Si vous persistez, nous allons donc arriver à un joli paradoxe : les jeunes qui auront la chance de décrocher un stage seront bien protégés mais hélas ils seront de moins en moins nombreux, au moment où justement il faudrait développer les stages puisque la question de la qualification et de l’employabilité des jeunes passe par des contacts réels et forts avec la pratique professionnelle. Sans compter que les stages sont indispensables pour valider nombre de diplômes professionnalisants, ce n’est pas Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qui dira le contraire. Certains jeunes risquent ainsi d’être privés de diplômes faute de trouver un stage.
Ce que vous ne voulez pas comprendre, c’est que la question des stages compte parmi les sujets les plus sensibles en matière d’éducation. Plusieurs constats sont régulièrement faits et vous semblez singulièrement les ignorer.
Lorsque l’on parle avec les formateurs, les étudiants, les élèves, les familles, l’offre de stages est régulièrement présentée comme insuffisante. Les entreprises, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les professions libérales et même les administrations se voient reprocher de ne pas suffisamment ouvrir leurs portes à nos jeunes. Soutenir une telle proposition de loi est donc un comble car elle réduira à n’en pas douter l’envie de ces acteurs de terrain d’aider à la formation de nos jeunes en leur proposant des stages. Les contraintes l’emporteront sur toutes les autres considérations.
Pour ce qui est des données chiffrées actuellement disponibles, rappelons que le Conseil économique, social et environnemental a estimé le nombre de stages à 1,6 million par an en 2012, contre 600 000 en 2006. Il y a donc bien eu, au cours des dernières années, une action volontaire pour développer les stages et c’est heureux. Pourtant, malgré ces avancées, aujourd’hui seulement 32 % des étudiants d’université font un stage chaque année, même si l’on observe une augmentation de 5 % par an en raison de l’augmentation des stages obligatoires dans les cursus et de toutes les actions entreprises dans le prolongement du rapport De l’université à l’emploi publié en 2006 et de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi Pécresse, de 2007, qui a inscrit la mission d’insertion professionnelle parmi les missions de tous les établissements d’enseignement supérieur.
De tout cela, il résulte une demande de plus en plus forte. Le ministère de l’éducation nationale l’estime à près de 24 millions de jours de stage rien que pour la formation professionnelle initiale. Le tassement de l’offre de stage est mis en avant aussi bien par les ministères que par les établissements scolaires, même si aucun recensement précis n’est hélas disponible à ce jour, ce qui pose d’ailleurs problème : vous nous demandez de légiférer alors que nous n’avons aucune note d’impact sérieuse et pas la moindre évaluation des dispositifs mis en place au cours des dernières années.
Dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, certains secteurs professionnels comme la communication, l’audiovisuel et le journalisme sont accusés de recourir aux stagiaires de manière excessive. Cependant, à aucun moment vous ne vous interrogez pour savoir quels sont les besoins liés à l’offre de formation. C’est tout de même surprenant ! L’on peut avoir une autre lecture du même phénomène : les entreprises de ce secteur contribuent bien plus que d’autres à assurer la formation des jeunes ! De surcroît, en montrant ainsi du doigt certains secteurs économiques, on les fragilise inutilement. Sans vouloir être cynique, je note que la même majorité critique le secteur de la presse pour son recours aux stagiaires tout en proposant un financement direct de l’État, c’est-à-dire du contribuable, pour sauver le journal L’Humanité.