Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Séance en hémicycle du 18 février 2014 à 15h00
Enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame Bareigts, madame Orphé, mes chers collègues, nous allons voter une résolution reconnaissant le devoir qu’a l’État de mettre en oeuvre, pour ceux que nous connaissons sous le nom de « Réunionnais de la Creuse », les moyens de connaître la vérité sur ce qu’ils ont perçu comme un abandon.

En tant que députée, mais aussi en tant que citoyenne, j’ai cherché à comprendre ce qui amenait, plus de cinquante ans après le début des faits, des hommes et des femmes à vouloir reconquérir leur histoire personnelle.

Qu’aurais-je ressenti, si, déracinée, j’avais eu à lever mes yeux sur d’autres visages que ceux de mes parents ? Qu’aurais-je pensé de ce ciel qui ne ressemble pas au mien ? De cette langue que j’entends et qui n’est, ni tout à fait une autre ni tout à fait la mienne ?

Pourquoi ? Pourquoi suis-je si loin ? Pourquoi ne puis-je rentrer chez moi ? Pour quelle raison mes lettres restent-elles sans réponse ? Pour quelle raison chacune des réponses que j’obtiens bute sur une autre question : ai-je vraiment été abandonné ?

Je vis mes premiers hivers et mes premières neiges et malgré la tendresse dont on peut m’entourer, malgré les efforts que je fais pour m’intégrer, je ne comprends toujours pas ce qui justifie ce que je vis comme un abandon.

J’ai six ans, j’en ai douze – peu importe mon âge, je suis un enfant – et je vis dans une demi-vérité, sans savoir qu’à des milliers de kilomètres de moi, ma famille vit, elle, dans un demi-mensonge.

C’était en 1963 : 1963, ce n’est pas au siècle dernier, c’était hier. C’était la France, j’étais Français, mes parents étaient Français et c’est de ma vie qu’on décidait. Mon île était pauvre, mes parents étaient pauvres et voulaient pour moi une vie meilleure que celle qu’ils pensaient pouvoir m’offrir. Ils me furent enlevés et je leur fus enlevé sur une promesse, celle que la république prenait soin de ses enfants, les protégeait et veillait sur eux.

Mes chers collègues, quelles que soient les vies que ces enfants ont traversées, ils ont cherché à connaître la vérité sur eux-mêmes et leurs familles. Ils ont cherché à comprendre comment et pourquoi la République et ses représentants ont choisi pour eux, et surtout sans eux, de les enlever à leur terre de naissance.

Bien entendu, nous pouvons comprendre le choix des familles, lorsqu’elles l’ont eu. Nous le comprenons parce qu’aucun parent, digne de son nom et de ses responsabilités, ne peut vouloir autre chose pour son enfant qu’un avenir meilleur. En les confiant à cette République en qui ils plaçaient leurs espoirs, ils ne pensaient pas renoncer à leur rôle de parents mais, au contraire, le remplir.

La réalité de la misère était un fait et ce sont ces conditions d’existence qui ont poussé ces familles à accepter que leurs enfants partent vivre une existence meilleure. En échange de cet éloignement, ils avaient obtenu la promesse que les liens avec leurs enfants ne seraient pas tranchés.

Mais n’aurait-il pas mieux valu lutter contre cette pauvreté et aider les familles, plutôt que de leur enlever leurs enfants ? Imagine-t-on aujourd’hui faire de même avec les familles pauvres de nos circonscriptions ? Non !

Mes chers collègues, il faut soutenir cette proposition de résolution. Parce que les « enfants de la Creuse », qu’ils aient été pupilles, enfants de la DDASS ou adoptés, nous rappellent à notre devoir de responsabilité. Parce que par cette page d’histoire que nous ne refusons pas d’écrire, que nous ne refusons plus de lire, nous engageons notre parole et une promesse. La promesse que la République donne à ses fils et à ses filles de les protéger, de veiller sur eux, mais jamais au prix d’une amnésie ni d’un mensonge.

Je soutiens cette résolution parce qu’elle ne nie en rien les liens affectifs qui ont pu se nouer et éventuellement prospérer entre familles d’accueil et enfants déplacés. Je la soutiens parce qu’elle veut réconcilier l’histoire de la République, celle de mon pays avec celle de ses enfants. Je la soutiens parce qu’elle reconnaît la responsabilité de l’État. Je la soutiens, mes chers collègues, parce que le futur de nos familles et de nos enfants dépend de notre capacité à regarder avec justesse nos erreurs passées.

Mes chers collègues, cinquante et un ans après les faits, nous choisissons enfin la vérité. Nous pouvons en être fiers.

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