Intervention de Ambroise Fayolle

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Ambroise Fayolle, directeur général de l'Agence France Trésor :

S'agissant du profil des détenteurs de la dette française, peut-être quelques indications historiques seraient-elles utiles. Il se trouve qu'en 1997, j'étais déjà en fonctions au sein de la structure qui précédait l'AFT. À l'époque, la dette française était détenue à 85 % par des investisseurs français – contre 35 % actuellement. L'évolution s'explique par deux phénomènes principaux, qui apparaissent clairement dans la balance des paiements.

Le premier est lié à la mise en place de l'euro, au début des années 2000 : alors que nous étions, jusqu'en 1999, le seul émetteur souverain en francs français, nous ne sommes désormais que l'un des émetteurs souverains en euros. Les investisseurs français ont diversifié leur portefeuille en achetant de la dette d'autres pays de la zone euro et, réciproquement, les investisseurs de ceux-ci se sont mis à acheter de la dette française.

Il s'est ensuite produit un second phénomène : l'accumulation d'excédents courants dans les pays émergents a conduit ces derniers à constituer d'importantes réserves de change, qui ont été placées dans des titres de créances émis par les États les mieux notés et dont les caractéristiques techniques leur convenaient. Nous avons été parmi les émetteurs privilégiés par ces grandes banques centrales, ce qui a contribué à accroître la diversification des détenteurs de la dette française.

Toutefois, reprenons les chiffres : au troisième trimestre 2013, 64,5 % de notre dette était détenue par des investisseurs non-résidents et 35,5 % par des investisseurs résidents – dont 18 % par des assureurs et 11 % par des établissements de crédit ; mais la situation n'était guère différente à la fin 2008, puisque 64 % de la dette était alors détenue par des investisseurs non-résidents et 36 % par des investisseurs résidents, dont 15,5 % par des assureurs et 13 % par des banques. Il s'agit donc d'une configuration plutôt stable, contrairement à ce qui s'est passé en Espagne, en Italie ou en Belgique, où les investisseurs étrangers se sont détournés de la dette souveraine du pays.

D'autre part, les acheteurs de dette française sont pour une grande part des banques centrales, dont la politique d'investissement est prudente, à un horizon souvent plus rapproché que celles des compagnies d'assurance ou des fonds de pension. De ce fait, la proportion des investisseurs non-résidents est traditionnellement plus élevée sur les titres à court terme – près de 80 % – que sur ceux à long terme – 55 %.

Mais M. Piron a raison : ce qui importe, c'est la stabilité des investisseurs. Or, les banques centrales ou les grands investisseurs que sont les compagnies d'assurance comme Pacific Investment Management Company – PIMCO – ou les fonds d'investissement tels que BlackRock, qui sont des détenteurs importants de dette obligataire, sont des investisseurs stables. Nous y voyons une source de confort relatif, car la diversité catégorielle et géographique des détenteurs de dette souveraine est un moyen de garantir des conditions de financement favorables sur le long terme et nous assure une certaine sécurité, en limitant les effets des changements de stratégie d'investissement.

Quant à savoir qui, précisément, détient la dette française, je crois que nos informations permettent de s'en faire une première idée. Serait-il possible d'aller plus loin ? Il s'agit d'une question assez technique, qui a donné lieu à d'importants débats. Les Américains arrivent à donner plus d'indications que nous – contrairement aux Allemands –, mais même dans ce cas, on ignore l'identité du détenteur final ; et si une part importante de la dette américaine est détenue à Londres, c'est parce que les acheteurs intermédiaires sont implantés là-bas, et non parce que les détenteurs sont britanniques. Prenons garde à ne pas mal interpréter les données !

S'agissant de la lutte contre les paradis fiscaux, outre la législation existant en la matière, l'AFT dispose d'une charte qui la lie à tout établissement financier qui aide l'État à placer sa dette au meilleur coût ; il y est expressément dit que « les SVT que sont ces partenaires privilégiés se doivent d'adopter un comportement éthique conforme aux meilleures pratiques de place dans la conduite de leurs opérations ». Il s'agit pour nous d'un critère de sélection important. De plus, le comité de sélection, qui comprend un sénateur et un député, peut examiner la manière dont le dispositif anti-blanchiment et le contrôle interne sont mis en oeuvre dans ces établissements.

Quelles sont les perspectives pour les années 2015 et suivantes ? En 2007, le programme d'émission de l'AFT se montait à 97 milliards d'euros, en 2008 à 128, en 2009 à 165, en 2010 à 188 ; depuis, il oscille entre 173 et 188 milliards d'euros. La maturité moyenne de la dette est aujourd'hui de sept ans, contre cinq ans et demi il y a une dizaine d'années. Il serait bon de l'augmenter encore un peu afin de réduire le risque de refinancement, mais à condition que cela réponde à une demande du marché, car forcer les investisseurs à acheter des titres dont ils ne veulent pas est le meilleur moyen d'accroître à long terme le coût de financement de la dette française. Pour chaque émission obligataire, nous essayons donc de répondre au mieux à la demande des marchés – qui est, depuis quelques années, très forte sur les titres à maturité longue. La maturité de la dette française est un peu plus élevée que celles des autres pays de la zone euro – entre six ans et six ans et demi –, beaucoup plus élevée que celle des États-Unis – cinq ans –, mais très inférieure à celle du Royaume-Uni – quatorze ans.

Pour 2015, le programme de financement de l'État comprendra essentiellement le financement du déficit budgétaire de l'année à venir et des opérations de refinancement de dette, pour un montant de quelque 150 milliards d'euros. Nous avons souhaité préparer cette échéance le plus en amont possible, en procédant, comme chaque année, à des rachats de dette : lorsque les conditions de financement sont bonnes, nous émettons plus de titres de créance que nous n'en avons besoin, ce qui nous permet de lisser le montant à émettre les années suivantes. En 2013, nous avons ainsi racheté des titres qui venaient à échéance en 2014, mais aussi en 2015 – pour 10 milliards d'euros. Si les conditions du marché nous le permettent, nous poursuivrons ces opérations dans les prochains mois, afin de limiter les effets des opérations de refinancement sur le programme de financement pour 2015.

L'évaluation est encore plus difficile pour 2016, puisque nous émettons une partie de nos titres à deux ans. Il est donc impossible de savoir dès maintenant le montant exact de l'amortissement de la dette à moyen et long terme qui viendra à maturité en 2016.

Nous suivons de près l'évolution de la réglementation prudentielle. Il est encore trop tôt pour en mesurer les conséquences sur le coût de la dette, d'autant que certaines normes n'ont pas changé. Tout au plus peut-on dire que certaines dispositions, comme l'introduction du ratio de liquidité, sont plutôt favorables à la détention de dette souveraine, tandis que d'autres ont des effets plus douteux. Il est en revanche certain qu'une augmentation du coût de la détention de dette souveraine aurait des effets considérables, non seulement sur le coût de la dette elle-même, mais aussi sur les conditions de financement de l'ensemble de l'économie.

Quelque 10 % du stock de notre dette est indexé sur l'inflation, et nous émettons chaque année environ 10 % de dette sous cette forme. Nous nous situons dans la moyenne des autres grands émetteurs souverains : les États-Unis sont au même niveau, l'Italie à 8 %, l'Allemagne à 5 % – mais elle est entrée plus récemment sur le marché – et le Royaume-Uni à 20 %. Cela permet d'optimiser la charge de la dette par rapport au cycle économique. Par exemple, en 2013, l'inflation ayant été très inférieure aux prévisions, la réduction de la charge de la dette a permis d'économiser 1,3 milliard d'euros sur le budget de l'État.

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