Oui, mesdames et messieurs les responsables d’associations qui êtes là aujourd’hui, vous avez eu raison de faire connaître haut et fort l’histoire des pupilles réunionnais ayant été transférés en métropole des années 1960 aux années 1980. Oui, mesdames et messieurs les députés, vous avez raison de vous apprêter aujourd’hui à reconnaître officiellement cette histoire qui appartient à notre histoire à tous. C’est précisément un signe de réconciliation des Français, de tous les Français.
Cette histoire d’hommes et de femmes s’ancre dans celle de la protection de l’enfance. Elle renvoie à une période où l’on avait tendance à assimiler la pauvreté à l’incapacité à aimer et à élever ses enfants, une période où la logique de rupture avec la famille prévalait presque toujours sur l’accompagnement de ladite famille. L’île de la Réunion, particulièrement touchée par les difficultés économiques, a été victime de ce regard stigmatisant que les pouvoirs publics pouvaient poser sur les familles pauvres et démunies. Cette histoire, ce n’est pas seulement l’histoire de plus de 1 600 enfants ; c’est l’histoire de chacun d’entre eux, avec sa complexité et sa singularité.
Ces enfants ont vécu une double peine : celle de la sortie de leur famille et celle du déracinement, un déracinement aveugle qui ne prenait en compte ni les liens que l’enfant pouvait avoir avec son milieu d’origine, ni ses parents proches, ni les projets qu’il pourrait développer une fois en métropole, ni les difficultés qu’il aurait à braver. À cet égard, je m’étonne que M. Quentin ne puisse pas reconnaître avec vous tous que la migration ne pouvait que briser des pupilles déjà fragilisés par une situation familiale pénible.
Les histoires de ces enfants furent plus ou moins heureuses, plus ou moins malheureuses, plus ou moins douloureuses. À certains les violences institutionnelles, physiques, ou morales ; à d’autres des liens forts avec les familles qui les ont recueillis. À certains l’échec scolaire et professionnel, et la dépression provoquée par le traumatisme du déracinement ; à d’autres une forme d’ascension sociale. Quelle que fût leur destinée, néanmoins, ils ont tous subi une même souffrance : celle de ne connaître ni la complétude ni la reconnaissance de leur histoire personnelle.
Aujourd’hui, il s’agit de reconnaître ces histoires individuelles et de permettre à chacun d’inscrire sa propre trajectoire biographique dans une histoire commune. Il nous faut – et c’est non seulement la ministre de la famille qui s’exprime, mais aussi l’historienne – effectuer un véritable travail de mémoire, rigoureux et sérieux, à partir des archives, de toutes les archives, ainsi qu’un travail de réponse au plus près des demandes qui peuvent être formulées pour accéder à son histoire personnelle. Il faut admettre avec lucidité et courage la limite de cette conception traditionnelle de la protection de l’enfance, car ce n’est pas en arrachant des enfants à leur milieu d’origine qu’on leur assure un avenir meilleur, mais en soutenant, quand cela est possible, leur environnement familial pour éviter les ruptures.
Ce devoir de mémoire doit aujourd’hui être un enseignement pour nous tous. En tant que ministre de la famille, je veux que la reconnaissance de l’histoire des enfants réunionnais de la Creuse, de la Lozère, de l’Oise et des autres départements nous invite à assurer à chaque enfant qui a besoin d’être protégé le parcours le plus stable possible. Je veux que la reconnaissance de cette histoire nous invite à associer pleinement les enfants aux décisions qui les concernent, à les considérer comme de véritables sujets de droit dont la parole doit être entendue. Je veux aussi que cette histoire nous invite à penser la protection des enfants, non pas seulement pour les protéger contre un danger immédiat, mais aussi pour construire avec eux un projet. Je souhaite que leur histoire nous enseigne à quel point la connaissance de son histoire personnelle est nécessaire pour s’ancrer dans la vie et se projeter dans l’avenir.
Je sais combien les ruptures, le déracinement, l’éloignement et l’impossibilité d’accéder à son histoire ont pu entraver le développement des enfants réunionnais transférés en métropole. Je veux leur dire aujourd’hui que nous reconnaissons leur histoire, leur parcours, leurs douleurs, leurs souffrances. Je veux leur dire que l’État a envers eux une responsabilité morale. Je veux leur dire enfin combien il est important qu’ils puissent maîtriser leur histoire pour pouvoir aussi la transmettre.
Vous l’avez dit : un peuple sans mémoire est un peuple sans liberté. Un homme que l’on prive d’une part de sa mémoire est un homme que l’on ampute d’une part de sa liberté. En adoptant cette proposition de résolution, mesdames et messieurs les députés, vous rendrez à tous ces hommes et à toutes ces femmes leur dignité.