Sachez que cette réforme, que vous connaissez bien, prévoit notamment la création d’unités régionales de contrôle sur le travail illégal, qui sont pluridisciplinaires. Elle prévoit aussi la création d’une petite cellule nationale, en lien avec les autres services d’inspection européens. Ces nouvelles entités seront capables de remonter, à travers toute la cascade des sous-traitants, jusqu’aux maîtres d’ouvrage et aux donneurs d’ordres. C’est ainsi que nous renforcerons l’efficacité de notre action. La mise en place du cadre est une étape essentielle. Nous sommes attendus sur le terrain pour contrôler, protéger et sanctionner.
Comme vous le savez, l’action contre le détachement illégal dépasse notre seul pays : c’est un problème européen. C’est pourquoi le chef de l’État et le chef du Gouvernement ont véritablement bataillé à Bruxelles pour emporter un accord sur la directive d’application de la directive sur le détachement des travailleurs. Cette question peut paraître technique, et pourtant la bataille menée par Michel Sapin le 25 octobre dernier, au nom du Gouvernement, a été réellement politique. Il est parvenu à éviter un mauvais compromis, et à arracher un accord positif le 9 décembre dernier. Cet accord est positif car il permet de renforcer le contrôle des règles de détachement ; il permet de lutter plus efficacement contre le dumping social. La France a défendu, avec l’Allemagne, une ligne exigeante et ferme. Elle a réussi à entraîner à sa suite d’autres pays : l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Bulgarie, la Roumanie et la Slovénie. Tout cela, en restant cependant à l’écoute des attentes des partenaires sociaux européens, qui sont fortes.
L’accord trouvé le 9 décembre 2013 permet deux avancées majeures. D’abord, la liste des documents exigibles auprès des entreprises en cas de contrôle sera désormais ouverte. Cela signifie que le législateur français pourra fixer cette liste, pour tous les travailleurs détachés en France. La directive d’application permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus. Pour renforcer la sécurité juridique de ce nouveau cadre, la Commission et les autres États devront être informés des documents exigibles dans chacun des pays concernés.
Deuxième avancée majeure : désormais, les entreprises donneuses d’ordres devront véritablement prendre leurs responsabilités vis-à-vis de leurs sous-traitants, sous la forme d’une responsabilité solidaire, ou, le cas échéant, via un mécanisme équivalent de sanction du donneur d’ordres. Cela signifie qu’il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilité pour lutter efficacement contre les montages frauduleux. Cette directive protégera donc les travailleurs détachés comme les travailleurs nationaux en les prémunissant chacun contre les procédés déloyaux.
Mesdames et messieurs les députés, l’Europe est parfois décevante, mais elle sait aussi parfois être au rendez-vous. Elle sait parfois avoir une ambition sociale et tourner un peu le dos au triste projet de directive dit « directive Bolkenstein ». La France continuera dans cette voie : je crois que cela fait largement consensus parmi vous. Le Parlement européen s’est désormais emparé de la proposition de directive, avec la volonté de l’améliorer encore. Le « trilogue » entre les instances européennes est engagé. Quatre réunions ont eu lieu au mois de janvier ; une réunion décisive a lieu aujourd’hui même. Les parlementaires européens veulent aller vite, tant l’enjeu est important. Au cours des années à venir, nous devrons sans doute renforcer encore plus la coopération européenne sur ce sujet.
Mais le plan national de lutte contre le travail illégal, la réforme de l’inspection du travail et la directive européenne ne suffisent pas. Nous devons aller plus loin : c’est l’objet de l’excellente proposition de loi présentée par Gilles Savary et les membres du groupe socialiste. Il faut aller plus loin, comme vous le proposez, il faut aller jusqu’au bout de la démarche, c’est-à-dire atteindre la tête des réseaux : les maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordres, qui doivent être responsabilisés davantage. Tel est l’enjeu : notre législation doit être améliorée pour anticiper sur la transposition de la future directive d’application.
C’est l’objet de votre proposition de loi qui contient des mesures préventives et répressives pour lutter avec efficacité contre le dumping, la concurrence déloyale et les abus de la sous-traitance. Le Gouvernement vous soutient, évidemment, car il nous faut des armes supplémentaires.
Notre arsenal juridique doit être complété en plusieurs points. D’abord, comme je l’ai dit, il convient de renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, que leur lien avec les sous-traitants soit direct ou indirect. Votre proposition apporte des réponses convaincantes sur ce point. Il convient aussi de permettre davantage aux organisations professionnelles et syndicales d’agir quand elles ont connaissance de situations inacceptables. Enfin, il faut renforcer les sanctions contre les auteurs de ces pratiques déviantes ; cela signifie que notre administration doit pouvoir s’opposer plus facilement à certaines situations de travail illégal.
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Grâce à votre vote, « responsabilité » sera le maître mot en matière de détachement des travailleurs. Monsieur le rapporteur, au nom de Michel Sapin, mais aussi en mon nom propre et au nom de tout le Gouvernement, je tiens à vous remercier pour votre investissement et votre connaissance des entreprises et des rouages de l’Union européenne, qui vous ont permis d’élaborer rapidement la proposition de loi que nous examinons actuellement. Je remercie également Chantal Guittet et Michel Piron, dont je sais qu’ils ont beaucoup travaillé sur le détachement des travailleurs.