Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il en a fait du chemin, ce texte, depuis que Christian Jacob, au nom du groupe UMP, l’a déposé en juin 2013 !
Notre proposition de loi a été discutée en première lecture dans le cadre d’une séance d’initiative parlementaire, puis adoptée par l’Assemblée nationale le 3 octobre 2013 et, vous le disiez, madame la ministre, enrichie par le Sénat, qui l’a adoptée le 8 janvier dernier.
Avant d’évoquer l’analyse qu’a pu faire notre commission de ce texte, permettez-moi d’en souligner le caractère très consensuel : adopté par l’Assemblée nationale, puis à l’unanimité par le Sénat, il a fait l’objet, ce qui est rare s’agissant d’une proposition de loi émanant de l’opposition, d’amendements gouvernementaux.
En tant que rapporteur, je me sens autorisé à me réjouir de ce large consensus sur tous les bancs, qui prouve notre volonté de servir le livre, de préserver la diversité de la création et le maintien d’un réseau dense de libraires indépendants sur tout le territoire.
Ce texte doit en effet permettre de rétablir des conditions de concurrence un peu moins déloyales entre les libraires et les grandes plateformes de vente de livres en ligne.
Le Sénat a donc retravaillé le corps originel de notre proposition de loi avec l’article 1er et, dans un deuxième temps, il a créé un nouvel article en répondant à votre demande, madame la ministre, d’acter législativement l’accord-cadre sur le contrat d’édition.
De fait, ce texte nous revient avec deux articles sur lesquels je souhaiterais, au nom de la commission, revenir brièvement.
L’article 1er, dont la rédaction a été légèrement modifiée par le Sénat, encadre les conditions de vente à distance des livres, afin de faire cesser le contournement, dans la sphère numérique, de l’esprit de la loi Lang du 10 août 1981 relative au prix unique du livre.
Dans le contexte de l’essor du marché du livre sur internet, la question est d’importance. C’est en effet le seul segment du marché du livre qui soit en progression et ce, hélas, au détriment des librairies indépendantes, dont la rentabilité financière a été en moyenne divisée par trois en dix ans.
Les entreprises qui vendent des livres sur internet pratiquent quasi systématiquement la gratuité des frais de port – sans minimum d’achat – et cumulent bien souvent cet avantage avec la remise de 5 %, comme nous l’avions vu en détail lors de la première lecture, poursuivant ainsi une stratégie privilégiant les volumes de ventes plutôt que la marge unitaire.
Leur politique aboutit à la dilution de la notion même de prix unique du livre. Il en résulte une distorsion caractérisée de concurrence avec les libraires indépendants, qui, eux, ne peuvent se permettre d’accorder les mêmes avantages à leurs clients.
Qu’a changé le Sénat afin d’améliorer notre travail initial ?
Vous vous souvenez que la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture, à issue d’un amendement du Gouvernement, visait à interdire le cumul des deux avantages commerciaux que sont le rabais de 5 % et la gratuité des frais de port.
Au Sénat, Mme Bariza Khiari, rapporteure pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – une collègue sénatrice dont je tiens à saluer l’extrême courtoisie, puisqu’elle nous a tenus informés de sa démarche –, a jugé que le dispositif adopté par l’Assemblée demeurait incomplet s’agissant de la livraison et des frais de port, qui auraient pu continuer d’être proposés à titre gratuit. Elle a donc complété utilement le dispositif afin d’indiquer que le service de livraison ne peut être offert à titre gratuit.
En séance publique, le Sénat a par ailleurs adopté un amendement présenté par M. Jacques Legendre, qui vise à reporter la date d’entrée en vigueur de la loi de trois mois à compter de sa publication, ce délai étant destiné à rendre possibles les adaptations techniques nécessaires.
Sur cet article, je ne peux que souscrire à l’ajout relatif à la non-gratuité des frais de port, qui est pleinement conforme à l’objectif poursuivi par la proposition de loi initiale déposée par M. Christian Jacob.
Pour ce qui est du report de l’entrée en vigueur, on pouvait estimer de bonne pratique de laisser le temps aux opérateurs de s’adapter au nouveau cadre législatif. Mais, madame la ministre, si nous avons bien compris votre intervention, ce délai ne pourra se cumuler avec celui qui nous est imposé par la notification de ce texte auprès de la Commission européenne.
En effet, il est apparu que l’article 1er de la proposition de loi doit, en application d’une directive du 22 juin 1998, être notifié à la Commission européenne, au même titre que tout projet de règle technique relative à la commercialisation d’un bien.
Le délai qu’il convient de respecter est donc de trois mois à compter de la notification. De plus, la directive impose que la notification soit faite à la Commission lorsque le Gouvernement dispose d’une version stabilisée de la mesure envisagée.
Faisant application de ces dispositions, le Gouvernement a, comme vous venez de l’indiquer, madame la ministre, notifié la présente proposition de loi à la Commission européenne le 16 janvier dernier, à la suite de l’adoption du texte par le Sénat.
Le report de trois mois de l’entrée en vigueur de l’article 1er de la proposition de loi tel que voté au Sénat, soit fin mai si le texte était définitivement adopté ce 20 février, a, dans un premier temps, été analysé comme permettant à la France de se conformer au délai de statu quo imposé par la Commission européenne.
Or il ressort de la lecture de l’article 9 de la directive que l’État membre doit reporter de trois mois l’adoption de règles techniques, ce qui laisse penser que l’obligation de statu quo n’est pas respectée si la mesure est adoptée avant ce délai, quand bien même son entrée en vigueur serait différée.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement se trouve aujourd’hui dans l’obligation de présenter l’amendement à l’article 1er, que vous nous présenterez tout à l’heure, madame la ministre, afin de maintenir la présente proposition de loi en navette et d’ouvrir ainsi la voie à son adoption par le Sénat dans un délai permettant à notre pays de respecter les termes de la directive communautaire.
Et si nous sommes persuadés de l’urgence qu’il y a à faire appliquer ce texte, il est de notre responsabilité de parlementaires de faire adopter un texte conforme aux procédures communautaires.
Je tenais, madame la ministre, à vous faire part de mon soutien, en tant que rapporteur, dans cette étape un peu surprise du texte qui, certes, va voir son application décalée dans le temps, mais sera au moins solide au vu de nos contraintes communautaires.
Pour terminer, je me dois d’évoquer aussi l’article 2 qui a été introduit au Sénat sur votre initiative, madame le ministre. Il vous habilite à transposer par ordonnance un accord-cadre sur le contrat d’édition dans le secteur du livre à l’ère du numérique, qui a été conclu en mars 2013 par le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national des éditeurs.
Les auditions que nous avons pu effectuer nous ont permis de mesurer le caractère historique de cet accord. Il marque l’aboutissement de près de quatre années de débats et d’âpres négociations entre ces deux institutions sur les conditions de cession et d’exploitation des droits numériques.
Il faut dire que le droit positif, mes chers collègues, est particulièrement peu adapté à l’ère numérique. Il est donc urgent d’adapter la définition que le code de la propriété intellectuelle donne du contrat d’édition ; vous avez, madame la ministre, rappelé les avantages dudit contrat.
L’accord fait obligation au contrat d’édition de prévoir une partie distincte regroupant toutes les dispositions concernant l’exploitation numérique de l’oeuvre. En second lieu, auteurs et éditeurs se sont également accordés sur une définition des critères permettant d’apprécier l’obligation aujourd’hui faite à l’éditeur d’« exploitation permanente et suivie » de l’oeuvre, tant dans l’imprimé que pour le numérique. En troisième lieu, en vertu de cet accord, le code de la propriété intellectuelle devra préciser que le contrat d’édition comporte obligatoirement une clause permettant à l’auteur ou à l’éditeur de demander la renégociation des termes économiques du contrat avant son échéance. Enfin, l’accord prévoit également que l’éditeur devra, au moins une fois par an et, pendant toute la durée du contrat, adresser à l’auteur une reddition de compte.
En application de l’article 2 de la proposition de loi, le Gouvernement sera autorisé, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, à modifier les articles relatifs au contrat d’édition contenus dans la partie législative du code de la propriété intellectuelle, en conséquence de la signature de cet accord. Alors, pourquoi une ordonnance ? La question s’est posée lors de nos débats en commission. Je ne suis, madame la ministre, pas plus enthousiaste que beaucoup de mes collègues ici présents pour la formule de l’ordonnance, mais je me suis rangé aux arguments qui nous ont été donnés. Cet accord nécessite une transcription législative rapide, et le Gouvernement semble ne pas avoir trouvé d’autre véhicule législatif que celui-ci – nous en sommes heureux, puisqu’il a été porté par l’opposition.
Dans ce contexte, près d’un an après la signature de l’accord, les signataires eux-mêmes nous disent qu’il serait très périlleux d’attendre plus encore, au risque de laisser retomber, en quelque sorte, cette dynamique favorable dont il procède. De plus, l’habilitation a un champ d’application très circonscrit, et le Gouvernement dispose d’une marge de manoeuvre très limitée pour l’écriture de l’ordonnance. Je le dis avec insistance à nos collègues Marie-George Buffet, Annie Genevard et Rudy Salles, qui, tous trois, se sont inquiétés, lors des travaux en commission, de ce recours à l’ordonnance. Encadré sur le fond, le Gouvernement est aussi contraint dans le temps puisque l’article 2 dispose que l’ordonnance doit être publiée dans un délai de six mois. Je pense, compte tenu du décalage que va connaître l’adoption définitive de ce texte, que vos services, madame la ministre, n’attendront pas la fin de ce délai. De plus, un projet de ratification de l’ordonnance devra être déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de sa publication.
Ce nouvel article vise, comme l’article 1er, l’objectif, qui était essentiel pour nous, d’adapter le marché du livre et les conditions de sa commercialisation à l’univers numérique.
En remerciant Mme la présidente de m’avoir autorisé à dépasser de deux minutes mon temps de parole, je conclus, madame la ministre, en disant que, pour l’ensemble de ces raisons, j’invite, en tant que rapporteur, l’Assemblée à adopter cette proposition de loi.