Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les présidentes des commissions, monsieur le rapporteur, chers collègues, si le détachement des travailleurs est aujourd’hui détourné, son principe, lui, n’est pas contesté : il doit permettre aux États de faire face, temporairement, à un besoin de main-d’oeuvre dans un domaine particulier.
De fait, ces échanges doivent être enrichissants. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, de nombreux Français exercent temporairement un emploi à l’étranger : la France est un pays qui détache beaucoup de travailleurs.
Nous sommes tous, ici, favorables à la libre circulation et pleinement conscients de ce que l’immigration du travail apporte à la France, notamment à son économie. Aussi n’est-il pas question de remettre en cause la libre circulation des travailleurs, mais de lui redonner son sens originel : celui d’un échange de compétences, source de prospérité pour les salariés et de croissance pour les États.
Nous devons défendre une application juste et rigoureuse du droit européen en matière de détachement des travailleurs. Le traité de Rome mentionnait déjà que les États membres convenaient de la nécessité de promouvoir des conditions de vie et de travail de la main-d’oeuvre permettant un certain progrès. Il est donc urgent de lutter contre les abus qui portent atteinte à la légitimité du détachement des travailleurs. Je me félicite que le groupe socialiste soit à l’origine de cette initiative forte, et qu’elle provient de la commission des affaires européennes.
Ainsi, comme l’a bien expliqué notre collègue Gilles Savary, cette proposition de loi propose de « resserrer les mailles du filet » en imposant un certain nombre de dispositions préventives et coercitives, comme le principe de la double déclaration du travailleur détaché par le donneur d’ordre qui a fait appel à un prestataire. Pour qu’il soit réellement efficace, ce principe devrait d’ailleurs s’appliquer à toutes les entreprises.
Sur le terrain, nous le ressentons, nos compatriotes expriment une défiance profonde à l’égard de l’Europe et des principes qui la fondent, au premier rang desquels la libre circulation des travailleurs. Dans un contexte de crise, ils expriment la crainte d’une captation de leurs emplois et de la paupérisation qui pourrait en découler. Comment ne pas être choqué de voir que des abattoirs bretons, victimes de la concurrence déloyale, suppriment neuf cents emplois pour, finalement, embaucher trois cents salariés venus des pays de l’Est ?
Les conditions d’emploi des travailleurs détachés s’apparentent, parfois, à une forme d’esclavage moderne : salaires impayés, absence de protection sociale, dangerosité des postes occupés, hébergement de fortune. Les fraudes passent également par des montages sophistiqués dans plusieurs pays. Nos entreprises sont incitées à suivre le mouvement pour rester concurrentielles ; elles sont encouragées à le faire par une impunité quasiment garantie par les failles du dispositif communautaire.
Comment résister, lorsque vous recevez chaque jour, par internet, des dizaines d’offres alléchantes, qui vous proposent des travailleurs expérimentés 30 % moins chers que des Français ? Les entreprises qui font appel à ces prestations sont plus ou moins consciemment complices d’un système de traite des travailleurs.
L’absence de procédures de contrôle réellement efficaces contribue ainsi à banaliser la fraude et le recours abusif au détachement. Très souvent, le droit social français n’est pas respecté : les entreprises et les collectivités territoriales préfèrent la politique de l’autruche et l’accroissement des marges au respect des travailleurs.
Les avancées permises par cette ambitieuse proposition de loi sont nombreuses. Elles permettront de rendre effectifs les contrôles de notre administration, méritante mais aujourd’hui souvent dépassée, et inciteront les donneurs d’ordre à ne plus pratiquer la politique de l’autruche.
Mais il est encore possible d’aller plus loin, dans le respect des règles européennes. Par exemple, nous devrons, à l’avenir, comme cela est prévu par la future directive « marchés publics », permettre aux pouvoirs adjudicateurs de rejeter les offres « anormalement basses » car résultant d’une violation de la législation.
Nous ne pouvons pas accepter que certaines entreprises étrangères obtiennent des marchés publics en proposant des prix dont nous savons pertinemment qu’ils défient toute concurrence parce qu’ils ne respectent pas la loi. De la même manière, nous pourrions réfléchir à imposer des clauses de responsabilité sociale d’entreprise dans les cahiers des charges de prestations, le non-respect de ces clauses entraînant une rupture du contrat.
Si nous ne luttons pas pour le respect de ces règles et contre les abus de faiblesse, la libre circulation des travailleurs sera de plus en plus contestée par nos concitoyens. C’est le socle des valeurs sur lequel est fondée la construction européenne qui sera atteint.
Si nous ne souhaitons pas voir remis en cause ce projet européen, nous devons accepter des règles et faire que les Européens bâtissent une maison commune et ne se détruisent pas les uns les autres. Tel est le message que la France, en se faisant, depuis toujours, « champion d’une Europe unie » – comme le disait Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950 –, adresse aujourd’hui à l’Europe.