Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu Mme Isabelle Autissier, présidente de WWF France.
Dans le cadre des rencontres que nous organisons avec les responsables des principales organisations environnementales, nous avons déjà accueilli MM. Bruno Genty, président de France Nature Environnement, et Nicolas Hulot, président de la Fondation Nicolas-Hulot pour la Nature et l'Homme.
Nous recevons aujourd'hui Mme Isabelle Autissier, qui préside depuis 2009 WWF France (World Wildlife Fund, Fonds mondial pour la nature). Cette fondation française, reconnue d'utilité publique depuis 2004, vise à sauvegarder les milieux naturels et leurs espèces, à gagner à cette cause les décideurs politiques et économiques, à accompagner les entreprises vers un développement durable et à promouvoir une transition énergétique plus respectueuse de l'environnement.
Sa présidente précisera les missions et les moyens de la fondation, à travers quelques dossiers emblématiques ou d'actualité. Elle abordera ensuite d'autres thèmes, comme le financement de la transition énergétique, la préservation de la biodiversité, l'évolution du climat, le commerce illégal du bois, le projet de code minier ou la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.
Elle est accompagnée du directeur général de l'organisation, M. Philippe Germa, et de Mmes Silvia Marcon et Marine Reboul, chargées de mission « politiques publiques ».
WWF International, dont WWF France est partie intégrante, est la première organisation mondiale de protection de la nature. Présente dans plus de cent pays, elle anime des programmes qu'elle juge prioritaires pour la conservation de la nature et pour l'instauration de rapports harmonieux entre la nature et l'homme.
WWF International a cinquante ans et WWF France a fêté cette année son quarantième anniversaire. Après avoir mis l'accent sur la préservation des grandes espèces sauvages, qui était pour ainsi dire son coeur de métier, l'organisation s'est progressivement intéressée aux milieux, avant de s'interroger sur les menaces que font peser sur ceux-ci les activités humaines. L'homme n'existerait pas sans la nature, dont il a besoin dans tous les actes de la vie quotidienne, même s'il entretient avec elle des rapports de prédation plus que de collaboration. WWF a été à l'origine de l'indice « Planète vivante », qui permet de mesurer l'évolution des milieux naturels, ainsi que d'autres indicateurs du développement ou des menaces que la nature encourt du fait de l'homme. Nous nous sommes ensuite tournés vers la recherche de solutions, tentant de définir, avec nos partenaires, les conditions d'un développement soutenable pour la nature et épanouissant pour l'homme.
En France, nous menons ce travail avec quelque quatre-vingt-dix collaborateurs, 6 000 bénévoles et 200 000 donateurs. Notre budget annuel s'établit à 16 millions d'euros environ, dont 60 % proviennent des particuliers. Il s'agit de legs ou de dons souvent très modestes, mais leur abondance prouve l'importance que les citoyens accordent à nos préoccupations.
Nous travaillons dans un esprit de collaboration et d'évolution. S'il nous arrive de dénoncer dérives ou dysfonctionnements, nous cherchons surtout d'autres moyens de produire et de consommer, pour parvenir à un mode d'organisation économique ou politique permettant de rétablir le lien entre la nature et l'homme. Nous menons des campagnes de sensibilisation ou de participation. Ainsi Earth Hour, que nous animons pour le compte de WWF International, mobilise plus de cent pays et près d'un milliard de citoyens sur le thème du réchauffement climatique. Au-delà du geste symbolique qui consiste à éteindre la lumière pendant une heure, nous invitons chacun à réfléchir à l'empreinte des hommes sur le climat.
Nous sommes présents aux côtés des entreprises pour les aider à identifier dans leurs processus de production ce qui affecte défavorablement la nature et à engager des mutations pour y remédier. Elles sont d'ailleurs de plus en plus nombreuses à se doter de structures oeuvrant en faveur du développement durable, avec lesquelles nous entretenons des relations de travail tout à fait pacifiées. Elles représentent à nos yeux des acteurs clés du changement que nous souhaitons.
Nous travaillons bien sûr aussi avec les pouvoirs publics. Nous nous sommes dotés d'une cellule de veille législative et réglementaire, mais nous intervenons également, de manière plus locale et décentralisée, auprès des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux.
Au niveau mondial, ne pouvant être présents partout, nous avons choisi de nous concentrer sur la préservation des espèces et des territoires ou sur des problématiques telles que le réchauffement climatique ou l'eau. À côté des actions menées sur le territoire national, WWF France intervient donc, grâce à l'appui de WWF International, sur les grandes questions qui se posent à la planète. Une de nos préoccupations prioritaires sera ainsi, dans les dix-huit mois à venir, la préparation de la Conférence des parties (COP) à la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Nous espérons que cette conférence marquera un tournant majeur de la politique climatique mondiale. Quelle que soit la difficulté de conclure un accord, il est urgent d'y parvenir. Nous participerons à la recherche de solutions et tenterons de mobiliser États et collectivités.
Nous sommes actifs dans tous les domaines liés à la biodiversité. Entre autres sujets, nous souhaitons que le projet de loi consacré à ce sujet traite du braconnage, particulièrement du braconnage des grandes espèces, qui a augmenté de manière exponentielle au cours des années récentes au point de compromettre la survie des populations d'éléphants, de rhinocéros ou de singes. Le sujet touche aussi aux droits de l'homme dans la mesure où ce braconnage est souvent le fait de groupes paramilitaires, qui tuent les gardes des réserves et menacent les populations locales. Il ne peut y avoir de droits humains qui ne s'appuient sur la biodiversité et sur un rapport équilibré avec la nature.
Si nous saluons ce projet de loi, actuellement en discussion, nous craignons que des amendements n'en réduisent la portée. Nous suivrons donc attentivement la discussion du texte, que cimentent deux principes : la compensation de l'atteinte à la biodiversité et la solidarité écologique. La compensation est fondamentale, après la prévention et la correction auxquelles tend notre action. Quant à la solidarité écologique, qui lie tous les êtres vivants de la planète, elle doit se traduire par des décisions publiques, notamment en matière d'aménagement.
Nous souhaitons que le Parlement reçoive, chaque année ou tous les deux ans, un rapport rédigé par des scientifiques qui lui permette de faire un point d'étape sur l'état de la biodiversité et sur l'application de la loi. Loin de rester isolée de l'ensemble des politiques publiques, la stratégie nationale en faveur de la biodiversité doit être au coeur de celles-ci, particulièrement lorsqu'il s'agit d'agriculture, de recherche, d'énergie ou de développement.
Nous soutenons la création des deux instances de gouvernance de l'Agence française pour la biodiversité que prévoit le texte, l'une sociétale, l'autre scientifique et technique. Puisque l'État français a la chance de disposer des outre-mer et, avec eux, d'un vaste domaine maritime ainsi que de nombreuses collectivités locales souvent très déterminées, il faut que cela se traduise dans la composition de ces commissions. Il conviendrait dès lors que, comme le prévoyait la première version du texte, les collectivités territoriales soient dûment représentées au sein de la première – elles y interviendraient en tant que gestionnaires aux côtés de l'État –, cependant que la seconde commission pourrait s'ouvrir davantage à la société civile.
Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi dispose que le Comité national de la biodiversité (CNB) « peut » être consulté par le Gouvernement sur l'ensemble de ses décisions. Mieux vaudrait indiquer qu'il l'« est », ce qui contribuerait à faire de la préservation de la biodiversité un élément de toute politique publique.
Nous sommes choqués que l'on ait supprimé l'exonération de taxe sur le foncier non bâti dans les zones humides. Compte tenu de la nécessité de protéger celles-ci, nous vous invitons non seulement à rétablir cette exonération, mais aussi à analyser – y compris au niveau des collectivités territoriales – une politique qui n'atteint que partiellement son but. Les zones humides, fortement affectées par le développement, méritent sans doute un meilleur traitement que celui qu'on leur a accordé jusqu'ici.
Nous le pressentons partout où nous intervenons : la question des ressources minières, pétrolières ou gazières et des méthodes adoptées pour les exploiter sera un enjeu crucial au cours des prochaines décennies. Nous saluons la préparation, en France, d'un nouveau code minier prévoyant l'élaboration d'un schéma national en la matière, mais nous soulignons l'importance de prévoir une déclinaison territoriale de ce schéma, terrestre mais aussi marine – en Guyane, des campagnes sismiques ont été menées, en vue de l'exploitation pétrolière, pendant le passage des baleines, ce qu'un minimum de concertation aurait sans doute évité.
Le schéma minier doit aussi respecter les protections réglementaires : zones de réserve, zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) et sites classés. On doit renoncer à extraire le dernier bloc de minerai ou la dernière goutte de pétrole dans des zones dont l'État ou les collectivités territoriales ont jugé qu'elles méritaient d'être protégées.
La création d'un fonds de compensation écologique pourrait favoriser une meilleure répartition du produit des redevances entre les diverses parties prenantes, mais aussi servir à développer la recherche et à réunir des compétences pour réhabiliter des sites et mettre en oeuvre des projets durables. Cela suppose de mettre à contribution ceux qui bénéficient des produits de la nature. Dès lors qu'il y a exploitation minière ou pétrolière, il faut prévoir une réhabilitation, ce qui aidera en outre à créer dans ce secteur des pôles d'excellence français, en espérant qu'ils seront imités partout dans le monde.
Notre organisation emploie quatre-vingt-dix personnes qui travaillent à Paris, Lyon, Marseille, Nouméa et Cayenne. Selon les années, son budget oscille entre 16 et 18 millions d'euros. Comme la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme, WWF fonctionne grâce aux dons des particuliers et au mécénat de certaines entreprises, mais la conjoncture, en particulier l'accroissement de la pression fiscale, ne nous est pas très favorable. (Rires sur les bancs UMP)
Nous avons enregistré de lourdes pertes en 2012 et 2013, qui nous ont obligés à passer d'importantes provisions, et nous sommes bien loin du budget de WWF Allemagne, qui atteint 65 millions d'euros.
Nous sommes de plus en plus souvent sollicités par le Gouvernement pour participer à des débats ou à des commissions ou, presque chaque semaine, pour donner notre avis sur un projet de règlement ou de décret. Nous ne pouvons cependant pas répondre à toutes ces demandes, car nos donateurs entendent que nous nous consacrions avant tout à des programmes de conservation de la nature.
WWF France est impliqué dans deux grands programmes internationaux : la protection de l'Amazone et celle des coraux du Pacifique qui se trouvent au large de Nouméa. Nous nous préoccupons aussi de la pêche illégale, dont le « chiffre d'affaires » annuel atteint 25 milliards de dollars. Comme le braconnage, qui en rapporte 15, c'est un fléau pour l'humanité, car il met en danger la ressource halieutique et son caractère renouvelable. Pour juguler ce mal qui ne fait que s'aggraver en raison de la demande croissante des pays émergents, pourquoi ne pas utiliser les compétences du Centre national d'études spatiales (CNES), dont les images satellite permettraient de surveiller tous les bateaux illégaux du monde ?
Les « commodités », les matières premières mondiales – huile de palme, soja, coton, etc. – sont issues à 70 % des pays du Sud et utilisées à 70 % par deux cents entreprises mondiales, parfois françaises. Nous souhaitons que celles-ci se tournent vers des productions certifiées n'ayant qu'un faible impact sur la déforestation ou sur le changement climatique.
En dehors des programmes français ou européens consacrés à la Méditerranée ou aux Alpes, nous finançons des programmes à Madagascar. Ce pays très pauvre, qui possède une biodiversité très riche, a connu des troubles terribles et ne reçoit désormais plus d'aide internationale. La nature y est fortement sollicitée par la population, qui n'a pas d'autre ressource, et pillée par des braconniers, qui organisent notamment un trafic de bois de rose. Nous intervenons également dans le bassin du Congo, puisque le bureau de Paris a acquis une légitimité pour piloter des actions dans les pays francophones. Nous sommes également présents en Indonésie et au Brésil, compte tenu des problèmes que pose la production d'huile de palme et de soja. Nous vous remercions donc d'avoir réintroduit dans la loi des mesures de défiscalisation permettant de financer ces programmes internationaux.
L'enjeu des prochaines années sera de définir un modèle de développement soutenable, alors que l'empreinte de l'homme sur la nature se fait chaque jour de plus en plus forte : à l'échelle d'une année, il a consommé en août tout ce que la nature est capable de lui donner ! En d'autres termes, il vit pendant cinq mois sur une dette écologique. Il y a quelques années, c'est seulement en octobre qu'il commençait à « manger » le capital de la planète. L'augmentation de la richesse des pays émergents joue un rôle déterminant dans ce processus. À présent que les pays d'Europe ont fait beaucoup pour l'environnement, c'est dans les pays du Sud, dont la population veut, elle aussi, rouler en voiture, faire deux vrais repas par jour et se nourrir de protéines animales, que se posent les plus grands problèmes. Notre tâche est de les inciter à se développer en réduisant leur empreinte sur la nature. Nous agissons dans le même sens envers les entreprises françaises, que nous tentons de convaincre de préférer aux services ou aux produits « gris », des services ou des produits « verts ».
Nous avons largement participé aux débats sur la transition énergétique. Nous souhaitons que votre commission soit pleinement associée à la rédaction de la loi qui sera consacrée à ce sujet. (Rires sur tous les bancs)
On ne peut parler d'énergie sans traiter en même temps des questions climatiques ou sociétales ; or vous êtes les garants de cette approche globale. Si les pays riches ne deviennent pas plus sobres en matière d'énergie, comment la Chine, le Brésil ou l'Afrique du Sud seront-ils incités à le devenir ? Pour l'heure, dans les conférences internationales, les Chinois ont beau jeu de souligner qu'ils arrivent au trente-cinquième rang pour la consommation d'énergie par habitant – ce qui ne les empêche pas d'être le premier pays émetteur de CO2, en raison de leur population. Nous devons montrer qu'il est possible de vivre bien et d'avoir une croissance positive en consommant moins d'énergie.
En tant qu'ancien banquier, je me suis intéressé au financement de la transition énergétique, notamment à celui du démantèlement des cinquante-huit réacteurs nucléaires français. Le rapport de la Cour des comptes est loin d'être encourageant sur le sujet. AREVA songe à employer l'argent provisionné pour le démantèlement à la construction de deux EPR en Angleterre, preuve que ces fonds ne sont pas sécurisés. Or nous en aurons besoin un jour et une centrale n'est pas une friche industrielle anodine, puisqu'elle est radioactive.
Il faut, selon nous, s'assurer que les provisions pour démantèlement soient réellement constituées à un juste niveau. Le fait qu'elles soient gérées par EDF ou par AREVA pose également problème : n'oublions pas que TEPCO, exploitant de la centrale de Fukushima, a déposé le bilan au lendemain de la catastrophe. Pour constituer un fonds, il suffirait de prélever une somme sur le prix de chaque kilowattheure et de sécuriser le capital auprès de la Caisse des dépôts. De nombreux parlementaires, certains membres du Gouvernement et l'actuel Président de la République ont soutenu en 2006 une proposition de loi allant dans ce sens, c'est-à-dire visant à financer une dépense dont on sait qu'elle sera inéluctable.
Je reconnais que nous, écologistes, n'avons jamais aimé le nucléaire, mais la question n'est pas là : il s'agit, non de renoncer à cette filière, mais de la fiabiliser. En outre, il n'y aurait rien d'absurde à consacrer à la transition énergétique les sommes qui s'investissent sur les marchés financiers ou qui dorment chez les « électriciens ». Nous l'avons suggéré dans une tribune adressée au Président de la République et aux parlementaires, qu'ont signée le président Jean-Paul Chanteguet ainsi que des députés de sensibilités aussi différentes que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Noël Mamère, M. Bertrand Pancher et M. Philippe Plisson. Je suis prêt à revenir vous en parler plus précisément, mais vous avez déjà une majorité en faveur de la loi ! (Sourires)
Pour financer la transition énergétique, nous pouvons également réduire très fortement notre consommation d'énergie. J'ai découvert chez Bouygues Énergies & Services, que le système Citybox permettait d'économiser 30 % sur l'éclairage public d'une ville et d'installer en outre des bornes pour les voitures électriques et de la vidéosurveillance. En dix ans, toutes les collectivités locales pourraient se doter de ce procédé si on leur en donnait les moyens avec le fonds que nous souhaitons voir constituer. M. Henri Proglio, président-directeur général d'EDF, ne semble pas prêt à les y aider, mais a-t-il intérêt à ce qu'elles consomment moins d'électricité ? (Sourires)
M. Laurent Fabius a rappelé ce matin que, lorsque la France a accepté d'accueillir la Conférence sur le climat, on lui a présenté, en même temps des félicitations et des condoléances, tant il paraît difficile de trouver un accord planétaire sur la lutte contre le changement climatique. Mais cet accord est pour nous indispensable et vous trouverez dans notre organisation une alliée pour faire en sorte qu'un protocole de Paris se substitue à celui de Kyoto. Aujourd'hui même, les cent pays membres de WWF sont réunis au Pérou pour préparer la Conférence de Lima et celle de Paris.
Un premier mot de réponse à Mme Isabelle Autissier : la suppression de l'exonération de la taxe sur le foncier non bâti dans les zones humides a été votée, lors de l'examen de la dernière loi de finances rectificative de 2013, sur proposition de Bercy. Nous avons découvert l'amendement après son adoption.
Nous allons faire des propositions tendant à annuler cette suppression. Sachant que la disposition ne devrait pas entraîner pour l'État une charge supérieure à 850 000 euros par an, nous espérons que le rapporteur général nous soutiendra. Nul ne peut se satisfaire de la disparition des zones humides, qui se sont déjà fortement réduites en vingt ou trente ans.
Quels signes faut-il envoyer aux pays émergents pour les convaincre de signer demain un accord contraignant ? Ils apprécieraient sans doute que nous instaurions une taxe sur les transactions financières au niveau européen, afin d'alimenter le fonds vert…
Nous sommes honorés d'auditionner tant la navigatrice que la présidente d'une association aussi impliquée dans la protection de la planète. Je sais gré à WWF de nous aider dans notre action en faveur du développement durable, qui n'est pas toujours facile. En effet, si les collectivités locales sont de plus en plus convaincues que la biodiversité doit être au coeur des politiques publiques, ce n'est pas toujours le cas de l'État. Nous devons employer toute notre énergie pour qu'il s'engage dans ce sens.
Comment expliquez-vous que le budget de WWF France soit à ce point inférieur à celui de WWF Allemagne ? Les Français s'intéressent-ils moins à vos travaux ou sont-ils moins généreux que leurs voisins d'outre-Rhin ?
N'est-il pas regrettable que le projet de loi créant l'Agence française pour la biodiversité ne prévoie pas d'y faire une place à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ? On sait pourtant que, depuis quelques années, une loi reconnaît la contribution des chasseurs à la protection de la biodiversité, qu'ils défendent notamment en intervenant dans les établissements scolaires.
Pourquoi, sur l'étal des poissonniers, trouve-t-on toujours autant de poissons pêchés en eaux profondes ? Votre organisation mène-t-elle une action pour faire prendre conscience à nos concitoyens que cette pêche menace la pérennité de nos ressources halieutiques ?
Considérez-vous que les espèces invasives finiront par s'adapter à nos climats, contribuant alors à la biodiversité, ou estimez-vous au contraire qu'il faut à tout prix contenir leur expansion ?
Enfin, que pensez-vous du statut de l'animal ?
L'objet de votre organisation est d'informer nos concitoyens, de leur fournir des orientations pour l'avenir et de peser sur l'élaboration de la norme juridique, ce qui est légitime. Combien d'adhérents compte-t-elle ? Comment est-elle financée ? Touchez-vous des subsides publics ?
Je vous sais gré de votre pondération, alors que beaucoup témoignent d'un excès de passion aussitôt qu'il est question d'environnement. En évoquant le problème de l'éclairage public, vous avez souligné le lien, trop rarement perçu, entre le développement durable et l'action des collectivités locales, qui ont pour mission de gérer l'espace. Bien que ces collectivités doivent affronter nombre d'obstacles juridiques pour faire aboutir leurs projets, elles ont sans doute vocation à devenir des acteurs essentiels de la transition écologique.
Tant que les pays du Nord consommeront quatre à cinq fois plus de ressources fossiles que le reste de la planète, il leur sera difficile de donner des leçons. Pour devenir exemplaires, ils doivent rationaliser leur utilisation de l'énergie, par exemple en recourant aux nouvelles technologies, en sensibilisant l'opinion, en renouvelant le parc automobile et en isolant les bâtiments. Une politique incitative, et non simplement punitive, peut les y aider. C'est un objectif que nous devons partager.
Comme France Nature Environnement et la Fondation Nicolas-Hulot pour la Nature et l'Homme, le WWF, qui a vocation à influencer les décisions publiques, fait entendre sa voix aux niveaux national, européen et international. Votre organisation siège ainsi au Conseil national de la transition écologique (CNTE). Quelles mesures souhaite-t-elle voir figurer dans le projet de loi de programmation pour la transition énergétique ?
Pour faire évoluer la situation, il faut faire évoluer les esprits en sensibilisant le public à la protection du patrimoine naturel. Quelles sont selon vous les étapes indispensables pour changer les comportements et quelles dispositions en ce sens la future loi de programmation devrait-elle comporter ?
Enfin, comment se répartissent géographiquement les 6 000 bénévoles qui travaillent pour WWF France ?
Votre organisation a été vivement contestée ces dernières années pour avoir signé des partenariats avec des entreprises privées. Les accusations d'écoblanchiment (greenwashing) ont été nombreuses, le WWF apparaissant comme une caution pour certaines entreprises polluantes, comme Aéroports de Paris ou le cimentier Lafarge.
Dès lors que les financements privés entrent pour 30 % dans son budget, n'est-il pas difficile à WWF de dénoncer certaines actions de ses partenaires ? Comment peut-on juger de la pertinence des actions d'une entreprise en faveur de la protection de l'environnement quand on dépend de ses financements ? Est-ce le conseil d'administration de WWF France qui prend la décision de signer un partenariat ? La présidente a-t-elle un droit de veto sur ce point ?
Le WWF dresse un constat dramatique de la situation de la planète, qui nécessiterait une action vigoureuse. Pourtant, les partenariats semblent légitimer le système actuel, en laissant croire qu'il suffirait de le verdir un peu pour que tout aille mieux. Dans le cadre de ce partenariat, Lafarge s'est engagé à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre. Est-ce suffisant face à l'ampleur de la crise écologique et climatique ? Peut-on préserver la nature et l'environnement sans changer en profondeur le modèle productiviste et consumériste qui gouverne notre société ? La polémique sur le sujet a-t-elle eu un impact sur la perception qu'a le public de votre organisation ?
On reconnaît avant tout dans le WWF une association de protection de la biodiversité, notamment de la biodiversité remarquable, dont l'érosion s'explique par cinq facteurs : la destruction des habitats, due notamment, en France, à l'artificialisation des sols ; la surexploitation des espèces ; la concurrence des espèces invasives ; la pollution des milieux et le changement climatique. Compte tenu de l'urgence écologique, quelles actions à court terme considérez-vous comme prioritaires ?
De nombreux projets de préservation de la biodiversité, dont l'objectif est de réguler les espèces, menacées ou non, témoignent d'une volonté sous-jacente d'organiser ou de réorganiser les écosystèmes, via des programmes de destruction ou de réintroduction d'espèces animales – on songe même à acclimater des tigres d'Asie en Afrique du Sud ! Cependant, le fonctionnement des biotopes étant encore mal connu, cette régulation artificielle des écosystèmes peut entraîner des réactions en chaîne insoupçonnées, comme la destruction de certaines espèces, telles que les cormorans ou les loups. Elle pose en outre un problème éthique, puisqu'on considère alors l'animal comme un simple objet surnuméraire. L'homme peut-il, ou doit-il, définir ainsi l'équilibre entre les espèces et remodeler les écosystèmes ?
Au lieu d'agir sur une espèce, si emblématique soit-elle, il serait plus utile – mais aussi plus difficile – de travailler sur les espaces, par exemple en instaurant en France des trames vertes et bleues. La biodiversité, notamment la biodiversité remarquable, ne peut être préservée que dans des écosystèmes protégés. Que pensez-vous de ces programmes de réintroduction ou de destruction d'espèces, au surplus très coûteux ?
La consommation excessive de viande en Occident est responsable de déforestations massives, notamment en Amérique du sud où le soja est produit en quantités énormes pour nourrir le bétail, mais cela suscite beaucoup moins d'émoi que la destruction des forêts primaires d'Asie du sud-est, due à la production d'huile de palme. Le WWF s'intéresse-t-il à cette question ?
Enfin, quelle est votre position sur les agrocarburants et sur les OGM ?
À travers sa présidente et son directeur général, je remercie WWF France, qui fait partie des associations écologistes responsables. Le constat est unanime : sa doctrine environnementale est à la fois authentique, pragmatique et de très bon niveau. Le Gouvernement et le Parlement trouvent en elle un partenaire de qualité, sur lequel ils peuvent compter pour représenter la société civile.
WWF France a également joué un rôle essentiel pour faire progresser les idées écologistes, avant même le développement de l'écologie politique. Si nos concitoyens sont presque tous conscients des enjeux que représente la protection de notre environnement, c'est en grande partie à des associations comme la vôtre que nous le devons.
Enfin, son expertise est utile aux parlementaires.
Quelles sont les perspectives de créations d'emplois dans ce qu'on nomme « l'économie verte », qui vise à transformer notre modèle économique en un modèle calculant et intégrant le prix des ressources non renouvelables ?
La fiscalité écologique, à laquelle nous travaillons, devra, non s'ajouter à la fiscalité existante, mais s'y substituer. Selon vous, quel serait le modèle le plus efficace en la matière ? Faut-il taxer ou faut-il repenser le modèle incitatif, de manière à ne pas rééditer certains échecs, comme celui des droits à polluer ?
Votre organisation défend la thèse selon laquelle la combinaison des économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables permettrait à terme de se passer de l'énergie nucléaire. Or la décision arrêtée en Allemagne après Fukushima est loin d'être une réussite : elle se solde par la relance d'un programme de centrales à charbon très polluantes. En France, votre position est très minoritaire et a peu de chances de s'imposer à court terme, mais le débat est intéressant. Quels sont vos arguments ? Selon les scénarios que vous avez élaborés, à quelle date la France pourrait-elle se passer du nucléaire ?
Le WWF soutient un projet qui, même s'il rencontre beaucoup de résistances, semble plus pragmatique : celui de créer un fonds indépendant pour le démantèlement de nos centrales en fin de vie et pour le stockage des déchets. Ce fonds financerait des projets de transition énergétique et permettrait de prévenir un risque évoqué par la Cour des comptes en janvier 2012, dans son rapport sur les coûts de la filière électronucléaire : celui de voir l'État se retrouver en situation de financeur de dernier recours, du fait de la sous-estimation des charges et de la liquidité insuffisante des provisions.
La question est délicate, car les provisions financières figurent au bilan des opérateurs. On imagine facilement leur opposition à ce projet, compte tenu de ses conséquences sur leur trésorerie. Le fonds garantirait le financement du démantèlement des centrales nucléaires dans les trente prochaines années et, d'ici là, faciliterait la transition énergétique. Un fonds public indépendant, sur le même modèle, existe d'ailleurs en Finlande ou en Suède. Pensez-vous que cette idée pourrait prospérer ? Comment espérez-vous surmonter les résistances des acteurs économiques ?
Enfin, votre organisation entretient des relations pragmatiques avec les entreprises, en évitant toutefois de cautionner des démarches de leur part qui s'apparenteraient à de l'écoblanchiment. Nous sommes convaincus qu'il y a là une voie de progrès pour la cause écologique, mais comment procédez-vous pour rendre les entreprises sensibles à vos préoccupations ? Quels sont vos succès ou vos échecs ? Quelles leçons en tirez-vous pour inciter les entreprises à prendre réellement en compte les enjeux environnementaux ?
Vous avez évoqué votre mobilisation dans la perspective de la vingt et unième conférence des parties à la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la COP 21, qui doit se tenir à Paris en 2015. Pouvez-vous nous préciser en quoi elle consiste ? Que serait un bon compromis selon le WWF et comment y parvenir ? Quelles sont vos inquiétudes à ce sujet ?
J'ai noté que vous considériez la réduction de la consommation d'énergie comme prioritaire, et il est vrai qu'il revient aux élus et aux parlementaires de faire comprendre à nos compatriotes que nous sommes désormais entrés dans l'ère de la sobriété énergétique.
WWF France a lancé une campagne d'envergure nationale pour inciter le grand public à demander un minimum de 20 % de nourriture « bio » dans les cantines scolaires. Ne faudrait-il pas promouvoir également, auprès des cantines, les produits de l'agriculture raisonnée et les circuits courts ?
Votre organisation se mobilise-t-elle pour défendre les abeilles contre la prolifération du frelon asiatique ? En effet, bien que classé depuis décembre 2012 dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l'abeille domestique, cette espèce nuisible continue de menacer les populations d'abeilles dans de nombreuses régions françaises.
Je voudrais à mon tour saluer la présence parmi nous de Mme la présidente, navigatrice, écrivain, scientifique, qui met ses connaissances et sa notoriété au service de la protection de la nature et in fine de l'homme.
Instruite par votre expérience à la tête de WWF France, pouvez-vous nous dire quelles avancées vous avez observé sur les nombreux fronts sur lesquels votre organisation est engagée ? Quels obstacles rencontrez-vous et quelles actions préconisez-vous, en particulier dans la perspective de la COP 21 ? Quelles mesures fortes pourrait prendre la France pour qu'un accord opérationnel soit enfin signé ? Quel est le bon niveau d'intervention – local, national ou international ? Comment articuler ces différents niveaux d'action ?
Que pensez-vous enfin, madame la présidente, de l'enlisement du projet de parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et des pertuis charentais, auquel je suis très attachée, comme mon voisin Philippe Plisson ?
Dans un rapport, le WWF affirme qu'il est possible d'atteindre d'ici à 2050 l'objectif de 100 % de fourniture d'énergies renouvelables à l'échelle de la planète. Comment pensez-vous atteindre un objectif aussi ambitieux, qui suppose par exemple la rénovation thermique d'au moins la moitié de l'habitat ancien en Europe, dans le contexte d'une crise qui n'en finit pas et de finances publiques exsangues ?
Je voudrais d'abord vous remercier, monsieur le directeur général, pour votre soutien au projet de loi sur la transition énergétique.
À propos des espèces invasives, je poserai une question quelque peu iconoclaste. On sait qu'il faut réguler certaines populations d'animaux sauvages, tels que les sangliers et les chevreuils, en raison des ravages qu'elles causent. Aujourd'hui, le débat porte sur les oies sauvages, dont plusieurs dizaines de milliers sont gazées en Hollande, en Allemagne et en Belgique en raison des dommages qu'elles font subir aux récoltes. Serait-il illogique, dans ces conditions, qu'on puisse en autoriser la chasse en France dix jours en février ? (Rires et exclamations sur divers bancs)
Au moment où nous nous apprêtons à examiner un projet de loi qui y est consacré, j'aurais aimé que vous nous proposiez une définition de ce qu'est pour vous la biodiversité.
J'aimerais également connaître votre point de vue sur les objectifs fixés par la Commission européenne en matière de transition énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il me semble, monsieur Germa, que vous aviez, à l'issue de la conférence environnementale de 2013, émis des réserves quant à l'efficacité de l'économie circulaire, mais peut-être vous ai-je mal compris.
Vous avez enfin souligné à plusieurs reprises la responsabilité des pays émergents dans l'augmentation de l'empreinte écologique. Ce n'est pas faux, mais c'est un propos très difficile à entendre pour ces pays. Comment faites-vous pour surmonter cette difficulté ?
Menées depuis vingt ans, les nombreuses tentatives de réintroduction du saumon dans la Loire et dans son affluent l'Allier n'ont pas rencontré de réel succès – on y décompte aujourd'hui 800 individus alors qu'il en faudrait plus du double pour maintenir l'espèce. Votre association étant connue pour ses actions en faveur de la protection des espèces animales, j'aimerais que vous nous disiez quelles actions devraient être conduites dans la durée pour parvenir à réintroduire des espèces en voie de disparition dans nos cours d'eau ?
Nous partageons votre souci de préserver les zones humides, mais la difficulté, c'est de les entretenir, notamment pour les agriculteurs qui en sont souvent les propriétaires.
La protection des espèces animales ne va pas non plus sans difficultés. Ainsi la présence du loup pose de nombreux problèmes dans ma circonscription des Alpes. Nous ne souhaitons pas pour autant l'éradication de ces animaux ; ce que nous demandons, c'est la possibilité de réguler leur population.
J'ai cru comprendre que les chasseurs n'étaient pas favorables à l'intégration de l'ONCFS, dont ils assurent en partie le financement, dans le périmètre de la future Agence de la biodiversité. Je pense cependant qu'il faudra prendre en compte le rôle important qui est le leur, par exemple dans la régulation des espèces.
La question la plus importante est celle du financement : il faudrait trouver les moyens de financer les actions en faveur de la biodiversité sans alourdir encore la fiscalité. Ne pourrait-on envisager la création d'un fonds alimenté par une contribution sur les propriétés non bâties ?
La préservation de la biodiversité suppose de repenser le rapport de l'homme à la nature. Pendant des siècles, voire des millénaires, l'homme s'est pensé comme un être radicalement différent, et supérieur aux autres espèces vivantes peuplant cette planète. Il s'est octroyé un rôle d'organisation, de gestion et d'exploitation de la nature. C'est cette conception qui est remise en cause par l'impasse où nous nous trouvons aujourd'hui. Nous nous rendons compte que nous ne sommes pas fondamentalement différents des autres espèces vivantes. Même si l'espèce humaine est, je vous l'accorde, un petit peu particulière, elle ne peut se comprendre qu'à l'intérieur d'écosystèmes, en harmonie avec l'ensemble des autres espèces qui les composent et dont nous avons besoin.
Une telle perspective interroge quant au statut de l'animal. De notre point de vue, les animaux – les espèces vivantes en général – ne doivent plus être considérés comme des biens meubles. Plus généralement, il faut aujourd'hui réfléchir à la place que nous devons reconnaître aux autres espèces vivantes et à la manière dont nous réglons nos rapports avec elles.
Les problèmes suscités par les espèces invasives ou par la réintroduction de certaines espèces posent la question de la gestion des espèces. C'est un fait que la façon dont l'homme gère les espaces naturels est source de profonds déséquilibres, provoquant notamment la réduction drastique des maillons supérieurs des chaînes trophiques, c'est-à-dire des espèces les plus complexes. Ce phénomène est très net dans l'environnement marin : aujourd'hui, 80 à 90 % des espèces de grande taille, telles que les requins, ont disparu du fait de l'action de l'homme. Il se vérifie aussi sur terre, où les grands carnivores ont été les premières victimes de l'activité humaine. Cela entraîne un appauvrissement de l'indispensable complexité de la nature.
Ainsi, il ne faut pas seulement considérer le loup en tant que tel, mais aussi comme une de ces espèces supérieures indispensables à l'ensemble de cette chaîne de la biodiversité. Il nous paraît important que ces animaux restent présents dans la biodiversité normale et naturelle de nos écosystèmes, ce qui n'exclut pas la régulation de leurs populations et la gestion de leurs interactions avec l'homme. Si leur présence pose aujourd'hui problème, c'est essentiellement parce que, pour des raisons d'ordre économique et social, les troupeaux ne sont plus gérés de la même façon qu'il y a cinquante ou cent ans. On peut imaginer une gestion de la nature française plus soucieuse de conserver les espèces supérieures, qui servent à la fois de « parapluie » aux autres espèces et d'indicateurs du bon fonctionnement des chaînes trophiques et de la biodiversité.
La prolifération d'espèces invasives telles que le frelon asiatique est une conséquence de la mondialisation des échanges économiques, les transports maritimes ou aériens constituant leur mode d'entrée privilégié sur notre territoire. Ainsi introduites dans des milieux où elles n'ont pas de compétiteurs naturels, elles peuvent se développer de manière outrancière, au détriment d'espèces endogènes. Si nous ne voulons pas voir s'écrouler nos biodiversités locales, il est nécessaire de mettre en place des modes de régulation de ces espèces, qu'elles soient animales ou végétales, aussi longtemps qu'elles n'auront pas intégré la chaîne de biodiversité du milieu dans lequel elles ont été introduites et qu'elles n'auront pas de régulateurs locaux.
Le problème extrêmement préoccupant de la surpêche nous mobilise particulièrement. Aujourd'hui, 75 % des espèces marines commercialisées sont surexploitées ou à la limite de la surexploitation. Là encore, on constate un appauvrissement des chaînes trophiques, les espèces supérieures étant les premières victimes de la surpêche, ce qui explique la prolifération d'espèces comme les méduses. Quant à la pêche en eau profonde, elle provoque la destruction quasi irréversible des écosystèmes : il faudra des milliers d'années pour que les coraux d'eau froide qui sont détruits par le chalutage de fond se reconstituent, s'ils se reconstituent un jour.
Notre mobilisation sur cette question a pris des formes diverses. Nous travaillons avec vous, mais aussi avec les parlementaires européens, pour obtenir l'interdiction de la pêche profonde. Malheureusement, comme vous le savez, le Parlement européen a rejeté, à quelques voix près et dans une certaine confusion, l'interdiction du chalutage en eaux profondes.
Nous avons par ailleurs, avec d'autres associations, lancé la pétition pour l'arrêt de la pêche profonde, qui a à ce jour recueilli 800 000 signatures en France. C'est cette campagne, et les pressions que nous avons exercées directement auprès de cette entreprise partenaire, qui ont décidé Carrefour à ne plus commercialiser les poissons d'eaux profondes. Nous sommes déterminés à continuer d'inciter le grand public à ne plus consommer ces espèces.
Nous venons également d'obtenir qu'Intermarché, dont la filiale Scapêche est le premier armateur français pour la pêche en eaux profondes, s'engage à ne plus pêcher en dessous de huit cents mètres de profondeur à partir de 2015.
Comme vous le voyez, notre travail, c'est d'essayer d'être présents à tous les niveaux, d'agir sur tous les maillons de la chaîne, qu'il s'agisse de l'édiction de la réglementation ou de la mobilisation de l'opinion ou des entreprises, voire des collectivités publiques. Nous agissons avec pondération, certes, mais la pondération n'exclut pas l'engagement et la capacité de persuasion. Nous avons ainsi obtenu de la société Total – qui ne fait pas partie de nos partenaires, pour des raisons que Philippe Germa vous exposera – qu'elle renonce à poursuivre ses activités d'exploration pétrolière à l'intérieur du parc des Virunga, le plus ancien parc national d'Afrique, territoire de référence du gorille des montagnes et classé site du patrimoine mondial par l'UNESCO. Total s'est même engagé à ne procéder à aucune extraction, ni à aucune activité d'exploration dans le périmètre des sites naturels inscrits à ce même patrimoine.
C'est comme une crémaillère qu'on incrémente cran par cran : chacun des accords que nous obtenons permet d'enclencher une nouvelle étape. Ce sont des démarches difficiles, qui ne vont jamais assez vite. Le temps est la question centrale pour nous. Le temps long de la nature n'est pas le temps des hommes et les actions que nous engageons aujourd'hui auront des conséquences dans des dizaines, des centaines, voire des milliers d'années. Il nous faut pourtant agir vite, avant que les dégradations ne deviennent irrémédiables.
S'agissant du financement de la biodiversité, il sera extrêmement difficile de poser la question comme il convient tant que la nature n'aura pas de valeur du point de vue de la comptabilité nationale. Celle-ci ne tient compte que des coûts d'exploitation de ce capital naturel. C'est en introduisant la notion de valeur des écosystèmes qu'il sera possible d'imaginer une fiscalité à la hauteur des enjeux écologiques. Pour nous, ceux qui exploitent les ressources naturelles doivent être les premiers contributeurs à la protection de la biodiversité.
Nous sommes favorables à ce que l'ONCFS siège au sein de la future Agence de la biodiversité.
Il est vrai qu'on assiste depuis une dizaine d'années à une réelle prise de conscience et on ne peut que se féliciter que ces questions de biodiversité soient entrées dans le débat public. On ne s'y intéressera jamais assez cependant, et c'est pourquoi nous continuons notre travail de sensibilisation, en particulier via les réseaux sociaux, très populaires auprès des jeunes, ou auprès de l'éducation nationale et des associations d'éducation populaire. Il nous paraît également indispensable que l'enseignement supérieur se saisisse de ces sujets si on veut que les dirigeants de demain les maîtrisent.
La question de la consommation de la viande relève de la problématique des « commodités », pour reprendre le terme utilisé par WWF International, qui lui applique la stratégie dite « de la coupe de champagne ». En effet, ces produits de consommation courante sont le fruit du travail de millions de producteurs – la base de la coupe –, distribués par quelques centaines de grandes sociétés – son pied – et consommés par des milliards d'humains. Le WWF, bien que de dimension mondiale, reste une petite organisation, comptant environ 5 000 permanents. Nous devons donc nous concentrer sur le « pied » de la coupe de champagne, c'est-à-dire sur les organisations qui transforment et distribuent ces biens. Ce que nous cherchons, c'est à faire s'asseoir les acteurs de chacun de ces marchés autour d'une même table afin d'établir pour chacune de ces productions des règles de bonne pratique à la fois sur le plan environnemental et sur le plan social, règles dont le respect sera sanctionné par un label. Les produits ainsi distingués permettront de tirer vers le haut l'ensemble des pratiques, à mesure que les consommateurs exigeront ce label.
Cette stratégie globale nous permet de contribuer à une transformation. On ne peut pas se contenter de mettre en question le modèle consumériste : il faut aussi agir, actionner les leviers qui nous sont accessibles, auprès des entreprises, des collectivités, des pouvoirs publics, des décideurs, des leaders d'opinion, pour que les choses commencent à changer dès maintenant.
La question qu'on nous pose le plus souvent au cours de nos réunions publiques, est la suivante : que faire ? Le grand public veut qu'on lui indique des directions. C'est notre rôle, et aussi le vôtre, de lancer des actions et de proposer des solutions qui auront des effets d'entraînement et de mobilisation. De ce point de vue, beaucoup de collectivités développent de bonnes pratiques, dans des domaines comme les transports, la protection de la biodiversité, etc., mais souvent de manière dispersée et sectorielle. Un de nos objectifs est de mutualiser et de diffuser ces pratiques afin que chacun puisse les reprendre à son compte. Il s'agit de prouver qu'il est possible de changer nos comportements sans devoir « revenir à la bougie », pour reprendre une formule maintes fois entendue ; de montrer que le bien-être repose d'abord sur l'immatériel – la connaissance, les échanges, la convivialité – et que notre consommation de biens matériels peut être régulée de manière à ne pas excéder les possibilités de la planète.
Nous sommes effectivement une association responsable, qui ne se limite pas à l'alerte, mais qui propose des solutions de gestion de la planète.
Notre objectif est de changer le monde parce que, sauf à aller à sa perte, l'homme ne peut pas continuer à exploiter la nature comme il le fait aujourd'hui. C'est pourquoi nous travaillons beaucoup avec les pouvoirs publics et avec les entreprises, ce qui nous vaut en effet des accusations de greenwashing de la part de certains écologistes – tant il est vrai que c'est envers sa famille qu'on est le moins indulgent ! –, (Sourires) mais il serait illusoire de croire qu'on arrivera à réduire l'impact de l'homme sur la nature sans agir sur le monde économique. Carrefour est le premier « poissonnier » du monde : le jour où cette enseigne s'engage à ne plus vendre des espèces pêchées au chalut, les autres ne peuvent que suivre. De même, nous travaillons avec de grandes sociétés de distribution à développer des filières d'approvisionnement responsables pour des familles de produits ciblées : ainsi, en connexion avec les WWF de Chine et de Thaïlande, pour les meubles en bois tropicaux. Plus Carrefour diffusera des produits « verts », mieux le monde se portera. Telle est la philosophie du WWF.
C'est en contactant directement les dirigeants de Total ou d'Intermarché que nous leur avons ouvert les yeux sur certains problèmes. D'une façon générale, il n'y a pas une entreprise qui ait envie d'avoir le WWF sur le dos !
Dans le même esprit, nous nous attachons à promouvoir des certifications : ainsi, en ce qui concerne les tourteaux de soja, le fromager Bel est en train de rompre avec ceux de ses fournisseurs qui ne bénéficient pas de cette garantie.
Nous excluons cependant tout partenariat avec les sociétés de certains secteurs – exploitation pétrolière, nucléaire, armes, sexe, etc. (Rires) En outre, nous refusons que plus de 30 % de nos financements proviennent des entreprises. De toute façon, WWF n'en est malheureusement pas à ce niveau puisque nous tirons l'essentiel de notre budget, soit douze millions d'euros, des dons des particuliers – en moyenne d'une quarantaine d'euros par personne, ce qui induit un coût de collecte élevé. Les entreprises ne sont que notre deuxième contributeur. Nous sommes également financés par de grands programmes internationaux à hauteur d'un million d'euros par an. Il s'agit essentiellement de programmes européens destinés à des zones subtropicales ou tropicales, telles que la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane.
Nous recevons également quelques centaines de milliers d'euros de l'Agence française de développement (AFD), notamment pour financer des projets en Afrique. Ce montant est à comparer aux dix millions que l'institution allemande homologue verse au WWF de ce pays. C'est que l'Allemagne n'hésite pas à confier des missions de service public, voire des actions diplomatiques ou paradiplomatiques, à de grandes associations mondiales en leur assurant des financements globaux et durables, alors que la France préfère financer des projets ponctuels.
D'une façon plus générale, je suis frappé par l'archaïsme du financement des ONG en France. Alors que le WWF gère environ 80 % de la contribution du gouvernement américain à la biodiversité et vient d'être reconnu comme agence du Fonds pour l'environnement mondial des Nations unies, WWF France ne bénéficie d'aucun financement d'importance de la part du ministère de l'écologie ou d'autres ministères – cela a dû se limiter à 80 000 euros cette année.
En ce moment, WWF France soutient le projet de création d'une aire marine protégée dans le canal du Mozambique, un des derniers sites de biodiversité marine dans le monde, qui se trouve menacé du fait de la surpêche et de la présence de ressources gazières et pétrolières. S'agissant d'une région en partie francophone, il me semblait souhaitable que WWF France ne laisse pas les seuls anglophones de l'organisation travailler sur ce dossier : j'en ai touché un mot au Président François Hollande, mais il faut un an à l'AFD pour instruire notre demande ! Inutile de vous dire que nos collègues anglais ou kenyans auront trouvé bien avant nous les moyens de financer ce projet, et ce n'est pas au profit de la France qu'ils le géreront.
Comprenez-moi bien : nous ne sommes pas particulièrement demandeurs de financements étatiques. Il est plus grave d'être dépendant de l'argent de l'État que de travailler avec les entreprises. Cependant, quand on nous demande d'assurer de nombreuses missions, il serait normal qu'on nous dédommage pour le travail fourni.
Je voudrais insister aussi sur la nécessité d'agir sur les acteurs du monde de la finance, car le marché des matières premières, par exemple, dépend de cinquante ou soixante opérateurs financiers extrêmement puissants. Nous avons l'avantage d'être une association de dimension internationale, mais nous avons besoin de vous, les législateurs, d'autant que les gouvernements se sont révélés incapables de réguler la finance mondiale.
Une taxe sur les transactions financières pour financer l'adaptation au changement climatique serait une très bonne chose, pourvu qu'elle ne se limite pas à l'Europe. À notre avis, il y a deux grands domaines qui aujourd'hui échappent à toute régulation : la mer et l'espace. C'est pourquoi nous considérons qu'il faut taxer les bateaux et les avions pour les dommages qu'ils causent à ces espaces. C'est la seule façon d'établir une fiscalité écologique à l'échelle de la planète. Cela présenterait en outre l'avantage de favoriser les relocalisations.
Vous avez raison de souligner la nécessité d'une exemplarité écologique, en matière notamment de consommation d'énergie. Songez à ce qui se passerait si, en Chine, on en arrivait à compter, comme en Europe, 500 voitures pour mille habitants, toutes fonctionnant avec des carburants d'origine fossile ! C'est la raison pour laquelle nous défendons la voiture électrique, car c'est la seule qui peut fonctionner grâce à une énergie renouvelable. Je vous demanderai donc d'introduire dans la loi sur la transition énergétique l'obligation d'installer, comme en Norvège, des bornes de recharge de voitures électriques dans toutes les rues de France.
Je n'y vois aucun inconvénient, bien au contraire, car ces bornes sont fabriquées à Saintes. (Rires)
On n'a pas encore réussi à mesurer l'impact de la croissance verte sur l'emploi, mais je considère que le jour où toutes les entreprises produiront davantage de produits verts que de produits gris, il n'y aura que des emplois verts. C'est notre objectif.
C'est à vous de défendre, si vous la jugez bonne, notre proposition de fonds pour la transition énergétique et une sortie équitable du nucléaire (TESEN), notre rôle étant d'alerter les dirigeants sur des sujets qui touchent à la protection de l'environnement.
Nous sommes très mobilisés par la préparation de la COP 21. Nous avons ainsi fait venir nos homologues des WWF de sept des pays qui auront le plus de poids dans les futures négociations, afin d'évoquer la façon dont ces questions étaient traitées chez eux. Nous comptons par ailleurs rencontrer l'ambassadeur de France dans tous les pays où le WWF est implanté.
Certes, l'objectif de 100 % d'énergies renouvelables en 2050 est ambitieux, mais une organisation telle que la nôtre ne peut pas fonctionner sans objectif ambitieux. Même si celui-ci peut apparaître moyennement réaliste, il devra de toute façon être atteint un jour ou l'autre.
Ce que j'ai pu dire à propos de l'empreinte des pays émergents est peut-être sévère, mais c'est une réalité. Notre but n'est pas de culpabiliser qui que ce soit : il s'agit de démontrer qu'on peut se développer sans accroître son empreinte écologique. Les pays tempérés peuvent se réjouir de l'avoir plutôt allégée depuis les années soixante-dix, alors que la situation s'est très fortement détériorée dans les pays tropicaux. Pour reprendre un concept cher à Edgar Morin, c'est une « métamorphose » qu'il faut viser. (Applaudissements sur tous les bancs)
Merci, madame la présidente, monsieur le directeur général, pour ce riche échange. Comme vous, je crois beaucoup à la contribution que peuvent fournir les collectivités territoriales et les entreprises.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mardi 18 février 2014 à 17 heures
Présents. - Mme Laurence Abeille, M. Alexis Bachelay, M. Philippe Bies, M. Jean-Louis Bricout, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Sophie Errante, M. Olivier Falorni, M. Yannick Favennec, M. Laurent Furst, Mme Geneviève Gaillard, M. Michel Lesage, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jean-Luc Moudenc, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Gilbert Sauvan, Mme Suzanne Tallard, M. Jean-Pierre Vigier
Excusés. - M. Yves Albarello, M. Julien Aubert, M. Denis Baupin, Mme Chantal Berthelot, M. Christophe Bouillon, Mme Florence Delaunay, M. Michel Heinrich, M. Christian Jacob, M. Alain Leboeuf, M. Bertrand Pancher, M. Napole Polutélé, M. Martial Saddier, M. Gabriel Serville