Intervention de Laurent Grandguillaume

Séance en hémicycle du 19 février 2014 à 15h00
Comptes bancaires inactifs et contrats d'assurance-vie en déshérence — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Grandguillaume :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, la situation actuelle des avoirs bancaires inactifs, puis en déshérence, ainsi que des contrats d’assurance-vie non réclamés, soulève de réels enjeux de protection des épargnants, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport de juillet dernier, que vous aviez commandé, monsieur Eckert.

Nombreux sont ceux qui, dans le domaine de la finance, s’inspirent d’Adam Smith, qui disait qu’on n’attend pas son dîner de la bienveillance du boucher, du marchand de vin ou du boulanger, mais de la considération qu’ils ont de leur propre intérêt et qu’on ne s’adresse pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. Cela est bien vrai, et c’est pourquoi il faut réguler et maîtriser la finance. En la matière, cette proposition de loi va dans le bon sens, puisqu’elle fixe un cadre, alors qu’à l’heure actuelle, la seule obligation légale à la charge des banques concernant les avoirs bancaires en déshérence est leur reversement à l’État au terme de la prescription trentenaire. Le code monétaire et financier ne comprend, quant à lui, aucune obligation particulière concernant les comptes inactifs, c’est-à-dire non mouvementés à l’initiative du client et pour lesquels ce dernier ne s’est pas manifesté. Les banques n’ont ainsi aucune obligation de rechercher si les titulaires des comptes ouverts dans leurs livres sont décédés.

Avec vous, monsieur le ministre, nous avons fait avancer la question de la mobilité bancaire, mais il a fallu en passer par la loi. Nous attendons avec impatience le rapport du Gouvernement sur la portabilité bancaire pour graver dans le marbre ce principe d’une concurrence libre et non faussée, parfois défendu par certains, et qui s’appliquerait désormais également aux banques. C’est une bonne chose, car cela permettra de diminuer les coûts pour le consommateur.

Le montant des encours concernés par le texte a été évalué à près de 4 milliards d’euros par la Cour des comptes : plus de 1,2 milliard d’euros pour les comptes bancaires et plus de 2,7 milliards d’euros pour les contrats d’assurance-vie et de capitalisation non réclamés. La gestion de ces avoirs soulève principalement des enjeux de protection des épargnants, mais aussi, plus généralement, des problèmes déontologiques tenant à la conservation, dans le bilan des établissements, de sommes non réclamées. L’application de frais de gestion annuels sur les comptes courants inactifs pendant plusieurs années, voire jusqu’au terme de la prescription trentenaire, peut conduire la banque à prélever une partie importante des sommes inactives, et parfois même la totalité de ces sommes lorsque leur montant est réduit.

Dans le cas d’une grande banque de détail, les frais de gestion représentaient ainsi, pour la période 2010-2012, entre 59 et 71 %, selon les années, des sommes versées à l’État au titre des comptes à vue et d’épargne prescrits. Cette situation peut expliquer que les établissements financiers n’aient jamais manifesté d’intérêt pour une clarification du cadre juridique concernant les comptes inactifs.

Il faut souligner également la faiblesse des montants reversés à l’État au terme du délai de la déchéance trentenaire, qui se limitent à 50 millions d’euros en moyenne en 2011 et 2012, ce qui est peu au regard des sommes en jeu. C’est pourquoi cette proposition de loi est courageuse et réaliste. Elle tend à renforcer la protection du droit de propriété des épargnants et la protection des intérêts financiers de l’État, à qui les fonds doivent être retournés s’ils n’ont fait l’objet d’aucune réclamation pendant trente ans.

L’article 1er définit les comptes inactifs et dispose que les établissements seront désormais tenus de rechercher les titulaires de comptes décédés par le biais d’une consultation annuelle du répertoire national d’identification des personnes physiques. Ils devront également publier chaque année le nombre et l’encours des contrats inactifs maintenus dans leurs livres et assurer la conservation des informations relatives à ces comptes. Les frais de gestion seront plafonnés, comme dans d’autres domaines, de manière à garantir les droits des ayants droit sur le capital conservé ou, en leur absence, de l’État.

Cette proposition de loi confie par ailleurs la gestion de long terme des comptes inactifs à la Caisse des dépôts et consignations, ce qui est une très bonne chose. Ce transfert devrait avoir lieu dans un délai de deux ans suivant le décès du titulaire du compte ou à l’issue d’un délai de dix ans suivant le début de la période d’inactivité du compte.

La commission des finances a par ailleurs adopté plusieurs amendements qui enrichissent encore ce texte. Un amendement du rapporteur général à l’article 13 repousse au 1er janvier 2016 l’entrée en vigueur de cette proposition de loi, de manière à laisser aux établissements bancaires et aux assureurs un délai raisonnable. C’est une bonne chose, car cela prouve que l’objectif est bien d’assurer la protection des consommateurs, mais en prenant le temps de rendre le dispositif efficace en mesurant toutes les conséquences de sa mise en oeuvre.

Un autre amendement prévoit d’appliquer également aux comptes sur livret un régime dérogatoire, consistant à étendre à cinq ans le délai requis pour qualifier de tels comptes d’inactifs. Enfin, un amendement à l’article 7 bis limite les dispositions introduites par cet article aux seuls contrats d’assurance-vie comportant une clause bénéficiaire, qui respecte strictement le mandat donné au notaire, toujours dans un souci de respect et de garantie des droits de l’épargnant.

La proposition de loi du rapporteur général tend donc à renforcer la protection des épargnants en matière d’avoirs bancaires non réclamés, elle met en place un nouveau cadre juridique concernant les comptes bancaires inactifs et elle définit ce terme. Enfin, elle fixe des obligations à la charge des banques, notamment pour informer et reprendre contact avec le client. J’espère, monsieur le ministre, que ce texte annonce d’autres réformes importantes, notamment en matière de portabilité bancaire.

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