Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi dont vous allez à nouveau débattre est essentielle et moderne. Elle assurera la vitalité de toute une filière : celle du livre. En effet, vous le savez, auteurs, éditeurs et libraires se sont rassemblés derrière ce texte qui leur permettra de faire face à un même enjeu, celui de la transition numérique de l’économie du livre. C’est un beau symbole que cette tradition de solidarité interprofessionnelle entre les acteurs de la chaîne du livre ; c’est aussi un beau symbole que le consensus que vous avez d’ores et déjà su trouver entre la majorité et l’opposition sur cette question.
La première disposition qui est présentée à votre examen est le fruit de l’initiative du rapporteur, Christian Kert, qui a su susciter l’assentiment de la majorité et même correspondre à la volonté du Gouvernement que j’avais moi-même exprimée lors des Rencontres de la librairie indépendante de Bordeaux, en juin dernier. Il s’agit de revenir à l’esprit de la loi sur le prix unique du livre en évitant qu’elle soit détournée, contournée par les acteurs de l’internet en ce qui concerne la vente à distance des livres imprimés. J’avais alors eu l’occasion de redire à quel point la loi sur le prix unique du livre est essentiel à la vitalité du secteur du livre et, plus globalement, de tout le secteur culturel en France. Je sais, mesdames, messieurs les députés, que vous y êtes, vous aussi, attachés. C’est une loi d’égalité qui prévoit qu’en ce qui concerne le produit culturel si spécifique qu’est le livre imprimé, les lecteurs ne doivent pas être soumis au choix tarifaire de tel ou tel distributeur, mais se voir proposer le même prix partout en France, fixé par les éditeurs.
La loi sur le prix unique du livre a été efficace puisqu’on peut se féliciter qu’elle ait permis de préserver un réseau de libraires – 3 000 libraires – et la diversité éditoriale, faisant ainsi émerger chaque année de nouveaux auteurs. À cet égard, on peut aussi se féliciter, par exemple, de la fécondité des rentrées littéraires.
La loi sur le prix unique du livre est aussi une loi de concurrence. En effet, elle ne relève pas de l’économie administrée puisque le prix est fixé par l’éditeur. Elle ne s’est d’ailleurs pas traduite par une augmentation du prix des livres supérieure à celle constatée dans d’autres pays. Elle a permis, en créant les conditions d’une concurrence équitable, la coexistence de canaux de diffusion diversifiés : les libraires indépendantes, bien entendu, qui sont notre priorité, mais aussi les chaînes spécialisées et les chaînes de grande distribution.
Aujourd’hui, de nombreux pays ont emboîté le pas de la France concernant le prix unique du livre, et beaucoup nous envient la diversité de notre réseau et le dense maillage de nos librairies dans tous nos territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux, chacun d’entre eux, avec ses particularités, ayant une librairie, avec son âme.
Nous l’avions évoqué ensemble lors du premier examen de la proposition de loi, la pratique systématique de la livraison gratuite à domicile, dès le premier euro, par certains opérateurs spécialisés dans la vente à distance, quand elle est conjuguée avec l’application systématique du rabais de 5 % autorisé par la loi, constitue un risque pour l’équilibre fragile de l’écosystème du livre. Cette pratique représente une prestation supplémentaire que tous les détaillants ne peuvent évidemment pas se permettre d’offrir, notamment les libraires indépendants, surtout qu’ils se comportent, eux, d’une manière civique au regard de la législation fiscale, qu’ils payent leurs impôts en France, étant des acteurs territorialisés, au contraire de certains grands groupes multinationaux de l’internet – vous voyez à qui je fais allusion. Ces derniers, eux, adoptent des stratégies d’optimisation fiscale. On le sait bien, dans un marché global du livre qui a régressé – entre 1 % et 2 % en 2013 –, le secteur de la vente en ligne est le seul qui progresse, avec 5 % de hausse l’année dernière ; ce comportement de prédation se développe donc au détriment de l’ensemble des autres acteurs et de la filière en général.
La proposition de loi a donc pour objet d’en revenir à la philosophie initiale de la loi du 10 août 1981 en interdisant le cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port lorsque le détaillant fait livrer son panier au particulier. J’insiste sur ce dernier mot car je veux préciser un point, ayant lu ici ou là des choses fausses : ce texte ne modifie en rien le dispositif spécifique de la loi de 1981 pour les collectivités locales lorsqu’elles acquièrent des livres pour les bibliothèques ou les écoles ; il ne concernera donc que les particuliers.
Lors de son examen au Sénat, il y a eu une double modification de la proposition de loi.
La première a consisté à préciser que le service de livraison ne pouvait être gratuit. Une telle précision est utile. Mme Bariza Khiari, la rapporteure au Sénat, a expliqué que cela permettra de supprimer un argument marketing, celui du zéro frais de port, et donc aux acheteurs de prendre conscience que le service qui leur est fourni, même pour un petit colis, a un coût pour l’ensemble des détaillants de la vente en ligne mais aussi pour toute la filière. Il faut le faire comprendre, sachant les difficultés que connaissent nos librairies indépendantes. Cette modification introduite par la rapporteure permet aussi, assez subtilement, de mettre un terme à la notion de gratuité sans pour autant tomber dans les écueils de la facturation au prix coûtant de la prestation de livraison. Cette hypothèse avait été envisagée, mais cela aboutirait à favoriser les plus gros car ils pourraient négocier des coûts de prestation plus bas.
La seconde modification adoptée au Sénat a consisté à différer de trois mois l’entrée en vigueur du dispositif pour donner aux opérateurs le délai d’adaptation nécessaire, s’agissant notamment de leur logiciel de facturation. Je vous proposerai, par voie d’amendement, de revenir sur ce délai de mise en oeuvre car un autre délai, un peu plus long, s’impose à nous, lié à la directive 9834 de la Commission européenne prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information. Les dispositions de l’article 1er adoptées par l’Assemblée nationale et modifiées au Sénat en première lecture constituent des règles techniques qui, en application de cette directive, doivent, préalablement à leur adoption, faire l’objet d’une procédure de notification à la Commission européenne ainsi qu’aux autres États membres. La notification a donc été faite juste après le passage au Sénat, tout à fait dans les temps. Néanmoins, il nous faut supprimer le délai de trois mois introduit par voie d’amendement au Sénat. En raison de l’importance de ce texte et de l’unanimité que la représentation nationale a manifesté à son égard, mais aussi et surtout du risque que les acteurs économiques concernés attaquent notre dispositif devant les tribunaux, le Gouvernement se doit de conférer la plus grande sécurité juridique à l’ensemble du dispositif.
C’est pourquoi il a donc été procédé à sa notification, conformément aux dispositions de la directive, ouvrant une période de trois mois qui pourrait être prolongée de trois mois supplémentaires si la Commission européenne émettait un avis circonstancié au terme du premier délai, avant que le texte ne soit définitivement adopté. Aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le non-respect de cette période dite de statu quo entraînerait l’inapplicabilité de ce texte. Nous nous retrouverions alors dans une situation paradoxale puisque la volonté unanime de la représentation nationale ne serait d’aucune conséquence, tout juge saisi de l’application de cette loi devant en écarter tout effet utile, uniquement pour des raisons de procédure. Il faudrait alors voter une nouvelle loi dans les mêmes termes, avec une navette entièrement recommencée. Une telle situation n’est évidemment pas envisageable. C’est la raison pour laquelle je vous propose de supprimer le délai de trois mois, devenu inutile, et que la navette actuelle se poursuive au Sénat afin que le texte puisse être adopté dans le courant de cette année. Nous pourrons ainsi envisager son adoption définitive en avril, si la Commission européenne rend son avis dans les trois mois, ou au plus tard au tout début de l’automne si elle demande trois mois supplémentaires.
Étant donné l’unanimité qui a présidé aux travaux parlementaires dans les deux chambres, on peut considérer que cette proposition de loi a été co-construite dans un bel ensemble assez inédit puisqu’il s’agit d’une co-construction entre non seulement la majorité parlementaire et l’exécutif, mais aussi entre l’opposition, la majorité et l’exécutif. Nous ne pouvons tous que nous en féliciter. Nous avons évidemment tous à coeur de voir la nouvelle régulation entrer en vigueur le plus rapidement possible, mais nous sommes tous aussi extrêmement vigilants car nous connaissons l’ardeur procédurière de certains de ses opposants. Aussi, je vous demande de consolider le plus fortement possible notre texte.
Enfin, j’insiste sur un point : si le passage au Sénat a eu pour conséquence de déclencher des délais procéduraux vis-à-vis de Bruxelles, plus important encore a été le vote des sénateurs en faveur de l’article 2, qui habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives aux contrats d’édition.
Comme vous le savez, les représentants des auteurs et les représentants des éditeurs négociaient depuis des années sans parvenir à un accord. Sous l’autorité du professeur Pierre Sirinelli, auquel j’avais demandé de lancer un processus de médiation, ils sont parvenus le 21 mars dernier à la signature d’un accord-cadre détaillant les modifications qu’il conviendrait d’apporter aux dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition, afin d’offrir un cadre sécurisé pour la circulation numérique des livres. C’est ce que je vous propose dans l’article 2.
Par le biais de leurs représentants, les auteurs et les éditeurs, de manière unanime, ont dégagé trois séries de règles nouvelles qui réforment le contrat d’édition datant de 1957, et que je vais vous détailler car il s’agit d’une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance.
La première série de règles est applicable à l’ensemble des contrats d’édition. L’accord de mars modifie la notion de contrat d’édition en disposant expressément qu’il couvre désormais, dans des parties distinctes, à la fois l’édition papier et l’édition numérique.
Les professionnels se sont entendus pour préciser ce qui constitue l’obligation de reddition de comptes qui pèse sur l’éditeur et pour définir les cas où auteurs et éditeurs peuvent mettre fin au contrat sur la base d’un constat de défaut d’activité économique. Ces dispositions sont vraiment protectrices pour les auteurs.
La deuxième série de règles, là encore unanimement approuvée par auteurs et éditeurs, est spécifique à l’exploitation imprimée. Désormais, l’éditeur pourra connaître avec précision l’étendue de son obligation d’exploitation permanente et suivie de diffusion commerciale, alors que, de son côté, l’auteur verra simplifier la procédure de résiliation de son contrat – nombreux sont les auteurs qui la jugent actuellement beaucoup trop coûteuse et incertaine.
La troisième et dernière catégorie de règles est particulière à l’exploitation numérique. Il s’agit des modalités de rémunération des auteurs : une commission paritaire chargée de rendre des avis sur les cas litigieux sera mise en place, avec une clause de réexamen régulier des modalités de cession des droits d’exploitation numérique, ce qui permettra de les adapter à l’évolution des modèles économiques de diffusion numérique.
Avec ces trois ensembles de dispositions, les professionnels ont su aboutir à un équilibre extrêmement précis et subtil. Il permet de conforter la capacité des acteurs traditionnels de l’édition à s’adapter au nouvel environnement numérique et surtout de renforcer les droits des auteurs dans ce contexte, en leur garantissant des procédures plus simples et plus lisibles en ce qui concerne tant les ruptures de contrats que la reddition des comptes ou les niveaux de rémunération.
C’est donc une très belle avancée que cet accord historique signé entre les éditeurs et les auteurs le 21 mars dernier. C’est cet accord qu’il nous faut transcrire en termes législatifs. Je connais la sensibilité du Parlement quand il s’agit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances, et j’y suis moi-même évidemment très sensible. Néanmoins, je crois que nous pouvons faire confiance aux représentants des éditeurs et aux représentants des auteurs qui ont adopté cet accord de manière unanime.