Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer le travail de nos collègues, Chantal Guittet et Gilles Savary, qui, au mois de juin dernier, présentaient, conjointement avec Michel Piron, un rapport d’information au nom de notre commission des affaires européennes, rapport clairvoyant sur les dérives liées à l’application de la directive concernant le détachement des travailleurs.
Ce rapport avait abouti à l’adoption d’une résolution européenne par notre assemblée, après son examen par la commission des affaires sociales. Je veux souligner ici la solidarité entre nos deux commissions, qui a permis, me semble-t-il, d’aboutir à ce beau travail que nous allons, j’espère, finaliser aujourd’hui.
En effet, cette directive « Bolkestein » s’est révélée un véritable cheval de Troie social en conduisant à la création d’une catégorie de travailleurs « low cost », qui sont, en somme, les nouveaux « damnés de la terre ». Nos collègues ont formulé des propositions ambitieuses qui ont posé les bases de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et sur laquelle notre commission a souhaité se saisir pour observations.
En décembre dernier, nous avions déjà évoqué cette question dans ce même hémicycle, dans le cadre d’une semaine de contrôle. Quelques jours plus tard, M. le ministre du travail réussissait à réunir une majorité au sein du Conseil des ministres de l’Union sur deux sujets majeurs : d’une part – et c’est fondamental –, la liste de documents qui peuvent être réclamés par un État et son administration de contrôle doit demeurer ouverte ; d’autre part, le principe d’une responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre pour les fraudes relevant de ses sous-traitants était établi au niveau européen dans le secteur du BTP – mais les secteurs de l’agriculture et des transports n’étaient pas concernés.
Il s’agit certes de deux avancées majeures. Pour autant, le processus de négociation aujourd’hui engagé à Bruxelles a du mal à aboutir. Faut-il donc continuer à rester impuissants face au dumping social ? Non, si nous avons foi en l’Europe.
Or, j’ai foi en l’Europe et en sa capacité de mettre en oeuvre des politiques au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens européens. J’ai foi en la dimension sociale des politiques européennes et en sa capacité à prendre le pas sur la seule dimension économique ; elle lui a été jusque-là largement subordonnée, amplifiant la récession et favorisant de la part de nos concitoyens l’euroscepticisme et le « désamour » de l’Europe.
Mais ma foi n’est pas aveugle, et il est clair que lorsque l’urgence le dicte, nous avons le devoir, au niveau national, de prendre les mesures législatives qui s’imposent, à titre « conservatoire », en attendant que le processus législatif de l’Union puisse aboutir. C’est l’objet de la présente proposition de loi. C’est l’honneur de notre assemblée.
La prospérité de l’Europe peut-elle s’accommoder du recours à des formes d’esclavage moderne ? Comme les orateurs précédents, je ne veux pas le croire. Il faut d’ailleurs nous interroger sur la nécessité d’élargir ce principe de responsabilité au-delà des frontières de l’Union ; nous l’avons évoquée lors de l’examen de la loi sur le développement, et nous aurons sans nul doute l’occasion d’en débattre à nouveau.
Mais j’en reviens à la présente proposition de loi. Deux points doivent particulièrement attirer notre attention. En premier lieu, la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d’ordre qui, contrairement au texte européen, ne se limite plus au seul secteur du bâtiment mais est étendue à l’ensemble des secteurs d’activité.
Grâce au travail en commission des affaires sociales – à laquelle je rends à nouveau hommage –, elle concerne l’ensemble des dispositions relatives à l’exécution du contrat de travail – respect du temps de travail, des repos compensateurs, ou de l’exercice du droit de grève – conformément au droit européen, qui impose le respect d’un socle minimal de droits.
En second lieu, une liste noire sera créée. Les noms et les coordonnées des prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal – travail dissimulé, marchandage, prêt illicite de main-d’oeuvre, emploi d’étrangers sans titre de travail… – seront rendus publics pour une durée d’une année à compter du jugement définitif. Cette liste n’aura, certes, qu’un caractère informatif. Néanmoins, je pense qu’elle aura un rôle préventif et dissuasif. En résumé, nous suivons une logique de « carotte et bâton », car vous savez bien qu’il faut les deux pour que cela fonctionne !
Je salue également les différentes mesures qui visent à améliorer les conditions de contrôle des inspecteurs du travail, souvent démunis face à la délinquance protéiforme des fraudeurs au détachement.
En conclusion, je souhaiterais souligner que cette proposition de loi, et son cheminement, depuis le rapport d’information de notre commission, montrent de manière tangible comment peut agir le Parlement en matière européenne, en étant à l’écoute des préoccupations concrètes de nos concitoyens, dans un dialogue actif avec le Gouvernement et nos partenaires de l’Union. Elle va dans le sens de la responsabilité et de la solidarité ; je la soutiens donc avec enthousiasme.