Intervention de Michel Vergnier

Séance en hémicycle du 18 février 2014 à 15h00
Enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vergnier :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, le député de la Creuse que je suis s’adresse à vous avec beaucoup d’émotion.

Ces enfants ont été exilés, déracinés, parce qu’ils étaient issus d’une famille nombreuse pauvre ou parce qu’ils étaient orphelins, parce que la terre où ils voulaient grandir connaissait des difficultés économiques, parce que le chômage et l’ignorance leur étaient promis, parce que la tension politique était très forte sur l’île.

L’idée a germé d’envoyer des enfants vers d’autres terres de la métropole, à la démographie certes plus faible, mais à l’avenir tout aussi incertain. Des promesses ont été faites, des engagements ont été pris mais ni les promesses ni les engagements n’auront été tenus.

Ils ont atterri à des milliers de kilomètres de chez eux, apeurés, craintifs, découvrant des paysages qu’ils n’imaginaient pas et une rigueur climatique traumatisante. Seule la proximité qu’ils avaient entre eux les rassurait. Les foyers de l’enfance sont devenus leur nouvelle maison. Les grands consolaient les petits. Après le moment collectif est venu celui des familles d’accueil. Pour certains.

Je suis le député d’un département qui a accueilli 220 enfants ; je suis le maire d’une ville, Guéret, où habitent aujourd’hui nombre d’entre eux. Je les connais, je les fréquente, et je sais que les conditions ont été très diverses. Il y a même eu, m’a-t-on dit, des comportements individuels – sans doute rares – que personne ne peut comprendre ou excuser. Je les condamne sans réserve.

La Creuse n’avait rien demandé. Ces arrivées étaient très insuffisamment préparées. Même si ce département a joué un rôle administratif important, les moyens mis en place n’étaient pas à la hauteur de la mission qui lui a été arbitrairement confiée.

Le texte qui nous est proposé aujourd’hui par Ericka Bareigts permet d’inscrire dans l’histoire des faits que personne ne souhaite oublier, mais que personne ne veut non plus utiliser à d’autres fins que celles de la reconnaissance humaine et morale.

L’État doit assumer ses responsabilités. Il doit reconnaître sa responsabilité morale.

J’apporte sans réserve, de par ma fonction d’élu, le soutien total des habitants de mon département à cette résolution équilibrée et utile.

Je veux toutefois vous dire, chers amis de La Réunion, ce que ce moment douloureux de la vie de certains de vos enfants a apporté à la Creuse, au fil du temps. Chez nous, La Réunion vit au quotidien. Les enfants de l’exil se sont installés. Après avoir grandi, ils se sont intégrés, et nous les avons adoptés. Ils nous ont adoptés. Ils sont devenus des gens de chez nous.

Ils ont créé l’association Kreuzéol et, plusieurs fois dans l’année, nous avons vos produits, nous avons vos chants, nous avons vos danses. Le foyer de l’enfance est devenu l’espace créole. Nous avons vos senteurs et vos rires et surtout nous avons une affection partagée. Nos peaux se sont même mélangées.

Nous avons voulu, en plus, que cette histoire subie, contrainte, devienne une histoire utile, utile pour les jeunes d’aujourd’hui, les vôtres, les nôtres, petites Françaises et petits Français séparés par des milliers de kilomètres, mais qui ont tant à apprendre les uns des autres. Nos conseils généraux travaillent ensemble pour des formations réciproques, des échanges de stages, des rencontres.

Ni juges, ni amnésiques, nous voulons que nos départements si lointains et pourtant si proches continuent à transformer l’inacceptable en énergie positive. Un petit air de l’île de La Réunion vit en Creuse. Ce petit air aide à réchauffer un climat plus rude.

Si vous pouvez venir un jour, et je vous y invite, vous verrez ce que peut donner le mélange de nos coutumes et des vôtres, celui de nos spécialités. Ce que nous vivons à ces moments-là fleure bon les idéaux que nous défendons, les valeurs républicaines qui sont les nôtres, de liberté, d’égalité et de fraternité.

Nulle souffrance ne peut jamais s’oublier mais, avec le temps, elle s’atténue. Nous voulons prendre une part de la vôtre, mais je veux, pour les Creusois, vous dire le bonheur que nous avons de vivre au quotidien avec celles et ceux que ces événements ont conduits vers nous.

C’est avec beaucoup d’émotion que les 124 000 Creusois que je représente voteront par ma main cette résolution. Nous voulons que cette mémoire collective, comme toutes les mémoires d’ailleurs, ne s’éteigne jamais. Nous voulons aussi que cette appellation « enfants de la Creuse », ne marque pas notre département comme responsable d’une histoire dans laquelle il a été impliqué malgré lui.

Merci au gouvernement de François Mitterrand et à Henri Emmanuelli, présent ici aujourd’hui, d’avoir en 1982 supprimé ce bureau des migrations. Ce fut une belle décision qui fit honneur à la République. Je vous remercie.

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