, 0,3 %. Ce n’est pas assez, mais c’est plus que la zone euro qui connaît une croissance négative. C’est plus que ce que nous avions nous-mêmes prévu, à savoir 0,1 %.
Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
C’est plus que ce que prévoyaient les instituts de conjoncture qui annonçaient moins de 0,2 %. C’est presque autant que l’Allemagne dont le taux de croissance atteint 0,4 %.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Vous constaterez que notre croissance a repris vigoureusement au quatrième trimestre, si l’on prend notamment en considération le chiffre fondamental qui est celui de l’investissement. Ainsi, pour la première fois depuis sept trimestres, et j’insiste sur ce point, nous avons enregistré un taux d’investissement positif. Ayez vous-même un peu confiance dans votre pays !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Pour le reste, les pactes ont une cohérence : celle de voir notre pays se redresser, ce pays que vous avez dégradé, que vous avez désindustrialisé,
Vives protestations sur les bancs des groupes UDI et UMP
ce pays que vous avez endetté !
Vives protestations sur les mêmes bancs.
Nous le faisons avec grande constance. Nous voulons une compétitivité française plus forte et nous nous y emploierons grâce au CICE et au pacte de responsabilité. Ce pacte sera ce grand compromis économique et social…
…entre l’État, les entreprises et les partenaires sociaux. En effet, derrière tout cela, il y a une démarche que vous ignorez : celle du dialogue social.
Exclamations sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Oui, nous sommes au travail ! Oui, nous redressons le pays ! Oui, vous feriez mieux de le réaliser maintenant, car il est temps !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Alain Moyne-Bressand, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, votre ministre de l’éducation nationale a déclaré, la semaine dernière, qu’il envisageait de bloquer l’évolution du pouvoir d’achat et des carrières des fonctionnaires, ce qui a jeté le trouble chez ceux-ci. Mercredi dernier, le président du groupe socialiste confirmait que cette piste était à l’étude à Bercy, provoquant le courroux des syndicats de la fonction publique. Ils vous ont aussitôt sommé, monsieur le Premier ministre, de clarifier les choses.
Vous vous êtes exécuté promptement et docilement, en leur adressant le courrier qu’ils avaient exigé de vous. Tout le monde pouvait penser que l’affaire était classée et que vous aviez rendu votre arbitrage définitif. Hélas, ce matin, la porte-parole du Gouvernement est revenue sur le sujet en laissant entendre que les effectifs des fonctionnaires pouvaient servir de variable d’ajustement. Vous seriez-vous donc converti à notre objectif, à savoir moins de fonctionnaires, mais mieux payés et mieux considérés ?
En réalité le Gouvernement ment aux Français du matin au soir.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Les fonctionnaires qui vous faisaient encore quelque crédit en font aujourd’hui les frais. On le voit bien, c’est la cacophonie permanente au sein de votre gouvernement. Y a-t-il encore un pilote dans l’ « avion France » ?
Vous ne savez pas où trouver 50 milliards d’euros d’économies ! Eh bien, commencez par montrer l’exemple en réduisant votre gouvernement pléthorique et inefficace qui se contredit quotidiennement !
Cela épargnerait quelque peu nos concitoyens soumis au matraquage fiscal depuis votre arrivée au pouvoir !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Monsieur le député Moyne-Bressand, j’ai envie de dire qu’enfin vous défendez les fonctionnaires sur ces bancs ! C’est sans doute la première fois depuis quelques mois !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je vous remercie du soutien que vous apportez à la fonction publique, laquelle a d’ailleurs été très présente ces derniers jours lorsqu’il s’est agi de lutter contre un certain nombre de catastrophes. J’ai effectivement reçu un mandat clair du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.
J’ai ainsi pour mission d’ouvrir une négociation avec les fonctionnaires, et ce après la remise au Premier ministre du rapport Pêcheur, que vous connaissez sans doute par coeur. Il convient, en effet, de se pencher sur l’ensemble des traitements, des parcours professionnels, des mobilités, donc sur un statut qui a trente ans. Les carrières n’ont pas été revues depuis longtemps. Ainsi, il existe 1 700 régimes indemnitaires. Nous avons donc ouvert des négociations. La semaine dernière, le Premier ministre s’est engagé, comme vous l’avez rappelé, ce dont je vous remercie, à ce que les fonctionnaires ne subissent pas un gel de leur avancement.
Mais, quand on lit votre programme, on constate que vous aviez l’intention de geler les avancements des fonctionnaires…
…et que vous vouliez encore en diminuer le nombre. Nous avons ouvert un chantier difficile, monsieur le député, mais un chantier clair
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
avec une négociation sur les carrières, un éventuel allongement des carrières et une adaptation à l’outil retraite. C’est, en résumé, une fonction publique qui doit être au service du XXIe siècle. S’agissant des économies, elles viendrons essentiellement de la modernisation de l’action publique, et sur celle-ci les fonctionnaires eux-mêmes, avec les usagers, les agriculteurs et les petits entrepreneurs, nous proposent des simplifications, mais aussi des modernisations.
Je les remercie, pour ma part, de vouloir non seulement bien servir la France, mais de nous conduire aussi au redressement du pays grâce aux économies qu’ils proposent. Merci donc à la fonction publique !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Gilles Savary, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse à M. le ministre chargé des affaires européennes.
Monsieur le ministre, je vais vous parler naturellement de ce qui va animer notre ordre du jour ce soir, c’est-à-dire la discussion de la proposition de loi tendant à lutter contre les abus du travail détaché et le travail illégal en France. C’est le résultat d’un long travail d’une année, que je considère comme exemplaire, travail auquel ont participé Chantal Guittet, Richard Ferrand, mais aussi Michel Piron, de l’UDI, et Danielle Auroi, des Verts, dans une ambiance parfaitement sereine, ce qui nous permet de présenter aujourd’hui ce texte extrêmement ambitieux. Il s’inscrit naturellement dans le cadre de l’accord inespéré que vous avez obtenu le 9 décembre dernier au Conseil EPSCO sur la directive « détachement des travailleurs », son durcissement et le renforcement des contrôles.
Ce soir, nous allons proposer de l’anticiper, notamment en mettant en place le principe de la responsabilité solidaire du donneur d’ordres, soit la responsabilité, non pas simplement de l’entreprise qui travaille sur un chantier, mais de celui qui la fait travailler. Et nous aimerions savoir, à l’heure où nous parlons, où en sont les dernières discussions bruxelloises ? Cazr nous sommes dans le trilogue, c’est-à-dire dans la dernière ligne droite, où le Conseil, sur la base de l’accord du 9 décembre, est en train de négocier le texte final. Quand envisagez-vous la finalisation et la transposition totale de cette directive ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Je vous rejoins, monsieur le député : l’accord obtenu au Conseil le 9 décembre dernier est un vrai succès pour la France. Ce succès, nous le devons à une volonté, que nous partageons, de lutter contre le dumping social, et aussi à une méthode : nous avons convaincu État après État de nous rejoindre dans ce combat, et je citerai la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, qui ont fait le choix de l’Europe contre un choix national.
Aujourd’hui, avec Michel Sapin, nous sommes en discussion avec le Parlement européen pour obtenir un accord définitif sur le texte, qui sera ensuite présenté aux différents Parlements. La difficulté, vous la connaissez bien : la majorité qualifiée au Conseil ne tiendra que si l’accord final est proche de l’orientation générale du Conseil, et nous devons dans le même temps, naturellement, entendre les propositions des parlementaires européens.
J’ai bon espoir, au moment où je vous parle, que nous arrivions à un résultat satisfaisant avant la fin de ce mois de février ; mais, sans tarder, notre arsenal législatif national doit être complété pour responsabiliser davantage les maîtres d’ouvrage, les donneurs d’ordres quand ils recourent à des sous-traitants multiples, et permettre aux organisations professionnelles et syndicales de se constituer partie civile en cas de travail illégal.
C’est le sens de votre proposition de loi et le travail parlementaire s’honore d’une telle initiative. Elle s’inscrit pleinement dans notre stratégie de lutte contre les abus des détachements, et je souhaite donc, comme vous, qu’elle soit adoptée à une très large majorité de l’Assemblée, car il ne s’agit rien de moins que de mettre fin à la concurrence déloyale entre les salariés d’Europe.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.
La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, les agriculteurs sont des entrepreneurs, des chefs d’entreprise, des employeurs qui travaillent sept jours sur sept. Alors qu’ils devraient être dans leurs champs à surveiller et diriger leurs cultures, dans leurs fermes à soigner et élever leurs animaux, ils sont transformés en secrétaires aux ordres de l’administration. Ils passent plus de temps avec un stylo pour obtenir l’autorisation de travailler que sur leur tracteur.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Simplifier, c’est d’abord et avant tout laisser les Français travailler. Allez sur le terrain ! Vous comprendrez qu’un agriculteur ne peut cultiver ses terres si elles sont inondées ou mal drainées. Les décrets actuels obligent la police de l’eau à interdire aux agriculteurs, au nom du code de l’environnement, d’entretenir un fossé ou un petit cours d’eau bouché. L’autorisation de déboucher dépend du résultat d’une étude qui peut durer deux ans…
Grâce à nos agriculteurs, la France est magnifique. Ils l’aiment et font de notre pays le premier pays touristique au monde. Laissez-les vivre de leur travail. Pour cela, laissez-les travailler !
La loi sur l’eau de 2006 mérite, à la lumière de l’expérience déjà vécue, des ajustements urgents. Plus que tous les autres, les agriculteurs subissent le coût du travail, le code du travail, le code de l’environnement. Ce sont des chefs d’entreprise qui ne peuvent maîtriser ni leurs coûts de production, ni leur prix de vente. Ils subissent les aléas de la météo plus que tout autre entrepreneur. Quand allez-vous remplacer les normes qui les étouffent par de la confiance en leur expertise, leur professionnalisme, leur bon sens ?
Quand laisserez-vous les agriculteurs travailler leurs terres ? Quand leur épargnerez-vous le travail de bureau ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Monsieur le Premier ministre, est-ce pour faire plaisir à vos alliés écologistes que vous laissez mourir la compétitivité de l’agriculture française ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Vives protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Écoutez le ministre de l’écologie, il a toujours des choses intéressantes à dire.
Monsieur le député, garantir la qualité des milieux aquatiques est un devoir.
Je vous en prie, vous aurez l’occasion d’entendre M. Le Foll à un autre moment.
Que l’on permette l’accès à une eau de bonne qualité, nos compatriotes le veulent. Les règles d’entretien des cours d’eau peuvent sembler contraignantes, mais s’en affranchir ou ne pas en tenir compte aurait des effets pires encore.
J’entends les inquiétudes que vous évoquez et j’ai écrit le 23 janvier à Xavier Beulin pour lui expliquer que j’étais ouvert à une clarification de la loi sur l’eau, avec ses normes que vous avez mises en place et que vous dénoncez aujourd’hui, car c’est votre majorité et votre gouvernement qui ont proposé la loi sur l’eau en 2006.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Je le répéterai le 21 février prochain en participant aux états généraux de l’agriculture organisés par les chambres d’agriculture à la veille du salon international de l’agriculture.
Disposer d’un droit de l’environnement plus clair et plus simple est une priorité du Gouvernement à laquelle je suis attaché, mais je redirai aussi que des actions menées sans les précautions nécessaires peuvent conduire à aggraver les inondations. Je redirai qu’il n’a jamais été question d’interdire aux riverains d’entretenir un cours d’eau. Et, puisque votre défense des fonctionnaires n’aura duré que le temps d’une question, je redirai que je n’accepterai jamais les menaces et les intimidations à l’égard des agents chargés de la police de l’eau.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste. – « Hou ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Chaynesse Khirouni, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, la question de l’emploi des jeunes est, pour notre majorité, un enjeu prioritaire. Avec les dispositifs des emplois d’avenir et des contrats de génération, ou la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, nous avons souhaité répondre à cet enjeu majeur de la formation et de l’insertion professionnelle de nos jeunes.
Demain, notre assemblée examinera la proposition de loi du groupe SRC qui met en oeuvre l’engagement présidentiel sur l’encadrement des stages, pour empêcher les abus. Oui, nous le savons, dans certains secteurs, des entreprises recrutent des stagiaires plutôt que des salariés. Oui, nous le savons, il existe des écoles dont l’unique objectif est de fournir des conventions de stage, sans aucun cours, sans aucune formation.
Ainsi, les périodes de stage deviennent un véritable sas d’entrée dans la vie active et conduisent à la précarisation des jeunes. Pour nous, le stage n’est pas une fin en soi et doit demeurer un élément du parcours de formation.
Notre proposition de loi prévoit de nouvelles avancées pour les stagiaires, qui sécurisent le jeune. Il s’agit d’un texte équilibré qui veille à ne pas confondre le statut de stagiaire avec celui de salarié.
Surtout, au-delà de ces dispositions, nous confirmons la mobilisation de tous pour les jeunes, en leur signifiant notre confiance en leurs compétences, en leurs capacités d’innovation, en leurs qualités, et ce quels que soient leurs formations, leurs parcours ou leurs origines. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer les mesures envisagées par le Gouvernement pour mettre en oeuvre ces dispositions ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
La parole est à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Madame la députée, tout d’abord, je voudrais vous féliciter d’avoir pris l’initiative d’une telle proposition de loi, qui était un engagement du Président de la République et qui correspond à une attente très forte de l’ensemble des jeunes. Cette proposition vise à améliorer la qualité des stages, tout en simplifiant la réglementation actuelle, beaucoup trop compliquée. Il faut rétablir la confiance, atteinte de part et d’autre.
Les stages sont un « plus » dans la formation d’un jeune ; encore faut-il qu’ils correspondent à la fois à un objectif pédagogique et à un objectif professionnalisant. Nous voulons donc mieux encadrer les stages pour éviter certaines dérives que vous connaissez tous ; je pense aux stages dits « photocopie-café », ou encore aux stages qui se substituent à l’emploi, à un CDD, voire à un CDI.
Désormais, les stages devront être intégrés à un cursus de formation validé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. De plus, un tuteur sera désigné dans l’entreprise de l’organisme d’accueil, ainsi qu’à l’université ou dans l’école accueillant le stagiaire, et cela fera l’objet d’une convention, avec une véritable démarche commune. C’est cela, le pacte de responsabilité !
Exclamations sur les bancs du groupe UDI.
Cette proposition de loi est aussi un outil de simplification nécessaire pour les entreprises et les établissements. Il y a eu quatre lois successives en quatre ans sous la précédente législature, et sept décrets, dont aucun n’a été appliqué correctement.
Mêmes mouvements.
Nous proposons une loi, une seule réglementation, qui dépendra du seul code de l’éducation. Le nombre de stagiaires a doublé en dix ans : ils sont 1,2 million à attendre cette simplification et cette véritable formation. Il me semble que nous pourrions nous rassembler sur une telle loi, qui correspond à une demande des jeunes, et qui assure leur avenir, leur insertion professionnelle. Les entreprises consultées ont donné leur accord. Je vous remercie d’y contribuer lors du débat demain.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Ma question devait s’adresser à M. le Premier ministre, mais il n’est plus là. J’y associe mes collègues alsaciens-mosellans.
Il y a quelques mois, je me faisais la porte-parole d’une Alsace en colère et je rappelais au Premier ministre les motifs tout à fait fondés de cet émoi. Et voilà que, par l’intermédiaire d’un parlementaire communiste, les attaques sont renouvelées, cette fois contre le concordat en vigueur en Alsace-Moselle.
L’initiative de notre collègue Jean-Jacques Candelier, qui s’est cru autorisé à déposer une proposition de loi visant à faire disparaître purement et simplement le concordat en Alsace-Moselle, est malheureuse à plusieurs titres.
Exclamations sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Elle est malheureuse tout d’abord parce qu’elle témoigne, si besoin en était, de l’inculture complète de notre collègue au sujet du droit local alsacien-mosellan. Elle est malheureuse parce qu’elle témoigne aussi de l’ignorance obscurantiste du fait religieux en Alsace-Moselle. Justement, le fait religieux y est d’autant mieux respecté que le dialogue y est intelligemment organisé par le concordat entre l’État, les collectivités locales et les autorités religieuses. Ce respect mutuel permet de vivre une laïcité apaisée, y compris avec les religions non concordataires.
Elle est malheureuse, ensuite, parce qu’elle ignore que le dialogue des religions avec l’État, les collectivités, l’université, qui inclut les facultés de théologie, est source d’un foisonnement intellectuel et philosophique intense, qui manque aujourd’hui cruellement à notre pays.
Elle est malheureuse, enfin, parce que, plutôt que de vouloir anéantir le concordat, en tentant de niveler encore une fois notre société par le bas, son auteur ferait bien mieux de s’en inspirer pour ramener la paix des esprits dans notre pays. Les Alsaciens-Mosellans attendent vraiment la position du Premier ministre sur ce dossier.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique.
Madame la députée, je ne vois pas d’où vient l’inquiétude. Au cours d’un déplacement du Premier ministre en Moselle, j’ai, en tant que ministre de la fonction publique, échangé, entre autres, sur la rémunération de personnes qui sont chargées du culte. Nous n’avons eu aucun souci à échanger avec elles à ce sujet, car le Gouvernement n’a, contrairement à ce que vous semblez dire, aucune idée derrière la tête tendant à remettre en cause le concordat.
La ministre de la fonction publique que je suis n’a eu aucun problème avec ces fonctionnaires, qui ont peu de revendications, par rapport à beaucoup d’autres, et qui font un travail reconnu. Le Premier ministre était avec moi, ainsi que Mme Filippetti, et nous n’avons eu aucun état d’âme – permettez-moi cette expression très républicaine – à reconnaître que, dans le cadre du concordat, nous avions à discuter aussi de personnels qui, pour moi qui viens d’ailleurs, sont plus inattendus, mais qui sont tout à fait respectueux de la République.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et UMP.
Proposition de loi sur le concordat en Alsace
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.
La parole est à Mme Michèle Bonneton, pour une explication de vote au nom du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, les sujets abordés par le présent projet de loi préoccupent depuis de très nombreuses années les professions artisanales et commerciales ainsi que les très petites entreprises, mais aussi les élus locaux, les consommateurs et leurs associations. Trois séries de mesures visent à protéger le petit commerce et l’artisanat. Une autre série tend à valoriser le savoir-faire des artisans et à sécuriser le consommateur. Enfin, des mesures relatives au statut d’entrepreneur individuel sont proposées.
Le commerce et l’artisanat de proximité sont le coeur vivant et dynamique de nos centres-villes, de nos bourgs et de nos villages. Leur disparition au profit des zones commerciales et des grandes surfaces a un impact négatif sur la qualité de vie de tous les jours. L’éloignement du commerce et de l’artisanat conduit à la multiplication des déplacements, coûteux et polluants, sans même parler des personnes pénalisées par le manque de moyens de transport, de la consommation d’espaces agricoles et du coût des infrastructures pour les collectivités locales.
Le texte qui nous est présenté comporte un certain nombre de dispositions pour freiner la désertification commerciale des centres. Les baux commerciaux ont connu un renchérissement considérable ces quinze ou vingt dernières années. De nombreux commerces ont disparu. Combien de bouchers, de charcutiers, de marchands de fruits et légumes et même d’artisans coiffeurs, de serruriers, de plombiers ou d’électriciens ont dû fermer boutique ou n’ont pas trouvé de repreneurs ? En ce sens, la limitation de la hausse des loyers est très intéressante. Les obligations respectives du bailleur et du locataire devront être précisées dans les contrats. C’est une demande que nous avions faite et qui est en grande partie satisfaite. Par ailleurs, les communes pourront déléguer leur droit de préemption soit aux EPCI, soit à des établissements publics ad hoc. Les écologistes soutiennent les nouveaux moyens législatifs et réglementaires dont disposeront les pouvoirs publics locaux. C’est un encouragement important pour redynamiser les centres-villes. Les informations aux collectivités qui souhaitent préempter seront plus complètes. Aussi a-t-il été précisé en séance, à notre demande, que le vendeur devra indiquer le nombre de salariés et la nature des contrats de ceux qui travaillent dans l’établissement qui risquerait de disparaître.
Pour les écologistes, préserver le commerce de proximité doit être un axe fort de la politique commerciale dans notre pays. Sur notre proposition, la commission a abaissé à 20 000 mètres carrés le seuil de saisine de la Commission nationale d’aménagement commercial.
Pour compléter ces dispositions, une réforme du fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce, le FISAC, est proposée. Ce dispositif a connu certains dysfonctionnements. Modifié par la loi en 2008 et 2009, l’ancienne majorité avait tout simplement oublié de le financer et les dossiers s’empilaient. En passant d’une logique de guichet à une logique d’appel à projets, nous allons répondre à la question des délais de traitement des demandes. Reste celle des besoins et des moyens. Nous aurions souhaité que ce dispositif soit davantage financé, et réservé aux territoires les plus en difficulté : milieu rural, zones de montagnes, halles et marchés, ainsi que les quartiers prioritaires de la politique de la ville, par exemple.
Afin de valoriser les artisans et leurs savoir-faire, le texte supprime la notion d’« artisan qualifié », dont l’existence même créait une ambiguïté, puisqu’il laissait supposer qu’il y aurait des artisans non qualifiés. Le titre d’artisan sera désormais réservé aux chefs d’entreprise détenant une qualification professionnelle ou une expérience dans le métier qu’ils exercent. Parallèlement, le texte renforce les contrôles des qualifications et des assurances obligatoires des artisans.
S’agissant de l’entrepreneuriat individuel, devant le peu de succès de l’EIRL – entreprise individuelle à responsabilité limitée –, des mesures devaient la relancer. Il reste la question des auto-entrepreneurs. C’est un sujet qui faisait polémique, notamment parce que certains y voyaient une forme de concurrence déloyale ou de salariat déguisé. Un contrôle sera désormais effectué pour la sécurité du consommateur.
Une autre source de conflit concernait le régime social. Le projet de loi y répond en donnant accès au régime micro-fiscal et micro-social à l’ensemble des entrepreneurs individuels, dans les limites d’un montant maximal du chiffre d’affaires. Cependant, nous nous interrogeons encore sur l’opportunité de supprimer toute référence à une limite de durée du statut.
D’autres éléments vont dans le sens d’une amélioration : la vérification des compétences et des diplômes, l’obligation de s’inscrire au répertoire des métiers ou au RCS, qui est une occasion de trouver des soutiens, ou encore celle de suivre le stage préalable à la création d’une auto-entreprise. C’est important, quand on sait que le taux d’échec actuel des auto-entreprises est supérieur à 50 %.
Madame la ministre, vous aurez compris que le groupe écologiste votera en faveur de ce texte. Enfin, je tenais à vous remercier pour votre écoute et votre disponibilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, chers collègues, le projet de loi soumis au vote de notre assemblée s’inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement de réformer de façon structurelle notre économie, en conciliant équité et respect de la liberté d’entreprendre. Pour les artisans, les commerçants et les très petites entreprises, nous avions besoin de mesures urgentes afin de leur redonner les marges de manoeuvre de nature à assurer leur pérennité et leur développement. Alors que nous assistons à la croissance constante du commerce en ligne, ces acteurs jouent un rôle économique et social indispensable pour dynamiser les zones rurales et les quartiers en difficulté, pour préserver le vivre-ensemble et offrir toute une palette de services. Face à la crise et aux mutations économiques, nos artisans, nos commerçants et nos très petites entreprises ont besoin d’un cadre juridique modernisé. C’est précisément, madame la ministre, le fondement de votre loi.
Elle instaure un meilleur encadrement législatif pour dynamiser les commerces du centre-ville, rééquilibrer les relations bailleurs-locataires professionnels et moderniser les leviers d’intervention de la puissance publique sur l’urbanisme commercial. Parmi les dispositions utiles adoptées, je retiendrai, en matière de baux commerciaux, celles qui corrigent les injustices subies par les locataires commerçants, s’agissant en particulier du droit de préférence et de la répartition des charges et des impôts. Le droit de préemption des communes ou des EPCI est renforcé pour faire l’acquisition de fonds de commerce. Ensuite, le FISAC est réformé pour mettre fin aux abus constatés et se concentrer sur l’outil de travail avec un système d’attribution organisé par un appel à projet au niveau national. L’urbanisme commercial est repensé, avec une amélioration de la représentation des élus dans les CDAC et une modernisation du fonctionnement et de la gouvernance de la Commission nationale. Les porteurs de projets bénéficieront de plus de lisibilité, puisque les procédures seront simplifiées. En retour, ils seront incités à améliorer leurs projets par l’inscription des critères d’évaluation dans la loi. Nous nous donnons ainsi les moyens d’encourager l’équilibre commercial entre centre et périphérie, la diversité de l’offre commerciale et le lien social indispensable au dynamisme de nos territoires.
Après des années de débats et de nombreuses tentatives législatives pour réguler l’urbanisme commercial, madame la ministre, la loi Pinel restera pour longtemps celle de la réussite de sa modernisation.
En outre, la suppression des deux semaines de soldes flottants permettra de mettre fin à la confusion chez les consommateurs et donnera satisfaction aux commerçants. Concernant les très petites entreprises, la loi favorisera la libération des énergies créatrices, tout en préservant les impératifs de transparence, d’équité et de protection des consommateurs. Nous ne pouvions pas continuer à voir des entreprises exerçant la même activité soumises à des droits et à des devoirs différents en termes de cotisations, d’inscriptions ou même d’assurances. Le projet de loi aboutit à un bon équilibre entre l’exigence de justice face aux dérives du régime de l’auto-entrepreneur et la nécessité de simplicité pour la création d’entreprise. Par ailleurs, nous nous félicitons du maintien du droit de suite qui permet aux artisans des entreprises de plus de dix salariés de rester immatriculés au registre des métiers.
Enfin, je me réjouis de l’adoption d’un amendement du président François Brottes sur le droit de présentation par les commerçants d’un successeur dans les halles et marchés. Cela donnera un cadre légal et une sécurité juridique à une réalité de terrain.
Globalement, je tiens à souligner la qualité de notre débat, en commission comme en séance publique. L’ensemble des groupes a participé aux travaux dans un état d’esprit constructif, en dépit de quelques désaccords ponctuels. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste a proposé plus de quarante amendements, dont une quinzaine ont été adoptés.
Madame la ministre, vous l’avez bien compris, les entrepreneurs, les artisans, les commerçants font tous partie des forces vives qui se battent pour sortir notre pays de cette crise qui l’épuise. La période troublée que nous traversons exige ce volontarisme politique fort dont vous faites preuve dans ce texte à la fois court, énergique et efficace. Grâce au travail de concertation réalisé très en amont et à votre volonté d’être à l’écoute de toutes les parties, vous êtes parvenue à un texte équilibré et pragmatique qui participera à la restauration d’un climat de confiance entre tous les acteurs. Madame la ministre, nous voterons votre projet de loi sans réserve et nous formons le voeu que les mesures importantes qu’il contient puissent rassembler, au-delà des appartenances partisanes, dans l’intérêt général de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous avons eu un débat fructueux sur ce projet de loi relatif au commerce, à l’artisanat et aux très petites entreprises. Il en est ressorti un certain consensus pour soutenir nos artisans et nos commerçants qui contribuent tant à faire vivre nos villes, nos quartiers et nos villages, et je veux revenir sur quelques-uns des points positifs que comporte le texte.
Tout d’abord, les baux commerciaux seront mieux encadrés, pour empêcher une dérive des loyers. Cela permettra aux artisans et aux commerçants de modérer leurs coûts et donc leurs prix. Nous devrons cependant veiller à fournir de meilleures armes au David du petit commerce dans la concurrence acharnée que lui livre le Goliath de la grande distribution. Dans la guerre que leur font les grandes enseignes, artisans et commerçants en résistance sont aussi des partisans en lutte pour la vie de nos territoires les plus délaissés ; nous devons les soutenir.
Ensuite, le droit de préemption commercial sera étendu aux intercommunalités, aux établissements publics et aux sociétés d’économie mixte. Ainsi, ces collectivités pourront aider à maintenir les petits commerces de proximité en centre-ville, pour autant qu’il leur reste les moyens financiers disponibles, car la grande purge des dépenses publiques ne contribue pas à dynamiser nos territoires.
Le deuxième volet du projet de loi simplifie opportunément les obligations administratives et comptables qui pèsent sur les artisans, les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée et les micro-entreprises. À propos de l’auto-entreprise, nous avons insisté auprès de Mme la ministre sur l’indispensable lutte contre le salariat déguisé. Les cas de fraude sont malheureusement très nombreux, comme nous l’avions prédit dès la création du statut d’autoentrepreneur par la droite. Mme Pinel a développé l’idée selon laquelle une cotisation foncière des entreprises, une taxe pour frais de chambre, un stage préalable à l’installation et la vérification des qualifications professionnelles seront de nature à éviter dorénavant le contournement du droit du travail.
Nous y souscrivons, tout en ajoutant qu’il est impératif de sauvegarder les missions et l’organisation de l’inspection du travail et de renforcer ses moyens humains et financiers, ce qui, malheureusement, ne semble pas figurer à l’ordre du jour du Gouvernement. Enfin, à propos du volet relatif à l’urbanisme commercial, je suis satisfait d’avoir fait adopter, quarante ans après le vote de la loi Royer, un amendement visant à renforcer la transparence des intérêts des membres de la Commission nationale d’autorisation commerciale. C’est particulièrement au sein de l’ancêtre de celle-ci, en effet, que la loi Royer a trop souvent été contournée, et que corruption politique et pratiques peu avouables se sont développées.
Cependant, si nous approuvons les mesures techniques de bon sens proposées par le projet de loi, nous divergeons sur la nature des solutions structurelles à apporter.
Les députés du Front de gauche pensent qu’il faut relancer la consommation pour que nos artisans et commerçants aient plus de clients.
Nous pensons qu’il faut faire cesser dès aujourd’hui la désastreuse politique de l’offre pour lancer une ambitieuse politique de la demande ! Nous pensons qu’il faut en finir avec l’austérité budgétaire qui nous coûte des milliers d’emplois ! Nous pensons que la hausse de la TVA, qui est l’impôt le plus injuste, malmène le pouvoir d’achat des Français et donc les carnets de commandes des petites entreprises ! Nous pensons que la modération salariale dictée par l’Europe et le grand patronat est une catastrophe pour le tissu productif de nos territoires !
Nous pensons qu’il faut faire baisser massivement le coût du capital qui pèse sur les petites entreprises ! Nous pensons qu’il faut largement faciliter l’accès au crédit des PME, des TPE, et des micro-entreprises grâce à un pôle financier public pourvu d’une licence bancaire, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la BPI ! Nous pensons que c’est par la redynamisation des services publics que nous enrayerons la désertification commerciale de nos quartiers et de nos villages ! Nous pensons que c’est en faisant respecter le repos dominical que nous aiderons le petit commerce à résister à la concurrence des grandes enseignes !
Ainsi, les députés du Front de gauche voteront le projet de loi tout en appelant le Gouvernement à soutenir encore davantage nos commerçants et artisans par une grande réforme fiscale et un choc de pouvoir d’achat, qui pourraient constituer une évolution révolutionnaire susceptible de rassembler plus durablement toute la gauche !
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Frédéric Roig, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, le groupe SRC se félicite du travail effectué depuis plusieurs mois visant à faciliter les démarches des entrepreneurs, soutenir l’artisanat et développer nos commerces. L’économie, ce n’est pas uniquement les grands groupes, ce sont surtout nos commerces, nos petites entreprises et nos artisans, garants d’un savoir-faire de qualité et de proximité.
Le projet de loi constitue le volet TPE-PME du grand chantier ouvert il y a un an et demi par le Président de la République visant au redressement productif de notre pays. Il concerne directement les 770 000 entreprises du secteur du commerce et le million d’entreprises de l’artisanat, qui occupent près de neuf millions de salariés.
Comme nous l’a rappelé le président Brottes, il s’agit de la plus grande entreprise de France. Les commerces de proximité jouent un rôle essentiel dans la vie quotidienne des Français. Qui mieux que le boulanger du quartier, le boucher-charcutier ambulant, le coiffeur ou le primeur des villes peut faire vivre nos centres de village et nos centres-villes ? Ce sont les véritables artisans de la cohésion sociale. Je salue l’action du Gouvernement, en particulier de Mme la ministre qui a été attentive aux remarques des députés et présente pour répondre à nos interrogations, en commission comme dans l’hémicycle où les débats ont enrichi le texte. Je félicite aussi M. le rapporteur, Fabrice Verdier, qui a conduit plus de quarante auditions et dont le travail a reçu l’approbation des professionnels.
Si un consensus existe, c’est en partie grâce au travail remarquable de notre collègue Laurent Grandguillaume dont le rapport demandé par le Gouvernement est le fruit d’une véritable bataille de fond visant à rassembler autour d’une table des professionnels différents en vue de les mettre d’accord.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Plusieurs amendements issus de cette concertation et du rapport de Thierry Mandon sur la simplification ont été adoptés. Les députés ont pleinement joué leur rôle dans l’élaboration du projet. En effet, 263 amendements ont été discutés en commission et 256 l’ont été dans l’hémicycle.
Chaque année, des commerçants sont fragilisés en raison d’augmentations imprévues de loyer. Le projet de loi prévoit de les limiter à 10 % par an, ce qui constitue un gage de stabilité par ailleurs très attendu par les professionnels. Les relations entre bailleurs et locataires sont également clarifiées : obligation de dresser un état des lieux contradictoire, répartition des charges et impôts imputés à chacun, droit de préférence au commerçant qui occupe un local lors de sa vente.
Par la voix de Fabrice Verdier, nous avons proposé de supprimer les soldes flottants, source de confusion pour le consommateur. Le texte modifie également la reconnaissance de la qualité d’artisan par la valorisation davantage affirmée des qualifications, de l’expérience et des diplômes. Il instaure un statut unique de la micro-entreprise, avec deux régimes différenciés selon le parcours de croissance. Très attendu par les auto-entrepreneurs et les artisans, ce nouveau point d’équilibre distinguera l’entreprise individuelle, dont les bénéfices seront soumis à l’impôt sur les sociétés, de l’entrepreneur dont le revenu sera soumis à l’impôt sur le revenu.
Nous adaptons les outils de l’intervention publique en étendant le périmètre de compétence de la Commission nationale d’aménagement commercial et les modalités de gouvernance des chambres de commerce et de métier, qui jouent un rôle primordial au service des entreprises de nos territoires. Quant au FISAC, vous savez malheureusement, madame la ministre, dans quelle situation vous avez trouvé ce fonds, dont le texte prévoit la gestion par décret en fonction des priorités gouvernementales. Afin de résoudre le problème des 1 500 dossiers que vous avez trouvés en arrivant, le Gouvernement a abondé le fonds de 35 millions d’euros en 2013, crédits que vous vous êtes engagée à reconduire en 2014. Il est d’ailleurs nécessaire de prendre en compte la redynamisation des centres-bourgs, la revitalisation des zones rurales et la modernisation de l’urbanisme commercial dans l’analyse des enjeux de nos territoires. C’est bien ce que propose le texte.
La relance de notre économie passe par le développement de nos très petites entreprises, des commerces de proximité et des savoir-faire de l’artisanat. Nous avons toujours choisi l’action, et de nombreuses mesures ont déjà été votées pour simplifier la vie des entreprises et soutenir l’embauche et l’investissement. Le Président de la République a lancé le pacte de responsabilité pour alléger les charges des entreprises et réduire les contraintes pesant sur leur activité. Le pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi vise, quant à lui, à réduire le coût du travail, à favoriser l’investissement dans les secteurs d’avenir et à améliorer le financement de l’économie.
Selon Montesquieu, « l’histoire du commerce est celle de la communication des peuples ». C’est la vérité, car le commerce unit les citoyens, les rapproche et crée la cohésion sociale de nos villes et de nos villages. Ce projet de loi, qui comporte de nombreuses avancées, est la clé de voûte de l’édifice que l’action gouvernementale et parlementaire construit pierre après pierre en vue du redressement du pays. C’est pourquoi le groupe SRC, comme, plus largement, notre assemblée qui a enrichi le texte, le votera.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe GDR.
La parole est à M. Daniel Fasquelle, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires économiques, chers collègues, je dénonce avec force, avant toute chose, la méthode employée pour l’adoption du texte.
À peine présenté en conseil des ministres, il a en effet suscité une telle réaction d’hostilité que le Premier ministre a dû demander un rapport sur le thème central du projet de loi, celui des auto-entrepreneurs, tant la contestation était forte, pour aboutir au résultat que nous connaissons : un projet de loi largement réécrit en commission puis dans l’hémicycle. Jugez vous-mêmes : dix-sept amendements du Gouvernement ont été déposés en séance, dont cinq réécrivaient des articles de fond en comble, et dix-neuf articles additionnels ont été ajoutés ! Les députés ont été privés de l’exercice normal de leur droit d’amender un texte qui, pour l’essentiel, n’aura pas été soumis au Conseil d’État et n’aura fait l’objet d’aucune étude d’impact !
Tout cela est particulièrement préoccupant, car il s’agit de dispositions juridiques, fiscales et sociales complexes qui seront demain autant de sources d’interrogation, de complication, voire, malheureusement, de contentieux pour nos chefs d’entreprise.
Le texte contient certes des avancées, qui doivent d’ailleurs beaucoup au travail de l’ancienne majorité. À propos des auto-entrepreneurs, vous voilà enfin convertie, madame la ministre, aux vertus d’un régime que vous et les vôtres aviez pourtant combattu sous la précédente législature !
Non seulement vous ne le remettez plus en cause mais vous l’étendez à la micro-entreprise ! Merci, très sincèrement, de ce bel hommage à Hervé Novelli dont je salue ici la clairvoyance et le courage !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Nos travaux ont été menés à l’écoute des artisans, légitimement inquiets de certains abus, voire d’une forme de concurrence déloyale à leur égard. Ils ont été entendus, et le travail engagé par la précédente majorité a été poursuivi.
Il y a là un point de consensus et d’équilibre dont je me félicite. Le projet de loi comporte d’autres avancées que nous ne pouvons que soutenir compte tenu des sources auxquelles vous avez puisé, madame la ministre : Patrick Ollier et Michel Piron pour l’urbanisme commercial, Catherine Vautrin pour les chambres de commerce et d’industrie, Hervé Novelli à nouveau et Laure de la Raudière pour l’EIRL, et, plus modestement, celui qui prend la parole cet après-midi devant vous pour les baux commerciaux. Merci, donc, de votre écoute !
Un certain nombre d’amendements ont été retenus, en particulier celui que j’ai défendu et qui portait sur les vitrines et les locaux commerciaux vacants, ce dont je tiens à vous remercier, madame la ministre. Je me félicite également de la fin des soldes flottants, mesure que nous avons unanimement soutenue et qui était attendue des commerçants. Cela étant, la méthode est pour le moins critiquable, et le texte, qui comporte quelques avancées techniques inspirées pour l’essentiel par l’opposition, inspire des doutes et des craintes. Les doutes portent sur l’efficacité de certaines mesures dont la portée normative est plus que discutable et les craintes sur certaines dispositions du projet de loi qui sont potentiellement dangereuses.
Passons sur le message qu’envoie aux investisseurs internationaux le remboursement des aides alors même que le Président de la République se contorsionne à l’Elysée pour freiner la chute dramatique des investissements étrangers en France. L’allongement de deux à trois ans du bail dérogatoire constitue selon nous une très grave erreur. En institutionnalisant ce qui devrait rester exceptionnel, vous fragilisez et précarisez les commerces de centre-ville, à rebours du but visé. La modification du FISAC nous inquiète également : en le détachant de la TASCOM et en inscrivant dans la loi des critères restrictifs, vous pénalisez de nombreuses villes, alors même qu’il est indispensable pour sauvegarder et renforcer le commerce de proximité.
Le texte pèche surtout par manque de souffle et d’ambition, et donne le sentiment de rendez-vous ratés. Vous auriez pu, par exemple, prendre le temps d’une réflexion globale visant à la remise à plat des baux commerciaux. Au contraire, vous allez perturber des équilibres subtils et prendre le risque de créer plus de difficultés que vous n’allez résoudre de problèmes. Vous auriez pu, surtout, faire précéder votre texte d’une réflexion globale sur l’évolution du commerce. On ne trouve rien, par exemple, ni dans l’étude d’impact ni dans le projet lui-même, sur le développement du commerce en ligne et ses conséquences sur le tissu commercial existant. Est-ce normal ? Vous auriez pu enfin lancer une vraie réforme de l’urbanisme commercial.
En conclusion, le texte est décevant car il n’apporte pas de vraies réponses à la crise économique. Le projet de loi donnera-t-il du travail aux artisans ? Développera-t-il l’activité des auto-entrepreneurs ? La réponse est non. Le texte apportera-t-il plus de clients et renforcera-t-il nos commerces de centre-ville ?
La réponse, en effet, est encore non. Il ne nous reste qu’à espérer que vous prendrez conscience de la faiblesse des réponses que vous apportez aux très graves difficultés que traverse le pays et que vous serez capables, par-delà ce projet de loi sur lequel nous nous abstiendrons, de changer profondément de cap et de politique économique et sociale.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Michel Zumkeller, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen d’un texte qui concerne 95 % des entreprises de notre pays. Conscient de la période économique que nous traversons, le groupe UDI n’a cessé d’interpeller le Gouvernement sur la nécessité de porter une attention toute particulière à ces entreprises qui contribuent pleinement à la croissance de notre pays, mais qui n’en sont pas moins les premières victimes de la crise : effondrement des carnets de commandes, problèmes de trésorerie et d’obtention de prêts bancaires sont les difficultés qu’ils rencontrent quotidiennement, dans un environnement caractérisé par une explosion de la fiscalité depuis vingt mois et par un véritable dédale de contraintes administratives.
À ce titre, le groupe UDI dénonce à nouveau le relèvement du taux de TVA de 7 % à 10 %, qui aura des conséquences dramatiques sur des pans entiers, non délocalisables, de notre économie. La contradiction entre les objectifs affichés par le Gouvernement dans le projet de loi et la réalité de la politique économique et fiscale conduite depuis vingt mois apparaît ici au grand jour. Le texte ne répond que très partiellement à la gravité des enjeux que je viens de rappeler mais contient des dispositions qui vont dans la bonne direction et qui n’appellent pas d’opposition particulière de la part de notre groupe.
L’évolution du projet de loi en commission et en séance nous a permis d’améliorer le texte initial afin de répondre aux attentes que formulent les petits entrepreneurs et de les aider à surmonter les obstacles qu’ils rencontrent au quotidien. C’est notamment le cas de la réforme du statut de l’auto-entrepreneur, statut que nous avions soutenu lors de sa création car il faisait entrer de la simplicité dans la vie entrepreneuriale en permettant à des centaines de milliers de Français d’améliorer leur pouvoir d’achat par l’exercice d’une activité dans un cadre légal et simplifié. La première mouture du texte nous posait donc un véritable problème, puisque vous preniez le risque, en poursuivant la volonté de détruire l’héritage de la précédente majorité, de casser un régime facilitant la création d’entreprises et dynamisant l’économie tout en réduisant le travail au noir.
Il n’est pas question de nier les difficultés apparues dans des secteurs artisanaux particulièrement exposés, qui nécessitaient d’aménager le statut de l’auto-entrepreneur. Cependant, le groupe UDI a toujours refusé d’opposer les artisans aux auto-entrepreneurs. Plutôt que de complexifier un statut dont la simplicité est plébiscitée par tous, nous avions plaidé pour un rapprochement des régimes à travers un allégement du cadre juridique et fiscal applicable aux TPE, afin que la simplicité propre au régime de l’auto-entrepreneur devienne la règle pour tous. La fusion des micro-entreprises dans le régime de l’auto-entrepreneur constitue, de ce point de vue, une première étape importante.
Comme je le disais, les autres dispositions de votre projet de loi, d’importance inégale, ne nous posent pas de réelle difficulté. La réforme des baux commerciaux était nécessaire. Ainsi, l’indexation des hausses de loyers sur l’indice des loyers commerciaux, le lissage de ces augmentations dans le temps, l’instauration d’un droit de préférence pour le locataire, ou encore le renforcement du droit de préemption des communes, sont autant de mesures qui étaient attendues. Les dispositions du texte relatives à l’artisanat répondent également à des demandes exprimées par le secteur et vont dans le sens d’une meilleure reconnaissance du savoir-faire artisanal et d’une protection renforcée des consommateurs. Enfin, nous nous félicitons de l’adoption de notre amendement, destiné à alléger l’obligation faite aux artisans de mentionner leurs assurances lorsque ce n’est pas nécessaire.
Quant à la réforme de l’urbanisme commercial, notre collègue Michel Piron vous a fait part de ses regrets, et nous souhaitons qu’une réforme d’ampleur permette enfin d’en faire une véritable composante du droit de l’urbanisme. Nous regrettons aussi que vous n’ayez pas apporté plus de considération à nos nombreuses propositions constructives telles que l’ouverture d’une réflexion sur les seuils de salariés, le rapprochement des organismes consulaires, ou encore l’autorisation pour les commerçants de bénéficier de la vidéoprotection.
En conclusion, mes chers collègues, si le groupe UDI reconnaît les avancées présentes dans ce projet de loi, il considère que le secteur du commerce, de l’artisanat et des TPE aurait mérité une réflexion plus globale et plus ambitieuse. Nous renouvelons donc notre appel afin que le Gouvernement accélère son action dans le sens d’une baisse massive, directe et immédiate des charges, et qu’il prenne des mesures beaucoup plus fortes pour mettre véritablement en oeuvre le choc de simplification tant attendu par les professionnels. Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 504 Nombre de suffrages exprimés: 324 Majorité absolue: 163 Pour l’adoption: 323 contre: 1 (Le projet de loi est adopté.)
Vote sur l’ensemble
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.
J’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’informant de sa décision de charger Mme Clotilde Valter, députée du Calvados, d’une mission temporaire auprès du ministre du redressement productif.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux et de plusieurs de ses collègues, relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 (no 1716).
Monsieur le président, monsieur le ministre des outre-mer, madame la ministre déléguée chargée de la famille, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion et surtout une puissante détermination que je viens à cette tribune pour mettre en lumière un épisode que notre République a essayé de cacher. Voici cinquante ans que des vies de femmes et d’hommes sont bouleversées, cinquante ans que des histoires personnelles se heurtent et s’enchevêtrent avec le destin d’un pays : le nôtre. La Réunion des années 1960, qui avait tout juste cessé – depuis 1946 – d’être une colonie française, était pauvre, bien plus pauvre qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle connaissait la grande misère, l’alcoolisme, l’analphabétisme et l’explosion démographique.
C’était le résultat d’un manque cruel d’écoles, de lycées et d’hôpitaux ; l’activité économique était tout juste sortie du modèle colonial, avec 60 % de chômage. Au même moment, dans l’hexagone, des départements étaient vidés de leurs forces vives par l’exode rural.
C’est alors que Michel Debré, en ce temps député, décide de mettre en place une politique consistant à envoyer des enfants réunionnais en métropole, réglant ainsi simultanément, à ses yeux, le problème démographique auquel ces deux départements étaient confrontés.
Entre 1963 et 1982, plus de 1 600 enfants réunionnais sont exilés vers plus de soixante départements différents. L’apparence généreuse de l’idée ne dissimula qu’un temps l’abomination que constituait l’action de cette véritable machine d’État.
L’accord pour le grand départ était volé aux familles pauvres, à qui des services sociaux promettaient le grand soir : instruction pour les enfants, réussite professionnelle, familles aimantes, confort et retours pour les vacances.
La réalité fut tout autre : l’administration imposa une rupture totale avec les familles. Il était en effet interdit aux enfants de reprendre contact avec leurs parents ; les courriers n’arrivaient pas à destination.
Toute mesure permettant d’aider les enfants à rentrer à La Réunion était même découragée par le personnel politique de l’époque, qui craignait que cela n’incite à l’agitation sociale.
Quelques-uns, il est vrai, s’en sont bien sortis professionnellement. Lors d’une conférence de presse à La Réunion, l’une de ces enfants exilés s’est exprimée en ces termes : « J’avais trois ans. J’ai eu de la chance, j’ai réussi ma vie, mais au prix de quelles souffrances ? »
Beaucoup l’ont vécu comme un exil forcé et virent leur famille naufragée, leur vie brisée, leur enfance oubliée.
Les enfants arrivaient en masse à Orly : c’était le choc du territoire inconnu, une déchirure familiale, un oubli forcé de leur culture, de leur langue maternelle, le front glacial de l’hiver, le regard inquisiteur, parfois lourd de préjugés, la nostalgie de l’île, la solitude, la tristesse – bref, le manque.
L’un de ces enfants raconte que chaque matin, à l’aube, il se levait pour s’occuper d’un troupeau et ne retrouvait à la tombée de la nuit qu’un maigre repas, qu’il partageait dans l’écuelle d’un chien.
Un autre a été arraché à sa grand-mère à l’âge de sept ans. Transféré dans la Creuse, il a été adopté par un couple du Cotentin et violé par son père adoptif.
Tout au long de leur vie, ils porteront les stigmates de cette enfance douloureuse. Combien sont-ils à s’être fait souffrir pour exister : la violence, la prostitution, l’échec scolaire étaient parfois le seul exutoire pour se libérer de leur traumatisme.
Et il y a tous ceux qui ont été emportés par la folie : les rapports de l’inspection générale des services sociaux font état d’un nombre effrayant d’enfants ayant eu le mal du pays.
On ne leur demandait pas de s’adapter, mais de s’assimiler à leur environnement. La schizophrénie, la dépression conduisaient parfois à la solution ultime, la mort.
Dans cette affaire, la République a connu un triple échec.
Moral, d’abord, avec des enfants brisés, passés par pertes et profits, écrasés par un choix politique et une machine administrative qui refusèrent toute remise en cause.
Politique, ensuite, puisque ce choix ne permit d’atteindre aucun des objectifs fixés par Michel Debré : ni le chômage, ni la pauvreté, ni le problème démographique ne furent endigués.
Historique, enfin, en échouant à tirer les leçons de cette affaire. La malveillance et le temps se sont ligués pour égarer certains des documents dont les victimes ont besoin pour retrouver leurs origines. Mais au-delà, la République n’a pas su interroger suffisamment cet événement pour comprendre ses zones d’ombres et les dérives de son modèle.
Le vote de cette résolution est l’occasion d’écrire une nouvelle page de l’histoire de France et de corriger cette lacune mémorielle. En ce mardi 18 février 2014, au nom de la souveraineté nationale, nous devons faire une place à ces enfants dans notre mémoire collective.
Nous avons d’abord un devoir de reconnaissance : l’État français doit admettre sa responsabilité morale. Le choix politique qui a été fait à l’époque était mauvais : déjà, en 1972, le préfet de Lozère se demandait si l’exil de ces enfants constituait la véritable solution au problème démographique. Le programme était voué à l’échec, mais la machine ne s’est pas arrêtée.
Nous avons ensuite un devoir de mémoire. En effet, la génération des enfants exilés, aujourd’hui devenus adultes, emportera ces histoires avec elle. Avant que la mémoire de pierre ne remplace la mémoire de chair, nous devons écouter leur témoignage pour tirer les leçons du passé et pour que cela ne se reproduise plus. Se souvenir, c’est penser son passé en conscience, c’est comprendre d’où l’on vient, pour mieux savoir où l’on va, c’est accepter les douleurs du passé pour construire un avenir meilleur.
Comme le disait Aimé Césaire, « un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. » Alors, ensemble, souvenons-nous et construisons un avenir dans la dignité et la fraternité, autour d’une République refusant l’assimilation forcée et préservant la richesse de sa diversité.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDPGDR.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, chère collègue Bareigts, le groupe UMP ne peut souscrire à votre conception de la politique relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970, telle qu’elle apparaît dès la lecture de l’exposé des motifs de votre proposition de résolution. En effet, vous n’hésitez pas à la qualifier – pas cette fois, mais dans d’autres circonstances – de « déportation », et vous en dressez un tableau particulièrement manichéen, en expliquant que des jeunes enfants auraient été arrachés à leur famille. Cela nous parait un abus de langage choquant.
À cet égard, permettez-moi une citation. « Tous ces procès posthumes, ces déballages de turpitudes, vraies ou fausses, mais rarement désintéressées, ne peuvent qu’alimenter la division des Français, trop enclins à s’entre-déchirer, et ternir l’image de notre pays. L’histoire, la vraie, exige plus de recul et de sérénité. » Eh bien, je ne saurais mieux dire ! Ces propos, mes chers collègues, sont ceux d’André Chandernagor, ancien ministre et président socialiste – j’insiste sur ce mot – du conseil général de la Creuse, dans ses mémoires intitulés La liberté en héritage, publiés en 2004.
Les mots « déportation », « rafle », « esclavage », ont été employés ; ils sont excessifs, pour ne pas dire scandaleux, d’autant qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, rendu public en octobre 2002, à la demande de Mme Elisabeth Guigou, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, indique sans ambiguïté que ce dispositif de migration des pupilles est perçu comme l’un des aspects d’une réponse organisée pour faire face à l’urgence des besoins des populations, ainsi qu’aux évolutions économiques et sociales prévisibles.
C’est le rapport de l’IGAS qui le dit, permettez-moi de le citer ! Il a été demandé par Mme Guigou qui, que je sache, n’est ni RPR ni UMP.
L’IGAS n’y a pas vu la marque d’une volonté dirigée délibérément à l’encontre des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, par exemple pour repeupler certains départements métropolitains.
En vérité, l’analyse et la compréhension de la migration des mineurs de La Réunion entre 1960 et 1980 nécessitent de bien prendre en compte ce qu’était alors la situation sociale et économique dramatique – j’insiste sur ce mot – de ce département d’outre-mer, caractérisé par un taux de chômage de 60 %, comme l’a rappelé notre collègue. C’est cela qui peut expliquer la mise en oeuvre d’une telle politique publique durant cette période. L’honnêteté intellectuelle me semble imposer de ne pas juger des événements du passé – qui ont débuté il y a plus de cinquante ans –, avec les critères d’aujourd’hui et en méconnaissance du contexte historique.
En effet, au début des années 1960, les pouvoirs publics étaient confrontes à une explosion démographique due au niveau élevé des taux de fécondité et de natalité, conjugué à une baisse sensible de la mortalité, dans un contexte de fort chômage – 60 %, je le répète –, alors largement accompagné par la misère, l’insalubrité, l’analphabétisme et l’alcoolisme.
Ainsi, la population de l’île était passée de 275 000 personnes en 1954 à 350 000 en 1961, et a dépassé 480 000 en 1973. Cette situation justifiait de réelles craintes quant à la capacité de créer suffisamment d’emplois sur place pour les nouvelles générations.
Les pouvoirs publics ont alors conçu, pour répondre à ces défis, outre une politique de développement économique et social de La Réunion, une politique ambitieuse de migration vers la métropole, conduite par le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer – le BUMIDOM – et intéressant tant des adultes que des adolescents et des enfants, ces derniers étant au nombre de 1 600.
Il faut souligner d’ailleurs que ce que l’on a appelé la migration des pupilles, qui commença en 1963, n’a représenté, en nombre de personnes concernées, qu’un pourcentage relativement modeste de cette politique publique.
Cependant, dans le cas précis des enfants de l’aide sociale à l’enfance de La Réunion, des considérations supplémentaires ont joué pour que ces mineurs soient inclus dans ce programme de migration.
Il visait à pallier la faiblesse qui caractérisait à l’époque les établissements d’accueil de La Réunion : en effet, ceux-ci ne permettaient pas alors une prise en charge à la hauteur des besoins des parents, compte tenu des difficultés qu’éprouvaient nombre d’entre eux à éduquer leurs enfants.
En outre, au début des années 1960, l’éloignement des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance vis-à-vis de leur famille naturelle était une pratique assez courante, appliquée également en métropole. Je rappelle que les départements de la région parisienne disposaient de plus d’une vingtaine d’agences de placement, réparties sur tout le territoire national.
L’amélioration très nette des équipements sociaux, médico-sociaux et sanitaires à La Réunion, l’extension progressive à ce département des droits sociaux applicables en métropole – qui permettaient aux familles de mieux faire face à leurs obligations éducatives – ainsi que l’évolution profonde, en France, des lois et des pratiques en matière de protection de l’enfance, expliquent l’arrêt logique – dont on doit se féliciter – de la migration des pupilles, à la fin des années 1970.
Comme stagiaire de l’École nationale d’administration à la préfecture de La Réunion en 1972, j’ai été personnellement témoin de ces évolutions, conduites par de grands serviteurs de l’État, comme le préfet Paul Cousseran, ancien déporté, préfet humaniste, ou Bernard Grasset, qui était alors secrétaire général de la préfecture et sera par la suite député socialiste, de 1997 à 2002.
Dans ce contexte, marqué par une très nette amélioration des structures sanitaires et sociales, due pour l’essentiel à l’action de Michel Debré…
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
…dont cette proposition de résolution semble pourtant faire indirectement le procès – c’est, personnellement, ce qui m’a le plus choqué –, il a été mis un terme à cette politique de migration de pupilles au profit de solutions alternatives, notamment, je le rappelle, la mise en place d’allocations aux familles et d’allocations mensuelles, ainsi que la transposition progressive, à partir de 1977, dans les DOM, des dispositifs de Sécurité sociale applicables dans les départements métropolitains.
Les autres mesures ont été le développement des établissements et services en capacité de prendre en charge les besoins de l’aide sociale à l’enfance, la mise en oeuvre du plan de développement social, à la fin des années 1970, et, enfin, une politique de planning familial,
Exclamations sur les bancs du groupe GDR
impulsée avec vigueur dès le début des années 1960 à La Réunion, visant à limiter les naissances.
Cette politique a fortement limité le nombre de naissances non désirées, qui conduisaient souvent à des difficultés éducatives…
Cher ami, si vous aviez fait le dixième de ce qu’a fait Michel Debré pour La Réunion, je vous écouterais davantage !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC
Cette politique a ainsi permis de diminuer le nombre de mineurs admis à l’aide sociale à l’enfance.
Pour lutter contre la misère de la population, Michel Debré a créé un fonds d’action sanitaire et sociale qui a notamment permis la création de cantines scolaires gratuites et qui s’est également employé à améliorer les équipements publics, sanitaires, scolaires et routiers.
Aussi, au lieu de le dénigrer, convient-il de saluer son engagement sans faille dans la mutation qu’a connue l’île de La Réunion. D’ailleurs, en 1999, Raymond Barre, autre ancien premier ministre originaire de La Réunion, écrivait à ce sujet que, si l’île a, aujourd’hui, un niveau de vie bien supérieur, non seulement à celui de son environnement géographique – l’océan indien –, mais aussi – excusez-moi, chers amis antillais – à celui des Antilles, c’est à Michel Debré et à l’action de l’État qu’elle le doit.
Mes chers collègues, sur un tel sujet, si vous aviez voulu que tous les républicains vous rejoignent, il aurait été préférable de faire un travail objectif,…
…sans angélisme, mais sans diabolisation non plus.
Il y a sans doute eu un certain nombre de cas où des abus ont été commis, où des engagements n’ont pas été tenus, où des enfants n’ont pas été traités comme il aurait fallu.
Mais on ne peut aujourd’hui stigmatiser, par principe, le fonctionnement des services sociaux de l’époque qui, dans un contexte qui n’a plus lieu d’être, ont agi pour donner une chance à ces enfants de se construire un avenir meilleur.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Si certains anciens pupilles ont pu souffrir de cette situation – c’est à regretter –, la grande majorité des 1 600 enfants concernés y ont trouvé les conditions d’une vie meilleure, bien meilleure, avec de vrais accomplissements professionnels et humains.
Mêmes mouvements.
Certes, si l’on ne peut qu’être favorable au fait de faciliter, pour les ex-pupilles, la reconstruction de leur histoire familiale et l’accès aux documents administratifs de l’époque, il n’est pas question de faire aujourd’hui le procès des services sociaux.
Car le rapport de l’IGAS, qui avait été demandé par Mme Guigou, est clair : « [La mission] n’y a pas vu la marque d’une volonté de migration délibérément dirigée à l’encontre des jeunes de l’aide sociale à l’enfance. [… ] Au total, sur la base de l’étude de nombreux documents et d’un échantillon de 145 dossiers, ainsi que de témoignages, la mission n’est pas conduite à dresser un bilan négatif de la politique de " migration de pupilles ". »
Alors, mes chers collègues, je vous le dis en conscience et en tant qu’amoureux de La Réunion et de sa population…
Ah ! sur plusieurs bancs du groupe SRC
Vous n’avez pas le monopole de l’amour de La Réunion !
Cette volonté, disais-je, d’instrumentaliser l’histoire et cette dérive vers la repentance ne sont pas de nature à répondre de façon apaisée et objective aux souffrances de certains. C’est également nier les efforts qui ont été menés alors par Michel Debré, véritable bienfaiteur de La Réunion, pour sortir ce département de la crise économique et sociale qu’il connaissait alors et pour conduire à bien sa mutation.
Dans ces conditions, vous comprendrez, chers collègues, que le groupe UMP ne peut approuver une telle approche et votera contre cette résolution.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 est l’expression de la culture républicaine d’un temps et d’un lieu donnés. Et le cours de l’histoire a fait qu’un dispositif qui était alors inédit apparaît aujourd’hui comme une réalité invraisemblable.
Oui, les mineurs transférés sont l’expression sensible d’une période historique, comme le sont les rapports de la métropole avec elle-même, la vision que la France a d’elle-même, la façon dont elle se gère et s’administre, la manière dont elle façonne sa mémoire et dont elle la transmet.
C’est probablement pour cela que cette histoire est longtemps demeurée souterraine alors que certains « enfants de la Creuse », ainsi qu’on les a nommés, souffraient en silence et cherchaient à connaître leurs racines. Ces jeunes Réunionnais ont d’ailleurs vécu dans d’autres départements : le Tarn en a accueilli 202, tandis qu’ils étaient seulement 197 dans la Creuse. Pendant près de vingt ans, cette politique de migration a abouti au transfert de 1 615 mineurs réunionnais vers les territoires ruraux métropolitains de plus de soixante départements.
Il a fallu attendre 2002 pour que le silence laisse place à la colère d’un homme, qui a relevé, au fond, les paradoxes successifs de notre république.
Près de quarante ans après la création du BUMIDOM, le Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer, Jean-Jacques Martial dépose plainte contre l’État français, une plainte « pour enlèvement et séquestration de mineurs, rafle et déportation », assortie d’une demande de réparation afin de faire connaître son histoire et celle de certains autres.
Pourquoi cette plainte ? À la suite de recherches généalogiques, Jean-Jacques Martial apprend brutalement les conditions de son transfert vers la Creuse et son véritable nom de famille. Lui qui se croyait orphelin découvre qu’il possède une famille à La Réunion.
Suivent d’autres plaintes. Certaines d’entre elles sont relayées par des associations de Réunionnais qui se qualifient de « déportés » et demandent réparation. Ces plaintes remontent même jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, mais toutes échouent. C’est un nouveau coup dur pour ces enfants réunionnais qui n’arrivent pas à faire le deuil d’une histoire familiale complexe vécue entre La Réunion et la métropole.
Les demandes de réparation se multipliant, la ministre de l’emploi et de la solidarité, Élisabeth Guigou, demande alors à l’Inspection générale des affaires sociales de procéder à une enquête « sur la situation d’enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 ».
Dans les conclusions de son rapport publié en octobre 2002, l’IGAS considère que cette « politique de migration des pupilles » répondait avant tout à une réelle urgence : sortir les jeunes enfants réunionnais de la misère qui, dans les années soixante, touche l’ensemble de l’île et qu’accompagnent l’insalubrité, l’illettrisme et le chômage.
À la même époque, les pouvoirs publics français sont confrontés à une explosion démographique inquiétante dans le département de La Réunion. Ils ont fait l’analyse que l’île ne peut plus supporter un taux démographique aussi fort sans risquer de plonger encore plus profondément dans la misère. Face à cette situation d’extrême pauvreté, l’État se devait d’agir pour améliorer les conditions de vie des Réunionnais.
En plus de mettre en place un programme de développement économique et social adapté, les pouvoirs publics, sous l’impulsion de Michel Debré, se sont tournés vers une politique de migration jugée à l’époque bénéfique à la fois pour l’île et pour la métropole. Elle concerne aussi bien les adultes que les adolescents et les enfants. En fait, la France métropolitaine, qui connaissait alors le plein essor des « Trente Glorieuses », se trouvait face à un besoin urgent de main-d’oeuvre qualifiée. C’est au même moment, et pour les mêmes motifs, que mon propre père a quitté sa Mayenne natale pour s’installer dans le Tarn comme ouvrier agricole dans le cadre de l’Association nationale de migration et d’établissement rural, l’ANMER.
L’éloignement de ces enfants se justifiait également par la faiblesse des établissements d’accueil de La Réunion pour prendre en charge les enfants qui avaient besoin d’aide. Nombreux sont ceux qui préfèrent, aujourd’hui, résumer cette politique de migration à un simple déplacement du « trop-plein » vers le « trop-vide ». L’argument selon lequel la migration des enfants réunionnais aurait servi à compenser l’exode rural que connaissaient certains départements comme la Creuse ou le Tarn, est une explication ex post. Avancé comme une dernière justification à l’intérêt du placement de ces enfants en métropole, un tel argument reste réducteur et ne rend pas bien compte de l’intérêt du travail effectué par le BUMIDOM.
La mobilité a toujours été et restera encouragée non seulement par La Réunion, mais aussi par les autres départements d’outre-mer. Il faut rappeler que La Réunion connaît aujourd’hui un taux de chômage de 30 % en moyenne et de près de 60 % chez les jeunes.
Favoriser la mobilité vers la métropole, entre autres destinations, a toujours été l’une des lignes directrices de la politique envers les départements d’outre-mer, pour permettre à certains de leurs habitants de trouver un emploi et d’avoir une vie meilleure, et éventuellement de revenir ensuite dans leur département d’origine pour faire profiter ceux restés sur place des expériences vécues en métropole. Nous connaissons ce même phénomène avec nombre de nos jeunes compatriotes métropolitains qui se rendent temporairement à l’étranger puis reviennent en France. L’objectif du BUMIDOM était le même dans les années soixante, à une époque où La Réunion se trouvait dans une situation économique encore plus désastreuse qu’elle ne l’est malheureusement aujourd’hui.
Dans ces circonstances, prenons garde aux calculs politiciens et veillons à ne pas faire, au travers de ce débat, un injuste procès d’intention à Michel Debré, père de la Constitution de la Cinquième République au parcours courageux et exemplaire, qui mérite notre respect républicain.
Cette politique se fondait finalement sur un principe unique : la nation ne faisant qu’une, ses enfants, quelles que soient leurs origines, en étaient les contributeurs naturels. Mais cette idée très légaliste de la nation faisait malheureusement peu de cas de la psychologie de l’enfant.
Différents récits de ceux qu’on a appelés les « enfants de la Creuse » nous touchent tous profondément et nous révoltent. Je pense notamment au récit poignant de Jean-Jacques Martial, qui évoque l’enfance heureuse qu’il aura vécue jusqu’à ses sept ans, avant que « la deux-chevaux de la DDASS » l’arrache à sa terre natale. Je pense aussi à Jessy Abrousse, cette femme qui tente depuis des années de recomposer son passé, alors qu’elle a subi avec son frère et sa soeur les mauvais traitements de sa famille adoptive.
Il est évidemment primordial de comprendre comment de tels abus ont pu se produire durant cette période. Cependant, n’oublions pas trop vite que de nombreux expatriés, notamment des enfants, ont trouvé leur place en métropole et ont été accueillis avec amour et attention dans des familles métropolitaines. J’en connais quelques-uns dans le Tarn. Il faut donc rester vigilant et éviter de tomber dans des généralisations qui desserviraient le combat des ex-pupilles réunionnais.
Le rapport de l’IGAS conclut finalement à l’absence de faute des services sociaux et de l’État et propose le financement d’un billet d’avion aller-retour pour celles et ceux qui souhaiteraient revoir leur île natale. C’est une première avancée pour ces enfants qui souhaitent connaître leur histoire.
Personne n’est sorti indemne de ce sursaut de l’Histoire, ni les Réunionnais ni les métropolitains qui, pour la plupart, ont découvert les faits avec effroi en 2002.
Heureusement, cette histoire n’est pas tombée dans l’oubli, notamment grâce au travail de mémoire entrepris par le département de La Réunion. Le 20 novembre 2013, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, la présidente du conseil général de La Réunion, Nassimah Dindar, dont je tiens à saluer l’engagement sans faille sur cette question, a réuni certains de ces enfants dits de la Creuse, les associations et les élus pour commémorer le cinquantenaire de l’histoire des ex-pupilles réunionnais. À cette occasion, elle a inauguré à l’aéroport Roland-Garros une sculpture réalisée par l’artiste Nelson Boyer, à travers laquelle est enfin reconnu l’exil des enfants. Cette stèle est un symbole fort dans ce lieu emblématique qui fut le point de départ et le point de retour de ces enfants. Nous devons saluer et encourager ce travail de reconnaissance.
Chers collègues, vous avez choisi de présenter cette résolution à quelques semaines d’échéances électorales. On peut se demander si ce moment est le bon pour évoquer un sujet aussi difficile.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
On peut assumer le passé sans pour autant en faire un destin. On peut aussi assumer le passé sans en faire le prétexte du ressentiment et de l’exclusion.
Les Réunionnais déplacés pensent, à juste titre, que la lumière doit être faite sur cette période de leur vie, sur cette enfance dont certains considèrent qu’elle leur a été volée. Ces ex-pupilles réunionnais, devenus adultes et parents à leur tour, ont le droit de transmettre une histoire à leurs enfants. Mais soyons prudents avec la mémoire et avec les vies dont nous parlons. Ne passons pas de la nuit au jour, comme si tout était simple. Parlons des vies et des familles au cas par cas. Prenons soin de ne pas mettre le trouble là où il n’existe pas.
Et même s’il ne s’agissait que d’une saine intention, pourquoi ne pas passer au préalable par un approfondissement de cette histoire ? Commençons par privilégier l’échange, le dialogue, plutôt que de passer une nouvelle fois par la lame brutale de l’histoire officielle édictée par le Parlement.
N’oublions pas, enfin, que notre vote, que cette résolution seront observés et analysés.
Ce n’est qu’une fois ces approfondissements effectués que nous pourrons examiner ensemble les moyens concrets – car il faut du concret – à engager pour la mémoire de ces enfants, de ces parents, de ces histoires qui doivent décidément être celles d’une façon d’écouter et d’accueillir la vie.
Nous sommes à l’heure des réconciliations et des réparations. C’est un moment important que nous ne devons pas négliger, au risque de discréditer cette dramatique histoire. Une mémoire collective se construit non pas dans la rapidité, comme le laisse supposer cette proposition de résolution, mais progressivement.
Ne prenons pas le prétexte de la commémoration du cinquantenaire des enfants déplacés pour faire passer une telle résolution ! L’histoire est grave, et elle mérite que nous la traitions en profondeur avant d’établir les responsabilités des uns et des autres. C’est pourquoi le groupe UDI ne prendra pas part au vote.
Monsieur le président, madame la ministre déléguée, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui, lorsque nous aurons voté cette proposition de résolution relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970, nous pourrons refermer l’une des dernières pages obscures de notre histoire contemporaine.
C’était une époque où l’État avait créé le BUMIDOM, acronyme du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, afin d’organiser, de favoriser et de développer la promotion d’une émigration massive en provenance des départements ultramarins.
C’était une époque où, sous couvert de mener une politique jacobine et nationaliste, l’État s’était mis en tête de déplacer le trop-plein vers le trop vide, agissant comme un froid régulateur de la démographie française.
C’était une époque où plus de 1 600 enfants réunionnais, reconnus pupilles, étaient « positionnés » par l’administration dans soixante-quatre départements de métropole, sans que leurs parents y aient réellement consenti.
C’est l’histoire d’un déracinement. Jean-Charles, Lydie ou Jean-Jacques, Réunionnais, vont avoir soixante ans aujourd’hui. Ils faisaient partie, en 1966, d’un convoi de 250 enfants, allant du nourrisson à l’adolescent, dont le but était de repeupler des zones rurales de la métropole. Le problème est que l’on avait promis à leurs parents des nouvelles, des retours possibles ou des études. Or rien de tout cela ne s’est concrétisé. Il apparaît clairement aujourd’hui que le consentement des parents, en grande détresse sociale, a été obtenu de manière biaisée par les autorités d’alors.
À l’égard de ces enfants, l’État a fait sciemment le choix de couper leurs liens avec leur milieu d’origine, afin, pensait-on à l’époque, de favoriser un nouveau départ. Certains d’entre eux ont réussi professionnellement, fondé une famille et pu s’épanouir, mais d’autres, peut-être plus nombreux, n’ont pas eu cette chance. Certains même ont été battus – voire pire – par leur famille d’accueil. Une chose est certaine cependant : l’État français leur a volé à tous leur enfance, car ils ont été déracinés.
Il faut s’imaginer ces enfants, jouant pieds nus sur le sable chaud, écoutant leurs grands-parents leur chanter l’histoire de leur île si belle et celle de leurs ancêtres ; il faut imaginer – je fais appel aux souvenirs de ceux qui ont eu la chance d’aller à La Réunion – les senteurs, la musique et la culture, qui appartenaient déjà en propre à ces petits, et la manière dont tout cela s’est évanoui, un matin d’hiver, lorsque leurs pieds ont frappé le sol froid et dur des fermes de notre métropole.
Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos : il ne s’agit pas de prendre en pitié qui que ce soit, de faire de la victimisation, ni même de faire acte de repentance, comme le disent certains. Cette résolution a pour but d’apporter la justice à ces pupilles et de leur rendre hommage.
Naturellement, et comme en toute matière, le manichéisme n’a pas lieu d’être. Cela n’aidera à comprendre ce qui s’est passé, ni les personnes concernées, ni leurs familles, ni les familles d’accueil, lesquelles sont présentées par certains comme des Thénardier, alors que la grande majorité d’entre elles ne souhaitaient que le bonheur des enfants qu’elles accueillaient. Beaucoup croyaient à l’assimilation, telle qu’on la concevait à l’époque. Fort heureusement, les temps ont changé, et l’idée fausse et dangereuse que l’on s’en faisait n’a plus cours.
À cet égard, le choix de passer par une résolution plutôt que par une loi est à mon sens une bonne chose, car cela permet de dépassionner le débat. Cette résolution n’est pas là pour figer l’histoire ; bien au contraire, elle vise à faire en sorte que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée. En effet, même à La Réunion, cette histoire est mal connue.
Cette résolution permet aussi d’affirmer que l’État se doit d’assurer à chacun, dans le respect de la vie privée des individus, l’accès à la mémoire. La mémoire des personnes, comme celle des peuples, est sacrée. Sans mémoire, sans passé, il n’y a nul avenir possible. L’État a pour rôle de préserver la mémoire et les traces du passé. Nous savons en effet qu’un peuple ou qu’une personne privés de mémoire sont condamnés à refaire encore et encore les mêmes erreurs.
Cette résolution considère que l’État a « insuffisamment protégé » l’accès à la mémoire de ses pupilles et elle en déduit logiquement qu’il porte une responsabilité morale. Le groupe écologiste, tout en soutenant cette résolution, considère qu’il aurait fallu aller plus loin. En effet, l’article unique ne traduit pas totalement l’esprit de cette résolution, qui est développé plus fidèlement dans l’exposé des motifs. De fait, l’État a, non seulement protégé insuffisamment l’accès à la mémoire de ses pupilles, mais il les a privés sciemment de cette mémoire. L’État a arraché des petits Réunionnais à leur famille au nom d’une uniformisation des territoires, mais aurait-il agi de la sorte avec des petits Normands ou des petits Parisiens en les transportant à La Réunion ?
Comment ne pas voir dans les décisions prises à l’époque le reflet d’un état d’esprit colonialiste, marqué par la certitude des habitants de la métropole de savoir bien mieux que les habitants d’outre-mer ce qui est bon pour eux. Le tort de l’État est surtout d’avoir voulu planifier une immigration intranationale forcée, et ce au détriment des populations les plus fragiles, en l’occurrence les enfants des familles pauvres ultramarines.
Que cette résolution nous serve aussi de piqûre de rappel : n’oublions jamais qu’une politique décidée seulement dans les plus hautes sphères du pouvoir, petite circulaire par petite circulaire, petit coup de tampon par petit coup de tampon, sans contrôle démocratique, peut parfois mener à la déraison et même finir par nier l’individu et sa mémoire.
Reconnaître la responsabilité morale de l’État ? Certes, mais cela n’est pas suffisant, car la faute est là, devant nous et ces enfants, devenus grands, nous regardent du haut de la vie qu’ils ont réussi malgré tout à construire. Ils attendent de nous des mots simples et sans ambages. Oui, l’État a commis une faute à votre égard et c’est à lui désormais de porter le poids de sa responsabilité. Votre mémoire, votre enfance et votre culture vous appartiennent ; on vous les avait volés, vous les reprenez fièrement. Que chacun puisse maintenant avancer librement sur le chemin de son propre épanouissement.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC, GDR et RRDP.
Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la faculté pour les parlementaires d’examiner des résolutions, ouverte par la révision constitutionnelle de 2008, est utile, surtout pour éviter de donner forme législative à des sujets qui ne s’y prêtent pas. Cette possibilité, redonnée aux parlementaires cinquante ans après la Quatrième République, dont elle était l’une des calamités, avait pour principal objectif d’éviter que la loi soit bavarde et que son contenu soit dénué de tout caractère normatif – nous avons tous à l’esprit le débat autour des lois dites mémorielles.
Comme le démontrera, après celui-ci, le débat qui portera sur l’excellente proposition de résolution relative au plateau continental, principalement défendue par mon excellente collègue Annick Girardin, cette procédure devrait plus souvent être utilisée. À travers la présente proposition de résolution, il s’agit de rappeler solennellement l’histoire meurtrie de centaines de pupilles d’origine réunionnaise, dont certains sont ici aujourd’hui. Il s’agira, dans un instant, d’aider le gouvernement français à se dépêtrer d’une situation internationale préjudiciable aux intérêts de la France. Je veux remercier notre collègue Ericka Bareigts d’avoir pris cette initiative que nous soutenons et j’associe à mes propos mon collègue Thierry Robert, député de La Réunion.
L’affaire dite des « Réunionnais de la Creuse » est aujourd’hui en voie d’être symboliquement reconnue ; nous nous en félicitons. À la demande d’Élisabeth Guigou, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales avait été rendu en octobre 2002. Ce rapport jetait un éclairage glaçant sur cette affaire. Toutes proportions gardées, les pratiques du gouvernement ayant créé le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer étaient dignes de celles de l’Union soviétique, laquelle déplaçait sur le large territoire qui était sous son administration des populations entières, sous couvert d’une politique planificatrice visant à satisfaire les besoins de tous.
Une politique de migration forcée comme solution aux problèmes démographiques et économiques d’un territoire, s’appliquant aux enfants dont le statut de pupille permet à l’administration de les séparer de leurs parents – le rapport de l’IGAS accrédite même la thèse d’un vice de consentement des parents, dans les cas où il était demandé. Ces pratiques ne relèvent pas d’un État de droit libéral tel que le nôtre. Il faut croire qu’à l’époque où ces faits se sont déroulés, la conscience libérale et humaniste n’étouffait pas les gouvernants.
L’odieuse politique poursuivie à cette époque pourrait être comparée à une sorte d’esclavage colonial. En ce cas, les enfants réunionnais devraient être considérés comme des victimes à part entière. Rappelons que la loi du 23 mai 2001, dite loi Taubira, tend à reconnaître l’esclavage comme crime contre l’humanité, seul crime imprescriptible. Telle est la voie qui permettrait aux enfants réunionnais d’obtenir justice.
Aujourd’hui, la représentation nationale a l’occasion de rappeler les valeurs qui fondent notre pacte social, en premier lieu la liberté et la sécurité individuelles. Ces deux droits fondamentaux de la personne humaine, tels qu’ils ont été proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne peuvent souffrir d’aucun tempérament. Nous devons, hélas ! le rappeler souvent à l’échelle internationale ; nous ne pouvons que ressentir un malaise profond à devoir le rappeler quand il s’agit de la France, ce que nous faisons aujourd’hui.
Nous ne pouvons pas réparer les effets de cette politique de migration forcée des enfants réunionnais vers la métropole, car les faits, à moins qu’ils soient qualifiés d’actes constituant une forme d’esclavage – et tombant, de ce fait, sous le coup de la loi Taubira –, sont malheureusement prescrits. Mais nous pouvons solennellement exprimer notre sentiment et reconnaître officiellement que le gouvernement de l’époque a failli. Les élus du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste voteront cette proposition de résolution.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, écologiste et GDR.
Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, très chers enfants de La Réunion qui suivez ces débats depuis les tribunes de l’Assemblée nationale, c’est en 1963 qu’a été organisé le premier transfert d’enfants de La Réunion vers la France, en vue d’un placement.
En 1963, l’île de La Réunion est un département de la République française depuis moins de vingt ans. Du moins en a-t-elle le statut, car, dans son organisation économique et sociale, avec ses infrastructures archaïques, avec le peu de perspectives qu’elle offre à sa nombreuse jeunesse en termes de formation et d’insertion, avec sa détresse en matière sanitaire, l’île a encore pratiquement tout d’une colonie.
Comparée aux départements de la France hexagonale, et si l’on s’en tient à la question des équipements, La Réunion cumule des retards énormes, dont le comblement exige à l’évidence des mesures exceptionnelles, des investissements colossaux et du temps. De fait, au début des années 1960, des décisions lourdes ont été prises pour sortir l’île de son sous-développement et pour améliorer les conditions de vie matérielle de la population réunionnaise. D’autres mesures et d’autres pratiques ont revêtu un caractère plus contestable du point de vue de l’exercice de la démocratie – mais là n’est pas mon propos.
Toujours est-il que, dans toutes les politiques visant à atténuer le dénuement qui règne dans ce lointain département de l’océan Indien, la question démographique est omniprésente, presque obsessionnelle. Une natalité très élevée, une mortalité qui diminue : la transition démographique réunionnaise a surtout été appréhendée sous l’angle des menaces et des risques. De l’usage de moyens de contraception très contestables à la planification d’une émigration massive, bien des moyens seront utilisés pour freiner l’augmentation de la population.
C’est ainsi que, pour soulager la misère des 250 000 Réunionnais, éviter une poussée démographique et prévenir une explosion sociale tant annoncée et tellement redoutée, Michel Debré, député de la première circonscription de La Réunion, va convaincre le gouvernement de l’époque d’organiser un vaste transfert de populations vers les départements de la France continentale. Il n’est pas indifférent que ce député soit le plus jacobin des hommes politiques français de l’après-guerre. Tout l’engagement politique de Michel Debré a été guidé par son idéal de fusion de tous les territoires et de toutes les populations françaises dans une seule nation, une seule histoire, une seule culture et un même destin.
C’est dans ce contexte qu’a été créé en 1963 le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, le fameux BUMIDOM qui a représenté l’espoir pour des jeunes privés de perspectives, mais qui n’a pas toujours exaucé les rêves des jeunes des départements d’outre-mer, de sorte qu’il en reste, dans la mémoire collective, un souvenir mitigé.
Mais pourquoi a-t-il fallu que l’on mêle à cette entreprise de migration des enfants ? Comment a-t-on pu proposer comme mesure de protection à ces enfants pauvres, quelquefois maltraités, d’autres fois abandonnés, une expédition à des milliers de kilomètres de leur île ? Pourquoi leur a-t-on menti en leur promettant une scolarisation, un métier, des vacances au pays, des retrouvailles en famille et des perspectives de retour ? Comment se sont-ils retrouvés, comme cela a été souvent le cas, à répondre aux besoins de régions françaises en mal de main-d’oeuvre ?
On estime aujourd’hui à plus de 1 600 le nombre d’enfants qui ont été concernés par cet exil forcé entre 1963 et le début des années quatre-vingt. Ce nombre aurait pu être beaucoup plus important, puisque les promoteurs de cette sinistre opération s’étaient fixé un objectif de 25 % de la population totale de La Réunion.
Piégés par un système administratif aveugle, les enfants ont été placés dans des familles mais aussi dans des exploitations agricoles, dans des lieux d’accueil. Ils ont été éparpillés dans soixante départements !
Chacun peut imaginer le choc brutal et total subi dès leur arrivée par celles et ceux que l’on a appelés plus tard les « enfants de la Creuse ». Un autre climat – ils n’étaient pas équipés –, une autre langue – qu’ils n’avaient pas appris à parler –, d’autres codes culturels.
Ils ont connu la solitude, le racisme, la violence, les traitements indignes. Et puis, au bout du compte, la conviction, tous les jours plus forte, qu’ils ne reverraient ni leurs proches ni leur île. Qu’ils seraient oubliés.
À cet égard, on peut s’étonner du climat de résignation qui a permis que l’on tolère, tant à La Réunion qu’en France continentale, l’organisation de ce transfert d’enfants. Le contexte est celui des années 1960. Les grandes lois de protection de l’enfance ne sont pas encore votées, la Déclaration des droits de l’enfant non plus.
Il reste qu’en dehors de quelques administrations ou associations ici où là, et à l’exception notable du Parti communiste réunionnais et de son journal Témoignages, bien peu de voix se sont élevées à l’époque pour protester ou même interroger le bien-fondé de cette politique de déracinement !
Mes chers collègues, la Nation a manqué aux « enfants de la Creuse », et doublement ! Il y a d’abord les faits : l’arrachement à la famille et au pays, le départ, les conditions du voyage, les mensonges, les souffrances. Il y a ces manques qui ne seront pas comblés, ces questions qui resteront sans réponses, ce déchirement, ce vide que toutes et tous associent à leur histoire personnelle, même quand ils ont eu la chance d’avoir été aimés par une seconde famille, même quand, devenus adultes, la vie leur a plutôt souri.
Et puis il y a ce combat difficile qu’ils ont entrepris de mener depuis plusieurs années, devant les tribunaux, dans les ministères, à la Cour de justice de l’Union européenne. Pour faire reconnaître leur histoire, pour l’extraire du silence, et pour obtenir réparation des préjudices qu’ils ont endurés.
Depuis les derniers placements d’enfants, le temps a fait son oeuvre. Les « enfants de la Creuse » se sont mieux organisés pour faire entendre leur parole ; leurs témoignages ont été publiés ; la recherche a investi le sujet ; les médias l’ont abondamment traité.
À La Réunion, si l’histoire des « enfants de la Creuse » a été un moment ignorée ou minorée, elle est désormais connue et la population se l’est appropriée. En 2013, c’est avec dignité que le cinquantenaire du premier transfert d’enfants a été célébré. Pour ma part, j’ai tenu à ce que la ville de Saint-Paul, dont je suis maire, accueille l’une des manifestations de cette commémoration, la première diffusion du documentaire réalisé pour l’occasion.
Aujourd’hui, c’est à la Nation tout entière que nous demandons de parachever et d’offrir toute la solennité requise à la reconnaissance de cette triste page de l’histoire contemporaine de la France et de La Réunion !
La Nation le doit à ces enfants devenus adultes, qui attendent cette reconnaissance. Elle le doit aussi à ceux qui n’ont pas survécu aux épreuves endurées. Elle le doit enfin à leurs familles.
Tous méritent que la communauté nationale dise officiellement que, quelles qu’aient été les motivations premières et secondaires, dans la politique de migration des enfants organisée de 1963 jusqu’au début des années 1980 entre la France et La Réunion, les droits fondamentaux de ces enfants-là, de ces petits Réunionnais, de ces petits Français, de nos enfants, n’ont pas été respectés.
La proposition de résolution entend obtenir que toutes les décisions nécessaires soient prises pour amplifier la connaissance de l’histoire des « enfants de la Creuse ».
La résolution s’attache à l’accompagnement des démarches de celles et de ceux qui ont besoin de renouer avec cette part de leur identité qui leur a été enlevée, de renouer avec leur histoire intime, avec leurs familles, avec leur île.
J’adhère pleinement à ces deux dimensions de l’acte de reconnaissance.
Ce qui a été pris aux « enfants de la Creuse » ne pourra jamais leur être totalement rendu ! Tout ce qui peut aujourd’hui les aider à avancer dans leur quête d’eux-mêmes doit donc leur être donné, dès lors que c’est possible et autant que possible !
Que cela soit fait, sans tapage, sans arrière-pensée, en dehors du débat sans fin sur la culpabilité des uns ou des autres, en honorant simplement le pacte républicain, qui traite avec une égale dignité tous ses enfants !
Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, écologiste et RRDP.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame Bareigts, madame Orphé, mes chers collègues, nous allons voter une résolution reconnaissant le devoir qu’a l’État de mettre en oeuvre, pour ceux que nous connaissons sous le nom de « Réunionnais de la Creuse », les moyens de connaître la vérité sur ce qu’ils ont perçu comme un abandon.
En tant que députée, mais aussi en tant que citoyenne, j’ai cherché à comprendre ce qui amenait, plus de cinquante ans après le début des faits, des hommes et des femmes à vouloir reconquérir leur histoire personnelle.
Qu’aurais-je ressenti, si, déracinée, j’avais eu à lever mes yeux sur d’autres visages que ceux de mes parents ? Qu’aurais-je pensé de ce ciel qui ne ressemble pas au mien ? De cette langue que j’entends et qui n’est, ni tout à fait une autre ni tout à fait la mienne ?
Pourquoi ? Pourquoi suis-je si loin ? Pourquoi ne puis-je rentrer chez moi ? Pour quelle raison mes lettres restent-elles sans réponse ? Pour quelle raison chacune des réponses que j’obtiens bute sur une autre question : ai-je vraiment été abandonné ?
Je vis mes premiers hivers et mes premières neiges et malgré la tendresse dont on peut m’entourer, malgré les efforts que je fais pour m’intégrer, je ne comprends toujours pas ce qui justifie ce que je vis comme un abandon.
J’ai six ans, j’en ai douze – peu importe mon âge, je suis un enfant – et je vis dans une demi-vérité, sans savoir qu’à des milliers de kilomètres de moi, ma famille vit, elle, dans un demi-mensonge.
C’était en 1963 : 1963, ce n’est pas au siècle dernier, c’était hier. C’était la France, j’étais Français, mes parents étaient Français et c’est de ma vie qu’on décidait. Mon île était pauvre, mes parents étaient pauvres et voulaient pour moi une vie meilleure que celle qu’ils pensaient pouvoir m’offrir. Ils me furent enlevés et je leur fus enlevé sur une promesse, celle que la république prenait soin de ses enfants, les protégeait et veillait sur eux.
Mes chers collègues, quelles que soient les vies que ces enfants ont traversées, ils ont cherché à connaître la vérité sur eux-mêmes et leurs familles. Ils ont cherché à comprendre comment et pourquoi la République et ses représentants ont choisi pour eux, et surtout sans eux, de les enlever à leur terre de naissance.
Bien entendu, nous pouvons comprendre le choix des familles, lorsqu’elles l’ont eu. Nous le comprenons parce qu’aucun parent, digne de son nom et de ses responsabilités, ne peut vouloir autre chose pour son enfant qu’un avenir meilleur. En les confiant à cette République en qui ils plaçaient leurs espoirs, ils ne pensaient pas renoncer à leur rôle de parents mais, au contraire, le remplir.
La réalité de la misère était un fait et ce sont ces conditions d’existence qui ont poussé ces familles à accepter que leurs enfants partent vivre une existence meilleure. En échange de cet éloignement, ils avaient obtenu la promesse que les liens avec leurs enfants ne seraient pas tranchés.
Mais n’aurait-il pas mieux valu lutter contre cette pauvreté et aider les familles, plutôt que de leur enlever leurs enfants ? Imagine-t-on aujourd’hui faire de même avec les familles pauvres de nos circonscriptions ? Non !
Mes chers collègues, il faut soutenir cette proposition de résolution. Parce que les « enfants de la Creuse », qu’ils aient été pupilles, enfants de la DDASS ou adoptés, nous rappellent à notre devoir de responsabilité. Parce que par cette page d’histoire que nous ne refusons pas d’écrire, que nous ne refusons plus de lire, nous engageons notre parole et une promesse. La promesse que la République donne à ses fils et à ses filles de les protéger, de veiller sur eux, mais jamais au prix d’une amnésie ni d’un mensonge.
Je soutiens cette résolution parce qu’elle ne nie en rien les liens affectifs qui ont pu se nouer et éventuellement prospérer entre familles d’accueil et enfants déplacés. Je la soutiens parce qu’elle veut réconcilier l’histoire de la République, celle de mon pays avec celle de ses enfants. Je la soutiens parce qu’elle reconnaît la responsabilité de l’État. Je la soutiens, mes chers collègues, parce que le futur de nos familles et de nos enfants dépend de notre capacité à regarder avec justesse nos erreurs passées.
Mes chers collègues, cinquante et un ans après les faits, nous choisissons enfin la vérité. Nous pouvons en être fiers.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, le député de la Creuse que je suis s’adresse à vous avec beaucoup d’émotion.
Ces enfants ont été exilés, déracinés, parce qu’ils étaient issus d’une famille nombreuse pauvre ou parce qu’ils étaient orphelins, parce que la terre où ils voulaient grandir connaissait des difficultés économiques, parce que le chômage et l’ignorance leur étaient promis, parce que la tension politique était très forte sur l’île.
L’idée a germé d’envoyer des enfants vers d’autres terres de la métropole, à la démographie certes plus faible, mais à l’avenir tout aussi incertain. Des promesses ont été faites, des engagements ont été pris mais ni les promesses ni les engagements n’auront été tenus.
Ils ont atterri à des milliers de kilomètres de chez eux, apeurés, craintifs, découvrant des paysages qu’ils n’imaginaient pas et une rigueur climatique traumatisante. Seule la proximité qu’ils avaient entre eux les rassurait. Les foyers de l’enfance sont devenus leur nouvelle maison. Les grands consolaient les petits. Après le moment collectif est venu celui des familles d’accueil. Pour certains.
Je suis le député d’un département qui a accueilli 220 enfants ; je suis le maire d’une ville, Guéret, où habitent aujourd’hui nombre d’entre eux. Je les connais, je les fréquente, et je sais que les conditions ont été très diverses. Il y a même eu, m’a-t-on dit, des comportements individuels – sans doute rares – que personne ne peut comprendre ou excuser. Je les condamne sans réserve.
La Creuse n’avait rien demandé. Ces arrivées étaient très insuffisamment préparées. Même si ce département a joué un rôle administratif important, les moyens mis en place n’étaient pas à la hauteur de la mission qui lui a été arbitrairement confiée.
Le texte qui nous est proposé aujourd’hui par Ericka Bareigts permet d’inscrire dans l’histoire des faits que personne ne souhaite oublier, mais que personne ne veut non plus utiliser à d’autres fins que celles de la reconnaissance humaine et morale.
L’État doit assumer ses responsabilités. Il doit reconnaître sa responsabilité morale.
J’apporte sans réserve, de par ma fonction d’élu, le soutien total des habitants de mon département à cette résolution équilibrée et utile.
Je veux toutefois vous dire, chers amis de La Réunion, ce que ce moment douloureux de la vie de certains de vos enfants a apporté à la Creuse, au fil du temps. Chez nous, La Réunion vit au quotidien. Les enfants de l’exil se sont installés. Après avoir grandi, ils se sont intégrés, et nous les avons adoptés. Ils nous ont adoptés. Ils sont devenus des gens de chez nous.
Ils ont créé l’association Kreuzéol et, plusieurs fois dans l’année, nous avons vos produits, nous avons vos chants, nous avons vos danses. Le foyer de l’enfance est devenu l’espace créole. Nous avons vos senteurs et vos rires et surtout nous avons une affection partagée. Nos peaux se sont même mélangées.
Nous avons voulu, en plus, que cette histoire subie, contrainte, devienne une histoire utile, utile pour les jeunes d’aujourd’hui, les vôtres, les nôtres, petites Françaises et petits Français séparés par des milliers de kilomètres, mais qui ont tant à apprendre les uns des autres. Nos conseils généraux travaillent ensemble pour des formations réciproques, des échanges de stages, des rencontres.
Ni juges, ni amnésiques, nous voulons que nos départements si lointains et pourtant si proches continuent à transformer l’inacceptable en énergie positive. Un petit air de l’île de La Réunion vit en Creuse. Ce petit air aide à réchauffer un climat plus rude.
Si vous pouvez venir un jour, et je vous y invite, vous verrez ce que peut donner le mélange de nos coutumes et des vôtres, celui de nos spécialités. Ce que nous vivons à ces moments-là fleure bon les idéaux que nous défendons, les valeurs républicaines qui sont les nôtres, de liberté, d’égalité et de fraternité.
Nulle souffrance ne peut jamais s’oublier mais, avec le temps, elle s’atténue. Nous voulons prendre une part de la vôtre, mais je veux, pour les Creusois, vous dire le bonheur que nous avons de vivre au quotidien avec celles et ceux que ces événements ont conduits vers nous.
C’est avec beaucoup d’émotion que les 124 000 Creusois que je représente voteront par ma main cette résolution. Nous voulons que cette mémoire collective, comme toutes les mémoires d’ailleurs, ne s’éteigne jamais. Nous voulons aussi que cette appellation « enfants de la Creuse », ne marque pas notre département comme responsable d’une histoire dans laquelle il a été impliqué malgré lui.
Merci au gouvernement de François Mitterrand et à Henri Emmanuelli, présent ici aujourd’hui, d’avoir en 1982 supprimé ce bureau des migrations. Ce fut une belle décision qui fit honneur à la République. Je vous remercie.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, GDR et UDI.
Merci, monsieur Vergnier, d’avoir salué le travail d’Henri Emmanuelli.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre des outre-mer.
Monsieur le président, madame la ministre, chère Dominique, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, j’avoue que je ne veux pas lire le discours tel que je l’ai préparé tant l’émotion est palpable dans cet hémicycle. Il y a même plus que de l’émotion, il y a de l’histoire coagulée, et je peux entendre le propos de Michel Vergnier qui insiste avec raison sur le fait qu’il ne s’agit pas de séparer les familles et les nouvelles familles recomposées, celles qui se sont créées dans la Creuse et ailleurs. Il faut comprendre cela, et c’est pour cette raison que j’apprécie, personnellement, au-delà de ma fonction ministérielle, la sobriété et la pondération de la résolution.
Je peux entendre aussi les propos de Didier Quentin. Je connais son intérêt et, j’ose même dire, son affection pour les outre mer. Je pense qu’il a parlé avec son coeur, mais j’ai beau relire la résolution, je n’y trouve nulle trace d’une attaque qui serait portée contre Michel Debré et son action, même s’il est aussi redevable d’une critique historique, d’une évaluation de l’action publique qu’il a conduite. Je ne lis rien de tel dans l’exposé des motifs si ce n’est la reprise de termes employés dans une requête portée par un enfant de La Réunion, donc de la Creuse. En aucun cas, ces mots ne se sont retrouvés dans le texte et l’exposé des motifs. J’y ai lu « migration forcée », « enfants placés », « enfants positionnés », mais je n’ai rien lu qui puisse être interprété comme une critique systématique, une stigmatisation ou une tentative de la part de la représentation nationale, de ceux qui portent ce texte ou du Gouvernement de diviser la nation. Il ne s’agit pas de cela. La question est douloureuse et c’est l’honneur de la représentation nationale que de le reconnaître. On peut comprendre les justifications de l’époque, on ne fait pas d’anachronisme, et sans vouloir déflorer le discours de ma collègue Dominique Bertinotti, nous verrons bien quelle sera la position, quel sera l’avis du Gouvernement en ce domaine.
Notre analyse n’est pas anachronique et j’avoue que la modération, l’équilibre du texte soumis à l’agrément de l’Assemblée nationale m’impressionnent. Nous devons comprendre la souffrance que ces événements ont causée. Reprenons une évidence, osons une lapalissade : l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions. Peut-être y a-t-il eu de bonnes intentions, qui ont été cause de ce que l’on sait. C’est notre honneur que de reconnaître la douleur, la souffrance, la division, la recherche permanente chez ces enfants d’un destin personnel à construire, pour se reconstruire et avoir une mémoire. Moi qui suis issu de ces territoires, je sais la récurrence de ces questions, je sais la douleur que l’on porte parfois dans la psyché collective. Je sais tout cela. Il ne s’agit pas d’intenter des procès a posteriori à des hommes qui ont fait leur travail en leur temps.
J’ose dire ici, sans vouloir blesser, qu’une faute que l’on tait ou que l’on oublie est une double faute.
Et cette double faute n’est rien moins qu’une double peine que l’on inflige à ceux qui ont eu à en souffrir.
Le débat qui s’ouvre aujourd’hui autour de cette proposition de résolution est une invitation à faire oeuvre de mémoire pour qu’en l’espèce l’oubli n’aggrave pas la faute, chaque jour davantage.
Pour ceux qui sont appelés les « enfants de la Creuse », dénomination inexacte – et je comprends la position du maire Michel Vergnier – puisque des enfants ont été accueillis dans d’autres départements de l’Hexagone, pour ces 1 630 jeunes déplacés de La Réunion pour être « replacés » dans l’Hexagone entre 1963 et la fin des années 1970 par le BUMIDOM, nous avons un ardent devoir de mémoire.
Cette mémoire qui relie les générations passées, actuelles et à venir, ce devoir de mémoire est d’autant plus impérieux que les événements auxquels elle renvoie concernent des faits douloureux qui touchent à l’intime, à la famille, à l’identité, aux racines, aux origines ou plutôt à la négation de tous ces éléments qui sont constitutifs de l’identité.
La présence à mes côtés de la ministre déléguée chargée de la famille, Dominique Bertinotti, est, en ce sens, un signe particulièrement fort que souhaite donner le Gouvernement.
Nous devons à la mémoire de ces Réunionnais et de leurs parents de reconnaître que cette politique, fruit d’une démarche volontaire et assumée par les gouvernements de l’époque, a été particulièrement injuste et douloureuse pour les intéressés.
Nous devons le reconnaître aujourd’hui, quelles que soient les motivations qui ont dicté sa mise en oeuvre.
Rien, je dis bien rien, ne permet de justifier aujourd’hui le déplacement de ces mineurs, ou l’oubli instauré, ou l’oubli entretenu, et leur installation à plus de 6 000 kilomètres de leur lieu de naissance et de leurs réseaux affectifs et moraux.
Pas plus la volonté affichée de répondre aux problèmes économiques et sociaux de La Réunion à cette époque en offrant un « autre avenir » à ces enfants, que la préoccupation de repeupler certains départements métropolitains en voie de désertification.
Rien, je dis bien rien, ne peut justifier sa poursuite alors que, dès 1968, des voix se sont élevées, y compris au sein de l’appareil administratif, pour demander l’arrêt de cette politique, constater son échec et dénoncer ses conséquences affectives et personnelles. Ce fut une faute.
Et il aura fallu la persévérance et l’action déterminée de ces « déracinés » eux-mêmes, devenus adultes, seuls ou réunis en collectifs ou associations, pour que finalement cette politique et ses effets dramatiques soient portés sur la place publique, qu’ils soient connus et, enfin, reconnus par l’État. Je sais qu’un certain nombre de leurs représentants sont aujourd’hui présents dans les tribunes de cet hémicycle. Nous devons leur rendre hommage et saluer leur courage et leur détermination.
Applaudissements.
Je veux aussi saluer le courage et la responsabilité dont a fait preuve Élisabeth Guigou, alors ministre de l’emploi et de la solidarité et aujourd’hui membre éminent de cette Assemblée, qui a commandé en 2002 à l’Inspection générale des affaires sociales un rapport relatif à la situation des enfants réunionnais placés en métropole.
Ce rapport a eu le mérite d’apporter une première réponse face au silence de l’administration et de faire la lumière sur la situation de ces jeunes Réunionnais. Ce fut un acte fort qui défricha la voie vers une réappropriation collective de cette histoire par la communauté nationale, car il n’y a de mémoire que lorsqu’elle est partagée.
Ce premier pas était ô combien nécessaire, mais il n’était évidemment pas suffisant. Il ne pouvait suffire à réparer cette expérience traumatisante pour la très grande majorité des 1 630 pupilles concernés. Je me réjouis par conséquent de ce projet de résolution que l’Assemblée examine aujourd’hui et que le gouvernement, par ma voix et celle de ma collègue ministre Dominique Bertinotti, soutient sans réserve.
Car, au-delà du rappel de la responsabilité morale de l’État envers ces pupilles qu’elle exprime, cette résolution met l’accent sur la dimension identitaire et mémorielle. Elle ne va pas au-delà. Oui, l’État a le devoir de tout mettre en oeuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle.
Et le ministère des outre mer veut s’engager pour aider à développer la recherche historique sur ces destins afin qu’ils soient mieux connus et trouvent toute leur place dans notre mémoire collective.
Je ne terminerai pas sans saluer tout particulièrement l’action des députés réunionnais emmenés par Erika Bareigts dans ce travail de mémoire, avec le soutien du président du groupe socialiste, républicain et citoyen, Bruno Le Roux, ici présent.
Aujourd’hui, c’est l’ensemble de la représentation nationale qui, à l’occasion de ce vote, peut se rassembler afin de tourner la page de cette double faute et de cette double peine. Je vous remercie.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et GDR.
Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille.
Oui, mesdames et messieurs les responsables d’associations qui êtes là aujourd’hui, vous avez eu raison de faire connaître haut et fort l’histoire des pupilles réunionnais ayant été transférés en métropole des années 1960 aux années 1980. Oui, mesdames et messieurs les députés, vous avez raison de vous apprêter aujourd’hui à reconnaître officiellement cette histoire qui appartient à notre histoire à tous. C’est précisément un signe de réconciliation des Français, de tous les Français.
Cette histoire d’hommes et de femmes s’ancre dans celle de la protection de l’enfance. Elle renvoie à une période où l’on avait tendance à assimiler la pauvreté à l’incapacité à aimer et à élever ses enfants, une période où la logique de rupture avec la famille prévalait presque toujours sur l’accompagnement de ladite famille. L’île de la Réunion, particulièrement touchée par les difficultés économiques, a été victime de ce regard stigmatisant que les pouvoirs publics pouvaient poser sur les familles pauvres et démunies. Cette histoire, ce n’est pas seulement l’histoire de plus de 1 600 enfants ; c’est l’histoire de chacun d’entre eux, avec sa complexité et sa singularité.
Ces enfants ont vécu une double peine : celle de la sortie de leur famille et celle du déracinement, un déracinement aveugle qui ne prenait en compte ni les liens que l’enfant pouvait avoir avec son milieu d’origine, ni ses parents proches, ni les projets qu’il pourrait développer une fois en métropole, ni les difficultés qu’il aurait à braver. À cet égard, je m’étonne que M. Quentin ne puisse pas reconnaître avec vous tous que la migration ne pouvait que briser des pupilles déjà fragilisés par une situation familiale pénible.
Les histoires de ces enfants furent plus ou moins heureuses, plus ou moins malheureuses, plus ou moins douloureuses. À certains les violences institutionnelles, physiques, ou morales ; à d’autres des liens forts avec les familles qui les ont recueillis. À certains l’échec scolaire et professionnel, et la dépression provoquée par le traumatisme du déracinement ; à d’autres une forme d’ascension sociale. Quelle que fût leur destinée, néanmoins, ils ont tous subi une même souffrance : celle de ne connaître ni la complétude ni la reconnaissance de leur histoire personnelle.
Aujourd’hui, il s’agit de reconnaître ces histoires individuelles et de permettre à chacun d’inscrire sa propre trajectoire biographique dans une histoire commune. Il nous faut – et c’est non seulement la ministre de la famille qui s’exprime, mais aussi l’historienne – effectuer un véritable travail de mémoire, rigoureux et sérieux, à partir des archives, de toutes les archives, ainsi qu’un travail de réponse au plus près des demandes qui peuvent être formulées pour accéder à son histoire personnelle. Il faut admettre avec lucidité et courage la limite de cette conception traditionnelle de la protection de l’enfance, car ce n’est pas en arrachant des enfants à leur milieu d’origine qu’on leur assure un avenir meilleur, mais en soutenant, quand cela est possible, leur environnement familial pour éviter les ruptures.
Ce devoir de mémoire doit aujourd’hui être un enseignement pour nous tous. En tant que ministre de la famille, je veux que la reconnaissance de l’histoire des enfants réunionnais de la Creuse, de la Lozère, de l’Oise et des autres départements nous invite à assurer à chaque enfant qui a besoin d’être protégé le parcours le plus stable possible. Je veux que la reconnaissance de cette histoire nous invite à associer pleinement les enfants aux décisions qui les concernent, à les considérer comme de véritables sujets de droit dont la parole doit être entendue. Je veux aussi que cette histoire nous invite à penser la protection des enfants, non pas seulement pour les protéger contre un danger immédiat, mais aussi pour construire avec eux un projet. Je souhaite que leur histoire nous enseigne à quel point la connaissance de son histoire personnelle est nécessaire pour s’ancrer dans la vie et se projeter dans l’avenir.
Je sais combien les ruptures, le déracinement, l’éloignement et l’impossibilité d’accéder à son histoire ont pu entraver le développement des enfants réunionnais transférés en métropole. Je veux leur dire aujourd’hui que nous reconnaissons leur histoire, leur parcours, leurs douleurs, leurs souffrances. Je veux leur dire que l’État a envers eux une responsabilité morale. Je veux leur dire enfin combien il est important qu’ils puissent maîtriser leur histoire pour pouvoir aussi la transmettre.
Vous l’avez dit : un peuple sans mémoire est un peuple sans liberté. Un homme que l’on prive d’une part de sa mémoire est un homme que l’on ampute d’une part de sa liberté. En adoptant cette proposition de résolution, mesdames et messieurs les députés, vous rendrez à tous ces hommes et à toutes ces femmes leur dignité.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, écologiste et RRDP.
La parole est à Mme Monique Orphé, pour une explication de vote au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, chers collègues, il est vrai que nous abordons aujourd’hui un pan douloureux de l’histoire réunionnaise. L’affaire Bumidom ou, comme on l’entend plus couramment, l’affaire des enfants de la Creuse est une histoire trop longtemps restée taboue, un sujet que l’UMP, je le regrette, voudrait encore aujourd’hui enterrer de peur d’affronter certaines réalités. Malgré plusieurs retours sur cette période de notre histoire, cinquante ans après, les blessures sont toujours aussi vives et la plaie ouverte, car les initiatives prises par les victimes afin que leur souffrance soit reconnue n’ont jamais abouti.
Il faut avoir le courage de reconnaître que la politique migratoire décidée à l’époque à l’initiative de Michel Debré a, pour ces enfants, échoué à atteindre son objectif. Ils étaient 1 630 mineurs qui n’avaient rien demandé ; ils n’ont pas eu leur mot à dire sur cette immigration forcée. Ce fut un désastre humain, affectif et professionnel, si l’on daigne entendre aujourd’hui leurs témoignages. Il est vrai que certains d’entre eux ont eu la chance d’être confiés à un entourage bienveillant, mais d’autres ont connu des conditions difficiles : ils ont perdu leurs repères familiaux et culturels, vivant un véritable déracinement. Nous parlons ici de détresse, de souffrance, de vies volées en éclats.
Après notre interpellation écrite au Président de la République en juin 2013 et le travail d’élaboration de cette proposition de résolution, nous souhaitons désormais que ce drame humain soit entendu et diffusé. Nous voulons que l’État regarde en face cette part sombre d’une histoire passée sous silence. Les justifications tenant à la résolution des problèmes démographiques des DOM-TOM et de certaines régions rurales de l’hexagone ne peuvent suffire à expliquer le déracinement de ces enfants et la souffrance de leurs parents, dont certains sont aujourd’hui décédés.
Depuis plus de cinquante ans, nous attendons des réponses. L’heure est venue de rendre justice à ces enfants devenus adultes. Cette proposition de résolution, dont je me félicite, concrétise un nouvel espoir pour la reconnaissance de la responsabilité morale de l’État et pour la réhabilitation de milliers de parents abusés. Enfin, ce texte est la première étape dans la reconstruction d’une vie. C’est la raison pour laquelle j’appelle les parlementaires du groupe SRC à voter cette résolution sans réserve.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, écologiste et RRDP.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 139 Nombre de suffrages exprimés: 139 Majorité absolue: 70 Pour l’adoption: 125 contre: 14 (La proposition de résolution est adoptée.)
Mmes et MM. les membres des groupes SRC, GDR, écologiste et RRDP se lèvent et applaudissent longuement.
Vote sur la proposition de résolution
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Christophe Sirugue.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Jean-Claude Fruteau et plusieurs de ses collègues, appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon (no 1727).
Monsieur le président, monsieur le ministre des outre-mer, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, mes chers collègues, aujourd’hui, en ce mardi 18 février, Saint-Pierre-et-Miquelon s’invite à la tribune de l’Assemblée nationale.
En ce temple de la démocratie, nous sommes tous les gardiens de la représentation nationale, des valeurs et de la communauté de destin qui font la France. Envers et contre tout, et parfois même contre certains immobilismes au sein de notre propre administration, nous, Gouvernement et parlementaires, portons la lourde responsabilité d’agir dans le sens de l’intérêt général pour préparer l’avenir de toutes les Françaises et de tous les Français en métropole et dans nos territoires ultramarins disséminés sur tous les océans du globe.
C’est une lourde responsabilité, mais également un grand honneur, que je partage avec mes collègues de la délégation aux outre-mer et du groupe d’études sur les îles d’Amérique du nord et Clipperton, que de soumettre enfin au vote de la représentation nationale ce dossier d’extension du plateau continental français au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est une question fondamentale et stratégique pour les intérêts présents et futurs de notre nation.
La France se doit de défendre ses intérêts, en pleine application des dispositions du droit international maritime. Loin de constituer un « irritant », comme j’ai pu l’entendre jadis, dans les relations entre la France et le Canada, c’est au contraire la condition de relations constructives et apaisées entre nos deux pays, des relations qui doivent reposer sur un respect mutuel qui ne saurait exister dès lors que la France n’oserait pas défendre ses droits légitimes.
S’agissant du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, le droit de la mer ouvre à la France une zone maritime de taille comparable au Portugal, délimitée par un arc de cercle au sud-est et au sud-ouest de Saint-Pierre, qui, selon les critères de la convention de Montego Bay, s’étend au-delà des zones économiques de la France et du Canada, jusqu’à la pleine extension de 350 milles nautiques.
Cette zone constitue un enjeu stratégique de premier plan, car c’est celle de toutes les richesses du XXIe siècle, qu’il s’agisse de ressources minérales et fossiles, de découvertes scientifiques, notamment en matière d’énergies des mers et de biodiversité, ou encore de contrôle et d’exploitation des flux maritimes et des nouvelles voies navigables pour les échanges mondiaux. Qu’on se le dise, ce jeune siècle sera le siècle de la mer.
Bien sûr, j’entends les critiques. Certes, celles-ci, depuis le début de mon combat en 2007 et tout particulièrement depuis le dépôt par la France en mai 2009 de la lettre d’intention du gouvernement Fillon, se font de plus en plus rares. Mais il y a les timorés, dont certains hauts responsables français, qui ont eu par le passé le réflexe de la facilité, de l’abandon des droits légitimes de la France, prétendument au nom du maintien des bonnes relations franco-canadiennes, et qui se sont épargné au passage le travail nécessaire pour assurer la défense des droits français devant les instances internationales, notamment le tribunal arbitral de New York en 1992, puis dans les années qui ont suivi.
À ceux-là je dis que leur inconscience économique et stratégique se double d’une grave erreur historique. Comment pourrions-nous tolérer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ces vastes fonds marins qui devraient revenir aujourd’hui à la France en application du droit international maritime puissent être évoqués demain avec le même regret que les « quelques arpents de neige » de Voltaire ou la Louisiane délaissée par Napoléon ?
Comment imaginer un seul instant que le Canada puisse chercher à mettre véritablement en échec, du fait de la défense par les deux pays de leurs droits concurrents et légitimes sur la zone en question, les relations économiques franco-canadiennes qu’il cherche à tout prix à promouvoir par ailleurs, notamment dans le cadre de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, qui a un effet anticipé de 12 milliards de dollars canadiens sur son produit intérieur brut ?
Le Président de la République François Hollande est le premier président français à saisir pleinement ces enjeux et à tracer une voie de fermeté et de détermination dans le respect du droit international et de nos amis canadiens. Pour mener jusqu’au bout cette défense des intérêts souverains de la France, le soutien résolu et transpartisan des représentants de la nation que nous sommes est néanmoins nécessaire. C’est tout le sens de la résolution soumise aujourd’hui à notre vote que de concrétiser cette volonté commune de défense des intérêts nationaux, qui constitue en quelque sorte une union sacrée, que je tiens à saluer ici.
Notre archipel, notre bout de France en Amérique du nord constitue, j’en suis convaincue, un atout stratégique majeur pour l’avenir économique et scientifique de la nation, dans le contexte croissant de la maritimisation de l’économie mondiale. Nous, les Françaises et les Français de Saint-Pierre et de Miquelon, sommes également de fiers porteurs de la culture et de l’identité française, que nous oeuvrons chaque jour à faire rayonner au sein de notre contexte régional nord-américain.
Nous sommes nombreux sur ces bancs à le savoir, ce n’est qu’avec un grand courage que des générations de marins, venus de Bretagne, de Normandie, du Pays basque, de Vendée, de Charente ou encore d’Aquitaine, ont pu embarquer et traverser l’Atlantique pour exercer le « grand métier », celui des morutiers, pour ramener des bancs de Terre-Neuve la morue qui a fait en son temps la fortune de grandes maisons d’armateurs métropolitains. Certains sont restés à Saint-Pierre-et-Miquelon pour y travailler et y fonder leur famille.
C’est avec ce même courage que les Saint-Pierrais et Miquelonnais ont répondu à l’appel de la nation en 1914 puis en 1940, ralliant parmi les premiers les forces navales de la France Libre et s’embarquant à nouveau pour traverser dans l’autre sens l’Atlantique pour combattre et souvent donner leur sang pour défendre leur patrie.
Aujourd’hui, dans cet hémicycle, faisons preuve à notre tour de courage, montrons-nous à la hauteur de l’enjeu, en votant de façon unanime cette résolution pour la défense des intérêts légitimes de la France au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Merci de votre attention et de votre soutien.
Applaudissements.
En tant que président de la délégation aux outre-mer, j’ai le plaisir de soutenir aujourd’hui devant vous la proposition de résolution no 1727, déposée, à la suite d’une initiative de la délégation, le 23 janvier 2014 et appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Cette proposition de résolution a recueilli la signature d’un peu plus de quarante parlementaires inscrits soit à la délégation, soit au groupe d’études sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton, présidé par Paul Giacobbi, que je salue ici. Ces parlementaires appartiennent à l’ensemble des groupes politiques représentés à l’Assemblée. Un tel consensus est très rare et mérite d’être souligné. L’accueil réservé à cette proposition de résolution, dont la rédaction, en pratique, doit beaucoup à Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, que je salue ici également, marque l’importance de ce texte.
Comme vous le savez, longtemps la mer, à part les eaux territoriales, n’a pas relevé de la souveraineté des États. Jusqu’à la fin des années cinquante, alors que l’on appelait encore le droit international public le « droit des gens », jus gentium, c’est-à-dire en fait le droit des nations, la mer était res nullius, c’est-à-dire un espace n’appartenant à personne. Puis, à partir de 1958, avec la première codification du droit de la mer, et surtout à partir de 1982, avec la convention internationale de Montego Bay qui reconnaît les droits des États sur la zone économique exclusive et, ce qui nous concerne aujourd’hui, sur le plateau marin continental, la mer est devenue un espace réglementé.
Dans ce contexte, le plateau continental, bien plus que la zone économique exclusive, est devenu un objet de revendications de la part des États. En effet, si la zone économique exclusive fait surtout référence aux droits de pêche, le plateau continental représente l’accès, pour une nation, à d’éventuels gisements pétroliers ou encore la possibilité d’exploiter les nodules polymétalliques contenus dans les fonds marins. Le plateau continental est donc incontestablement un enjeu important pour les pays qui disposent d’une façade maritime.
Par application de l’article 76 de la convention de Montego Bay, une commission des limites du plateau continental est chargée, sous l’égide de l’ONU, de délimiter le plateau continental de chaque État qui en fait la demande. La France doit donc se tourner vers cette commission pour obtenir la reconnaissance de son plateau continental à partir de toutes ses côtes, y compris, naturellement, celles des départements et des collectivités d’outre-mer.
La procédure de délimitation ne va pas cependant sans soulever de difficultés. En effet, lorsque deux États ont des côtes très proches, les espaces susceptibles d’être attribués à chacun peuvent se chevaucher. Dans ce cas, il faut que les États trouvent un accord. À défaut, la commission, renonce à trancher. Le problème peut alors être réglé par un arbitrage international.
Cette situation de désaccord est bien celle que l’on constate aujourd’hui pour la délimitation du plateau marin continental de Saint-Pierre-et-Miquelon. La France a fait connaître à la commission, au cours de l’année 2009, qu’elle souhaitait délimiter la partie du plateau continental susceptible de lui revenir à partir des côtes de ce territoire. Mais le Canada vient de faire savoir officiellement, en déposant son propre dossier de revendication en décembre 2013, que Saint-Pierre-et-Miquelon n’avait pas vocation à avoir de véritable plateau continental. Selon le Canada, la collectivité territoriale doit se satisfaire d’une très petite bande maritime reconnue par un arbitrage international en 1992. On rappellera cependant que cet arbitrage, au demeurant désastreux pour nos droits de pêche, concernait la zone économique exclusive et non le plateau marin.
Quoi qu’il en soit, la France se devait de réagir à la déclaration du Canada. L’impulsion est venue du sommet de l’État puisque le Président de la République François Hollande a décidé, le 23 janvier dernier, que notre pays déposerait à son tour un dossier concernant le plateau marin continental à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il convient naturellement de saluer ce geste qui appelle à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur cette partie de l’océan Atlantique et d’apporter à cette démarche un soutien très fort. Tel est le sens de la proposition de résolution qui a été déposée, le même jour, à l’initiative de la délégation.
Je voudrais maintenant faire connaître la signification profonde donnée à cette résolution par la délégation aux outre-mer. Bien sûr, comme je l’ai indiqué plus haut, il y a l’idée que la souveraineté de la France doit être défendue. Il y a aussi le souhait de soutenir la revendication de nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il y a surtout notre volonté d’affirmer que ce dossier forme un tout pour les départements et les collectivités d’outre-mer. La démarche volontariste entreprise à Saint-Pierre et Miquelon doit être répétée pour chaque territoire ultramarin. Il faut délimiter chaque partie du plateau marin continental et faire en sorte que ce que nous obtiendrons pour Saint-Pierre-et-Miquelon soit transposable aux autres départements et collectivités d’outre-mer.
Cela veut dire qu’il convient d’être vigilant sur tous les autres dossiers de délimitation, par exemple ceux qui pourraient concerner la Guyane ou la Nouvelle-Calédonie. Cela veut dire également que la France doit être très ferme à l’égard des revendications de certains pays sur des îles qui lui appartiennent, même si ces îles sont peu ou pas du tout peuplées. Je pense à Tromelin, dans l’océan Indien, revendiqué par l’Île Maurice.
Je pense aussi à Clipperton, dans l’océan Pacifique, qui est revendiquée par le Chili, et enfin aux îles Matthew et Hunter, également dans l’océan Pacifique, revendiquées par le Vanuatu. Pour défendre ces îles, il faudrait avoir des idées novatrices pour mieux les intégrer dans notre système juridique, afin de mieux manifester notre présence.
C’est pour toutes ces raisons que nous avons déposé cette proposition de résolution sur la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon et que nous vous demandons, mes chers collègues, de bien vouloir l’adopter.
Applaudissements.
Conformément à ses intérêts et dans le cadre du droit international public des espaces maritimes, la France s’est engagée dans un projet ambitieux visant à la reconnaissance de l’extension de son plateau continental en saisissant la commission des Nations unies compétente à ce sujet. En effet, grâce à ses outre-mer et à ses 11 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, la France dispose de la deuxième plus grande superficie maritime mondiale, après celle des États-Unis d’Amérique. Notre pays est ainsi présent dans les trois océans, ce qui est l’un de nos plus précieux atouts stratégiques pour l’avenir.
La délimitation des frontières maritimes est bien l’un des enjeux du XXIe siècle. La communauté internationale ne s’y est pas trompée lorsqu’il s’est agi de construire un nouveau droit de la mer avec la signature de la convention de Montego Bay en 1982. Celle-ci a ouvert la voie à une multitude de revendications territoriales entre États côtiers, tant pour déterminer les frontières entre les zones maritimes – comme la zone économique exclusive, qui peut s’étendre jusqu’à 200 milles nautiques au-delà des côtes – que pour définir les limites du plateau continental que les États peuvent revendiquer.
Dans cet esprit, notre assemblée a alors créé une mission d’information avec pour rapporteurs Louis Guédon, alors député UMP de la Vendée, et Annick Girardin, députée PRG de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui vient d’intervenir. Conformément aux propositions de cette mission, le Premier ministre François Fillon a décidé, en mai 2009, de déposer une lettre d’intention, premier pas vers un dépôt du dossier de revendication du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon, en vue d’une extension de 43 135 kilomètres carrés, soit une augmentation de 350 %. Cette démarche de la France a fait l’objet d’une ferme protestation du Canada.
En juillet 2011, une campagne scientifique a été conduite au large de l’archipel par le navire Le Suroît, dans le cadre du programme Extraplac, sous l’autorité de 1’IFREMER, afin de préparer notre dossier de revendication devant la commission des limites du plateau continental, la CLPC. Les résultats scientifiques sont probants : ils démontrent que le plateau continental répond bien géologiquement aux critères juridiques exigés par le droit international pour permettre l’extension d’un plateau au-delà de la limite des 200 milles marins. Mais lors du dépôt de son propre dossier d’extension de son plateau continental devant la CLPC, en décembre 2013, le Canada a estimé, par voie diplomatique et de façon très directe, que « la France n’était éligible à aucune zone maritime ».
C’est pourquoi je souhaite que le Gouvernement précise ses intentions, sachant que par une décision du 10 juin 1992, le tribunal d’arbitrage chargé d’établir la délimitation des espaces maritimes entre la France et le Canada n’a pas statué sur la question de l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, s’étant déclaré incompétent et ayant exclu que sa décision puisse avoir la moindre conséquence sur cette question. J’ajoute que la commission des limites du plateau continental de l’Organisation des Nations unies risque de nous opposer les mêmes arguments puisqu’une revendication a été présentée par le Canada. En effet, les statuts de la CLPC précisent que lorsqu’un différend territorial existe entre deux États et que ceux-ci déposent respectivement un dossier sur ce différend, la commission est conduite à n’en examiner aucun ! Cette politique a été inaugurée par un certain Ponce Pilate il y a une vingtaine de siècles…
Aussi, je vous demande, monsieur le ministre, si c’est ce risque qui a conduit la France à ne pas déposer son dossier final auprès de la commission avant fin 2013, comme s’y était pourtant engagé le Président de la République le 24 juillet dernier, lors d’un entretien avec des parlementaires de Saint-Pierre-et-Miquelon et comme l’avait recommandé le Conseil économique, social et environnemental, dans un rapport rendu en octobre 2013. À moins – veuillez excuser mon impertinence – qu’il ne s’agisse d’une divergence persistante de points de vue entre le ministère de l’outre-mer et celui des affaires étrangères quant à l’opportunité de déposer le dossier complet auprès de la CLPC, divergence qu’avait mise en lumière la réunion du comité de pilotage du programme Extraplac de décembre 2012…
Je vous serais donc très reconnaissant, monsieur le ministre, de nous éclairer sur ces différents points et de nous indiquer les options qui s’offrent à nous pour assurer l’avenir de l’archipel et de ses habitants, à qui nous avons l’occasion aujourd’hui de témoigner toute notre solidarité. Enfin, plus globalement, comment comptez-vous affirmer notre présence en Amérique du Nord ?
Le groupe UMP et le député-maire de Royan que je suis, qui n’oublie pas que ce sont deux Charentais-maritimes qui ont découvert le Québec, Pierre Dugua de Mons et Samuel de Champlain, ce dernier fondant la ville du même nom, apportent sans réserve leur soutien à cette proposition de résolution, tout en gardant – je me souviens que j’ai été diplomate – le souci d’un dialogue constant et confiant avec nos amis canadiens. Votre appel, chère Annick Girardin, a été bien entendu et la représentation nationale affirmera ainsi une position unanime visant à faire respecter les droits légitimes de la France au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Applaudissements.
J’ai eu l’occasion par le passé de dire au sein de cet hémicycle que notre pays souffrait d’un mal profond, que j’ai appelé le « métropolicentrisme ». En effet, la France ne se voit pas telle qu’elle est : elle se croit continentale et européenne alors qu’elle est mondiale et maritime. Or quand un pays doute de lui-même, il commence à s’interroger sur sa souveraineté et sur sa capacité à la renforcer.
Je ne vais pas revenir sur ce qui a été dit sur la convention de Montego Bay ni sur tout ce que le programme Extraplac offre comme opportunités pour que notre domaine maritime, le deuxième au monde, cela a été souligné, soit non seulement préservé mais même accru. Nous demandons uniquement le respect de nos droits, pour nous-mêmes mais également et surtout pour les générations futures. En effet, les trois défis majeurs que l’humanité aura à relever au XXIe siècle : le défi de l’alimentation de peut-être neuf à dix milliards d’êtres humains, celui de l’accès à l’eau et celui des énergies renouvelables du futur, ne pourront être relevés par l’humanité que par le biais d’une exploitation raisonnable et raisonnée des ressources des mers et des océans. Notre pays a un atout majeur et fondamental en la matière : il a non seulement le deuxième domaine maritime au monde, mais de surcroît réparti sur les trois océans, avec des possessions sur quatre continents.
Dans ce cadre, monsieur le ministre, je tiens à vous dire que nous sommes nombreux, au sein de la représentation nationale, à nous interroger sur la volonté de la France et de ses gouvernements successifs face aux perspectives d’abandon de souveraineté. Vous savez les échanges que nous avons eus sur Tromelin et l’inique traité de cogestion de cet îlot passé avec l’Île Maurice.
De même, je vous ai écrit, ainsi qu’à votre homologue des affaires étrangères, dans le but que la France proteste tout à fait officiellement auprès du Mexique contre le comportement des jeunes Mexicains qui se sont rendus clandestinement à Clipperton pour, au mépris de la souveraineté française, remplacer notre drapeau qui flottait sur cet îlot par le drapeau mexicain. C’est purement scandaleux.
La situation est aujourd’hui analogue à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je veux saluer le courage, la volonté et le dynamisme d’Annick Girardin dans la démarche qui a mené à ce projet de résolution, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord, il faut rappeler que notre pays a, par le passé, manqué singulièrement de courage et de détermination pour défendre ses droits. Ce ne sont pas ceux des seuls compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon : en effet, la République est une et indivisible et quand la France ne se bat pas comme elle le devrait pour défendre ses intérêts dans cet archipel, elle faillit aux devoirs qui sont les siens vis-à-vis d’elle-même. En 1992, au moment de l’arbitrage international, puis en 1996, lorsque le Canada s’est octroyé de manière tout à fait scandaleuse un îlot de sable, certes inhabité et inhabitable, recouvert par les eaux la plupart du temps, afin d’augmenter artificiellement sa zone économique exclusive, les autorités françaises n’ont pas réagi. C’est purement choquant et, je le répète, scandaleux.
Fort de cette expérience, l’objectif poursuivi par le projet de résolution est de ne pas recommencer les mêmes fautes et les mêmes erreurs. C’est un enjeu à la fois essentiel et fondamental que de faire passer la zone économique exclusive de Saint-Pierre-et-Miquelon de 10 000 kilomètres carrés à presque 55 000. Ayons l’honnêteté de reconnaître qu’il y a derrière cela un enjeu majeur en termes de ressources pétrolières, sinon avérées, du moins très probables. Notre capacité à défendre la position qui devrait être celle de la France est fondamentale pour notre pays en général et pour nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon en particulier, mais il s’agit aussi d’une question de principe pour laquelle il faut savoir se battre.
En conclusion, monsieur le ministre, je me permettrai de prendre une métaphore. Sur un terrain de rugby, si l’on veut que les choses se passent bien, quand l’adversaire ne joue pas le jeu – en l’occurrence les Canadiens, qui affirment avec le plus parfait mépris que nous n’avons rien à revendiquer – il faut se faire respecter. Quand les choses se passent mal sur une première mêlée, il faut la relever. Nous vous proposons, monsieur le ministre, de relever la mêlée afin que les Canadiens nous respectent. La France doit montrer une détermination forte à défendre ses intérêts, non seulement lors du dépôt du dossier de demande de reconnaissance du plateau continental mais aussi dans le cadre du contentieux qui ne manquera pas de voir le jour. Nous attendons de vous un message fort pour lequel vous recevrez certainement un appui ferme et résolu sur tous les bancs de l’Assemblée nationale.
Applaudissements.
Le projet de résolution appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon répond, je l’ai bien compris, à une demande forte. Il s’inscrit dans le cadre du droit international public des espaces maritimes. La France s’est ainsi engagée dans un projet de reconnaissance de l’extension de son plateau continental en saisissant la commission des Nations unies compétente en la matière : la commission des limites du plateau continental.
Parmi ses revendications, le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon fait l’objet d’une âpre négociation avec le Canada.
Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire ultramarin le plus proche de la métropole, à 4 700 kilomètres. Traditionnellement, l’archipel a constitué un intérêt économique majeur pour la France en raison de ses droits de pêche attachés à sa zone économique exclusive.
C’est justement la contestation de cet espace par le Canada qui a engendré un contentieux entre les deux pays. Ce différend fut tranché en défaveur de la France par le tribunal d’arbitrage international de New York en 1992.
Les conséquences sociales et économiques furent dramatiques pour l’archipel. Avec l’effondrement de la pêche industrielle et de l’activité portuaire, l’archipel peine depuis vingt ans à se diversifier et à retrouver un nouvel élan identitaire. Aussi, ses habitants ont-ils pu se sentir oubliés par la République.
La France dispose de la deuxième plus grande superficie maritime mondiale après les États-Unis. Au total, ses zones économiques exclusives représentent 11 millions de kilomètres carrés, dont la moitié outre-mer.
Le programme français d’extension du plateau continental pourrait lui permettre d’accroître son étendue sous-marine exploitable, au-delà des 200 miles marins constitués par la ZEE de base.
Le Président de la République a réaffirmé le 24 juillet que la France défendrait les intérêts de l’archipel concernant l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Nous y sommes, mais quel est l’objectif de cette décision ? Il faut avancer prudemment sur ce dossier.
Les perspectives en matière d’hydrocarbures, de métaux ou encore de ressources halieutiques sont réelles dans l’Atlantique Nord. Dans l’Arctique, on recense 13 % des réserves mondiales de gaz et 32 % des réserves de pétrole.
L’espoir de développement économique de l’archipel repose sur l’extension du plateau continental sur lequel il exercerait alors des droits souverains, notamment en matière d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles.
Nous recommandons donc vivement que l’extension du plateau continental de la France, à Saint-Pierre-et-Miquelon comme ailleurs, s’accompagne de dispositions environnementales sur l’exploitation des ressources naturelles.
Il est nécessaire d’établir, dans les meilleurs délais, un encadrement juridique des activités d’exploration et d’exploitation de recherches scientifiques sur le plateau continental étendu au sein des espaces maritimes.
Le code minier doit intégrer dans les permis d’exploration des dispositions figurant dans un cahier des charges, et fixer les engagements à l’endroit des collectivités concernées, ainsi que les retombées financières provenant des éventuelles exploitations. Ces retombées doivent être partagées entre l’État et la collectivité ultramarine, selon des modalités négociées.
Nous pourrions également y engager un programme de recherche spécialisé dans la technologie des méthodes, des matériels et des engins d’exploration et d’exploitation des fonds marins dans les grandes profondeurs, afin que notre pays devienne pilote dans ce domaine et exemplaire en matière de protection de l’environnement marin.
Sur le plan international, la France doit oeuvrer pour qu’un niveau de protection élevé des écosystèmes marins soit bien pris en compte dans les différents protocoles additionnels à la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Enfin, la relance de la pêche durable et l’intégration des dispositions relatives aux objectifs du plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, issus des travaux de la convention sur la diversité biologique, constituent des perspectives incontournables d’un déploiement important et harmonieux de l’économie à Saint-Pierre-et-Miquelon. La valorisation du patrimoine naturel sera un atout non négligeable pour le développement du tourisme dans l’archipel.
Comptant sur la considération de ces réserves par le Gouvernement et notre assemblée dans les lois à venir, et soutenant la qualité de vie de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon, les écologistes voteront en faveur de ce texte.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, mesdames et messieurs les députés, les moments de grande unité au sein de cette assemblée sont rares mais ils existent et ils n’en sont que plus précieux.
Souvent, en particulier depuis vingt et un mois, les outre-mer ont permis de créer de beaux moments d’unité. Aujourd’hui, ils offrent une nouvelle occasion à la représentation nationale de parler d’une seule voix.
Mais au-delà d’une simple question touchant les outre-mer, c’est plus encore une question de souveraineté de notre pays qui est appelée à être le ferment de cette unité. Nous sommes en effet ici aujourd’hui pour traiter ensemble de la défense des droits légitimes de notre pays, la France, sur le plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Avec cette proposition de résolution que vous avez à examiner, c’est un acte fort qui vous est demandé. Cet acte doit manifester le soutien de la représentation nationale au Gouvernement dans ses démarches visant à faire reconnaître ses droits devant la commission des limites du plateau continental.
Je veux d’emblée saluer l’initiative de Mme Annick Girardin et de MM. Jean-Claude Fruteau et Paul Giacobbi, qui sont à l’origine de cette proposition de résolution.
Je sais l’attente de nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je sais leur volonté de s’appuyer sur le droit international pour préserver leurs intérêts qui sont les intérêts de la France.
Le 24 juillet dernier, en recevant le Premier ministre du Canada, le Président de la République a été à la fois très clair et très ferme : oui, la France entend faire reconnaître ses droits devant la commission des limites du plateau continental. Cet engagement a été renouvelé à l’occasion des voeux que le Président de la République a présentés aux outre-mer le 23 janvier dernier.
Bien évidemment, il ne s’agit pas de distendre les liens d’amitié qui unissent la France et le Canada. Cette amitié est ancienne et solide.
Elle doit demeurer. Mais, il s’agit là de défendre notre intérêt national, le rang de notre pays qui est la deuxième puissance maritime du monde.
Nos amis canadiens ont su et savent parfaitement discuter de ces problématiques avec les Américains, les Russes ou les Danois.
Oui, monsieur le député Didier Quentin, la France déposera bien un dossier de demande d’extension de son plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon à la mi-avril auprès de la CLPC.
Très bien !
Il n’y a pas de grand écart entre les deux ministères, monsieur le député.
Je suis rassuré !
Elle le fera en s’appuyant sur les termes de la convention internationale des Nations unies de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982. Cette convention, que notre pays a ratifiée en 1995, permet aux États côtiers d’étendre le plateau continental sous leur juridiction au-delà des limites de leur zone économique exclusive.
En 1992, cela a été rappelé, c’est un tribunal arbitral de New York qui n’avait accordé à Saint-Pierre-et-Miquelon qu’une zone économique exclusive de 12 400 kilomètres carrés alors que la France revendiquait pour cet archipel une surface de 48 000 kilomètres carrés.
Cette décision fut lourde de conséquences pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Son développement économique autour des activités de pêche et d’aquaculture fut entravé et l’archipel ne s’en est jamais vraiment relevé.
La loi canadienne de 1996 sur les océans n’a fait que confirmer l’existence du différend qui subsiste avec le Canada depuis une vingtaine d’années. La détermination de la France sur ce dossier ne peut être mise en doute.
L’exposé des motifs rappelle fort justement le rôle qu’eut la mission d’information créée en 2008 par l’Assemblée nationale avec pour rapporteurs Louis Guédon et, déjà, Annick Girardin. Son rôle fut essentiel, car elle relança utilement le processus et poussa le gouvernement de François Fillon à un engagement bienvenu sur ce dossier, que je tiens à saluer.
Les techniciens de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer et du service hydrographique et océanographique de la marine, les services des ministères des affaires étrangères et des outre-mer, sous l’autorité du cabinet du Premier ministre – et le secrétariat général à la mer est bien présent – ont travaillé et travaillent encore étroitement à constituer un dossier rigoureusement étayé pour préserver les intérêts de la France et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
De manière constante, le ministère des outre-mer et, au-delà, tout le Gouvernement défendent les intérêts des territoires et veillent à valoriser et à préserver les droits souverains de la France sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol marin.
Sourires.
Nous avons fait en sorte qu’il n’y ait pas de rupture capacitaire pour pourvoir exercer partout des missions de surveillance et de souveraineté nationale.
Le programme EXTRAPLAC, chargé d’étudier la faisabilité des demandes françaises et de constituer les dossiers à déposer auprès de la CLPC, a bénéficié de moyens budgétaires qui ont permis de le conduire sans retard, au plus près des intérêts de notre pays.
La France a respecté le délai pour déposer les dossiers d’extension du plateau continental auprès du secrétaire général des Nations unies, fixé au 13 mai 2009, en ce qui concerne la Guyane, la Nouvelle-Calédonie, les Antilles françaises, les îles Kerguelen, l’archipel du Crozet, la Réunion, les îles Saint-Paul et Amsterdam et Wallis-et-Futuna.
La CLPC a d’ailleurs déjà validé l’extension pour un certain nombre de ces territoires et elle procède actuellement à l’examen d’autres dossiers.
S’agissant de la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, pour lesquelles la CLPC a déjà émis ses recommandations, les négociations de délimitations avec les États voisins – la Barbade, la Dominique et le Surinam – sont largement avancées.
Pour la Nouvelle-Calédonie, la CLPC a validé l’extension du plateau continental sur la partie sud-ouest, mais elle a gelé l’examen de notre demande s’agissant de la partie est, en raison de l’objection du Vanuatu qui invoque un conflit de souveraineté sur les îles Matthew et Hunter.
Nous avons contacté le Vanuatu mais nous n’avons pas encore de réponse.
La France réitère régulièrement sa disponibilité pour engager des discussions techniques avec le Vanuatu afin de lever l’objection sur cette partie du dossier mais, pour l’heure, il n’y a pas eu de suite donnée à notre proposition.
S’agissant de la Polynésie française, la France déposera un dossier dans le courant de l’année 2015.
Les seuls territoires pour lesquels la France ne déposera pas de demandes d’extensions sont Saint-Martin, Saint-Barthélemy, certaines îles Éparses – Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India et Tromelin – et Clipperton, en raison de la contiguïté de leurs zones économiques exclusives avec celles d’États voisins ou de l’absence de critères scientifiques et techniques permettant de justifier l’extension.
Monsieur le député Folliot sait très bien qu’il y a un accord administratif dont le bilan a été repoussé à début 2015, en raison des élections mexicaines. Les connaissances scientifiques ne sont pas suffisantes pour justifier la demande d’extension.
Pour autant, dans le cas des îles Éparses et de Clipperton, l’absence de demande d’extension ne signifie en aucun cas un renoncement de notre pays à défendre sa souveraineté sur ces territoires. D’ailleurs, nous avons demandé à vérifier cette affaire de drapeau. Il faut qu’elle soit avérée et, pour le moment, nous n’avons pas de confirmation.
Je n’en ai pas la confirmation et nous faisons des vérifications. Vous savez que les rotations ne sont pas si fréquentes, mais nous avons d’autres moyens de vérification.
Outre le programme EXTRAPLAC, aujourd’hui largement exécuté, les perspectives de développement économique de ressources minérales ont conduit au lancement d’importants travaux par un consortium de scientifiques sur l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.
Cette expertise scientifique constituera la première réalisation du programme national de recherche et d’accès aux ressources minérales des grands fonds marins, annoncé par le Premier ministre, dans le prolongement du comité interministériel de la mer du 2 décembre 2013.
L’expertise porte sur les grands fonds sous juridiction française, ainsi que sur les grands fonds au-delà des zones de juridiction française.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement, en particulier par le ministère des outre-mer, est très attentif à ces enjeux, et il suit très rigoureusement les dossiers concernés. Le ministère des outre-mer ne peut qu’être vigilant sur ces problématiques, car l’essentiel des possibilités d’extension du plateau continental de la France se situe – vous l’avez tous dit – dans les outre-mer, ce qui rend ces territoires éminemment stratégiques pour notre pays.
Pour toutes ces raisons, je ne doute pas que votre assemblée accordera son soutien au Gouvernement. Une démonstration d’unité, aujourd’hui, donnera encore davantage de poids, demain, à notre pays au moment de déposer et de défendre son dossier devant la CLPC.
Je ne saurais terminer sans répondre à l’interpellation du député Folliot sur Tromelin.
Je me suis personnellement rendu à Tromelin, en disant qu’en prenant mes fonctions à la tête de ce ministère, en charge de ces territoires j’avais une égale considération pour tous. Il ne s’agit pas que d’aller dans les territoires habités, il faut aussi, dans les autres, marquer une présence de souveraineté. Je l’ai fait aux Glorieuses et à Tromelin, j’ai bien l’intention de le faire à Bassas da India et à Juan de Nova. Je le ferais volontiers aux îles Kerguelen, mais, malgré les prothèses modernes, on ne peut s’y rendre en moins de vingt et un jours.
Deuxième chose, en ce qui concerne l’accord-cadre qui a été passé, élaboré entre 1999, date à laquelle la démarche a été engagée par un Président de la République, et 2010, vous contestez l’article 1er. Vous évoquez en particulier le problème qui pourrait se poser en termes de souveraineté nationale sur les eaux territoriales. C’est un accord de cogestion qui, c’est vrai, représente une innovation en droit international public. Vous avez interpellé le Gouvernement, monsieur le député, je vous ai reçu, et nous en avons discuté. Nous sommes particulièrement vigilants sur l’exercice de notre souveraineté. Il ne s’agit en aucun cas de changer de position. On sait fort bien quelle est celle de notre pays. Notre conception est fort ancienne, elle trouve son origine bien avant l’année 1968, elle remonte à 1814, pour être précis. Il ne s’agit donc pas de changer de position. Nous ne manquerons pas très bientôt, avec le ministère des affaires étrangères, de vous dire quelle est la position définitive du Gouvernement sur cette affaire. Vous l’aurez observé, si cela n’a pas été débattu, c’est parce que nous avons demandé que la question de la souveraineté nationale et de son exercice par la France dans ces régions fasse l’objet d’une analyse juridique approfondie.
Applaudissements.
En l’absence d’explication de vote, je mets aux voix la proposition de résolution.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.
Applaudissements.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de MM. Bruno Le Roux, Gilles Savary, Mme Chantal Guittet, MM. David Habib et Christian Assaf et plusieurs de leurs collègues visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (nos 1686, 1785).
La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, qu’il me soit permis, à l’ouverture de ce débat, de rappeler ici le cheminement peu commun de cette proposition de loi. À une époque où l’on attise à nouveau, sous mille prétextes, les vieux démons de l’antiparlementarisme, il n’est pas indifférent qu’un texte comme celui-là donne à voir à quoi servent le Parlement et les parlementaires de ce pays.
Cette proposition de loi trouve son origine dans l’unanimité politique qui a présidé, le 11 juillet 2013, à l’adoption d’une résolution européenne de l’Assemblée nationale sur la directive d’application de la directive « détachement des travailleurs », c’est-à-dire dans l’exercice de notre mission de contrôle parlementaire des législations de l’Union européenne, réaffirmée et renforcée par les protocoles 1 et 2 annexés au traité de Lisbonne. Elle en constitue en quelque sorte l’acte II, puisque notre résolution européenne prescrivait, en premier lieu, que le gouvernement français adopte une position de fermeté à l’égard des articles 9 et 12, particulièrement controversés, de la directive en cours de discussion. Le 9 décembre dernier, le Gouvernement, représenté par le ministre du travail et de l’emploi Michel Sapin, arrachait contre toute attente le résultat souhaité par notre Assemblée.
En second lieu, la résolution suggérait, devant l’accélération des pratiques de dumping social en Europe, que l’Union européenne aille au-delà de la directive détachement, en se dotant d’une politique plus globale et de nouveaux outils juridiques de régulation sociale de la mobilité des travailleurs en Europe, si possible dès le prochain mandat ; mais, conscients du temps nécessaire à la négociation d’une telle perspective, nous suggérions que la France renforce unilatéralement sa propre législation interne pour se protéger des dérives particulièrement déstabilisantes observées dans certains secteurs d’activité. La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui trouve précisément sa source dans cette intention, mais aussi, mes chers collègues, dans ce sentiment d’urgence.
Avant d’en présenter le contenu, je voudrais remercier deux collègues, qui sont à l’origine de cette histoire, Chantal Guittet, députée du Finistère, et Michel Piron, député du Maine-et-Loire. Mes remerciements ne seraient pas complets s’ils ne leur associaient la commission des affaires européennes et sa présidente Danielle Auroi, qui nous a prodigué ses encouragements et témoigné sa bienveillance, mais aussi tous les collègues de toutes les formations politiques qui ont nourri cette démarche de leurs contributions et de leurs votes unanimes, ainsi que la commission des affaires sociales, son rapporteur Richard Ferrand, et ses membres, qui lui ont accordé leur confiance, également à l’unanimité. De ce remarquable travail de contrôle est né le texte qui vous est soumis ce soir, non sans que le Gouvernement et la direction générale du travail en reconnaissent l’intérêt et le propulsent, dans des délais records, à l’agenda, pourtant chargé, du Parlement.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de prendre la mesure des dévoiements de plus en plus massifs et systématiques de la procédure de détachement des travailleurs auxquels on assiste depuis quelques années.
Le détachement des travailleurs est une pratique universelle et irremplaçable, qui accompagne, depuis des temps immémoriaux, les échanges entre les économies nationales. Elle est familière aux ingénieurs, aux ouvriers, aux sportifs, aux cadres et employés, aux scientifiques, aux artistes, aux professions libérales, qui sont envoyés en mission dans tous les pays du monde, pour promouvoir les intérêts de la France.
Du fait de son projet de création d’un grand marché intérieur caractérisé par quatre libertés essentielles, dont la liberté de circulation des biens et des personnes, l’Union européenne, ou plutôt la Communauté économique européenne de l’époque, a, dès 1996, éprouvé le besoin d’encadrer le détachement des travailleurs intra-européens, en édictant quelques principes forts : sa définition, d’abord, qui le caractérise non pas comme une immigration de travail classique, comme la France en a connu, une de ces immigrations dont elle s’est nourrie au cours de son histoire, pour l’exploitation de ses mines de charbons ou son agriculture, mais comme une mission temporaire et non récurrente, correspondant à un besoin d’échanges de savoir-faire ou d’expertise ponctuel ; le principe du respect des conditions d’emploi et de travail du pays d’accueil, avec ses règles de salaire minimum, de régime de primes, de temps de travail, d’heures supplémentaires et de congés payés, de congés maternité ; le principe, enfin, du maintien de l’affiliation sociale du travailleur, préalable à son détachement, à la Sécurité sociale de son pays d’origine.
Ce qui est en cause, aujourd’hui, et que nous avons relevé, ici à l’Assemblée nationale mais aussi au Sénat, avec le remarquable travail du sénateur Éric Bocquet, c’est l’émergence, encore soutenable, mais potentiellement dévastatrice, de pratiques pernicieuses d’optimisation sociale en Europe et, au-delà, dans le monde, qui se traduisent par des abus et des fraudes de plus en plus sophistiquées au détachement des travailleurs mais aussi par un véritable négoce, décomplexé, de travailleurs low cost.
Si seulement 1,6 % des emplois français sont actuellement occupés par des travailleurs détachés à l’étranger, dont, soit dit en passant, pour l’anecdote, 18 500 Français domiciliés au Luxembourg, l’effectif des travailleurs officiellement détachés en France s’élevait en 2012 à 169 613 personnes, contre 7 495 en 2000. C’est dire l’accélération qu’a connue le phénomène ! De véritables filières de prestation de services se sont organisées à une vaste échelle pour dénaturer le détachement d’échange et introduire dans le paysage un détachement de dumping particulièrement préoccupant et délétère, au plan social, économique et politique. Les élargissements de 2004 et de 2007 à des pays aux standards sociaux très inférieurs aux anciens États membres, mais aussi l’onde de choc de la crise de 2008, en ont constitué l’aubaine à une échelle et avec une rapidité d’exécution qui n’ont pas de précédent.
Le travailleur low cost, corvéable à merci, difficilement contrôlable, est devenu le nouvel esclave contemporain, ostensiblement proposé, loué sur les marchés, dans tous ses atours de fiabilité, de courage, d’endurance au travail, de coût modique, et d’exigences sociales insignifiantes. De proche en proche, la concurrence entre les nations a trouvé dans la dépréciation du travailleur un nouveau facteur, souvent décisif, de compétitivité, indépendamment de la qualité du produit ou du service rendu.
C’est en Européens fervents, engagés dans la construction d’une Europe conforme aux acquis démocratiques et sociaux de sa civilisation et au message des droits de l’homme qu’elle a inclus dans sa Charte des droits fondamentaux, que nous refusons cette perversion mortifère de l’esprit et du projet européens. L’Europe de la compétition des travailleurs, de la guerre civile des droits sociaux, l’Europe où la pauvreté des uns fait le malheur des autres, cette Europe-là serait inéluctablement vouée à s’abîmer dans le rejet de nos peuples et dans les pires errements populistes.
Cette proposition de loi n’est en rien hostile à l’immigration de travail qui a tant apporté à notre pays, auquel elle a donné au cours des siècles des fleurons comme Turbomeca, Hennessy et tant d’autres, alors que plus de 350 000 offres d’emploi ne sont pas satisfaites sur notre marché du travail. Elle n’est pas plus hostile au détachement des travailleurs, nécessaire à nos économies et à leurs échanges, au point que la France détache actuellement plus de 300 000 travailleurs dans le monde, dont 175 000 en Europe. Mais elle vise à remettre le détachement dans son lit naturel, en déclarant résolument la guerre aux abus, aux fraudes, à la traite systématique de travailleurs low cost, à la concurrence inégale par dumping social, et à leurs effets dévastateurs pour des secteurs entiers de notre économie.
Cette loi se veut préventive et dissuasive, autant que curative. Face à des fraudes de plus en plus sophistiquées et surtout à des coopérations administratives très inégales, nos corps de contrôle et notre justice ont jalonné ce phénomène complexe et difficilement saisissable, depuis la qualification de la première infraction en 1986 sur le chantier de la ligne à grande vitesse Paris-Tours, de jurisprudences édifiantes. Grâce à ces décisions de justice, ainsi qu’au recul dont disposent nos corps de contrôle – inspection du travail, URSSAF, MSA, office central de lutte contre le travail illégal –, on distingue mieux ce qui doit incomber à l’Union européenne de ce qu’il est permis de mettre en place, au plan national et de manière parfaitement compatible avec les textes européens.
Nous devons avoir l’ambition, mes chers collègues, d’envoyer un signal de détermination absolue à refuser cette nouvelle traite de main-d’oeuvre surexploitée, qui nous rappelle celle d’un autre âge. Les dispositions de cette proposition de loi ont l’ambition de renforcer très sensiblement notre arsenal juridique de lutte et de placer la France à l’avant-garde européenne de la lutte contre la concurrence socialement inéquitable. Un petit nombre de principes en ont guidé la rédaction : celui d’eurocompatibilité, celui de réalisme et de proportionnalité et, enfin, un principe de dissuasion par durcissement des sanctions.
Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale comporte quatre grands types de nouvelles mesures.
Il s’agit tout d’abord de la responsabilisation solidaire du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage. Coeur de réacteur de ce texte, elle est sa mesure phare, et représente une innovation profonde en droit interne.
Il s’agit ensuite de l’alourdissement des sanctions. Au moment où Michel Sapin envisage de mettre en place, dans chaque région, une brigade spécialisée dans la lutte contre le travail illégal et les fraudes complexes, la proposition de loi vise à améliorer considérablement les outils de dissuasion et de sanction à leur disposition pour y faire face.
Il s’agit en outre de la possibilité d’ester en justice offerte aux syndicats professionnels et de salariés, qui permettra de poursuivre les infractions constatées, sans que les intéressés, sans que les ouvriers aient l’obligation de le faire. Pour des raisons qu’on imagine bien, ils y sont souvent peu disposés.
Il s’agit, enfin, des dispositions catégorielles qui concernent à la fois le BTP et aussi, surtout peut-être, le secteur du transport routier, plus difficilement saisissable, du fait qu’il est en mouvement perpétuel entre les frontières. Il nourrit un détachement illégal du vecteur du transport international.
Cette proposition de loi, mes chers collègues, n’a rien concédé à la facilité ou à l’opportunisme. Ce n’est ni une proposition d’appel, ni une proposition cosmétique, ni une proposition de témoignage. C’est une proposition de loi au sens le plus sérieux et le plus accompli du travail parlementaire, puisqu’elle trouve sa source et son inspiration dans cette assemblée.
Je formule le souhait qu’elle recueille ici le même assentiment qu’en commission, un assentiment qui se traduise par le vote qu’attendent les Français, au-delà des postures et des oppositions rituelles. Qu’il me soit permis de remercier le Gouvernement de l’avoir compris et d’avoir apporté son soutien, que manifeste l’inscription de cette proposition de loi en procédure accélérée à l’agenda, pourtant très encombré, de notre assemblée.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, nous sommes réunis aujourd’hui pour traiter d’une question de très grande importance pour notre pays, ses entreprises, ses salariés, ses territoires. Chaque parlementaire ici présent a sans doute déjà été interpellé à propos d’une situation de détachement illégal de travailleurs. Ce n’est l’apanage ni des villes, ni des campagnes, ni des chantiers de bâtiments et travaux publics, ni des exploitations agricoles ; c’est tout simplement un sujet majeur pour toute la société française et, de fait, pour toute l’Europe.
Prenez ces dépôts routiers où des chauffeurs venus des pays de l’Est croisent en permanence des chauffeurs français. Ils travaillent pour une même entreprise ou un même groupe, et pourtant leurs conditions d’emploi divergent en tous points. Les récits sont nombreux et les tensions souvent à leur comble. Les uns ont un contrat de travail de droit français – qu’ils soient ou non Français – et voient en face d’eux ceux qui menacent leur emploi. Les autres, qui ne cherchent bien légitimement qu’à améliorer leur sort, sont soumis à un régime qui ressemble souvent à la pire des surexploitations. Ces situations de concurrence déloyale sécrètent le poison de la détestation mutuelle.
Pour le Gouvernement, s’il convient d’agir, c’est pour protéger les travailleurs et les entreprises qui payent leurs cotisations et respectent le droit du travail ; mais c’est aussi pour protéger les travailleurs étrangers, qui ne sont pas coupables mais victimes de ces pratiques de travail illégal et de fraude au détachement. Faut-il rappeler que le droit français ne permet pas qu’un salarié travaille quarante-cinq heures par semaine pour trois euros de l’heure, dorme dans des hangars, n’ait pas accès à la médecine du travail ? Tout cela n’est pas négociable ! C’est l’honneur de notre pays que de protéger ceux qui travaillent sur son sol, quelle que soit leur nationalité. La France a patiemment construit son modèle social ; nul ne doit y déroger, ni le détruire par une concurrence déloyale.
Les déclarations de détachement des entreprises prestataires de service pour l’année 2012, et les premières estimations réalisées sur la base de ces déclarations pour l’année 2013, montrent une forte hausse du nombre de détachements de travailleurs en France. Il y a eu 60 000 déclarations en 2012 ; le nombre de 66 000 devrait être atteint en 2013. Il y en avait 38 000 en 2005. Une hausse de 10 % des détachements est constatée en 2013, après une hausse de 32 % en 2012. Ces détachements ont concerné 170 000 salariés en 2012 et sont évalués à 220 000 salariés en 2013.
Je voudrais résumer l’engagement et l’action du gouvernement en deux mots : ni dumping, ni exploitation. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous préférons la fermeture, ou que nous refusons la mobilité des travailleurs, qui est, comme l’a dit M. le rapporteur, un acquis de la construction européenne et l’une de ses libertés essentielles. Au contraire, le gouvernement français proclame aux travailleurs européens qu’ils sont les bienvenus dans l’économie française. Ils sont les bienvenus pour la croissance, mais dans le strict respect des conditions de notre modèle social. Le détachement licite a toute sa place en France, et notre pays en bénéficie d’ailleurs très largement, puisque les salariés français détachés en Europe sont nombreux. Nous sommes en effet le troisième pays de détachement.
Mais, au cours de ces dernières années, un certain nombre de pratiques déviantes se sont développées. Vous le savez, la lutte contre le travail illégal est un volet important de la politique que le Gouvernement conduit pour redresser notre pays et la compétitivité de notre économie. Elle est importante d’abord pour des raisons sociales, comme je viens de l’expliquer, mais aussi pour des raisons de justice et d’équité, parce que ces pratiques déviantes sont injustes pour l’ensemble des salariés et des entreprises qui paient leurs cotisations sociales.
Cette question n’est pas uniquement sociale. Le Gouvernement combat également le travail illégal pour des raisons économiques, car il met en péril des entreprises et des secteurs économiques entiers. Enfin, ce travail illégal entraîne une évasion fiscale et sociale qui est particulièrement inacceptable dans la période que nous vivons. Alors que nous appelons les Français à l’effort, personne ne doit s’en exempter. C’est pour cela que le Gouvernement s’est attaqué sans tarder à ces pratiques, et a dessiné une stratégie cohérente, divisée en trois volets complémentaires.
Tout d’abord, le premier volet est opérationnel. Il s’agit d’un véritable plan de lutte contre le travail illégal. Le Premier ministre a présenté lui-même ce plan le 27 novembre 2012. Il vise à s’attaquer aux fraudes les plus graves, à savoir le travail dissimulé, les fraudes au détachement, les opérations de sous-traitance en cascade, le recours aux faux statuts et aux étrangers sans titre. Pour chacune de ces situations, nous avons identifié des secteurs prioritaires. Parmi ces cas de fraudes, les plus complexes et les plus organisées constituent la priorité du Gouvernement : je pense par exemple aux opérations de fausse sous-traitance ou de fausse prestation de service internationale, qui se développent et prennent des formes multiples liées à la mondialisation. Ces opérations constituent un réel danger pour nos salariés et notre économie. Il est donc indispensable d’agir pour les combattre.
Nous avons défini une méthode transversale parce que ce problème ne concerne pas seulement l’inspection du travail, mais aussi les URSSAF, les forces de l’ordre et les services fiscaux. Sur ce point, nous avons consolidé nos acquis grâce à des formations inter-services et à une animation régionale par la Direction générale du travail, et grâce à la mise en place de groupes de travail d’experts, notamment sur les opérations complexes. Les fraudes ignorent les périmètres respectifs des services de contrôle : c’est pourquoi nous voulons relever le défi d’une plus grande cohérence de l’action collective.
Cohérence entre les champs d’action, je l’ai dit ; cohérence territoriale, aussi. En 2013, nous avons mis en place, partout, une démarche territoriale plus structurée, en demandant aux préfets de région d’élaborer un plan régional de lutte contre le travail illégal à partir d’un diagnostic préalable partagé par tous les acteurs. Il est encore un peu tôt pour faire le bilan de ces plans régionaux, mais sachez que d’après les premières appréciations sur le terrain, ils ont permis de coordonner efficacement cette mobilisation.
Les situations exceptionnelles que je viens d’évoquer, qui ont parfois même un caractère mafieux, ne recouvrent pas l’ensemble du travail illégal. Le deuxième axe du plan de lutte est donc la prévention du travail illégal, en association avec les partenaires sociaux. En effet, la lutte contre les fraudes ne relève pas seulement de la responsabilité des pouvoirs publics ; les organisations professionnelles et les syndicats de salariés ont leur rôle à jouer, chacun dans leur domaine, mais de façon concertée. Plusieurs professions ont accepté de s’engager dans cette voie, au moyen de conventions de partenariat conclues entre organisations patronales, organisations syndicales et pouvoirs publics. Je pense par exemple au secteur du déménagement, à celui de la sécurité, ou encore à l’agriculture. Dans ce dernier secteur, une convention sera prochainement signée par toutes les parties. D’autres conventions suivront.
À ce tableau, il faut ajouter un dernier point : la réforme de l’inspection du travail. Vous connaissez cette réforme, puisque vous en avez débattu dans cet hémicycle il y a quelques jours lors de l’examen du projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale. Michel Sapin est en ce moment même retenu au Sénat par l’examen de ce projet de loi, ce qui me vaut le plaisir d’être avec vous aujourd’hui.
Sachez que cette réforme, que vous connaissez bien, prévoit notamment la création d’unités régionales de contrôle sur le travail illégal, qui sont pluridisciplinaires. Elle prévoit aussi la création d’une petite cellule nationale, en lien avec les autres services d’inspection européens. Ces nouvelles entités seront capables de remonter, à travers toute la cascade des sous-traitants, jusqu’aux maîtres d’ouvrage et aux donneurs d’ordres. C’est ainsi que nous renforcerons l’efficacité de notre action. La mise en place du cadre est une étape essentielle. Nous sommes attendus sur le terrain pour contrôler, protéger et sanctionner.
Comme vous le savez, l’action contre le détachement illégal dépasse notre seul pays : c’est un problème européen. C’est pourquoi le chef de l’État et le chef du Gouvernement ont véritablement bataillé à Bruxelles pour emporter un accord sur la directive d’application de la directive sur le détachement des travailleurs. Cette question peut paraître technique, et pourtant la bataille menée par Michel Sapin le 25 octobre dernier, au nom du Gouvernement, a été réellement politique. Il est parvenu à éviter un mauvais compromis, et à arracher un accord positif le 9 décembre dernier. Cet accord est positif car il permet de renforcer le contrôle des règles de détachement ; il permet de lutter plus efficacement contre le dumping social. La France a défendu, avec l’Allemagne, une ligne exigeante et ferme. Elle a réussi à entraîner à sa suite d’autres pays : l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Bulgarie, la Roumanie et la Slovénie. Tout cela, en restant cependant à l’écoute des attentes des partenaires sociaux européens, qui sont fortes.
L’accord trouvé le 9 décembre 2013 permet deux avancées majeures. D’abord, la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle sera désormais ouverte. Cela signifie que le législateur français pourra fixer cette liste, pour tous les travailleurs détachés en France. La directive d’application permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus. Pour renforcer la sécurité juridique de ce nouveau cadre, la Commission et les autres États devront être informés des documents exigibles dans chacun des pays concernés.
Deuxième avancée majeure : désormais, les entreprises donneuses d’ordres devront véritablement prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs sous-traitants, sous la forme d’une responsabilité solidaire, ou, le cas échéant, via un mécanisme équivalent de sanction du donneur d’ordres. Cela signifie qu’il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilité pour lutter efficacement contre les montages frauduleux. Cette directive protégera donc les travailleurs détachés comme les travailleurs nationaux en les prémunissant chacun contre les procédés déloyaux.
Mesdames et messieurs les députés, l’Europe est parfois décevante, mais elle sait aussi parfois être au rendez-vous. Elle sait parfois avoir une ambition sociale et tourner un peu le dos au triste projet de directive dit « directive Bolkenstein ». La France continuera dans cette voie : je crois que cela fait largement consensus parmi vous. Le Parlement européen s’est désormais emparé de la proposition de directive, avec la volonté de l’améliorer encore. Le « trilogue » entre les instances européennes est engagé. Quatre réunions ont eu lieu au mois de janvier ; une réunion décisive a lieu aujourd’hui même. Les parlementaires européens veulent aller vite, tant l’enjeu est important. Au cours des années à venir, nous devrons sans doute renforcer encore plus la coopération européenne sur ce sujet.
Mais le plan national de lutte contre le travail illégal, la réforme de l’inspection du travail et la directive européenne ne suffisent pas. Nous devons aller plus loin : c’est l’objet de l’excellente proposition de loi présentée par Gilles Savary et les membres du groupe socialiste. Il faut aller plus loin, comme vous le proposez, il faut aller jusqu’au bout de la démarche, c’est-à-dire atteindre la tête des réseaux : les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordres, qui doivent être responsabilisés davantage. Tel est l’enjeu : notre législation doit être améliorée pour anticiper sur la transposition de la future directive d’application.
C’est l’objet de votre proposition de loi qui contient des mesures préventives et répressives pour lutter avec efficacité contre le dumping, la concurrence déloyale et les abus de la sous-traitance. Le Gouvernement vous soutient, évidemment, car il nous faut des armes supplémentaires.
Notre arsenal juridique doit être complété en plusieurs points. D’abord, comme je l’ai dit, il convient de renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, que leur lien avec les sous-traitants soit direct ou indirect. Votre proposition apporte des réponses convaincantes sur ce point. Il convient aussi de permettre davantage aux organisations professionnelles et syndicales d’agir quand elles ont connaissance de situations inacceptables. Enfin, il faut renforcer les sanctions contre les auteurs de ces pratiques déviantes ; cela signifie que notre administration doit pouvoir s’opposer plus facilement à certaines situations de travail illégal.
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Grâce à votre vote, « responsabilité » sera le maître mot en matière de détachement des travailleurs. Monsieur le rapporteur, au nom de Michel Sapin, mais aussi en mon nom propre et au nom de tout le Gouvernement, je tiens à vous remercier pour votre investissement et votre connaissance des entreprises et des rouages de l’Union européenne, qui vous ont permis d’élaborer rapidement la proposition de loi que nous examinons actuellement. Je remercie également Chantal Guittet et Michel Piron, dont je sais qu’ils ont beaucoup travaillé sur le détachement des travailleurs.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les présidentes des commissions, monsieur le rapporteur, chers collègues, si le détachement des travailleurs est aujourd’hui détourné, son principe, lui, n’est pas contesté : il doit permettre aux États de faire face, temporairement, à un besoin de main-d’oeuvre dans un domaine particulier.
De fait, ces échanges doivent être enrichissants. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, de nombreux Français exercent temporairement un emploi à l’étranger : la France est un pays qui détache beaucoup de travailleurs.
Nous sommes tous, ici, favorables à la libre circulation et pleinement conscients de ce que l’immigration du travail apporte à la France, notamment à son économie. Aussi n’est-il pas question de remettre en cause la libre circulation des travailleurs, mais de lui redonner son sens originel : celui d’un échange de compétences, source de prospérité pour les salariés et de croissance pour les États.
Nous devons défendre une application juste et rigoureuse du droit européen en matière de détachement des travailleurs. Le traité de Rome mentionnait déjà que les États membres convenaient de la nécessité de promouvoir des conditions de vie et de travail de la main-d’oeuvre permettant un certain progrès. Il est donc urgent de lutter contre les abus qui portent atteinte à la légitimité du détachement des travailleurs. Je me félicite que le groupe socialiste soit à l’origine de cette initiative forte, et qu’elle provient de la commission des affaires européennes.
Ainsi, comme l’a bien expliqué notre collègue Gilles Savary, cette proposition de loi propose de « resserrer les mailles du filet » en imposant un certain nombre de dispositions préventives et coercitives, comme le principe de la double déclaration du travailleur détaché par le donneur d’ordre qui a fait appel à un prestataire. Pour qu’il soit réellement efficace, ce principe devrait d’ailleurs s’appliquer à toutes les entreprises.
Sur le terrain, nous le ressentons, nos compatriotes expriment une défiance profonde à l’égard de l’Europe et des principes qui la fondent, au premier rang desquels la libre circulation des travailleurs. Dans un contexte de crise, ils expriment la crainte d’une captation de leurs emplois et de la paupérisation qui pourrait en découler. Comment ne pas être choqué de voir que des abattoirs bretons, victimes de la concurrence déloyale, suppriment neuf cents emplois pour, finalement, embaucher trois cents salariés venus des pays de l’Est ?
Les conditions d’emploi des travailleurs détachés s’apparentent, parfois, à une forme d’esclavage moderne : salaires impayés, absence de protection sociale, dangerosité des postes occupés, hébergement de fortune. Les fraudes passent également par des montages sophistiqués dans plusieurs pays. Nos entreprises sont incitées à suivre le mouvement pour rester concurrentielles ; elles sont encouragées à le faire par une impunité quasiment garantie par les failles du dispositif communautaire.
Comment résister, lorsque vous recevez chaque jour, par internet, des dizaines d’offres alléchantes, qui vous proposent des travailleurs expérimentés 30 % moins chers que des Français ? Les entreprises qui font appel à ces prestations sont plus ou moins consciemment complices d’un système de traite des travailleurs.
L’absence de procédures de contrôle réellement efficaces contribue ainsi à banaliser la fraude et le recours abusif au détachement. Très souvent, le droit social français n’est pas respecté : les entreprises et les collectivités territoriales préfèrent la politique de l’autruche et l’accroissement des marges au respect des travailleurs.
Les avancées permises par cette ambitieuse proposition de loi sont nombreuses. Elles permettront de rendre effectifs les contrôles de notre administration, méritante mais aujourd’hui souvent dépassée, et inciteront les donneurs d’ordre à ne plus pratiquer la politique de l’autruche.
Mais il est encore possible d’aller plus loin, dans le respect des règles européennes. Par exemple, nous devrons, à l’avenir, comme cela est prévu par la future directive « marchés publics », permettre aux pouvoirs adjudicateurs de rejeter les offres « anormalement basses » car résultant d’une violation de la législation.
Nous ne pouvons pas accepter que certaines entreprises étrangères obtiennent des marchés publics en proposant des prix dont nous savons pertinemment qu’ils défient toute concurrence parce qu’ils ne respectent pas la loi. De la même manière, nous pourrions réfléchir à imposer des clauses de responsabilité sociale d’entreprise dans les cahiers des charges de prestations, le non-respect de ces clauses entraînant une rupture du contrat.
Si nous ne luttons pas pour le respect de ces règles et contre les abus de faiblesse, la libre circulation des travailleurs sera de plus en plus contestée par nos concitoyens. C’est le socle des valeurs sur lequel est fondée la construction européenne qui sera atteint.
Si nous ne souhaitons pas voir remis en cause ce projet européen, nous devons accepter des règles et faire que les Européens bâtissent une maison commune et ne se détruisent pas les uns les autres. Tel est le message que la France, en se faisant, depuis toujours, « champion d’une Europe unie » – comme le disait Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950 –, adresse aujourd’hui à l’Europe.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, madame la rapporteure de la commission des affaires européennes, Chantal Guittet, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, Gilles Savary, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui représente l’aboutissement d’un travail nourri et constructif au sein de la majorité, et qui plus est, mené de concert par les commissions des affaires européennes et des affaires sociales.
Je salue particulièrement ma collègue Danielle Auroi, avec laquelle nous avons noué des relations de travail étroites, car je suis convaincue que nos commissions doivent s’emparer des sujets européens, si nous souhaitons agir pour nos concitoyens et faire avancer l’Europe sociale que nous appelons de nos voeux, en tout cas du côté gauche de l’hémicycle.
C’est ce que nous avons fait sur la question des travailleurs détachés, qui s’est retrouvée au coeur de l’actualité, avec la question de la révision de la directive de 1996. Comme l’a souligné Pervenche Berès, présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, que nous avons auditionnée ensemble le 27 novembre dernier : « dire qu’il faut supprimer cette directive est une folie, car ce serait supprimer le principe selon lequel un travailleur détaché a droit, lorsque la situation est plus favorable, de bénéficier des conditions du pays hôte, à l’exception des dispositions en matière de cotisations sociales. Vouloir supprimer ce dispositif, c’est vouloir officiellement ouvrir la porte à toute forme de dumping social. »
C’est donc bien l’enjeu d’une révision de la directive, qui est à l’ordre du jour. Nous devions réagir fermement afin de traiter les dérives, afin de préserver nos travailleurs, nos entreprises, mais également la construction européenne dans sa dimension sociale.
J’ouvre une parenthèse, car je tiens à féliciter notre Gouvernement pour l’accord obtenu lors du Conseil des ministres du travail européens du 9 décembre. Cet accord va nous permettre de lutter contre le recours abusif au détachement de travailleurs en Europe et de prendre des dispositions innovantes traitant du travail illégal et des pratiques de dumping social.
Ce texte montre tout l’intérêt de l’initiative parlementaire. Notre rapporteur travaille depuis plusieurs mois sur cette proposition de loi, qui fait suite à la proposition de résolution européenne, rédigée par le rapporteur et nos collègues Chantal Guittet et Michel Piron, sur la proposition de directive relative à l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs du 29 mai dernier. Je tiens également à féliciter Richard Ferrand pour le travail qu’il a accompli sur cette même proposition de résolution, au nom de la commission des affaires sociales.
Notre commission a déjà bien enrichi le texte, en ouvrant notamment au juge la possibilité d’exclure temporairement du bénéfice des aides publiques les entreprises condamnées pour travail illégal. Ce texte permettra de placer la France à l’avant-garde en Europe dans ce domaine. Il anticipe, en effet, certaines des mesures que nous devrons transposer, lorsque sera adoptée la directive de transposition de la directive relative aux travailleurs détachés, par exemple en ce qui concerne la responsabilisation des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre.
En outre, des outils innovants sont proposés, tels que l’instauration d’une liste noire des entreprises lourdement condamnées pour travail illégal. Cette mesure profitera à tous : maîtres d’ouvrage, donneurs d’ordre, et entreprises françaises qui souffrent de la concurrence déloyale des fraudeurs. Cela devrait parler à M. Dominique Tian !
C’est dans cette démarche de progrès pour les droits des travailleurs que nous avons soutenu l’initiative du rapporteur visant à élargir le champ de la proposition de loi à la question du transport routier international. Nous avons adopté des dispositions fortes : je pense notamment à l’encadrement du repos hebdomadaire des chauffeurs – nous y reviendrons.
L’Europe, à quelques mois d’une échéance importante, ne doit pas diviser les travailleurs des différents pays membres mais leur permettre d’accéder tous à un mieux disant social. C’est le message que nous délivrons, à travers ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail de nos collègues, Chantal Guittet et Gilles Savary, qui, au mois de juin dernier, présentaient, conjointement avec Michel Piron, un rapport d’information au nom de notre commission des affaires européennes, rapport clairvoyant sur les dérives liées à l’application de la directive concernant le détachement des travailleurs.
Ce rapport avait abouti à l’adoption d’une résolution européenne par notre assemblée, après son examen par la commission des affaires sociales. Je veux souligner ici la solidarité entre nos deux commissions, qui a permis, me semble-t-il, d’aboutir à ce beau travail que nous allons, j’espère, finaliser aujourd’hui.
En effet, cette directive « Bolkestein » s’est révélée un véritable cheval de Troie social en conduisant à la création d’une catégorie de travailleurs « low cost », qui sont, en somme, les nouveaux « damnés de la terre ». Nos collègues ont formulé des propositions ambitieuses qui ont posé les bases de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et sur laquelle notre commission a souhaité se saisir pour observations.
En décembre dernier, nous avions déjà évoqué cette question dans ce même hémicycle, dans le cadre d’une semaine de contrôle. Quelques jours plus tard, M. le ministre du travail réussissait à réunir une majorité au sein du Conseil des ministres de l’Union sur deux sujets majeurs : d’une part – et c’est fondamental –, la liste de documents qui peuvent être réclamés par un État et son administration de contrôle doit demeurer ouverte ; d’autre part, le principe d’une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre pour les fraudes relevant de ses sous-traitants était établi au niveau européen dans le secteur du BTP – mais les secteurs de l’agriculture et des transports n’étaient pas concernés.
Il s’agit certes de deux avancées majeures. Pour autant, le processus de négociation aujourd’hui engagé à Bruxelles a du mal à aboutir. Faut-il donc continuer à rester impuissants face au dumping social ? Non, si nous avons foi en l’Europe.
Or, j’ai foi en l’Europe et en sa capacité de mettre en oeuvre des politiques au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens européens. J’ai foi en la dimension sociale des politiques européennes et en sa capacité à prendre le pas sur la seule dimension économique ; elle lui a été jusque-là largement subordonnée, amplifiant la récession et favorisant de la part de nos concitoyens l’euroscepticisme et le « désamour » de l’Europe.
Mais ma foi n’est pas aveugle, et il est clair que lorsque l’urgence le dicte, nous avons le devoir, au niveau national, de prendre les mesures législatives qui s’imposent, à titre « conservatoire », en attendant que le processus législatif de l’Union puisse aboutir. C’est l’objet de la présente proposition de loi. C’est l’honneur de notre assemblée.
La prospérité de l’Europe peut-elle s’accommoder du recours à des formes d’esclavage moderne ? Comme les orateurs précédents, je ne veux pas le croire. Il faut d’ailleurs nous interroger sur la nécessité d’élargir ce principe de responsabilité au-delà des frontières de l’Union ; nous l’avons évoquée lors de l’examen de la loi sur le développement, et nous aurons sans nul doute l’occasion d’en débattre à nouveau.
Mais j’en reviens à la présente proposition de loi. Deux points doivent particulièrement attirer notre attention. En premier lieu, la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre qui, contrairement au texte européen, ne se limite plus au seul secteur du bâtiment mais est étendue à l’ensemble des secteurs d’activité.
Grâce au travail en commission des affaires sociales – à laquelle je rends à nouveau hommage –, elle concerne l’ensemble des dispositions relatives à l’exécution du contrat de travail – respect du temps de travail, des repos compensateurs, ou de l’exercice du droit de grève – conformément au droit européen, qui impose le respect d’un socle minimal de droits.
En second lieu, une liste noire sera créée. Les noms et les coordonnées des prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal – travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main-d’oeuvre, emploi d’étrangers sans titre de travail… – seront rendus publics pour une durée d’une année à compter du jugement définitif. Cette liste n’aura, certes, qu’un caractère informatif. Néanmoins, je pense qu’elle aura un rôle préventif et dissuasif. En résumé, nous suivons une logique de « carotte et bâton », car vous savez bien qu’il faut les deux pour que cela fonctionne !
Je salue également les différentes mesures qui visent à améliorer les conditions de contrôle des inspecteurs du travail, souvent démunis face à la délinquance protéiforme des fraudeurs au détachement.
En conclusion, je souhaiterais souligner que cette proposition de loi, et son cheminement, depuis le rapport d’information de notre commission, montrent de manière tangible comment peut agir le Parlement en matière européenne, en étant à l’écoute des préoccupations concrètes de nos concitoyens, dans un dialogue actif avec le Gouvernement et nos partenaires de l’Union. Elle va dans le sens de la responsabilité et de la solidarité ; je la soutiens donc avec enthousiasme.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron