Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 18 février 2014 à 15h00
Travail : sous-traitance et lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Présentation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, nous sommes réunis aujourd’hui pour traiter d’une question de très grande importance pour notre pays, ses entreprises, ses salariés, ses territoires. Chaque parlementaire ici présent a sans doute déjà été interpellé à propos d’une situation de détachement illégal de travailleurs. Ce n’est l’apanage ni des villes, ni des campagnes, ni des chantiers de bâtiments et travaux publics, ni des exploitations agricoles ; c’est tout simplement un sujet majeur pour toute la société française et, de fait, pour toute l’Europe.

Prenez ces dépôts routiers où des chauffeurs venus des pays de l’Est croisent en permanence des chauffeurs français. Ils travaillent pour une même entreprise ou un même groupe, et pourtant leurs conditions d’emploi divergent en tous points. Les récits sont nombreux et les tensions souvent à leur comble. Les uns ont un contrat de travail de droit français – qu’ils soient ou non Français – et voient en face d’eux ceux qui menacent leur emploi. Les autres, qui ne cherchent bien légitimement qu’à améliorer leur sort, sont soumis à un régime qui ressemble souvent à la pire des surexploitations. Ces situations de concurrence déloyale sécrètent le poison de la détestation mutuelle.

Pour le Gouvernement, s’il convient d’agir, c’est pour protéger les travailleurs et les entreprises qui payent leurs cotisations et respectent le droit du travail ; mais c’est aussi pour protéger les travailleurs étrangers, qui ne sont pas coupables mais victimes de ces pratiques de travail illégal et de fraude au détachement. Faut-il rappeler que le droit français ne permet pas qu’un salarié travaille quarante-cinq heures par semaine pour trois euros de l’heure, dorme dans des hangars, n’ait pas accès à la médecine du travail ? Tout cela n’est pas négociable ! C’est l’honneur de notre pays que de protéger ceux qui travaillent sur son sol, quelle que soit leur nationalité. La France a patiemment construit son modèle social ; nul ne doit y déroger, ni le détruire par une concurrence déloyale.

Les déclarations de détachement des entreprises prestataires de service pour l’année 2012, et les premières estimations réalisées sur la base de ces déclarations pour l’année 2013, montrent une forte hausse du nombre de détachements de travailleurs en France. Il y a eu 60 000 déclarations en 2012 ; le nombre de 66 000 devrait être atteint en 2013. Il y en avait 38 000 en 2005. Une hausse de 10 % des détachements est constatée en 2013, après une hausse de 32 % en 2012. Ces détachements ont concerné 170 000 salariés en 2012 et sont évalués à 220 000 salariés en 2013.

Je voudrais résumer l’engagement et l’action du gouvernement en deux mots : ni dumping, ni exploitation. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous préférons la fermeture, ou que nous refusons la mobilité des travailleurs, qui est, comme l’a dit M. le rapporteur, un acquis de la construction européenne et l’une de ses libertés essentielles. Au contraire, le gouvernement français proclame aux travailleurs européens qu’ils sont les bienvenus dans l’économie française. Ils sont les bienvenus pour la croissance, mais dans le strict respect des conditions de notre modèle social. Le détachement licite a toute sa place en France, et notre pays en bénéficie d’ailleurs très largement, puisque les salariés français détachés en Europe sont nombreux. Nous sommes en effet le troisième pays de détachement.

Mais, au cours de ces dernières années, un certain nombre de pratiques déviantes se sont développées. Vous le savez, la lutte contre le travail illégal est un volet important de la politique que le Gouvernement conduit pour redresser notre pays et la compétitivité de notre économie. Elle est importante d’abord pour des raisons sociales, comme je viens de l’expliquer, mais aussi pour des raisons de justice et d’équité, parce que ces pratiques déviantes sont injustes pour l’ensemble des salariés et des entreprises qui paient leurs cotisations sociales.

Cette question n’est pas uniquement sociale. Le Gouvernement combat également le travail illégal pour des raisons économiques, car il met en péril des entreprises et des secteurs économiques entiers. Enfin, ce travail illégal entraîne une évasion fiscale et sociale qui est particulièrement inacceptable dans la période que nous vivons. Alors que nous appelons les Français à l’effort, personne ne doit s’en exempter. C’est pour cela que le Gouvernement s’est attaqué sans tarder à ces pratiques, et a dessiné une stratégie cohérente, divisée en trois volets complémentaires.

Tout d’abord, le premier volet est opérationnel. Il s’agit d’un véritable plan de lutte contre le travail illégal. Le Premier ministre a présenté lui-même ce plan le 27 novembre 2012. Il vise à s’attaquer aux fraudes les plus graves, à savoir le travail dissimulé, les fraudes au détachement, les opérations de sous-traitance en cascade, le recours aux faux statuts et aux étrangers sans titre. Pour chacune de ces situations, nous avons identifié des secteurs prioritaires. Parmi ces cas de fraudes, les plus complexes et les plus organisées constituent la priorité du Gouvernement : je pense par exemple aux opérations de fausse sous-traitance ou de fausse prestation de service internationale, qui se développent et prennent des formes multiples liées à la mondialisation. Ces opérations constituent un réel danger pour nos salariés et notre économie. Il est donc indispensable d’agir pour les combattre.

Nous avons défini une méthode transversale parce que ce problème ne concerne pas seulement l’inspection du travail, mais aussi les URSSAF, les forces de l’ordre et les services fiscaux. Sur ce point, nous avons consolidé nos acquis grâce à des formations inter-services et à une animation régionale par la Direction générale du travail, et grâce à la mise en place de groupes de travail d’experts, notamment sur les opérations complexes. Les fraudes ignorent les périmètres respectifs des services de contrôle : c’est pourquoi nous voulons relever le défi d’une plus grande cohérence de l’action collective.

Cohérence entre les champs d’action, je l’ai dit ; cohérence territoriale, aussi. En 2013, nous avons mis en place, partout, une démarche territoriale plus structurée, en demandant aux préfets de région d’élaborer un plan régional de lutte contre le travail illégal à partir d’un diagnostic préalable partagé par tous les acteurs. Il est encore un peu tôt pour faire le bilan de ces plans régionaux, mais sachez que d’après les premières appréciations sur le terrain, ils ont permis de coordonner efficacement cette mobilisation.

Les situations exceptionnelles que je viens d’évoquer, qui ont parfois même un caractère mafieux, ne recouvrent pas l’ensemble du travail illégal. Le deuxième axe du plan de lutte est donc la prévention du travail illégal, en association avec les partenaires sociaux. En effet, la lutte contre les fraudes ne relève pas seulement de la responsabilité des pouvoirs publics ; les organisations professionnelles et les syndicats de salariés ont leur rôle à jouer, chacun dans leur domaine, mais de façon concertée. Plusieurs professions ont accepté de s’engager dans cette voie, au moyen de conventions de partenariat conclues entre organisations patronales, organisations syndicales et pouvoirs publics. Je pense par exemple au secteur du déménagement, à celui de la sécurité, ou encore à l’agriculture. Dans ce dernier secteur, une convention sera prochainement signée par toutes les parties. D’autres conventions suivront.

À ce tableau, il faut ajouter un dernier point : la réforme de l’inspection du travail. Vous connaissez cette réforme, puisque vous en avez débattu dans cet hémicycle il y a quelques jours lors de l’examen du projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale. Michel Sapin est en ce moment même retenu au Sénat par l’examen de ce projet de loi, ce qui me vaut le plaisir d’être avec vous aujourd’hui.

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