Nous sommes effectivement une association responsable, qui ne se limite pas à l'alerte, mais qui propose des solutions de gestion de la planète.
Notre objectif est de changer le monde parce que, sauf à aller à sa perte, l'homme ne peut pas continuer à exploiter la nature comme il le fait aujourd'hui. C'est pourquoi nous travaillons beaucoup avec les pouvoirs publics et avec les entreprises, ce qui nous vaut en effet des accusations de greenwashing de la part de certains écologistes – tant il est vrai que c'est envers sa famille qu'on est le moins indulgent ! –, (Sourires) mais il serait illusoire de croire qu'on arrivera à réduire l'impact de l'homme sur la nature sans agir sur le monde économique. Carrefour est le premier « poissonnier » du monde : le jour où cette enseigne s'engage à ne plus vendre des espèces pêchées au chalut, les autres ne peuvent que suivre. De même, nous travaillons avec de grandes sociétés de distribution à développer des filières d'approvisionnement responsables pour des familles de produits ciblées : ainsi, en connexion avec les WWF de Chine et de Thaïlande, pour les meubles en bois tropicaux. Plus Carrefour diffusera des produits « verts », mieux le monde se portera. Telle est la philosophie du WWF.
C'est en contactant directement les dirigeants de Total ou d'Intermarché que nous leur avons ouvert les yeux sur certains problèmes. D'une façon générale, il n'y a pas une entreprise qui ait envie d'avoir le WWF sur le dos !
Dans le même esprit, nous nous attachons à promouvoir des certifications : ainsi, en ce qui concerne les tourteaux de soja, le fromager Bel est en train de rompre avec ceux de ses fournisseurs qui ne bénéficient pas de cette garantie.
Nous excluons cependant tout partenariat avec les sociétés de certains secteurs – exploitation pétrolière, nucléaire, armes, sexe, etc. (Rires) En outre, nous refusons que plus de 30 % de nos financements proviennent des entreprises. De toute façon, WWF n'en est malheureusement pas à ce niveau puisque nous tirons l'essentiel de notre budget, soit douze millions d'euros, des dons des particuliers – en moyenne d'une quarantaine d'euros par personne, ce qui induit un coût de collecte élevé. Les entreprises ne sont que notre deuxième contributeur. Nous sommes également financés par de grands programmes internationaux à hauteur d'un million d'euros par an. Il s'agit essentiellement de programmes européens destinés à des zones subtropicales ou tropicales, telles que la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane.
Nous recevons également quelques centaines de milliers d'euros de l'Agence française de développement (AFD), notamment pour financer des projets en Afrique. Ce montant est à comparer aux dix millions que l'institution allemande homologue verse au WWF de ce pays. C'est que l'Allemagne n'hésite pas à confier des missions de service public, voire des actions diplomatiques ou paradiplomatiques, à de grandes associations mondiales en leur assurant des financements globaux et durables, alors que la France préfère financer des projets ponctuels.
D'une façon plus générale, je suis frappé par l'archaïsme du financement des ONG en France. Alors que le WWF gère environ 80 % de la contribution du gouvernement américain à la biodiversité et vient d'être reconnu comme agence du Fonds pour l'environnement mondial des Nations unies, WWF France ne bénéficie d'aucun financement d'importance de la part du ministère de l'écologie ou d'autres ministères – cela a dû se limiter à 80 000 euros cette année.
En ce moment, WWF France soutient le projet de création d'une aire marine protégée dans le canal du Mozambique, un des derniers sites de biodiversité marine dans le monde, qui se trouve menacé du fait de la surpêche et de la présence de ressources gazières et pétrolières. S'agissant d'une région en partie francophone, il me semblait souhaitable que WWF France ne laisse pas les seuls anglophones de l'organisation travailler sur ce dossier : j'en ai touché un mot au Président François Hollande, mais il faut un an à l'AFD pour instruire notre demande ! Inutile de vous dire que nos collègues anglais ou kenyans auront trouvé bien avant nous les moyens de financer ce projet, et ce n'est pas au profit de la France qu'ils le géreront.
Comprenez-moi bien : nous ne sommes pas particulièrement demandeurs de financements étatiques. Il est plus grave d'être dépendant de l'argent de l'État que de travailler avec les entreprises. Cependant, quand on nous demande d'assurer de nombreuses missions, il serait normal qu'on nous dédommage pour le travail fourni.
Je voudrais insister aussi sur la nécessité d'agir sur les acteurs du monde de la finance, car le marché des matières premières, par exemple, dépend de cinquante ou soixante opérateurs financiers extrêmement puissants. Nous avons l'avantage d'être une association de dimension internationale, mais nous avons besoin de vous, les législateurs, d'autant que les gouvernements se sont révélés incapables de réguler la finance mondiale.
Une taxe sur les transactions financières pour financer l'adaptation au changement climatique serait une très bonne chose, pourvu qu'elle ne se limite pas à l'Europe. À notre avis, il y a deux grands domaines qui aujourd'hui échappent à toute régulation : la mer et l'espace. C'est pourquoi nous considérons qu'il faut taxer les bateaux et les avions pour les dommages qu'ils causent à ces espaces. C'est la seule façon d'établir une fiscalité écologique à l'échelle de la planète. Cela présenterait en outre l'avantage de favoriser les relocalisations.
Vous avez raison de souligner la nécessité d'une exemplarité écologique, en matière notamment de consommation d'énergie. Songez à ce qui se passerait si, en Chine, on en arrivait à compter, comme en Europe, 500 voitures pour mille habitants, toutes fonctionnant avec des carburants d'origine fossile ! C'est la raison pour laquelle nous défendons la voiture électrique, car c'est la seule qui peut fonctionner grâce à une énergie renouvelable. Je vous demanderai donc d'introduire dans la loi sur la transition énergétique l'obligation d'installer, comme en Norvège, des bornes de recharge de voitures électriques dans toutes les rues de France.